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sur 735 notes
Ce roman-fiction raconte l'histoire d'un monde déshumanisé et régi par des lois mathématiques un peu nébuleuses, un monde où l'individualité et l'intimité n'existent plus, tous sont des numéros et logent dans des maisons de verre.
Dans ce monde mécanisé la liberté est devenue un joug, tous obéissent aux mêmes règles et sont étroitement surveillés.
Mais, malgré tout dans ce monde là : « l'Etat Unique », on leur promet le bonheur : « le dernier pas que vient de faire la Science Nationale consiste dans la découverte du centre de l'imagination. Une triple application de rayons X sur ce centre vous guérira à jamais. Vous êtes parfaits, vous êtes comme des machines ; le chemin du bonheur à cent pour cent est ouvert. Hâtez-vous, jeunes et vieux, hâtez-vous de vous soumettre à la Grande Opération. Courez aux auditoria où elle est pratiquée. Vive le Grande Opération, vive l'Etat Unique, vive le Bienfaiteur ! »
Dans ce monde, tous travaillent avec joie et ardeur d'ailleurs, la perte du travail ne devient-elle pas une punition insupportable ?
La vie est réglée à l'aide de tables recensant les activités de la journée : lire, écrire des poèmes à la gloire de l'Etat Unique ou son journal comme D-503, se promener, faire l'amour pour une bonne hygiène de vie, et travailler sur l'Intégral ce vaisseau spatial qui va porter la bonne parole dans l'espace.
Non, tous ne sont pas heureux certains se révoltent et notre héros D-503 découvre l'amour avec I-330, ce sentiment agréable et troublant dont il ne comprend pas exactement le sens…
Zamiatine a écrit ce roman en 1920 toute sa vie il fut un persécuté par une bureaucratie pointilleuse. Il s'exila de lui-même ne pouvant plus supporter cette situation. Ce roman incarne sa déception et ses craintes pour le futur, il est en ce sens un extraordinaire visionnaire. Dans ce récit mordant et incisif et d'une écriture un peu saccadée par de nombreux points de suspension, il nous met aussi en garde contre les dangers de l'industrialisation du monde.
Dans cette satire on sent l'influence de Gogol, à la même époque Boulgakov subissant la même influence écrira son fantastique « le Maître et Marguerite » d'ailleurs tous deux feront appel à Gorki pour plaider leur cause auprès de Staline et obtenir la possibilité de s'exiler. Je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle…
Une lecture agréable surprenante et détonante !
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Ce roman est un chef d'oeuvre et a suscité une remarquable postérité, influençant, entre autres, le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley et 1984 de George Orwell. C'est un chef d'oeuvre et par son contenu, et par sa structure, et par son style.
Côté contenu, ce roman écrit en 1920 est d'une incroyable modernité tant dans son sujet que dans le traitement de celui-ci. L'histoire se passe dans un futur lointain, après une guerre de deux cents ans qui a opposé villes et campagnes. Les survivants se sont enfermés dans une mégapole entourée de vastes murailles. Au moment du récit ce monde est régi par la logique mathématique et la géométrie. Dans ce monde, les noms et prénoms ont disparus, remplacés par une lettre (une consonne pour les mâles, une voyelle pour les femelles) et des numéros. L'individu n'existe plus. le narrateur, D-503, est le pur produit de cet Etat, il est mathématicien et ingénieur, chargé de la construction de l'Intégrale, un vaisseau spatial destiné à apporter leur civilisation jusqu'aux confins de l'univers. Il est aussi chargé de rédiger un journal décrivant leur civilisation pour porter la bonne parole aux extraterrestres. Tout le roman consiste en ce journal. Au début, D-503 est intimement convaincu de la beauté de son monde, du niveau suprême de civilisation atteint, pour lui la disparition des libertés individuelles est perçue comme un progrès et non comme un défaut. Il s'extasie sur la beauté géométrique des immeubles, sur la pureté de leur ligne. Il écrit et pense comme un pur produit du système. Toute vie spirituelle a disparu, même la musique est composée par des machines en suivant des formules mathématiques. Tout le récit nous présente le point de vue intérieur de D-503 qui écrit pour faire connaître aux extraterrestres la vie quotidienne, l'organisation sociale, les coutumes, bref, tout sur ce monde sous le régime de l'État unitaire.
L'histoire se déroule pour l'essentiel dans deux lieux. Une vieille maison musée d'autrefois, pleine de recoins et de surprises, et un appartement tout de verre transparent. Toute la ville est d'ailleurs de verre, transparente. Cette idée de transparence (que l'on retrouve au passage dans le mot « Glasnost » !) est tirée d'un autre roman, assez quelconque, « Que faire ? », écrit par Tchernychevski en 1863 et qui a été le livre de chevet de plusieurs générations de révolutionnaires russes dont Lenine qui a repris ce titre en 1902 pour son traité politique.
Mais un grain de sable s'introduit, D-503 rencontre un numéro femelle imprévu et très progressivement va naître une attirance, illogique, et des sentiments. Il considère que l'apparition d'une pensée, d'une âme individuelle, est une sorte de maladie.
Impossible à la lecture de ne pas faire le lien avec l'URSS au temps de Staline ou avec le Reich hitlérien : même disparition de l'individu au profit d'un Homme nouveau modelé par une idéologie soi-disant scientifique et par la surveillance constante des populations. Zamiatine, en écrivant ce qui est la première dystopie, est fascinant, tant il a senti les enjeux des totalitarismes du futur. Il ne faut pas cependant oublier qu'il a fort probablement pris aussi modèle sur le taylorisme qu'il a découvert en Angleterre en y travaillant à fabriquer des navires pour la flotte russe.
Nous, c'est le groupe, opposé à Je, l'individu. Mais c'est aussi Nous, notre groupe ou Moi et mon groupe, opposé à Eux, les autres. En russe les deux s'emploient très couramment sans préciser le contexte. En français l'emploi du nous opposé à eux sans préciser le contexte est assez rare (Nous les … ou Moi et les …, nous ...). D'où les deux traductions possibles pour le titre. Personnellement je me rappelle une conversation en russe avec des Géorgiens en France où j'ai du leur faire préciser le sens de «nous», le contexte indiquait une opposition aux Français, ou aux Occidentaux mais je n'arrivais pas à déterminer si son «nous» désignait les Géorgiens ou les habitants de l'ancienne Union Soviétique. Nous étions en 1998, et il m'a répondu après un temps de réflexion que c'était les Soviétiques!
Non content de nous livrer une oeuvre forte par son contenu, Zamiatinenous l'offre avec une écriture remarquable : le style de D-503 évolue peu à peu avec le narrateur, nous offrant des images remarquables, de splendides métaphores qui font de certaines pages de purs moments de poésie. L'évolution du style est très progressive, par petites touches, plus nombreuses et plus importantes au fil des chapitres.
Ce roman oublié est pour moi un chef d'oeuvre oublié de la littérature mondiale. Il faut dire que la première traduction qui ne passe pas par l'intermédiaire de la traduction anglaise date seulement de … 2017, donc très peu de temps avant le centenaire de l'original !
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Le Journal National réclame de la propagande : "des traités, des poèmes, des proclamations, des manifestes, des odes, etc." à la gloire de l'État Unique. le journal de bord du Constructeur de l'Intégral, D-503, dont la mission est de promulguer la bonne parole, de déployer l'artillerie du Verbe, d'intégrer les immensités de l'univers dans cette grande machine de verre qu'est l'État Unique, est un écrit controversé que l'État Unique a décidé de publier, d'intégrer, pour mieux le désintégrer. On l'intègre et on le digère ce journal, après l'avoir bien mastiqué, en rythme.

