Dans la préface de son propre roman sur la Résistance,
le sentier des nids d'araignée (préface qui n'apparaît pas dans l'édition Folio), le grand
Italo Calvino faisait un impressionnant éloge du roman de
Fenoglio. Voici ce qu'il en dit, évoquant les écrivains qui comme lui avaient voulu écrire sur la résistance (par exemple
Vittorini, et, plus célèbre, Pavese) : « le livre que notre génération voulait écrire, il existe à présent. Notre travail a trouvé un couronnement et un sens, et c'est seulement maintenant, grâce à
Fenoglio, que nous pouvons dire qu'une époque s'est achevée, c'est seulement maintenant que nous pouvons être certains qu'elle a bien existé : celle qui commence avec
le sentier des nids d'araignée et se termine avec Une affaire personnelle. Dans ce dernier livre, ajoute
Calvino, on voit « la Résistance comme elle était pour de vrai, de l'intérieur et du dehors, vraie comme elle ne l'avait jamais été écrite, avec toutes les valeurs morales, plus fortes car implicites, et l'émotion, et la rage ».
Le roman de
Fenoglio, dont les frères Taviani ont tiré un très beau film, tient-il toutes ces promesses ?
Le début est poignant. le héros, d'un milieu modeste mais, a rejoint les partisans depuis presque un an. Il retourne au cours d'une mission de reconnaissance dans la belle villa où la jeune fille qu'il aimait le recevait. Elle n'est plus revenue depuis lors mais la gardienne lui ouvre la maison et de ses confidences il croit comprendre que la jeune fille appréciait sa conversation et sa culture, mais était tombée amoureuse de son grand ami, Giorgio, partisan aussi dans la région. Dévasté, il part à sa recherche, et apprend qu'il vient de tomber entre les mains des fascistes. Il n'a plus qu'une seule solution s'il veut connaître la vérité : organiser un échange de prisonniers, ce qui n'est pas une mince affaire dans l'Italie de ces années...
Quelle plus belle introduction pour « décaler » le récit, et rappeler que la guerre est faite d'abord par des jeunes gens, et par des jeunes gens comme les autres, avec leurs passions et leurs souffrances.
Fenoglio décrit magnifiquement les paysages ruisselants de boue, la longueur des nuits de veille humides et glacées dans les chalets abandonnés, et, sans jamais s'attarder, les grands dilemmes de la Résistance : faut-il descendre les montagnes et aller « libérer » les petites villes qui semblent de loin si faciles à prendre ? Les communistes s'y risquent, sans trop craindre les représailles si les partisans doivent se replier, puisque ces représailles ne peuvent qu'inciter plus d'Italiens à haïr les fascistes, et que les objectifs idéologiques priment sur tout le reste. Les officiers aguerris des maquis non communistes, moins optimistes quant à l'issue des combats « en ligne » devant l'armée régulière italienne, sont beaucoup plus sceptiques mais se laissent convaincre. et
On a l'impression que dans cette guerre atroce, où les Allemands n'interviennent pas, les deux camps se valent bien. Et c'est au moins le cas pour le traitement des prisonniers. Les fascistes les font condamner à mort ; pour les partisans les exécutent sur-le-champ.
Tout cela est intéressant et vigoureux. Mais le point de vue du roman, centré sur un seul homme et sa quête de Giorgio, la marginalité du héros, qui agit seul, donne le sentiment que semble le conduire à une impasse. Son héros mène une action solitaire qui oblige à une certaine dispersion, et aussi à quitter son point de vue pour permettre de voir ce qui se passe du côté fasciste. La fin, malgré un effort d'écriture désespéré, et un effet « de clôture », est assez bancale. le roman – posthume – est certes plus abouti que celui de
Calvino, mais c'est loin, très loin, du chef d'oeuvre qu'il annonçait, et dont il ressentait si fort le besoin pour justifier cette période, et son désir sans doute de passer à autre chose !