Lecture jeune, n°128 - Après le remarquable
Karoo boy, paru en 2006 (voir LJ n° 120),
Troy Blacklaws livre cette fois un récit autobiographique, rédigé à la première personne. À la fin des années soixante, Gecko grandit dans une ferme d'Afrique du Sud, auprès d'adultes extraordinaires : le père raconte ses exploits de chasse tels des récits épiques ; Beauty, la nourrice chaleureuse et le cuisinier lui enseignent la nature et les légendes zoulous ; ses complices de jeux, Zane, le petit frère et Jamani, le « frère de lait » que sa mère, infirmière, sauve d'une morsure de serpent, etc. Dans ce pays, la mort côtoie souvent les moments de bonheur. La terre rouge d'Afrique, aux odeurs de jasmin et d'hibiscus, les cris des animaux, le hurlement du vent dans la nuit, éveillent les sens de l'enfant. Très tôt cependant, il doit choisir son camp, celui de la police ou de l'ANC. le déménagement au Cap va plonger Gecko dans un univers hostile. Au lycée, la brutalité des adolescents préfigure les déchirures de la ségrégation ; dans le car des enfants blancs, il dépasse les écoliers « coloured » contraints de marcher à pied. C'est à ce moment que se déroulent ses premiers émois amoureux, où – là encore – il faut s'endurcir : « C'est ça un vrai cow-boy ». L'école devient le lieu de solitude de celui qu'on traite de « kaffirboetie », ami des Nègres, et son refuge sera la lecture des grands écrivains. Pourtant le pire reste à venir, avec l'enrôlement obligatoire dans l'armée.
Voici un roman d'apprentissage dans un monde où l'enfer l'emporte sur le paradis : Gecko déserteur sera contraint de quitter le pays qu'il aime, de rompre ses attaches. Écrit en touches brèves, chapitres très courts, phrases rapides, le roman donne de l'Afrique du Sud une évocation poétique tout en couleurs, sons et odeurs. le récit montre la construction de la personnalité de son auteur, de l'enfance à l'âge adulte, dans un climat de violence raciale extrême. Ce qui est particulièrement intéressant pour un lectorat adolescent, c'est que sans cesse le narrateur, enfant puis adolescent, s'interroge sur son devenir, ses choix, et reconnaît ses faiblesses, son impuissance. La rudesse de la situation politique du pays, et de l'exil forcé est atténuée par une fin optimiste, l'amour retrouvé, et l'image d'un homme qui marche en Afrique du Sud pour la liberté.
Cécile Robin-Lapeyre