D-503 en un homme de chiffres, un ingénieur, qui apprécie la musique mathématique, le syllogisme, la pensée logique, et le lecteur est en droit de s'attendre à un rapport méthodique. Or, il se laisse séduire par la poésie, par la métaphore, lui qui aime tant les associations d'idées mais ses associations sont-elles logiques ? Dès qu'il rencontre un autre numéro, il oublie le numéro et décrit la lettre qui précède le numéro ( l'essence précède l'existence chez lui). O-090 est une femme qui a l'air toute ronde, il lui manque néanmoins quelques cm pour avoir la Norme Maternelle, et ses lèvres affichent toujours une expression de surprise; I-330 est une femme fine, tranchante, droite, S se replie sur lui-même etc. Les apparences sont parfois trompeuses mais les numéros ne sont-ils pas censés être transparents? D-503 ne dresse pas son autoportrait, mais il décrit cette caractéristique qu'il a d'avoir des mains velues, animales, qu'il déteste parce qu'elles s'écartent de la norme esthétique. Et l'esthétique de son rapport scientifique s'en ressent, ses mains velues l'amènent à écrire de manière de plus en plus libre, un double bestial, incontrôlable, s'empare parfois de lui. D-503 relève les caractéristiques des numéros qui dérangent, il voit des erreurs partout, des taches sur les uniformes, sur les papiers. Il ferait un bon Gardien, lui qui remarque en permanence tout ce qui cloche. D'emblée, il remarque un X sur le visage de I-330. Il détecte une anomalie dans le système. A partir de cette rencontre, il y a comme un bug dans le programme. Et Nous Autres s'éloigne de plus en plus du programme initial. L'apologie de l'État Unique s'éloigne dangereusement du sujet.

Mais D-503 déclare qu'il aime l'État Unique, alors, on accepte de le publier malgré quelques propos douteux. Il s'intéresse de près à la politique et il en résulte un traité à la gloire de l'État Unique.

