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Critiques de Milan Kundera (965)
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L'Immortalité

Je me suis laissé captiver jusqu’à l’envoûtement par ce livre d’un auteur aussi amusant que lucide et désespéré.

Bien des choses peuvent être trouvées dans ce livre.

On y trouve une réflexion sur l’histoire de la littérature.

On y trouve l’exposition de ce que l’on pourrait appeler une sagesse de l’existence érotique.

On y trouve aussi une exposition de la dissolution de tous sens, de toutes les valeurs sur lesquelles la civilisation occidentale s’est épanouie, par le biais de personnages dont l’ancrage dans la modernité est brillamment marqué.

Et tout ce qu’on y trouve y est si bien entremêlé qu’on s’y perd pour toujours s'y retrouver avec un grand plaisir teinté d'amertume.
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L'Immortalité

Soyons francs, vous n'aimerez pas tous « L'immortalité ». Naturellement, je parle du roman de Milan Kundera, publié en 1990. On discutera de notre existence post-mortem une autre fois, si vous voulez bien… (sur les sentiers de l'au-delà, tiens…si mon abonnement internet chez Sfouygues.Telefree marche encore, ce qui est rien moins que sûr…).



Vous n'aimerez pas tous ce livre car il est emblématique de l'écriture de cet auteur. Il y a un style, une pâte, un genre Kundera qui ne fait pas l'unanimité. Céline avait un style bien à lui. Il le savait et en était fier : la syntaxe était rompue, le rythme de la phrase chamboulé par les points de suspension et sa musique renouvelée par de fréquents néologismes. de même, Kundera s'est employé dans son oeuvre à renouveler le genre littéraire. Il a rompu avec l'unité de temps et d'action. Il n'y a même pas d'action à proprement parler. L'écriture n'est plus linéaire. Les chapitres sont toujours courts (entre une demi-page et trois ou quatre, pas plus) et chacun de ses romans comprend invariablement sept parties (le chiffre de la perfection). Ces chapitres déroulent un récit polyphonique, tantôt du point de vue d'un personnage, tantôt du point de vue d'un autre. le récit pur est enrichi par des alternances de scènes oniriques ou d'épisodes où l'auteur devient même un personnage du roman qui échange des points de vue avec certains personnages. le romancier et l'histoire deviennent en soi des personnages et des thèmes du roman. (Là, je conçois que cela en agace plus d'un…).



Il est impossible, comme il n'est pas souhaitable d'ailleurs, de tenter de résumer ce livre. Les romans de Kundera ne sont tout bonnement pas racontables. Les parties s'enchaînent sans lien de causalité apparent et sont écrites chacune sur un mode différent. Tout au plus est-il permis de schématiser l'ouvrage comme l'entrecroisement de deux histoires qui ont lieu à deux époques distinctes : l'histoire d'Agnès, Paul et Laura, en France au XXe siècle et l'histoire de Goethe et Bettina von Arnim, en Allemagne fin XVIIIe-début XIXe siècle. Et pourtant le tout révèle une profonde unité. Mais cette lecture est assez exigeante car elle requiert chez le lecteur un effort de mémoire et de concentration. L'art de Kundera réside dans sa capacité à faire ressortir des résonnances entre ses histoires en apparence totalement éloignées. le lecteur doit pouvoir se souvenir, par exemple, que l'histoire d'une luthiste dans l'avant dernière partie du livre reproduit en fait les gestes et les comportements d'Agnès dans la troisième partie, quelque 200 pages plus tôt. En vérité, nous l'avons dit, il n'y a pas d'action véritable. Les personnages et les histoires ne sont que des prétextes ou des vecteurs qui permettent à Kundera de déployer sa pensée et ses thèmes favoris : la vie, la mort, l'immortalité, les rapports humains, l'amour, l'érotisme, l'obsession de l'image de soi, la vérité cachée des choses et des situations, le sens profond de nos actions. L'auteur a recours à moult paraboles pour illustrer son propos. Avec Kundera, plus l'action, les lieux et le décorum sont dépouillés et plus l'histoire est riche et compliquée à suivre. le tout servi par un style simple. Un des paradoxes de cet auteur inclassable. Il y a cependant une thématique forte dans chaque roman de Kundera, qui leur confère leur unité intrinsèque : ici, l'immortalité et l'image de soi.



Dans ce livre, il y a des scènes savoureuses comme celle de la rencontre entre Ernest Hemingway et Johann Goethe sur les sentiers de l'au-delà. Nos deux auteurs morts respectivement depuis 27 et 156 ans y échangent avec humour leur conception de l'immortalité des écrivains et de leurs oeuvres. C'est en quelque sorte de la philosophie abordée sous un angle iconoclaste, humoristique et souvent burlesque. Et de fait, il y a toujours beaucoup d'humour et de gravité à la fois dans un livre de Kundera. le tracé de la frontière entre le tragique et le risible y est toujours flou. La limite entre le « fictif » et le « réel » est pareillement toute aussi poreuse.



Si vous n'avez jamais lu Kundera et que vous vous apprêtez à le faire, je vous envie à un point dont vous n'avez pas un quark de soupçon. Avec « L'immortalité », vous entrez dans son oeuvre par le plus « kundérien » de tous ses romans. Et vous allez adorer ou détester. Mais pour le savoir, il faut le lire ! D'autres s'y sont bien risqués avant vous. Et ils ont adoré ou détesté. Pour comprendre cette radicalité du lectorat, il faut le lire ! Et alors, vous adorerez ou détesterez. Comment vous dire les choses, en fait… ? Il faut le lire. Vous allez…

En tout cas, ne venez pas vous plaindre si vous n'aimez pas, vous étiez prévenus ! Et si vous aimez (il y en aura, je le sais déjà), poursuivez donc la lecture de cette oeuvre en revenant vers ses premiers écrits, « Risibles amours » (des nouvelles) et « La Plaisanterie » (un roman). Ils sont de facture plus conventionnelle, moins innovante, mais non moins excellents.



La critique n'a pas été spécialement tendre en France à la parution de « L'immortalité ». le franc-parler de Kundera lui vaudra même un retentissant « Kundera, go home ! » de Michel Polac (pas sûr que tout le monde se souvienne de ce dernier, au passage…). Pour ma part, et vous l'aurez compris, j'ai surtout envie de lui dire « Welcome Kundera and make yourself at home » ! Ce qu'il a fait, fort heureusement et pour notre plus grand bonheur.

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L'insoutenable légèreté de l'être

L'insoutenable légèreté de l'être est un livre que j'ai lu il y a très longtemps, je devais avoir un peu plus de vingt ans. C'était donc une lecture de jeunesse.

J'avais totalement laissé de côté pendant plusieurs années l'écrivain et son oeuvre. Plus tard j'ai dû lire un ou deux autres livres de Milan Kundera et je ne m'en souviens plus. Par contre, L'insoutenable légèreté de l'être est un roman qui est resté gravé dans ma mémoire.

Et puis un voyage à Prague au printemps dernier m'a donné l'occasion de remettre mes pas vers ce récit. Je me souviens d'ailleurs d'une petite librairie très charmante dans un vieux quartier de Prague qui invitait à emprunter un escalier étroit vers un sous-sol mal éclairé où l'on pouvait alors découvrir notamment toutes les éditions traduites en différentes langues de ce très grand livre.

