Deux critiques sur le Ring !
S'attaquer à la tétralogie de Wagner nécessite un peu de temps libre. C'est comme lire « A la recherche du temps perdu » sans sa montre et sans pause madeleines.
Le prologue (l'Or du Rhin) et les 3 opéras (La Walkyrie, Siegfried et le Crépuscule des Dieux) qui composent l'anneau (Ring en allemand) des Nibelungen, représentent 15 heures de représentation et autant d'esquarres car on est toujours serrés et très mal assis dans les salles d'opéras. On dirait un parking de SUV. Pour faire court, c'est long ! En général, une représentation de Wagner commence à l'heure du goûter pour ne pas voir arriver les spectateurs en pyjama.
Sur scène, des voix de comptables dominatrices (pléonasme), de la bonne mythologie Nordique qui s'inspire d'un poème du Moyen âge. de la tragédie Grecque assaisonnée de
Tolkien. Deutsche Qualität ! Dans la fosse, peu de sceptiques, une phalange qui obéit au doigt et à la baguette, une fanfare sans majorette mais à pleins tubas et en apnée.
Je crois que c'est
Sacha Guitry qui a dit que lorsqu'on vient d'entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. Chez Wagner, même les temps morts font du vacarme. Musique en continue, arme léthale pour les conflits de voisinage.
Comme on est jamais mieux servi que par soi-même, expression dont je me désolidarise car c'est quand même bien de regarder les autres travailler,
Richard Wagner n'a pas fait qu'écrire des partitions et des pamphlets antisémites puisqu'il a lui-même établit les plans et fait construire un théâtre adapté à ses oeuvres à Bayruth, en Bavière, puis un festival qui depuis 1876, y présente chaque année exclusivement ses oeuvres.
Charlie Roquin, dans son roman, prend pour cadre ce prestigieux festival pour initiés et fanatiques Wagnériens. Il faut réserver plusieurs années à l'avance pour espérer obtenir un strapontin. Son personnage, le critique Moshe Griebnisch fait la pluie et le beau temps du festival et ses sentences sont aussi attendues que redoutées dans la taverne où il réunit les afficionados de la baguette après chaque représentation. Un soir, un jeune effronté ose le contredire et l'escarmouche se transforme en pugilat d'esthètes.
Ce roman est d'abord une réussite car il donne envie d'écouter Wagner. D'ailleurs l'auteur a eu la bonne idée de proposer une playlist en fin de livre avec un QR code qui vous permet de lire dans l'ambiance walhalla. Moi qui préfère les opéras plus légers et moins martiaux, je dois avouer que certains de mes préjugés sont tombés. Par exemple, cette musique ne m'a pas donné envie d'enfiler un treillis et Parsifal et Siegfried ne sont donc pas seulement des pédigrées de dobermans.
Autre bonne raison de se lancer dans cette lecture, c'est qu'elle n'est pas inaccessible aux profanes. Certes, à travers les critiques, l'auteur étale un peu sa science mais comme l'histoire vire rapidement au règlement de compte familial, même un lecteur allergique à l'art lyrique et aux VO sous titrées peut se passionner pour ce récit.
Ce qui m'a particulièrement intéressé, c'est la démonstration, à travers les joutes verbales des deux connaisseurs antagonistes, de la subjectivité totale des critiques qui relèvent autant du ressenti de l'oeuvre présentée que des humeurs et intentions des juges à coupettes. Moshe Griebnisch encense la programmation de la directrice du Festival par amitié et parce qu'elle flatte son égo alors que son adversaire ne contredit le maître que par vengeance et une rancoeur qui n'a aucun lien avec les représentations auxquelles il n'a parfois même pas assisté.
Côté regrets, les personnages féminins ne sont pas assez fouillés, notamment celui de la directrice du Festival, très contestée pour l'avant-gardisme de ses choix. Il aurait été intéressant que l'auteur approfondisse un peu plus la relation avec son fils et cette propension de certains à se servir d'une oeuvre plutôt que de la servir, à l'asservir aux préoccupations actuelles sous prétexte d'intemporalité. C'est vrai que j'ai du mal avec les ingrédients venant dénaturer le goût de produits nobles qui se suffisent.
Au final, un récit original, abordable malgré son sujet, qui m'a donné envie d'opéra tout en fuyant les entractes mondains. Tant pis pour les blinis.
Rideau !