Étant un numéro, on ne peut qu'être heureux, on ne peut que vivre dans la transparence d'un monde de verre, de cristal, de diamant. Zamiatine publie son texte en 1920 et M. Foucault publiera en 1975 dans Surveiller et Punir qu'une utopie parfaite serait possible dans un monde où la surveillance serait totale, où tous les êtres seraient transparents, où personne n'aurait rien à cacher, ayant la conscience tranquille. On ne vit pas entre des murs mais entre des vitres dans Nous Autres et tout le monde accomplit les mêmes gestes à la même heure, suivant les préceptes de Taylor qu'on applique à l'échelle de toute la société ( pas seulement dans le milieu professionnel). le système cellulaire, où chacun est une cellule, un numéro, isolé, est intégré dans le corps social, réparti dans les Tables, alors l'homme n'est pas libre puisqu'il est intégré, ingéré, mais attention ! Ne parlons pas de “l'état sauvage de la liberté” . Heureusement, Zamiatine nous décrit un monde où l'on soumet au joug bienfaisant de la raison absolument tout, même le non raisonnable, même les numéros, ces nombres irrationnels.
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J'ai découvert ce livre en explorant le domaine de la SF russe. Il a été cité dans l'essai de Stéphane Manfrédo. Il se trouve d'ailleurs dans ma liste « La SF européenne non anglo-saxonne et non francophone ». Cela étant dit il n'a rejoint ma pal qu'après avoir lu l'avis d'Ursula le Guin dans le langage de la nuit : « Nous autres est une oeuvre dystopique, qui recèle en son sein une utopie cachée, implicite ; une oeuvre subtile, brillante, puissante. D'un point de vue émotionnel, elle stupéfie ; d'un point de vue technique, elle fait un usage du registre métaphorique de la science-fiction qui dépasse presque tout ce qui a été écrit depuis. »

À noter qu'une nouvelle traduction est sortie en mars dernier chez Actes Sud (Hélène Henry) sous le titre Nous.

Mon avis :

On fait la connaissance de D-503 et du monde dans lequel il vit sous le joug de l'Etat Unique. Toute sa vie, et celle des autres Numéros, est régie par des règles et horaires très stricts (expl. : « 15 mouvements masticateurs réglementaires à chaque bouchée »). L'absence de liberté est supposée apporter le bonheur (tout comme l'absence d'imagination). L'univers de D-503 bascule quand il rencontre I-330 (une femme) et qu'il attrape (dans le sens d'attraper une maladie) une âme. de fil en aiguille il se retrouve de l'autre côté du Mur...

J'ai trouvé cette lecture fort plaisante en raison du style particulier. Cela ne ressemble en rien aux autres livres de SF russe que j'ai lu. J'ai quand même eu un peu de mal avec les descriptions physiques des personnages qui m'ont un peu perturbée. À quoi peuvent bien ressembler ces gens du futur ? Je ne suis pas parvenue à me les imaginer (trop de métaphores). Il y a aussi le côté mathématique qui est un peu trop redondant à mon goût mais c'est un aspect indissociable de l'histoire.

« Adieu, vous, chers inconnus, avec lesquels j'ai vécu tant de pages, auxquels je me suis montré tout entier, avec mon âme souffrante, jusqu'à la dernière vis tordue, jusqu'au dernier ressort brisé... »

Belle découverte.
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Nous est un livre assez difficile d'accès. J'ai du m'accrocher pour arriver à la fin, la faute à une narration très saccadée, où l'on passe d'un sujet à un autre, où les phrases ne sont pas toutes finies et laissent en suspens les idées des personnages. On est beaucoup dans le non dit. du coup, l'histoire, assez classique pour les lecteurs d'aujourd'hui, n'est pas toujours simple à suivre.
Çà, c'est pour la forme. Pour le fond, comme dit plus haut, l'histoire est assez classique, tant sur les bases du monde développé, que par les péripéties du héros. La fin est plutôt amère. La forme de narration m'a empêchée de totalement m'immerger dans le roman, et j'ai l'impression d'être passée à côté de certains trucs. Pourtant, la critique contre l'état totalitariste reste brulante et d'actualité.
Au final, une lecture en demi-teinte pour moi.
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Jusqu'en 2019, j'évitais de lire les dystopies, préférant le monde réel aux mondes inventés que je trouve toujours plus pauvres que la réalité complexe.  Romans historiques ou  relations de voyage, j'aime que les lectures s'ancrent dans l'histoire ou la géographie.

Entre épidémie de Covid et confinements, dérèglement climatique canicules et sècheresse, extinctions massives....la réalité commence à ressembler aux dystopies. Et j'ai levé mes préventions et mes préjugés.

Ecrit en 1920, publié en 1924, NOUS de Ziamiatine - précurseur de la Science Fiction - est un roman prémonitoire annonçant très tôt les excès totalitaristes, procès staliniens et idéologie dominante. On dit que Orwell s'en serait inspiré pour 1984. Je viens de terminer le Procès de Kafka qui lui est contemporain et ces deux dystopies ont un air de proximité. 

