Right Ho,
Jeeves
Traduction :
Josette Raoul-Duval
ISBN : 978-2264035882
Si vous ne deviez lire qu'un seul livre de la série "
Jeeves", c'est "
Ca va, Jeeves ?" que je vous recommanderais. Je l'ai lu et relu je ne sais combien de fois et, toujours, surtout lors de l'éblouissant discours de remise des prix prononcé avec punch par Gussie Fink-Nottle, je suis écroulée de rire. Par contre, je crois l'avoir déjà dit, ne lisez jamais plus d'un
P. G. Wodehouse à la fois : vous vous lasseriez vite - et vous passeriez ainsi à côté d'un auteur qui parvient toujours à vous persuader que, tous comptes faits, la vie mérite d'être vécue.
Toutes les fois que l'on prononce le nom de
Jeeves, on est certain d'entendre en écho celui de Bertram, ou plus familièrement Bertie, Wooster, jeune et fringant spécimen de la gentry anglaise qui vit de ses rentes mais qui, sans être simplet, n'est pas précisément non plus ce que l'on pourrait nommer une flèche. Bertie écrit quelques articles sur les tenues que se doit de porter le parfait gentleman pour le journal de sa tante Dahlia, dîne régulièrement à son club, court les boîtes de nuit chic, fait des folies de jeune homme pas très malin (comme voler le casque d'un policeman, par exemple, ce qui est, chez lui, comme une sorte d'obsession ), boit pas mal et se fait réconforter le matin par la boisson que lui apporte à son chevet, pour le remettre d'aplomb, son impeccable valet de chambre,
Jeeves - Reginald de son prénom.
D'ailleurs, osons le dire puisqu'il lui arrive à lui-même de l'admettre, que serait Bertie Wooster sans
Jeeves ? Un jeune gentleman, certainement, mais pas un gentleman aussi gentleman qu'il l'est puis qu'il a eu l'heur immense d'obtenir que
Jeeves se mette à son service. Autant Bertie est tête folle et manifeste souvent des goûts vestimentaires navrants, autant, aussi, il a tendance à tomber amoureux de la femme qu'il ne faut pas (à moins que ce soit cette dernière, le plus souvent une cousine ou une amie d'enfance, qui s'impose d'elle-même), autant
Jeeves aligne les raisonnements posés, une sûreté dans le choix des vêtements (pour lui comme pour les autres) tout à fait sans pareille et une réserve totale quant à sa vie privée - on se demande même s'il en a une quoique, dans je ne sais plus quel opus, il me semble me souvenir de certaine cuisinière ...
Passons.
L'intrigue de "Right Ho,
Jeeves", qui date de 1934, est aussi simple qu'on peut l'espérer. Toutes les intrigues de Wodehouse le sont, d'ailleurs. Mais la façon qu'il a de l'imposer à des personnages dont les plus primaires sont, irai-je jusqu'à dire, aussi complexes qu'on peut l'être dans la primarité - inutile d'essayer de comprendre si vous n'avez jamais lu un seul livre de l'auteur britannique - et même plus - là non plus, n'essayez pas - sa science des dialogues complètement déjantés, son sens inné du loufoquement diabolique ou du diaboliquement loufoque et son art magistral d'entremêler quelques ficelles, à l'origine bien modestes, pour en forger un inextricable fouillis dont pourrait s'enorgueillir n'importe quel chaton en maraude et que seul, dans la plupart des cas,
Jeeves réussira à démêler avec la facilité déconcertante d'un véritable prestidigitateur (ou d'un pickpocket ), font que vous vous retrouvez, à la fin de votre lecture, avec l'impression d'avoir assisté à un ballet raffiné et compliqué à souhait où vous ne savez plus qui tenait le rôle de la vieille tante chasseresse ou encore celui du fiancé stupidement jaloux . Seuls surnagent en général les noms de
Jeeves et de Wooster. Mais, en toute honnêteté, quelques personnages récurrents ont su s'imposer à notre mémoire : la tante Dahlia Wooster justement et aussi Anatole, son cuisinier français. Tout le monde se fait inviter par tante Dahlia pour pouvoir goûter à la merveilleuse cuisine d'Anatole, lequel n'hésite pourtant pas à confectionner, quand il le faut, de magnifiques pâtés de rognons so british.
Donc, en gros, "Right Ho,
Jeeves" débute sur une "révolte" - il en a de temps en temps - de Bertie quant au projet suggéré par
Jeeves à un sien ami, le jeune Gussie Fink-Nottle (lequel s'est retiré depuis cinq ans à la campagne pour étudier les tritons d'eau douce ) pour déclarer sa flamme à une jeune fille des plus éthérées, pour qui les étoiles sont les larmes des fées (à moins que ce ne soient les clochettes du muguet ? enfin, peu importe), et qui répond au nom très musical de Madeline Bassett. de fait, le plan prévu par
Jeeves capote ... pour la bonne et simple raison que, devant rejoindre Madeline à un bal masqué, le malheureux Gussie a confondu le numéro 17 de la rue avec le numéro 7. En plus, en se déguisant en Méphistophélès, il avait oublié de prendre son portefeuille ...
Devant ce scandaleux échec, Bertie prend le taureau par les cornes. Pour ce faire - et aussi pour échapper à un discours de remise de prix que veut lui refiler sa tante Dahlia - il s'arrange pour faire inviter Gussie chez ladite parente, chez laquelle séjourne aussi - ô miracle ! - la jeune Bassett en même temps qu'Angela (la fille de tante Dahlia et de son mari, l'oncle ... Tom , petit hobereau que tourmente beaucoup la question des impôts fonciers.) Précisons en outre qu'Angela est fiancé à Tuppy Glossop - le genre footballeur américain : tout en muscles et pas grand chose dans la cervelle.
A cela, vous ajoutez Bertie, avec
Jeeves dans ses bagages, bien décidé à faire admirer à son valet de chambre comment lui aussi sait concocter des plans fabuleux pour réconcilier les âmes en peine (ah ! oui, j'ai oublié de vous dire que, entretemps, Angela et Tuppy ont rompu pour une stupide histoire d'aileron de requin ... ) C'est l'un des problèmes, avec Wodehouse : on se perd dans les explications - ce qui n'est pas bien grave car vous pourriez simplement vous contenter de songer que je ne sais pas faire une fiche correcte - mais en plus, on n'y est strictement pour rien et l'on risque de passer pour un cinglé ! Si puissants et attractifs se révèlent le "ton" Wodehouse, la technique de l'écrivain et sa façon de raisonner : vous lisez un de ses livres et vous en concevez un tel choc que, pendant quelque temps, vous ne pouvez pas raisonner autrement que son auteur ...
Si vous n'avez jamais lu une aventure de
Jeeves et de Wooster (magistralement interprétés dans le temps pour la BBC par
Stephen Fry et
Hugh Laurie - mais oui, ce cher bon vieux Dr House en personne ! ) et si cette courte fiche vous a donné envie de fourrer votre nez dans "Right Ho,
Jeeves", alors, sachez que j'en suis très heureuse et que je vous envie : un premier "
Jeeves & Woosteer", c'est toujours si, si émouvant ... Comme une larme de fée qui s'allume dans le ciel ... ;o)