C'est ce voyage qui m'a donné envie de revenir à ce roman, cette fois dans sa version audio, un texte lu par Raphaël Enthoven, philosophe passionné par cet ouvrage.

Le titre étonne, détonne, provoque déjà un peu, avouons-le. J'aime cette idée romantique de la légèreté, cette idée d'apesanteur et des événements de la vie qui provoquent cette légèreté.

Dans ce texte lu, j'ai retrouvé de manière intacte toute l'émotion que le texte initial m'avait procurée et aussi son côté atypique. Son atmosphère, son aspect kitsch certainement, le plaisir mêlé à la violence, l'attachement aux personnages, le fil du destin qui les tire vers nous.

Je me suis mélangé très rapidement à l'histoire de Tomas et de Tereza, de Franz et de Sabina, d'un chien qui s'appelle Karénine, petit clin d'oeil à ce cher Tolstoï en passant...

Ce n'est pas qu'une histoire d'amour ou de chassé-croisé amoureux en fond de dictature. Ce serait trop facile de résumer ainsi cette oeuvre prodigieuse. C'est un livre où l'on ouvre plein de tiroirs lorsqu'on parvient à y entrer. Nous voyons les personnages prendre ou ne pas prendre de décisions qui peuvent avoir une influence totalement fondamentale sur leur vie et celle des leurs.

Le paradoxe, en effet, amène à penser que si la légèreté devient insoutenable, elle devient grave, non pas lourde, mais grave oui, tout simplement grave...

Sans doute ce paradoxe enrichit la narration du récit, au-delà des états d'âme et des relations entre les personnages, par-delà l'histoire qui se construit et qui avance avec ses élans et ses désillusions derrière le paysage du livre. Nous sommes en 1968. C'est le communisme et l'invasion des chars soviétiques dans Prague.

Dès le début du récit, nous voyons ces quatre personnages vivre et s'animer dans ce théâtre d'ombres et de lumières. Il y a tout d'abord Tomas, un chirurgien brillant, séducteur invétéré, qui doute dans le communisme, il a par ailleurs une vie amoureuse totalement dissolue et qui « collectionne » les maîtresses. Arrive Tereza qui débarque dans sa vie, ayant fui sa mère ainsi que son passé, elle devient sa femme, elle est photographe, elle veut lui être fidèle, et s'accroche à lui à toutes forces. Il y a aussi Sabina, maîtresse de Tomas, artiste peintre, totalement libre dans sa pensée et ses actes et enfin, Franz, amant de Sabina, homme qui est droit et qui souffre dans la relation d'adultère qu'il vit.

Tous les quatre voient leur vie basculer au moment de l'invasion russe en Tchécoslovaquie en 1968 et dans les années de délation qui suivirent.

Le roman permet avec beaucoup de justesse, et sur un jeu habile de regards et de sentiments croisés, de poser des mots et des émotions sur ce qui se passe dans le Prague et plus largement la Tchécoslovaquie de 1968 et des années qui vont suivre.

Dans cette grande Histoire qui sera violente pour le peuple tchèque, ici se dessine les destins de celles et ceux qui veulent y prendre part ou s'en échapper. L'infidélité de certains personnages est une forme de transgression jetée comme une provocation à l'ordre établi, qui va trembler, qui va résister tant bien que mal, s'en sortir grâce à des chars russes.

Les chars avancent, nous savons que ces images ont marqué l'histoire et son peuple, il a fallu attendre plus tard pour que celui-ci réaffirme son désir de liberté, son destin, son indépendance totale...

Le clin d'oeil à Tolstoï ne me semble pas anodin. Milan Kundera admire cet auteur qui était très proche du peuple russe.

Ici, ce qu'il faut retenir de cette œuvre ample, c'est que tous les personnages avancent en quête de vérité. Ils ont besoin de s'animer autour de cette quête pour exister, prennent des risques, s'aiment et s'aimer ici devient un acte militant.

L'insoutenable légèreté de l'âme est exprimée, certes, mais que dire des corps qui vont et viennent dans ce roman choral ? Sont-ils légers ou lourds ? Il y a comme une frénésie qui donne envie de faire l'amour dans le chaos d'un monde qui bouge et qui change ?

Derrière la magie d'un titre de livre très beau, je ne sais pas reconnaître quelle est la portée philosophique du message, je retiens une histoire avec des personnages légers, incandescents et d'autres moins légers qui s'imprègnent dans ce paysage d'une histoire forte et douloureuse, l'amour est parfois une manière militante de se tenir debout dans une dictature face à des chars qui avancent dans un boulevard. Je voudrais simplement croire à cette très belle idée, il y a peut-être tant d'amour à distiller sur cette planète pour déboulonner les statuts en fonte et faire déraper les chars dans leurs trajectoires rectilignes.
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L'insoutenable légèreté de l'être

Faut-il lire Kundera? "Oui, il le faut! Ja, es muss sein!"

Ne serait-ce que pour suivre l'histoire d'amour entre Tomas et Tereza. Lui est un libertin (c'est le côté "léger" développé dans ce roman et que possède aussi l'une de ses maîtresses, l'artiste Sabrina) mais il est torturé par la douleur insoutenable qu'il génère pour son couple, surtout pour Tereza, déjà marquée par l'éducation et les vexations de sa mère. De lourds fardeaux pour elle.

Toute cette histoire pourrait sembler banale s'il n'y avait pas des ingrédients supplémentaires qui en font un très grand roman.

Tout d'abord un cadre historique fort avec l'arrivée des troupes soviétiques à Prague en 1968, qui emporte peu à peu les différents protagonistes un peu plus vers l'Ouest. Kundera développe alors abondamment le manque de liberté à la suite de cette occupation.

Ensuite et surtout des considérations philosophiques qui m'ont réconciliés avec la matière honnie depuis la terminale. Réconcilié, oui car comment ne pas être séduit par ces concepts de léger/pesant, outils simples et judicieux pour analyser les trajectoires de vie de chacun des protagonistes. Et bien sûr j'ai été emporté par "le kitsch " pour mystifier, un à un l'honnêteté de façade des principales idéologies présentes dans le monde occidental. Et hop, le kitsch du capitalisme et paradoxalement le kitsch du communisme passés à la moulinette. Tout est kitsch finalement, même et surtout Adam et Eve au Paradis... Et ceci n'est qu'une infime partie des idées distillées par Kundera.

D'ailleurs ma perception partielle de cette riche lecture m'inclinerait volontiers à la reproduire. "Es muss sein, il le faut!"
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La plaisanterie

L'écriture de Kundera incarne l'absence de tout sérieux, de toute décision existentielle permettant de donner un sens vraiment satisfaisant à la vie d'un être humain. Pour interrompre la grisaille insipide de l'atmosphère absurde où chacun de ses personnages est forcé de respirer, il ne devrait leur rester que les courts instants lumineux que constituent les plaisirs de la chair, mais ça irait sans compter les moments de grande obscurité, où la chair se heurte de plein fouet à sa finitude.

Avec leur innocente légèreté confiante de jouisseurs, ses personnages se frappent ainsi à toutes sortes d’écueils avec une dureté implacable sur lesquelles ils rebondissent ou s’aplatissent avec la même indolence indifférente.

Dans La plaisanterie, nous avons affaire à Ludvik, un étudiant plaisantin et insouciant, qui entre en collision avec le système policier communiste de son pays, pour y rebondir longuement, avant de se laisser aplatir (ou non, à vous de juger) à la toute fin. Comme le même modèle se reproduit toujours sous divers angles chez Kundera, bien que chacune de ces perspective soient très intéressantes, je me suis surtout senti interpellé par l'épisode Kostka qui aborde une position exceptionnelle dans l’œuvre de l'auteur.