Après une Guerre de Deux Cents ans, L'Etat Unitaire procure aux numéros (on ne dit plus "les citoyens" ou "les hommes" un paradis aseptisé avec des fêtes liturgiques ,

"Fête grandiose de la victoire de "nous" sur "je", du TOUT sur le UN"

Les individus soumettent toute leur vie à des règles très strictes et à une surveillance de chaque instant. Fermer ses volets pour obtenir une intimité est soumis à autorisation, avoir des rapports sexuels est autorisé seulement après avoir obtenu un billet rose.


Les héros de l'histoire n'ont ni prénom  ni nom, seulement des numéros. le narrateur D-503 est un ingénieur de premier plan , le concepteur de l'Intégrale, partenaire sexuel de la douce O-90, mais qui va avoir une relation avec I-330, tandis qu'une certaine U le surveille de près. D-503 tient un journal intime. comme D-503 est mathématicien, sa prose fait énormément référence aux notions mathématiques conférant une coloration très spéciale au style du roman. Tous évoluent dans un monde transparent de verre et d'acier où la surveillance est constante. 


Et pourtant, une Muraille que personne n'ose franchir borde ce monde futuriste. I-330 entraîne D-503 à des pratiques transgressives, tabac, alcool, bien sût proscrits, puis lui fait franchir la muraille pour découvrir un autre monde. Nous est aussi un roman d'amour. Une révolte couve, révolte ou révolution? Les rebelles comptent utiliser l'Intégrale à leur profit. D-503, leur complice laissera t il son poste de constructeur de l'Intégrale au profit des mutins? le rôle d'I est assez ambigu. 



J'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire, dans ce monde mathématique tellement abstrait qu'il a fallu un bon tiers du livre pour m'accrocher. Et puis je me suis laissée embarquée  et je ne l'ai plus laissé. Un livre très puissant qui mérite les efforts du lecteur!
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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Ayant contribué à la construction du nouveau monde appelé l'Intégral, en tant que mathématicien, notre narrateur écrit un journal pour y transcrire leur quotidien. C'est un monde idéal où l'individu est banni, tout est nous, aucun secret ne doit subsister, tout se fait ensemble. Les appartements sont bâtis en verre, l'indiscrétion est tout autant bannie que toute forme d'émotion. C'est un monde construit mathématiquement et les habitants sont identifiés par leur numéro. Notre narrateur est le D-503, il va quelque peu perdre sa tête lorsqu'il va rencontrer la femme I - 330, et lorsqu'il va se rendre compte des vieilles sensations qui se ressuscitent dans son âme, avec tout ce que lui fait découvrir la I- 330, il sera trop tard...une espèce de conscience essaie de prendre corps au-dedans de lui...
J'ai trouvé l'écriture très moderne vue son époque. Vu le genre et le sujet abordé, elle parait plus intime, simple et sympa, on se sent proche de D- 503, on vit ses moments de troubles comme s'il etait un membre du léninisme qui, du jour au jour, réalise que la révolution n'a été qu'une autre forme de pouvoir despotique, et que la liberté promise n'a été qu'un leurre...
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J'étais impatient de lire enfin Zamiatine et son célèbre « Nous autres », ouvrage majeur ne serait-ce que pour les voies qu'il a su ouvrir au genre de la dystopie.
Une lecture plus compliquée que je ne l'aurais pensé. Et c'est dommage, car sur le contenu, à part quelques passages peu crédibles facilement excusables ou des idées pas assez détaillées (les Normes Maternelles et Paternelles), je n'ai pratiquement rien à redire.


J'ai d'abord buté sur le style. Question d'édition ? Pour avoir lu en diagonales quelques critiques Babelio, j'étais averti qu'il y avait un sujet. Ma petite expérience :
J'achète « Nous », la toute nouvelle traduction par Hélène Henry, dans la collection Babel des éditions Acte Sud.
Premier chapitre et je suis déjà emballé : il y a du lourd !
Deuxième chapitre et là je déchante : je n'arrive pas à comprendre le dialogue principal de la scène. Je relis une deuxième fois, toujours pas. J'ai la sensation très désagréable de ne pas toujours saisir le sens ni le pourquoi des répliques, quand je n'hésite pas carrément entre parole et pensée. Et pourtant je sens bien que rien n'est compliqué, rien n'est omis, rien n'est volontairement flou. Je bute tout bonnement sur le style (ou la traduction, qu'en sais-je ?).
Alors j'ai l'idée de comparer ce chapitre 2 avec l'ancienne traduction : celle de Cauvet-Duhamel, chez Gallimard. Par chance, j'en trouve une version libre sur Internet, et là tout de suite cela va mieux ! Vite je me fais rembourser et je me procure un exemplaire de « Nous autres » d'occasion, étonnamment rare.

