Je me souviens vaguement avoir lu ce roman il y a très longtemps, il ne m’avait pas particulièrement marquée et avoir pensé : mais pourquoi parle-t-on tant de ce roman, qu’a-t-il d’exceptionnel ? J’ai profité du thème de la prochaine rencontre du club de lecture pour le relire, ayant, malgré tout, un peu le sentiment d’être passé à côté….
Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd’hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. (p11)
Ces quatre premières lignes résument presque à elles seules ce roman. Françoise Sagan fait de Cécile, l’archétype de la jeune fille de 17 ans, oisive et insouciante, qui profite de la liberté que lui offre son père, Raymond, bien plus occupé par ses conquêtes qu’à surveiller celle-ci. Ils sont complices, Raymond trouvant dans la jeunesse de sa fille et celle de ses liaisons une vitalité qu’il voit s’éloigner à la quarantaine.
C’est un été de rencontres décisives pour le père et la fille. Tout d’abord celle avec Cyril, un étudiant plus âgé qu’elle, avec qui elle flirte. Puis l’arrivée d’Anne, à l’invitation de son père, amie de sa mère. C’est une femme calme, mûre, sûre d’elle, qui va bouleverser leur quotidien et le couple formé par le père et la fille. Cécile supporte mal la présence de cette femme belle, élégante, responsable. Elle lui reproche d’accaparer son père et surtout de se mettre en tête de régenter la vie de Cécile. L’annonce de leur mariage va pousser la jeune fille à tout mettre en œuvre pour retrouver sa vie légère et sans contrainte qu’ils avaient instaurée.
Françoise Sagan décrit avec précision et justesse le contexte : en quelques phrases précises et justes on se glisse dans la villa, on s’immisce dans leur quotidien estival, grâce à Cécile, qui raconte comment ses sentiments évoluent, passant de l’insouciance à la révolte, installant ses pions pour manipuler à la fois Elsa, la jeune femme qui accompagnait son père avant l’arrivée d’Anne, et Cyril qui y consent naïvement, par amour pour elle, mais aussi sur ce qu’elle ressent profondément, partagée entre des sentiments ambivalents.
Cette lucidité n’était-elle pas la pire des erreurs ? Je me débattais des heures entières dans ma chambre pour savoir si la crainte, l’hostilité que m’inspirait Anne à présent se justifiaient ou si je n’étais qu’une petite jeune fille égoïste et gâtée en veine de fausse indépendance. (p72)
La chaleur de l’été et la froideur des échanges entre Cécile et Anne, l’insouciance des journées puis les restrictions instaurées par Anne, la révolte de Cécile, elle qui se laissait porter par la vie, elle qui découvre qu’elle est capable de manipulations, de vengeance, d’hypocrisie donne à l’ensemble un récit tout en contrastes. L’orage menace, les prémices sont là, la situation échappe un peu à la jeune fille et elle fait même preuve de lâcheté en laissant ensuite chacun décider de leur sort.
Parallèlement à la situation, Cécile découvre le plaisir dans les bras de Cyril tombé amoureux d’elle et qui veut l’épouser. Pour elle il ne s’agit pas d’amour mais de plaisir, de douceur, de découverte. Elle se sent devenir Femme, ne prend pas position par rapport à la demande de Cyril, elle ne veut penser qu’à son plaisir.
J’éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l’amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots « faire l’amour » ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de « faire », matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot « amour », m’enchantait, j’en avais parlé avant sans la moindre pudeur, sans la moindre gêne et sans en remarquer la saveur. (p114)
Françoise Sagan, dont c’était le premier roman qui fit beaucoup de bruit lors de sa sortie et la propulsa comme représentante de la jeunesse, avait pratiquement l’âge de son héroïne quand elle écrit ce roman. Je pense qu’elle a mis beaucoup d’elle-même dans le ressenti de son héroïne, à la fois une certaine maturité dans ses réflexions et une insouciance par rapport aux faits, aux événements et leurs conséquences.
Elle fait de son roman une étude psychologique et sociétale, restituant parfaitement, malgré son jeune âge, toute l’ambivalence d’une jeune fille, confortablement installée dans une vie de privilèges, égoïste et capricieuse, qui ne voit que son propre bien être tout en disséquant, presque au microscope, sa découverte des sentiments humains et de leurs conséquences.
J’ai trouvé la construction remarquable : une écriture précise, directe, allant à l’essentiel, faisant passer dans ses mots l’ambiance, les sentiments et la chaleur de cet été.
Malgré le drame père et fille continueront leurs vies comme avant, mais auront connu la tristesse.
Quelque chose monte alors en moi que j’accueille par son nom, les yeux fermés : Bonjour Tristesse. (p154)
Contente d’avoir ressorti ce roman de mes étagères, de le relire, il y a un moment pour chaque livre et je comprends mieux après cette lecture l’engouement qu’il a suscité à l’époque, j’ai été séduite par cette écriture efficace, directe, où je retrouvais le rythme de sa voix.
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