Kostka est en effet une personnalité religieuse tourmentée à propos de l'actualisation de son idéal spirituel.

Pour esquisser la situation, Kostka aide une jeune femme blessée à retrouver goût à l'existence et s'arrête au moment où il pourrait la connaître comme femme (au sens biblique), de peur de corrompre la pureté de son intention à son endroit. Par la suite, il l'a retrouve avec un homme qui ne la rend pas heureuse et il regrette d'avoir eu la naïveté de ne pas prévoir cette possibilité.

Même si la moralité est une affaire de bonne volonté bien informée, il faut avoir la force surhumaine d'un Kant pour ne pas être tourmenté du tout par les conséquences imprévisibles de ses actions, ou simplement se souvenir de ce que disait Socrate : « Marie-toi, tu le regretteras...ne te maries pas, tu le regrettera... »... Chose certaine, les malheureuses et sublimes réflexions de Kostka sont magnifiquement mise en place et m'ont beaucoup touché.

Bref, la plaisanterie n'était donc pas drôle du tout, mais elle constitue une très plaisante expérience de lecture que je vous recommande chaudement.
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La fête de l'insignifiance

Un roman qui porte bien son titre, vraiment insignifiant, à part dans son tout début plutôt amusant avec l'analyse dela charge érotique du nombril féminin que l'on ne voyait guère dans la rue avant l'an 2000 mais aujourd'hui a envahi le paysage, favorisant une contemplation fugace par l'homme.



Quant à la fête, ce n'est pas celle du lecteur qui sature vite avec les mises en scènes farfelues de Staline et de ses sbires. Le nombril revient à un moment, donnant l'impression que l'auteur tient à faire du remplissage, mais le charme est déjà rompu.



Quant audernier épisode dans les jardins du Luxembourg, c'est un délire de plus avec la statue de Marie de Médicis dont une balle sectionne le nez, mais il ne sera pas question de son nombril.



Pour moi, une lecture sans intérêt.
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Risibles amours

7 nouvelles ayant souvent pour thème le mensonge, le sexe, la manipulation. Paru en 1970 après son roman La plaisanterie. C’est souvent drôle, des fins réussies, très agréable à lire. Travers de la société, jeunes tombeurs, corps vieillissant, jeux de l’amour, plaisanteries. Voici le Kundera que j’aime.
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La lenteur

Le narrateur – Milan Kundera lui-même – et sa femme Vera ont décidé de passer la soirée dans un château de campagne où se déroule un congrès d’entomologistes.

Deux cents ans auparavant, ces lieux ont été le théâtre d’un roman libertin de Vivant Denon intitulé « Point de lendemain » dans lequel un jeune gentilhomme passe une folle nuit d’amour en compagnie d’une belle Comtesse avant de s’apercevoir qu’il n’a été utilisé que pour détourner les soupçons du mari de la dame de son véritable amant ; « Madame de T avait besoin d’un paravent afin que le Marquis restât insoupçonné aux yeux du mari »…

A l’instar du jeune chevalier du XVIIIème, divers personnages participant au congrès vivent ce soir-là des évènements particuliers qui les affectent au plus profond d’eux-mêmes. Jeune entomologiste, Vincent désire faire un coup d’éclat mais ne parvient qu’à se ridiculiser auprès de la femme qu’il souhaite séduire ; un vieux savant tchèque dissident par lâcheté, prend douloureusement conscience de l’imposture et du dérisoire de sa vie ; tandis qu’une journaliste de télévision entend de la bouche de l’homme à qui elle voue un amour fantasmé, les pires mots qu’une femme amoureuse puisse entendre.

Alors que les personnages d’aujourd’hui ne désirent rien d’autre qu’oublier au plus vite les tristes évènements de la nuit, a contrario, le chevalier du XVIIIème cherche à prolonger la nostalgie du souvenir dans la lenteur du mouvement.



Cette pensée de l’œuvre de Vivant Denon devient le point de départ d’une réflexion sur notre monde moderne où vitesse et oubli sont désormais les maîtres mots, à la différence du monde ancien, celui libertin, jouissif et épicurien du XVIIIème siècle, où l’homme prenait encore le temps de rêver, de séduire, d’aimer et de penser.

« Notre époque est obsédée par le désir d’oubli et c’est afin de combler ce désir qu’elle s’adonne au démon de la vitesse »

En partant de ce postulat, Milan Kundera inter-croise les histoires de ses personnages, fusionne les récits, ausculte les états d’âme et les réactions des uns et des autres, et entrelace les fils du temps pour tresser un singulier et surprenant ouvrage, où le fictif se fond au réel, où la réflexion philosophique se mêle au canevas de la fiction, où le roman se combine à l’essai, offrant ainsi une insolite variation sur le concept de « Lenteur », génératrice de mémoire, de beauté, d’esprit de liberté et de recherche hédoniste des sens.

C’est le premier texte écrit par Kundera directement en français ; des phrases brèves, minimales, qui vont puiser leur force dans leur sobriété, leur mesure, la justesse concise et nette de leur argumentation.



A travers une intrigue romanesque réduite à l’essentiel, l’écrivain tchèque pose avant tout un regard aiguisé sur notre époque contemporaine où l’homme moderne, en perdant la faculté de lenteur, a effectivement gagné en vitesse, mais a perdu dans l’éphémère de ses actions et ses pensées, la propension au bonheur et au plaisir dont la lenteur portait la marque.

Vitesse de locomotion, de l’image, de la science, de l’amour, des manifestations du désir…Vitesse bien souvent castratrice, dépassionnée, ne servant qu’à faire oublier à l’homme moderne son insignifiance, sa faiblesse, sa lâcheté, sa risible et pathétique tentative de s’imposer aux yeux des autres et du monde.

L’auteur ne cache pas non plus le désagrément que lui cause la constatation de l’appauvrissement politique et culturel de notre monde, une époque où le Paraître est plus important que l’Être, où les politiques ne sont que des « danseurs » prêts à toutes les fourberies pour grimper dans les sondages, une époque enfin où le pouvoir des médias, par le défilé continu d’informations sensationnalistes - une image forte chassant l’autre – réduit l’impact moral et la conscience collective de chacun d’entre nous en le dotant d’une mémoire passagère, provisoire, évanescente et corruptible car : « quand les choses se passent trop vite, personne ne peut être sûr de rien, de rien du tout, même pas de soi-même ».

« La Lenteur »…ouvrage léger, ironique et plaisant, entre roman et essai, qui, sous ses airs de galéjade et de plaisanterie littéraire, est un texte beaucoup plus profond qu’il n’y paraît auquel ne manque ni l’humour, ni la réflexion, ni les raisonnements à méditer.

Un éloge de la lenteur et un pamphlet contre l’ère de la vitesse à tout prix.