Pour donner un exemple, dans la version Acte Sud, ce premier passage m'avait déjà perturbé :

O-90, ma douce !
[...]
À ma gauche, O-90 (si l'un de mes ancêtres hirsutes avait écrit cela il y a un millier d'années, il aurait sans doute ajouté un « ma » ridicule : « ma » O-90)...

La version Gallimard évite cette contradiction triviale.

Surtout, la version Acte Sud inonde le texte de parenthèses et de tirets d'incises, ce qui en rend la lecture pénible. La version Gallimard réduit largement ces signes au profit de simples virgules, et ça passe mieux chez moi.

Pour finir sur cette question de la traduction, je pense que l'idéal est de se faire sa propre opinion. Je reconnais que la prose d'Hélène Henry est certainement plus moderne et poétique. Ce sont des critères qui ne me touchent pas forcément, tandis que la traduction de Cauvet-Duhamel m'a apporté un petit gain de confort quant à la compréhension, et c'est ce que j'avais besoin dans le cas de ce roman particulier. N'hésitez pas à lire d'autres critiques et d'autres avis sur cette question, par exemple celles de HordeDuContrevent, bobfutur et Indimoon.


Au-delà des choix de traduction, je pense qu'il y a un vrai style Zamiatine sur ce texte et, comment dire… ce style m'a donné du fil a retordre ! Toujours sur le plan de la compréhension. À tel point qu'une fois arrivé au bout, j'ai fait quelque chose que je n'avais encore jamais fait : j'ai relu le livre entièrement ! Et enfin, le sentiment (et la satisfaction) d'avoir à peu près tout compris.

Le style ? Un style haché, saccadé, aux formes parfois alambiquées. Pas le style que je préfère, même si la traduction de Cauvet-Duhamel atténue un peu cet aspect. du reste, je vois parfaitement la cohérence par rapport au profil mental et psychologique du narrateur.
Sans doute les mêmes raisons justifient l'usage généralisé des points de suspension pour interrompre la parole ou la pensée. Sans doute. Il reste que je ne compte pas les fois où j'ai pesté devant ce signe énervant en ne voyant pas où voulait en venir le personnage. C'était certes mieux à la deuxième lecture.

Enfin et surtout, il y a ces métaphores à tour de bras. Chez certains auteurs, les métaphores paraissent si naturelles qu'on les oublie presque. Chez Zamiatine, c'est plus compliqué : je pense que la moitié me sont passées à côté lors de ma première lecture… En réalité, je devrais dire : chez le narrateur. Car là encore, cela semble voulu et justifié par son état d'esprit. D'ailleurs, à un moment, il s'excusera presque et avouera avoir abusé des « métaphores absurdes ». Lire cette confession m'a presque fait rire, en tout cas elle m'a soulagé en me rassurant sur mes compétences de lecteur !
Quelques exemples des métaphores qui m'ont stoppé :
- Ce bouton [de la porte] était en cuivre, « comme ma voix », pensai-je.
- Elle [I-330] était dans la tasse grande ouverte du fauteuil.
- [… ]une voix molle qui semble couverte de poils et de mousse.
Là aussi, relire le roman m'a permis de saisir la plupart de ces images. Une des clés de compréhension est de reconnaître les champs sémantiques particuliers explorés dans le roman. Par exemple, les poils et la mousse sont connotés négativement dans l'esprit du narrateur (du moins à certains moments), et ainsi on comprend que la troisième métaphore dit « simplement » que la voix molle est désagréable ou repoussante à entendre.

Malgré leur absurdité étudiée, les innombrables métaphores du texte jouissent donc d'une certaine cohérence, et même d'un travail lexical important, notamment dans les champs sémantiques sensoriels (odorat, vue, toucher, goût, ouïe), ceux des couleurs (le ciel, les corps) et des formes (chaque personnage secondaire a une forme de visage particulière). Cette palette de perceptions confère une dimension contemplative certaine au roman, qui compense un peu le manque d'informations sur certains aspects du monde futuriste décrit.

Et puis il y a ces métaphores mathématiques innombrables, qui donnent une couleur bien particulière au roman. Ce sont elles qui m'ont le moins gêné, même les plus improbables, car au moins on comprend facilement leur fonction passive qui est de transcrire indirectement les valeurs de la société (pureté, régularité, précision...), ainsi que la façon de penser du narrateur (logique).


Un mot sur le personnage principal : tout le long du roman, le narrateur lutte intérieurement entre un moi « conforme » et un moi « malade » (« l'Autre », caractérisé par ses « pattes velues »). Cet aspect est plutôt bien vu et réussi, mais ces changements de personnalité sont autant de difficultés supplémentaires qui, combinées avec celles que j'ai déjà évoquées, m'ont fait perdre le fil plus d'une fois.