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L'Immortalité

Après une lecture un peu décevante, avant de passer à un autre livre contemporain, qu’il est bon de retrouver un de ses maîtres. En l’occurrence, Milan Kundera. Une douce transition. Un de mes rares Pleiade, vénéré, le premier roman de ce bel objet, l’immortalité, lu une quatrième fois. Un roman de Kundera, particulièrement ce roman-là, L’immortalité, fait toujours l’effet d’une grosse mamelle nourricière où je retrouve un breuvage fort et énergisant. Un retour aux sources régulier depuis mon adolescence. Pas une page sans une réflexion approfondie, pas une page sans découvrir un détail qui m’avait échappé à la lecture précédente. Des pages fines et veloutées à caresser, truffées de fils sur lesquels tirer. Un roman et un laboratoire du roman dans lequel l’auteur vient s’asseoir à nos côtés pour nous parler, nous prendre à témoin, nous montrer comment il s’y prend, se poser même en protagoniste à l’intérieur même du roman, l’histoire étant bien moins importante que ses réflexions, les questions posées, et sa façon de faire émerger ses personnages. Prenons Agnès, le personnage principal du roman, qui nait littéralement sous nos yeux grâce à un geste, un seul geste, que Kundera, alors à la piscine, voit. Le geste délicat et coquet d’une jeune femme effectué par une vieille dame à son maitre-nageur. Un geste qui a pris possession de cette femme, un geste enfoui en elle, un geste d’antan, essence de son moi profond pense l’auteur de prime abord, ce geste fait naître le personnage d’Agnès. Agnès et ses difficultés de la vie en société, Agnès et son amour de la solitude.



Le roman interroge sur l’identité, sur le moi profond (la première partie du roman, le Visage, est magistrale dans cette interrogation… ce fameux geste, n’est en fait pas l’essence d’Agnès, les gestes prennent possession de nous et pas l’inverse analyse l’auteur) et bien entendu dissèque, au scalpel, cette fameuse immortalité. L’homme peut mettre fin à ses jours mais il ne peut mettre fin à l’immortalité. L’immortalité est-ce ce qui se passe après la mort ? Est-elle de retrouver toutes ces femmes bavardes et caquetantes ailleurs (une punition pour Agnès) ou est-ce quelque chose de différent, soustrait au regard des autres ? Est-ce de pouvoir passer l’éternité avec des âmes amies, des âmes proches (Goethe et Hemingway réunis par exemple) ? L’immortalité, dans sa version plus profane, est-ce ce qui reste de quelqu’un dans le monde des vivants, dans la mémoire de la postérité ? Pour Kundera, « tout un chacun peut atteindre cette immortalité, plus ou moins grande, plus ou moins longue, et dès l’adolescence chacun y pense ». Mais face à l’immortalité, les gens ne sont pas égaux et l’auteur distingue la petite immortalité (souvenir d’un homme dans l’esprit de ceux qui l’ont connu) de la grande immortalité (souvenir d’un homme dans l’esprit de ceux qui ne l’ont pas connu).



Petite ou grande, l’immortalité peut-elle donc se façonner, se préparer, de son vivant comme souhaite le faire avec persévérance la jeune Bettina avec le déjà âgé Goethe, malgré lui, faire passer à la postérité, même de façon erronée et factice, une histoire d’amour telle qu’elle sera précisément éternelle et donc immortelle (2ème partie du roman, intitulée L’immortalité) ? Mais cette immortalité ne se réalisera jamais telle qu’elle a été planifiée, prenant parfois la forme d’anecdotes tragiques ou cocasses.



L’immortalité est une façon de laisser une trace de son moi, de son identité, de l’imposer aux autres. D’imposer son unicité. En étant absolument unique, on devient immortel. La théorie de Kundera en la matière est savoureuse, je pense souvent à lui lorsque je vois des personnes affirmer haut et fort « adorer » ou « détester » telle ou telle chose. D’un ton péremptoire. Selon l’auteur, il existe deux façons de s’affirmer. La méthode additive et a méthode soustractive. Cette dernière « soustrait de son moi tout ce qui est extérieur et emprunté, pour se rapprocher de sa pure essence (et courant le risque d’aboutir à zéro, par ces soustractions successives) ». La méthode additive, elle, consiste à « ajouter sans cesse de nouveaux attributs, auxquels la personne tâche de s’identifier (en courant le risque de perdre l’essence du moi, sous ces attributs additionnés) ». « Tel est l’étrange paradoxe dont sont victimes tous ceux qui recourent à la méthode additive pour cultiver leur moi : ils s’efforcent d’additionner pour créer un moi inimitablement unique, mais devenant en même temps les propagandistes de ces attributs additionnés, ils font pour qu’un maximum de gens leur ressemblent ; et alors l’unicité de leur moi (si laborieusement conquise) s’évanouit aussitôt ». Voilà ce que j’aime chez Kundera, cette façon de mettre en mot ce que je peux ressentir confusément. Chaque page contient de telles réflexions. C’est lumineux et peut être interprété et vécu de façon différente au fil des années. Cette affirmation de son moi profond, surtout lorsque ce moi possède des contours peu nets, passe par de petits mots passant la postérité (voyez les hommes politiques) et des gestes, ces fameux gestes du désir d’immortalité qui permettent d’affirmer son moi.



Atteindre l’immortalité est une lutte (La lutte est le 3ème chapitre du roman). Une lutte pour rester dans le cœur des êtres aimés, voire de l’être aimé. Jusqu’au suicide pour certains. Jusqu’au don de soi. En se dépassant soi-même soit pour faire partie de l’Histoire, mémoire éternelle, soit au moins pour rester dans la mémoire de ceux que l’on a connu



Enfin accéder à l’immortalité suppose d’être regardé, vu car ce sont les autres qui permettent d’atteindre l’immortalité, du moins cette immortalité profane qui s’oppose à l’immortalité sacrée. Les multiples visages de l’immortalité, l’immortalité sacrée étant peut-être justement ce « là-bas, où il n’y a pas de visage » auquel Agnès aspire tant et qu’elle finira par atteindre (dans le chapitre le Hasard).



Un roman magistral qui ne cesse de me suivre aux différents âges de mon existence en prenant à chaque fois une signification particulière.



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L'Art du roman

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre, ce livre n’a pas l’ambition de présenter une conception objective de l’art romanesque, mais plutôt de rassembler quelques textes (sept) où Kundera présente son sentiment bien personnel sur la littérature et sur sa propre personne en tant qu'écrivain : « Le monde des théories n’est pas le mien. Ces réflexions sont celles d’un praticien. » (7)).

Concrètement, on y retrouve des réflexions sur certains écrivains, Kafka et Broch particulièrement, ainsi que sur sa démarche d’écrivain proprement dite, de même que l’expositions d’un lexique de concepts qui lui sont chers et d’un discours fait à l’occasion de la réception du prix Jérusalem en 1985.

Pour Kundera, un écrivain digne de ce nom doit s’inscrire quelque part parmi ceux qui le précèdent. Une simple répétition d’une forme déjà existante serait une superfluité complètement inepte. Pour compter, ou pour mériter de compter, il faut ouvrir une possibilité originale qui soit construite à partir d’une connaissance intime des grands maîtres. C’est pourquoi, tout au long de l’ouvrage, les références aux grands noms de la littérature occidentale qui l’ont influencé sont constantes. Si sa réflexion ne se veut pas objective, elle n’est donc pas non plus une pure affirmation subjective, mais plutôt une position existentielle assumant sa différence personnelle.

L'ensemble se lit très facilement et constitue une stimulation à l'écriture et à la lecture qui est toutefois empoisonnée par l'argumentation élégamment éloquente que fait l'auteur à propos de la mort de l'Europe ainsi que du sens de la littérature européenne.

Pour prendre le passage le plus directement explicite à ce sujet, Kundera écrit dans son lexique à propos de l'Europe:

"Au Moyen Âge, l'unité européenne reposait sur la religion commune. À l'époque des Temps modernes, elle céda la place à la culture (art, littérature, philosophie) qui devint la réalisation des valeurs suprêmes par lesquelles les Européens se reconnaissaient, se définissaient, s'identifiaient. Or, aujourd'hui, la culture cède à son tour la place. Mais à quoi et à qui? Quel est le domaine où se réaliseront des valeurs suprêmes susceptibles d'unir l'Europe? Les exploits techniques? Le marché? La politique avec l'idéal de démocratie, avec le principe de tolérance? Mais cette tolérance, si elle ne protège plus aucune création riche ni aucune pensée forte, ne devient-elle pas vide et inutile? Ou bien peut-on comprendre la démission de la culture comme une sorte de délivrance à laquelle il faut s'abandonner avec euphorie? Je n'en sais rien. Je crois seulement savoir que la culture a déjà cédé la place. Ainsi l'image de l'industrie européenne s'éloigne dans le passé. Européen: celui qui a la nostalgie de l'Europe."(150-151)

Ha! C’est si vrai! Elle est si triste notre actualité! Si médiocre! Ce grouillement continuel où s’étale l’inculture et la mécréance sans queue ni tête, sans cause ni fin, par simple frénésie désespérée d’une vitalité bestiale. Je suis tellement européen, tellement nostalgique de l’Europe!

Et c’est aussi tellement formidable de trouver parfois quelques autres âmes qui soient aussi (mélancoliquement ou non) éprises des splendeurs passéistes! La douleur c’est quelque chose de bien réel, avec son poids bien à elle, sa quantité propre, sa mesure exacte et lorsqu’on la partage, elle se réparti sur plusieurs supports jusqu’à devenir supportable, maîtrisable et enfin, guérissable. La présence d’un autre qui soit différent de l’actualité, n’est-ce pas déjà l’ouverture d’un futur à l’horizon de l’Europe? Qu’en pensez-vous?
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L'insoutenable légèreté de l'être

Le vertige. C'est le mal dont tu pourrais souffrir en lisant cet ouvrage. Le vertige, cet appel d'en-bas, celui de la pesanteur de ton corps, quand ton âme, elle, voudrait te tirer vers le haut.



Ton corps est affecté de pesanteur, c'est pourtant celui qui t'incite à la légèreté, quand ton âme, immatérielle, est celle qui pondère tes ardeurs. Surprenante et sempiternelle dichotomie – le mot revient plusieurs fois dans l'ouvrage de Milan Kundera : L'insoutenable légèreté de l'être.



La vie est un éternel tiraillement entre tout et son contraire. Le haut et le bas, le bonheur et le malheur, la damnation et le privilège. Mais la vie n'est jamais qu'un roman dont les chapitres se construisent sur des hasards.



Celui-ci de Milan Kundera est une errance dans la vie de couples qui se font et se défont dans le contexte du régime tyrannique de la Tchécoslovaquie des années soixante-dix, alors que les chars du grand frère soviétique imposent sa loi dans les rues de Prague.



N'as-tu jamais rêvé d'observer ton corps depuis l'extérieur, comme une enveloppe charnelle que tu quitterais ainsi qu'un vêtement ? C'est un autre voyage auquel t'invite Milan Kundera. Mais attention tu pourrais être soumis au vertige et y perdre ton âme alors que ton corps te précipice dans l'abîme de ses bas instincts.



Et pourtant, de vie, tu n'en n'as qu'une. Tu n'as pas de coup d'essai. Tu ne pourras pas corriger tes erreurs.



Toi, le lecteur que l'auteur interpelle, c'est donc moi. Je suis sorti de mon corps et m'observe maintenant avec cet ouvrage dans les mains, subjugué et dubitatif à la fois.



C'est ce que je comprends dans le premier ouvrage que je lis de Milan Kundera. Je l'ai adoré. Mais avec la légèreté qui me caractérise, j'ai bien conscience de ne pas en avoir évalué tout le poids.



Oui, j'ai aimé lire ce livre. J'ai aimé l'ancrage de ses inspirations philosophiques dans le trivial de la vie animale de l'homme. Grand écart entre la lourdeur du vulgaire, parfois obscène, et la majesté du transcendant, toujours éminent.



L'Homme est fait comme ça. Je suis fait comme ça. Perpétuellement écartelé entre l'abjecte et le sublime, entre le dedans et le dehors de moi-même.



Il faudra que je revienne vers cet ouvrage, me replonger dedans, corps et âme, pour tenter d'en approfondir la compréhension. Tenter d'apprécier le poids que peuvent avoir des réflexions qui n'ont pas de matérialité. Pas de poids justement.





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L'insoutenable légèreté de l'être

« L'histoire est tout aussi légère que la vie de l'individu, insoutenablement légère, légère comme un duvet, comme une poussière qui s'envole, comme une chose qui va disparaître demain. »



Nous n’entrons qu’une fois en scène, sans répétition, sans deuxième chance. Alors pourquoi ne pas choisir d’être léger, d’éviter la pesanteur, les fardeaux, puisque nous n’avons qu’une vie à jouer.



Avec pour toile de fond le communisme et l’invasion des Russes à Prague, difficile pour les personnages évoqués dans ce roman d’être légers.



Tomas et Sabina symbolisent la légèreté de l’être. Tomas fuit les responsabilités. Il sait détacher son âme de son corps dans ses aventures amoureuses. Pourtant il va s’attacher à Tereza par compassion. Il va être accablé par la douleur, la terrible pesanteur, quand elle le quittera. Que vaut cet amour né du fruit de multiples hasards et qui aurait pu être tout autre ?



Sabina veut rester légère en trahissant son destin, elle reste libre. Pourtant, fuyant ainsi, faisant le vide relationnel autour d’elle, sa vie lui semble dénuer de sens, elle reconnait le besoin de racines. La légèreté de sa vie lui est finalement insoutenable.



Franz et Teresa symbolisent la pesanteur. Ils sont fidèles. Tereza ne sait pas être légère, elle ne peut pas reconnaitre la futilité de l’amour physique, elle sombre dans la jalousie. Pour elle, le hasard est un signe du destin, c’est ainsi que cela devait se passer. Pourtant, Tereza reconnaitra que l' amour qui la lie à son chien Karénine est meilleur que celui qui la lie à Tomas, bien qu’il ne soit pas plus grand. C’est un amour pur, désintéressé, qui ne demande aucun sacrifice. Une idylle entre un homme et une femme est-elle possible ? N’y a –t-il pas trop de compromis, trop de malentendus.



Franz finit par quitter sa femme et à ne plus penser à sa maîtresse qu’en rêve. Il coupe les liens qui entravaient sa liberté pour enfin s’affirmer.



Chaque personnage a évolué, démontrant l’ambiguïté de la légèreté et de la pesanteur. Laquelle des deux est un fardeau ? L'une d'elles représente-t-elle l'idéal d'une vie ?



Dans ce livre, il y a plein de réflexions philosophiques.

J’ai aimé tout particulièrement le cadre politique ; le kitsch du réalisme socialiste, la négation de l’individualisme, l’adhésion forcée des masses à une idéologie.