La forme du roman est très régulière : 40 chapitres, 40 notes d'un journal. Pas plus de 5 pages par note. le texte s'en trouve particulièrement aéré et la progression facilitée, ce qui compense bien le style pas spécialement fluide.
Au début de chaque note, trois titres résument les trois parties développées. Un côté scolaire, qui n'apporte pas grand-chose. J'ai fini par ne plus y prêter attention.
On pourra dire ce qu'on veut de la forme du journal, qu'elle n'est pas si originale. Dans ce roman, je l'ai trouvée parfaitement employée : à la fois justifiée dans le scénario et très commode pour raconter cette société dystopique (le lecteur cible de ces notes renvoie aisément à nous autres (quel vilain jeu de mot...), lecteurs du roman).


L'entrée en matière est simple et efficace grâce à l'excellente exposition qui est faite dans le court extrait du Journal National de la note 1 : on comprend immédiatement qu'on a affaire à un état totalitaire aux visées expansionnistes (« imposer notre vision du bonheur mathématique et exact »), à l'emprise déjà profonde puisque les citoyens, de simples « numéros », sont mis à contribution sur la base du volontariat. Et on devine facilement que ce « volontariat » n'est que pure forme, les numéros étant déjà acquis à la cause.


Rentrons dans le vif du sujet. Publié en 1920, « Nous autres » a fortement influencé de nombreuses dystopies, comme 1984, d'Orwell. On cite moins souvent la filiation avec le chef d'oeuvre de Silverberg : Les monades urbaines. Un manque que je vais tâcher de corriger dans la revue des thèmes traités qui suit :

- Il est vital pour un régime autoritaire de contrôler le quatrième pouvoir. On retrouve cette préoccupation dans Nous autres avec le Journal National. Un thème que développera plus encore Orwell.

- le mensonge est inhérent à tout régime totalitaire. Stade ultime de la falsification, le retournement sémantique est étonnamment banal (nous l'employons parfois dans le feu des débats), mais sous la plume experte de Zamiatine il atteint des sommets de perversité :
« Envers l'État unique, j'ai le droit de subir un châtiment ; ce droit, je ne le céderai pas. Personne d'entre nous ne peut et n'ose abandonner ce droit unique et par conséquent très précieux. »
La description du passage aux urnes donne un autre exemple frappant.
Le retournement sémantique s'observe aussi dans les noms propres employés : le « Bienfaiteur », les « Ange Gardiens » (des espions). On pense bien sûr au Big Brother de 1984, ou encore aux Tantes qui inculquent et aux Anges qui guerroient, dans la Servante Ecarlate.
Nos dirigeants ne font pas autre chose lorsqu'ils agissent « en responsabilité », feignant l'air grave : par quelque tour de passe-passe ils transforment un acte de violence en acte de bravoure. Tel est le pouvoir des mots.

- La société des « numéros » fait l'éloge de la certitude, de l'exactitude, de la régularité et de la pureté (le ciel bleu, par opposition aux nuages). Peut-être l'idée la plus originale du roman (je n'ai rien vu de tel ailleurs). Zamiatine montre habilement comment ces valeurs sacralisées modifient la façon de penser des « numéros », mais aussi leur rapport au monde via leurs perceptions (les fameuses métaphores géométriques et plus généralement mathématiques). Les implications profondes sont moins évidentes, mais l'auteur prend le temps et le soin de nous les montrer. Par exemple, il y a cette idée que les anti-valeurs (doute, irrationalité, hétérogénéité, diversité) correspondent au monde d'avant. Sacraliser les valeurs revient à diaboliser les anti-valeurs, donc à rejeter le monde d'avant, donc à légitimer et conforter la société des « numéros ». Il y a aussi cette idée que les valeurs prônées concourent à maintenir l'esprit des « numéros » dans une vision étroite. Exit le doute, la critique, le recul et l'ouverture d'esprit. Un must pour un état totalitaire. Bien vu, monsieur Zamiatine !

- La complexité qui ne peut être éradiquée doit être cantonnée (obsession pour la limitation de l'infini) ou contrainte par la privation des libertés, et ici s'exprime une fois de plus le talent de l'auteur qui exploite les différents sens, allant du concret (degrés de liberté des mouvements des machines, puis des « numéros » taylorisés) à l'abstrait (liberté de pensée) :
« joug bienfaisant de l'État »,
« Délivrer l'humanité ! C'est extraordinaire à quel point les instincts criminels sont vivaces chez l'homme. ».
Et encore ce retournement sémantique délicieusement choquant.