« La vie humaine n’a lieu qu’une seule fois et nous ne pourrons jamais vérifier quelle était la bonne et quelle était la mauvaise décision, parce que, dans toute situation, nous ne pouvons décider qu’une seule fois. »







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L'ignorance

Milan Kundera a fait la douloureuse expérience de l’exil lorsqu’il a quitté son pays natal, la Tchécoslovaquie, pour la France en 1975. Le roman « L’ignorance » raconte à travers une brochette de personnages ce déracinement et les conséquences du retour aux sources vingt ans après. Le contexte politique a changé, la société a muté, leurs familles et amis les ont oubliés. Cette idée qu’ils se faisaient de leur Odyssée, la nostalgie des temps anciens qui les a poussés dans ce pèlerinage décevant les laissera sur leur faim. Ils se pensaient des héros regagnant ce qui avait été un foyer pour eux, accueillis en vainqueur. L’action corrosive du temps a eu raison du souvenir qu’ils pensaient avoir laissé. Ils ne trouvent que rancœur ou ignorance.

« Mais quand les gens se voient souvent, ils supposent qu’ils se connaissent. Ils ne se posent pas de questions et n’en sont pas frustrés. S’ils ne s’intéressent pas les uns aux autres, c’est en toute innocence… Les gens ne s’intéressent pas les uns aux autres et c’est normal. »

le retour après l’exil ne fait qu’exacerber cet état de fait, que nous ne sommes que spectres.

Milan Kundera a cette phrase magique :

« Et puis un jour on sait et on comprend beaucoup de choses, mais il est trop tard, car toute la vie aura été décidée à une époque où on ne savait rien. »

« L’ignorance » est un petit roman par la taille, mais immensément riche par les idées qu’il véhicule sur le rapport des uns aux autres, la valeur toute relative de chacun et sur l’oubli.

Postface de François Ricard.

Editions Gallimard, Folio, 237 pages.

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L'insoutenable légèreté de l'être

Lu quand j'avais 25 ans, j'ai voulu le relire. Surprise. Était-ce un phénomène de mode ? Où avais-je l'âge de me poser ce genre de questions ? Nietzsche, vivre les choses une seule fois, sans les répéter. La légèreté de l'être. Frivolité, infidélité. Que toutes ces questions me semblent futiles à présent. Le pauvre Nietzsche, qu'avait il à faire dans cette histoire d'amour qui n'en est même pas une. Cette indécision gélatineuse. Le narrateur si petit, avec son nombrilisme fatal, à se demander s'il est léger ou pas...
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La valse aux adieux

Aimez-vous les villes d'eaux au charme suranné, aimez-vous leur clientèle féminine, fidèle, immuable, comme si ces dames lascives et désinvoltes, allongées sur le carrelage kitch d'un établissement de bain, appartenaient à jamais au paysage, finissant par lui ressembler, s'y fondre même ?

Dans le roman dont je vais vous parler, j'ai découvert la féerie désuète des villes d'eaux, ces lieux suspendus hors du temps. Ici des femmes qui ne peuvent pas avoir d'enfants espèrent trouver dans ces eaux thermales la fécondité tant attendue.

J'ai l'impression que les villes d'eaux se ressemblent toutes, surtout dans le début de ces années soixante-dix, dans la France de Pompidou, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, tiens et pourquoi pas dans la Tchécoslovaquie de l'époque... Allons-y gaîment !

Tout part d'une histoire anodine. La première journée raconte un fait aussi simple que banal, que l'on pourrait presque attribuer au théâtre de boulevard : de passage dans une ville d'eaux pour un concert, un célèbre trompettiste, Klima, a rencontré une jolie infirmière, Ruzena, et a couché avec elle, avant de repartir pour la capitale et de l'oublier aussitôt. Mais l'infirmière le relance, lui téléphone, en se déclarant enceinte de lui.

Le musicien panique aussitôt, car il craint de voir s'écrouler son mariage avec la belle Kamila et cherche un moyen de se tirer de ce mauvais pas. Il décide alors de se rendre dans la ville d'eaux...

Vous en conviendrez, il vous faut bien plus que cela pour vous hameçonner à ce roman de Milan Kundera, supposé être son dernier avant qu'il ne s'exile en France en 1975, précisément à Rennes, je glisse cela au passage et très discrètement pour les amis bretons.

La lecture de la valse aux adieux pourrait déjà se suffire à cette seule intrigue ordinaire. Mais il y a bien autre chose et on peut lire ce roman de plusieurs autres manières.

Viennent alors d'autres personnages, comme si cela ne suffisait pas... Ils seront huit au total à entrer en scène.

Huit personnages en quête de sens, leurs trajectoires se croisent dans une même unité de temps, de lieu et d'action, tout se passe en cinq jours dans un savant entrecroisement d'intrigues, entrecoupé par le voyage d'un petit comprimé bleu presque inoffensif qui traverse le récit, rebondit de chapitre en chapitre jusqu'à ce que le rideau se referme...

Je ne vais pas vous les présenter tous, quoique certaines, ici ou là, - surtout là, vaudraient la peine qu'on s'y attarde de près...

Cependant, laissez-moi vous parler de ce formidable gynécologue, le bon Dr Streka, rêveur, idéaliste, humaniste oserais-je tenter, qui a une façon très particulière de régler les problèmes de stérilité de ses patientes.

Non, non, vous n'y êtes pas du tout...

« Guidée par le seul désir de perpétrer l'espèce, l'humanité finira par s'étouffer sur sa petite terre. »

Un personnage se détache peu à peu, au-dessus de la mêlée, celui de Jakub, prisonnier politique récemment libéré, c'est un homme épris d'une sagesse grave, pessimiste, dont je ne serais pas étonné qu'on vienne me chuchoter à l'oreille, - mais pardi ! qui donc vient ici me le chuchoter à l'oreille ? - que l'auteur y a peut-être mis un peu de lui. Dissident à quelques heures de l'exil, il traverse le récit avec une sorte de hauteur crépusculaire, presque christique.

Tout se tient dans ce petit territoire désuet à souhait aux allures d'un royaume en fin de règne. Milan Kundera en fait un lieu romanesque, un monde à part où les personnages ne correspondent pas forcément à l'image qu'ils offrent d'eux au premier abord.

Alors brusquement, c'est le grain de sable dans l'engrenage, tout déraille, tout s'accélère, tout échappe à l'ordre des choses, tout n'est que retournements de situations, rebondissements, quiproquos, imprévus...

Alors brusquement le récit se métamorphose en une histoire de dupes et de tromperies, de jalousies et de rancoeurs, tenu par un fil conducteur qui va couturer le destin de ces huit personnages.

C'est comme si les sources thermales étaient brusquement ensorcelées.

Le récit aux allures d'une farce romanesque débridée n'était peut-être qu'un prétexte pour nous raconter une autre histoire. Milan Kundera y invite alors la complexité tumultueuse du monde dans des scènes savoureuses, d'un cynisme à peine déguisé, oscillant entre la comédie et la tragédie.

Certes cela suscite un plaisir truculent et je ne m'en suis pas privé, mais j'y ai trouvé aussi autre chose...

J'ai trouvé dans ce roman construit en chassés croisés, pour ne pas dire en triangles amoureux multiples, quelque chose qui se tient à mi-chemin entre le théâtre de vaudeville, la farce grotesque et la fable philosophique du XVIIIème siècle.

Derrière le style léger, j'ai soulevé le rideau pour entrevoir le ton grave et peut-être que l'ironie qui s'invite dans le récit aide à mieux prendre en dérision l'envers d'un monde désincarné, en perdition.

C'est un territoire où certains personnages évoluent comme des fantômes, des survivants d'un monde en carton-pâte qui n'existe peut-être déjà plus. Ils sont à la fois désenchantés, touchants, ridicules dans ce simulacre d'histoire.

Derrière l'ironie on n'est jamais loin de la tragédie de l'humanité.

La valse aux adieux ressemble alors à une danse macabre.

Est-ce une satire politique, celle d'un régime totalitaire qui a malheureusement encore de beaux jours devant lui ? Ici une chasse à l'homme a été remplacée par la chasse aux chiens errants par des vieillards pitoyables et grabataires, parce qu'ils n'ont plus que des bêtes inoffensives désormais à faire plier sous le joug de leurs bâtons noueux...

Il me faut peut-être tenter de chercher la réponse dans les multiples thèmes abordés par ce roman complexe à bien des égards. Mais quels sont-ils ?

La nature de l'existence ?

L'ironie du destin ?

L'illusion ?

La fatalité ?

Le mensonge ?

Un Dieu qui n'existerait plus ?

Le hasard ?

Il y a dans ce roman une oscillation entre le désenchantement et le sacré. Quelque chose de biblique, comme si cette lumière bleue qui se promène tout au long du récit était autant l'expression d'une joie divine, paisible et douce qu'un feu follet assoiffé d'amour et de vertiges.

Il y a des parenthèses qui ressemblent autant à des respirations vers le ciel qu'à des trous béants vers les ténèbres.

Le hasard est sans doute le personnage principal du roman, - mince il y aurait donc un neuvième invité ? - le hasard et ses diaboliques enchaînements. Certes, il y a le hasard, mais il faut être prédisposé à accueillir ce hasard et à en faire quelque chose de possible, je le dis comme cela sans arrière-pensée, moi qui aime citer à tire-larigot cette fameuse citation de Paul Éluard depuis que je la connais : « Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous. »

Ici Milan Kundera, qui ne recule devant rien, déboulonne des statuts sans concession, la maternité, la procréation, la fidélité, la vérité, la religion, l'espoir en un monde meilleur... La foi en l'humanité.

Dans sa vision cruelle du malheur, Milan Kundera nous livre alors une satire de l'humanité.

« le désir d'ordre est en même temps désir de mort, parce que la vie est perpétuellement violation de l'ordre. »

Je me suis alors demandé si la question de procréer ou d'avorter dans un monde totalitaire avait un sens. L'Histoire montre que dans ces régimes les femmes portent le lourd fardeau de la stérilité, comme un doigt accusateur.

« C'est pourquoi il est inutile de chercher le moindre argument rationnel dans la propagande nataliste. Est-ce la voix de Jésus qui se fait entendre, selon vous, dans la morale nataliste de l'Église, ou bien est-ce Marx que vous entendez dans la propagande de l'État communiste en faveur de la procréation ? Guidée par le seul désir de perpétuer l'espèce, l'humanité finira par s'étouffer sur sa petite terre. Mais la propagande nataliste continue de faire tourner son moulin et le public verse des larmes d'émotion quand il voit l'image d'une mère allaitant ou d'un nourrisson grimaçant. »

Par-delà la réflexion sur les régimes totalitaires, peut-être que Milan Kundera me donne envie de tenter cette question : qu'est-ce qui incite à vouloir un enfant dans un monde désenchanté, sans repère, sans futur...

Le style de Milan Kundera est très ironique dans cette vision du malheur et il ne faut à aucun moment y chercher une quelconque morale.

L'amour alors peut-être échappe à ce carnage subversif. L'amour et ses multiples formes qui peuvent sauver le monde, nous hisser vers la suprême grandeur d'âme, que nous soyons innocents ou assassins...

Je m'éloigne des dernières pages du livre, l'incandescence du désir de Ruzena n'est déjà plus qu'un lointain souvenir qui continue de fourmiller et brûler dans le ventre. Je suis tenté de suivre dans ses pas fugitifs l'ombre de Jakub qui ne se retournera pas une seule fois sur sa route, je le sais déjà et c'est mieux ainsi...

Voilà ce que je peux vous livrer ce soir comme ressenti sur ce roman autant truculent qu'énigmatique, dans sa perplexité grisante auquel je n'ai pu échapper.

Mais bon sang, où ai-je mis ma petite pilule bleue ?



Je remercie une fois encore ma fidèle complice Anna (@AnnaCan) avec laquelle j'ai cheminé dans cette lecture inspirante et jubilatoire. Sa connaissance approfondie de l'univers littéraire de l'auteur fut un élément riche et déterminant dans ce chemin partagé.

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La fête de l'insignifiance

Ce livre de Milan Kundera, que l'on pourrait qualifier comme une fable si on le lit uniquement au premier degré, recèle en réalité en lui de nombreuses pensées philosophique qui ne peuvent qu'interpeller le lecteur, même si ce dernier a plutôt tendance à sourire aux premiers abords. Par exemple, le nombril des femmes exposé à l'air (nouvelle mode vestimentaire) peut-il être considéré comme un atout de séduction au même titre que les seins, les cuisses ou encore les fesses ? Cela fait sourire, nous sommes bien d'accord là-dessus mais si l'on y réfléchit à deux fois, c'est aussi une toute autre question qui se pose : celle de notre venue au monde (le nombril en étant la seule trace encore visible et commune à chacun d'entre nous).

Les cinq protagonistes de cette histoire, Charles, Alain, Ramon, Caliban et D'Ardelo ont chacun leur propre vie, leurs soucis mais ce qui les rassemble est, je pense, leurs interrogation sur ce qui peut paraître, encore une fois, tout et n'importe quoi au premier degré mais qui est en résumé le sens même de l'existence et de notre présence sur terre. C'est ainsi que l'on voit se monter un véritable théâtre de marionnettes et dans lequel des personnages les plus fous s'imposent d'eux-mêmes et c'est tout naturellement que le lecteur les accueille et leur tient siège : ainsi Staline avec sa grande vision du monde pourtant tyrannique noue apparaît-il comme un homme pourtant réfléchi mais qui se fiche complètement de ses semblables. Kant, quant à lui, ne fait qu'une faible apparition ici mais le ton est donné tout comme le philosophe Hegel...



Une mise en abîme intemporelle qui nous conduit, pas à pas, dans une profonde réflexion philosophie et j'oserais même dire métaphysique lorsque est par exemple abordé la vision d'êtres humains qui pourtant, vivent à la même époque puisqu'ils "discutent, se querellent..." mais comme si ils vivaient en un autre temps et un autre lieu. C'est difficile à expliquer, ça l'est beaucoup lorsque c'est Milan Kundera qui le dit. Bref, il n'y a pas à dire : "on est écrivain ou on ne l'est pas" et je ne peux que vous inciter à découvrir cet ouvrage, facile à lire, agréable et léger en apparence mais au travers duquel se cachent de nombreuses questions existentielles !
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Risibles amours

Outre le style inimitable de Kundera, ce qu'il est essentiel de relever dans ce livre, c'est la toute petite phrase de fin : "Écrit en Bohème entre 1959 et 1968". En les resituant dans leur contexte, elle donne tout leur sens à ces (pas si) "risibles" nouvelles pragoises.



Entre 1953 et 1968, la République Socialiste Tchécoslovaque, qui fait partie du Bloc Soviétique, est dirigée par Antonin Novotny qui se trouve également à la tête du Parti Communiste Tchécoslovaque.