- Comme dans Les Monades urbaines, la société des « numéros » fait l'éloge de la sédentarité (« stade ultime ») et développe l'idée de vie en ruche (Tables des horaires et activités, taylorisation, synchronisation et esprit de groupe). Ainsi l'individu s'efface devant le groupe, la communauté. Plus de raison de sortir du rang, ce qui élimine toute contestation. Une aubaine pour un état totalitaire…

- La religion est bien présente dans Nous autres. Comme dans la Servante Ecarlate, c'est une religion d'État créée sur mesure pour servir l'idéologie. La filiation directe avec la religion chrétienne est toutefois convoquée dès que son manichéisme intrinsèque peut servir la cause.
Ainsi, dans la dualité entre bonheur et liberté, cette dernière est attribuée au Diable : « Nous avons aidé Dieu à vaincre le Diable ». Dès lors, l'aspiration au bonheur ne peut être remise en question, non plus que son pendant : la contrainte.
Autre exemple, légitimant ou justifiant l'effacement de l'individu au profit du groupe (société de ruche) : « Nous » viens de Dieu, « moi » du diable.

- Autre caractéristique de cette société : la transparence. Au sens propre comme au sens figuré. Chez les « numéros », tous les bâtiments sont en verre, de sorte que la vie privée devient un concept très relatif. Mais quel « numéro » saint d'esprit souhaiterait seulement cacher quoi que ce soit ? Certainement pas D-503, notre narrateur, qui déclare (sans ironie aucune) : « Il est très agréable de sentir derrière soi le regard perçant d'une personne qui vous garde avec amour contre la faute la plus légère, contre le moindre faux pas. ». Toujours ce doux retournement sémantique.
Silverberg ira beaucoup plus loin sur le thème de la transparence : les Monades urbaines ne sont pas en verre, et pourtant ses habitants ne connaissent plus la moindre pudeur. Exit les rideaux auxquels ont encore recours les « numéros » !

- La vie sexuelle a été codifiée et planifiée dans la Lex Sexualis : « n'importe quel numéro peut disposer de n'importe quel autre numéro à des fins sexuelles ». Sans doute Silverberg s'est-il fortement inspiré du roman de Zamiatine, car les moeurs en vigueur dans Les Monades urbaines sont étonnamment similaires. Mais sur ce thème également, Silverberg pousse la théorisation et les développements plus loin encore.

Bien d'autres questions abordées rapprochent Nous autres des Monades urbaines de Silverberg.
- Ainsi, dans la mise en place des deux sociétés, on a une réflexion sur la démographie galopante, à laquelle chacune tente d'apporter une solution.
- le contexte historique est le même : opposition entre villes et campagnes, guerre, puis domination des nouvelles villes. de manière intéressante, dans les deux romans, un chapitre un consacré à la découverte de la vie dans les campagnes par le personnage principal.

- Un thème particulièrement intéressant est l'aversion des évènements imprévisibles et incalculables :
« Rien d'inattendu ne peut survenir. »
La société des « numéros », dans son obsession pour la régularité, aspire à une « solidification », une « cristallisation » de la vie :
« Nous avons canalisé toutes les forces de l'univers, et une catastrophe est impossible ».
Si vous avez lu ou vu Jurassic Park, vous penserez peut-être alors à la fameuse théorie du chaos chère au mathématicien Ian Malcom. le discours de ce dernier sonne bel et bien comme une réfutation des fondements mêmes de cette société...


Un mot sur le ton général : celui-ci est dominé par l'arrogance et la suffisance du narrateur :
« Un des sages de l'antiquité [notre époque], sans doute par hasard, a dit une parole intelligente [...] »
Il y a aussi un côté présomptueux : le narrateur présume que les êtres destinés à lire ces notes sont des « sauvages », qu'ils n'ont pas encore atteint le niveau civilisation des « numéros » (à considérer que celui-ci soit élevé…) :
« Il est probable que vous êtes, lecteurs inconnus, des enfants en face de nous. »
Ou encore :
« Nous sommes la nation indispensable. Nous sommes debout et nous voyons plus loin dans l'avenir que les autres pays, et nous voyons le danger pour nous tous. »
Pardon, ma langue a fourché ! Cette dernière citation n'est pas due à Zamiatine...
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La lecture de cette dystopie d'Eugène Zamiatine est troublante, d'autant plus lorsqu'on la lit après 1984 ou après le meilleur des mondes, ce qui est mon cas.
Contrairement à l'oeuvre de George Orwell, écrite en plein stalinisme, Nous Autres a été créé en 1920, alors que l'Union Soviétique naissante mettait en place tout ce qui allait suivre.
Dès lors, on ne peut qu'être troublé par la vision d'anticipation de Zamiatine qui, dans un décor futuriste fait d'immeubles transparents cachés derrière un mur vert, parvient à brosser un portrait fidèle de ce qui arrivera quelques années plus tard.
Contrairement au Winston de George Orwell, le narrateur, D503, est ici un pur produit de cette ville aseptisée où l'imagination et l'âme sont proscrites. Parfaitement dans la ligne du Bienfaiteur, il se conforme à la vie qui lui est imposée, jusqu'à ce que son chemin croise celui de I330, une jeune femme qui constitue un cas non-conforme dans le modèle de cette cité prétendument idéale.
Ce court roman, rédigé sous forme de 40 notes courtes, décrit le parcours de cet homme, le constructeur de l'Intégral, vaisseau spatial destiné à essaimer ce modèle dans tout l'Univers.
Si les doutes et les douleurs qui le tenaillent tout au long de son cheminement sont très bien décrits, il apparaît parfois que certains passages souffrent de la traduction et ne semblent pas totalement restitués dans toute leur dimension.
Pour autant, la lecture de ce roman constitue un prolongement intéressant des autres dystopies, pourtant écrites bien plus tard.
Un retour aux sources plein d'intérêt.
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Cette première grande dystopie du XXème siècle résonne avec la montée en puissance de la machinerie soviétique, que Zamiatine soutint initialement avant de vite déchanter devant les résultats de la révolution. Son héros l'ingénieur D-503 ressemble à un auto-portrait plein d'auto-dérision. Il adhère naïvement et inconditionnellement à un régime totalitaire, malgré son intelligence, démontrée par sa maîtrise de la pensée abstraite, où surnagent termes mathématiques et métaphores. Et comme Zamiatine (également ingénieur de formation), il dresse les plans d'énormes machines : les brise-glaces pour notre auteur, et un vaisseau spatial nommé l'Intégral pour D-503. Pour parfaire le rapprochement, D-503 écrit aussi un livre : "Nous autres". Une série de notes enthousiastes, destinées à l'éducation des peuples galactiques quand il seront colonisés dans le sillage de l'Intégral.

D-503 nous apprend que dans ce monde du futur, l'humanité se retrouve emprisonnée via une transparence absolue. Chacun est livré (presque) en permanence au regard des autres, dans des villes de verre, lointaines héritières des prisons panoptiques des frères Bentham. Tels des codétenus, les habitants de cette ville sont des « numéros » répondant à un matricule désincarné.

Un tel système permet une parfaite synchronisation de tous les faits et gestes. Cela efface l'humain au point qu'il n'est plus perçu que par des synecdoques : des détails corporels en parfaite harmonie avec les lettres des patronymes robotiques, ou bien une masse indifférenciée. Ces images sont ressassées dans l'esprit du narrateur D-503, au rythme lancinant et rassurant des machines. La partie est le tout, et inversement.

Dans cette harmonie imposée, l'élément perturbateur prend l'aspect des sourcils et du rictus tranchant de I-300, un numéro féminin dont D-503 retranscrit les particularités physiques avec une lettre différente de celle qui la désigne officiellement. Elle devient un X au yeux de son observateur transi, un X que les équations de ce dernier ne peuvent pas résoudre et intégrer au système. Impossible d'en faire un nombre entier, entièrement garanti sans rêves et imagination. Tel est le premier grain de sable dans la mécanique de l'esprit formaté du narrateur.

Il est amené lui-même à se laisser contaminer par le X, à devenir X, car, même à l'échelle des chromosomes, le X est un point d'union entre l'homme et la femme. Par la fonction de ce récit, X dérive vers les nombres irrationnels, une hérédité lointaine, impossible à quantifier, qui se manifeste dans la honteuse main poilue du héros, et ses visions de plus en plus frénétiques et elliptiques, à l'image de son récit à la première personne où bourgeonnent de plus en plus de points de suspension, (auto)-censurant des pensées inavouables pour D-503 comme pour l'État qu'il est censé glorifier dans ses notes. Il se met en danger de devenir lui-même un élément indésirable pour le corps politique.

Or, ce corps réagit à la moindre impureté en tranchant dans la chair. Une philosophie qui se revendique de la crucifixion et l'immolation des infidèles par les humains d'antan. Elle assure ainsi le passage de témoin entre le Grand Inquisiteur de Dostoïevski et le Big Brother d'Orwell : « le véritable amour envers l'humanité doit être inhumain et (...) le signe indéniable de la sincérité, c'est la cruauté ».

Plus l'esprit de D-503 lutte contre le désordre introduit en lui par le X insaisissable, et plus ce désordre se répand dans sa vision du monde, qui en devient donc singulière. C'est ainsi que sa conscience advient dans un milieu qui lui est hostile. Alors que cette conscience progresse, les croyances sont remises en question (y compris les croyances dans les valeurs possibles du X, car décidément rien n'est fiable chez ce dernier). D-503 avance donc à contre-courant. Mais le verre de la ville totalitaire, semblable à des « vagues figées », ne lui laisse pas beaucoup de temps avant de retomber et de le cristalliser dans son sillage.

Tel l'Intégral volant vers les étoiles, ces vagues figées de l'État Unique se répandent jusque dans nos mondes intérieurs et l'on y perçoit, par transparence, des morceaux de pensées et d'objets, reflétés dans les titres émiettés et mystérieux de chaque chapitre. La synecdoque se fait le signe d'un portrait impressionniste de l'humanité. Assez pour nous faire deviner celle-ci, mais sans espoir d'en retrouver toutes les parties. Avec sa logique sans rêve, l'Intégral les a désintégrées.
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