Ce dernier entame un processus de déstalinisation moins rapide que dans les autres pays d'Europe de l'Est. le régime se caractérise par l'absence de démocratie, un parti unique et une répression des opposants par la police et le service des renseignements, la Sécurité d'État tchécoslovaque. La censure frappe les écrivains et les artistes;

1968, Printemps de Prague - Alexandre Dubcek, qui devient premier secrétaire du Parti Communiste Tchécoslovaque en Janvier 1968, engage une série de réformes libérales. le 5 Mars 1968, la censure est supprimée. En Avril est accepté le principe d'un "socialisme à visage humain". Des écrivains emprisonnés pour délit d'opinion sont libérés. L'attitude de l'état vis-à-vis de l'Église devient plus conciliante. Mais cette politique est très critiquée dans les autres pays du Bloc de l'Est qui craignent que la Tchécoslovaquie ne serve d'exemple.

Dans la nuit du 20 au 21 Août 1968, les troupes du pacte de Varsovie entrent en Tchécoslovaquie. C'est la fin du Printemps de Prague.



Pardon pour cette petite page d'Histoire (puisée dans Encyclopædia Universalis) mais elle n'est pas superflue pour apprécier pleinement ces "Risibles amours".



Ce fût incontestablement un agréable moment de lecture (même s'il ne m'a pas non plus transcendée) car il m'a, pour le moins, fortement intéressée.
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L'insoutenable légèreté de l'être

Il est bien difficile de faire la critique d'un tel roman. Tout d'abord, je salue le travail de François Kérel qui a traduit le texte du tchèque en français. Compte-tenu de la complexité de l'ouvrage la tâche a certainement été très ardue. Ce livre, je l'ai beaucoup aimé et j'ai lu avec avidité les 455 pages qui le compose. Mais dans quelle catégorie le classer? J'ai pensé que la postface de François Ricard pourrait m'aider. Mais elle ne fait que m'embrouiller. Ce roman aborde plusieurs sujets : l'amour, mais aussi la politique et tout s'entrelace. L'amour est présent, mais il n'est pas linéaire et s'il est incontestable il s'agit quand même d'un amour où l'adultère est très présent, le héros Tomas étant un très grand coureur de jupons. La politique, Milan Kundéra dénonce le communisme et l'occupation de la Tchékoslovaquie par les troupes de l'Union Soviétique, les purges et brimades dont sont victimes les intellectuels; mais il évoque aussi le sort bien peu enviable des cambodgiens.

Ce roman, ou plutôt ce monument de la littérature offre aussi de longues études psychologiques et d'importantes références littéraires et philosophiques. Un roman complexe mais magnifique.
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L'insoutenable légèreté de l'être

Je pensais que ce livre allait être hermétique, fort philosophique donc ennuyeux.Je l'ai trouvé passionnant, très riche, trop même, dans la mesure où l'on aimerait s'arrêter sur telle ou telle réflexion et où le livre nous pousse vers d'autres idées, d'autres thèmes, tout aussi intéressants.C'est vrai que l'empreinte de l'exilé, du tchèque soumis à l'invasion russe, est forte.C'est vrai que le désabusement, l'ironie, sont omniprésents.Il y a un entrelacs des personnages, par couples: Tomas, Tereza, et Sabina, Franz.L'auteur a une volonté fréquente de classifier ses personnages: Franz rêve sa vie, Tereza vit pour et par un seul être: Tomas. Peut-être pour s'interdire tout sentiment à leur égard.Par dérision aussi et pour montrer qu'il ne s'agit que d'êtres de papier; d'ailleurs, il intervient très nettement , en tant qu'auteur, dans le récit.Ses réflexions- même si je n'y adhère pas toujours- sur l'homme, le hasard , les rapports sentimentaux sont séduisantes.

J'avais été attirée par le titre, beau et mystérieux.L'insoutenable légèreté de l'être, dans le livre, est incarnée par Sabina, toujours en quête de liberté, donc de trahisons, qui s'éloigne des fardeaux de la vie et croit y trouver son épanouissement.En fait, comme le démontre Kundera, elle se trompe, le choix de la légèreté l'éloigne du réel et la plonge dans le vide.Avoir un fardeau bien réel, cela peut être , paradoxalement, donner un sens à sa vie.Un livre complexe et profond.

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La Vie est ailleurs

Si la vie humaine était éternelle, la mort ne nous serait jamais venue à l’esprit. L’existence se déploierait en dehors de toutes urgences, de tous termes. La temporalité serait comprise comme étant le mouvement en général.

Mais alors, la vie non plus n’apparaîtrait pas à l’esprit. C’est en effet parce que l’on meurt que l’on vit et parce que l’on vit que l’on meurt. La vie et la mort sont consubstantielles.

L’existence humaine réelle se déploie à partir d’un passé, dans lequel on ne peut revenir autrement qu’en souvenir, pour passer en un présent insaisissable vers un futur inconnu, alors que la mort peut constamment survenir. Or il y a tant de moyens de se distraire existentiellement, de vivre comme si l’on était éternel, comme si seuls l’expression et la connaissance comptaient, en dehors de toutes considérations pour notre finitude.

Et c’est pourquoi j’aime tant Kundera. Il s’attaque si bien aux illusions humaines qui nous distraient d’une conscience authentiquement propre à la condition humaine concrète!

Ici, citant de nombreux poètes, c’est au monde de la poésie lyrique qu’il s’attaque, ce « champ magique [où] ... toute affirmation devient vérité pour peu qu’il y ait derrière elle la force du sentiment vécu. » (402)

Le poète fuit l’angoisse de l’existence humaine réelle dans les rêves de l’imagination pure, où sa liberté débridée lui permet de s’égarer avec une force de séduction quasi irrésistible pour son entourage si le hasard veut qu’il soit talentueux. C’est que cette fuite infantile, immature, veut être adorée comme le Dieu éternel qu’il était enfant dans le petit cercle familial rempli d’amour maternel (Kundera cite Wolker sur ce point (323)).

Derrière l’idéologie politique, la volonté d’être « moderne », la jalousie (sur ce point, Kundera cite Keats(319) et Hugo (331)), se manifeste l’exigence de l’absolu au présent qu’implique le refus d’une prise de conscience de ce qu’est la condition humaine.

Ces douces folies, d’apparence innocentes et charmantes se déploient ainsi dans une innocence dont l’irresponsabilité absolue passe à côté de la vie et de la mort : « Le mur, derrière lequel des hommes et des femmes étaient emprisonnés, était entièrement tapissé de vers et, devant ce mur, on dansait. Ah non, pas une danse macabre. Ici l’innocence dansait! L’innocence avec son sourire sanglant. » (401)

Oui, si la vie humaine était éternelle, la mort ne nous serait jamais venue à l’esprit, mais nous ne sommes pas éternels, alors méfions nous des modes d’existences qui se déploient comme si c’était le cas. Notre innocente cruauté envers notre entourage pourrait bien mener à notre propre chute (Kundera mentionne l’exemple de Lermontov (449)) et ce, de manière aussi vaine que ridicule.

Évidemment, l’histoire rapportée par le roman est triste, pathétique même, mais le message en vaut la peine et dans ce court espace où Kundera introduit le quadragénaire, on y aime aussi certains personnages, le temps d’une « pause tranquille, où un homme inconnu a allumé soudain la lampe de la bonté. » (428)

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