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Critiques de Milan Kundera (965)
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La plaisanterie

Plaisanterie... Que revêt vraiment comme signification ce simple mot, plaisanterie, pour Milan Kundera ?

La plaisanterie du désir que l'on prend pour de l'amour ?

La plaisanterie, la grande fumisterie, qu'est la vie ? La grosse plaisanterie des masques qu'il faut porter ?

Ou bien est-ce le cynisme qui revêt le ton de La plaisanterie, et réécrira le destin tout tracé de Ludvik, victime, comme tant d'autres, du nihilisme communiste ?

Ludvik qui reviendra se venger de ce système, cette grosse Plaisanterie de très mauvais goût, par le biais de la naïve Marketa, elle-même symbole de ce manque d'humour nuancé propre à une politique totalitaire, femme qui représente le pire du communisme, l'aveuglement bovin, empreinte d'une joie "saine" et patriotique, totalement perméable à l'ironie de la chose, et qui pour comble, ne comprend pas et ne comprendra jamais les milles et une nuances d'une plaisanterie...

Et puis, bien sur, la valse des personnages, tous importants, tous tissant à l'unisson, mais chacun pour soi, la toile de leur histoire personnelle, avec comme même axe, les dommages collatéraux de la pensée communiste, cette prétendue pensée universelle, qui nie l'individue et l'individualisme, mais ne peut les détruire.

Après de multiples lectures et relectures, en des époques bien différentes, je vous aime toujours autant Monsieur Kundera, vous et vos volutes de pensées circulaires qui nous ramènent inexorablement à notre propre psyché.

Mieux qu'un psy, et moins cher ! ^^
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Le Livre du rire et de l'oubli

Lire du Kundera, c'est comme écouter la musique de Grieg : variations autour d'un thème.

Les émotions, les ressenties, les pensées intimes des personnages, qui vivent souvent une situation similaire, mais avec de nombreuses variations autour du même thème, se croisent et s'entrecroisent.

Sont abordés les thèmes de l'oubli, l'oubli de ce qui fait mal, l'oubli des choses qu'on ne devraient pas oublier ; le rire, le rire de la dérision,le rire cruel de la moquerie, mais aussi le rire salvateur, qui soulage, quand la culpabilité s'envole et vous laisse l'âme légère... Et rire, c'est commencé à dédramatiser, à porter un regard compatissant sur soi aussi, à pardonner, à oublier...

Milan Kundera écrit en finesse ; il suggère, il tisse une trame légère d'histoires, qui devient dense, de par notre vécu, notre ressenti. Pour ce livre en particulier, il y aura autant de niveaux de lectures qu'il y aura de lecteurs. Et chaque relecture apporte une nouvelle vision, de nouvelles idées.

Du très bon Kundera.
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L'Art du roman

Dans ce livre très intéressant pour tout amoureux de la lecture, Milan Kundera, en praticien talentueux, nous livre son art de romancier avec une fluidité suave, nous menant dans les arrière-fonds de la composition romanesque. Pour ce faire, il illustre ses idées par son propre parcours et par les œuvres de ses modèles littéraires (Kafka, Broch, Musil et Gombrowicz…) issus de ce qu’il appelle la littérature de l’Europe centrale. Ainsi, ce livre est l’occasion pour le lecteur de découvrir ou redécouvrir l’œuvre de plusieurs romanciers importants mais aussi de comprendre l’art de Milan Kundera et sa conception du roman.



Selon Milan Kundera le roman trouve son existence dans le fait d’exprimer ce que lui seul peut exprimer. Car si, par exemple, le bovarysme était expliqué sous forme d’essai, il n’aurait aucun attrait, de même que la bureaucratie selon Kafka. Bref, le romancier précède le psychologue et le sociologue. De plus, le roman qui est le genre le plus européen, a une relation étroite avec l’Histoire de l’Europe et la conscience européenne.



Autre idée que Kundera illustre dans son livre est celle qu’un romancier doit suivre la sagesse de son roman. C’est-à-dire qu’un romancier en élaborant sa trame romanesque, il doit suivre cette intelligence du roman, un cheminement logique que l’œuvre exige (« Quand Tolstoï a esquissé la première variante d'Anna Karénine, Anna était une femme très antipathique et sa fin tragique n'était que justifiée et méritée. La version définitive du roman est bien différente, mais je ne crois pas que Tolstoï ait changé entre-temps ses idées morales, je dirais plutôt que, pendant l'écriture, il écoutait une autre voix que celle de sa conviction morale personnelle. Il écoutait ce que j'aimerais appeler la sagesse du roman. »). Par conséquent, un auteur est celui qui se cache derrière son œuvre et n’apparait que par elle (une idée assez blanchotienne).



L’art du roman est un livre où l’on trouve aussi l’Histoire du roman et comment chaque auteur contribuent au développement du genre, mais aussi les différentes inspirations romanesques.

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La fête de l'insignifiance

"Nous avons compris depuis longtemps qu'il n'était plus possible de renverser ce monde, ni de le remodeler, ni d´arrêter sa malheureuse course en avant. Il n'y avait qu'une seule résistance possible: ne pas le prendre au sérieux."

Par cette phrase, on dirait que Kundera a voulu résumer toute son oeuvre, et que cette Fête de l'Insignifiance est l'apogée de toute son écriture. Rien n'est sérieux, ni Staline chassant des perdrix, ni ce serveur qui s'invente un sabir pakistanais, ni cet adepte du nombril, ni l'auteur, ni ses propos. Tout est à l'image de cette infinie absurdité kafkaïenne que Kundera a distillé dans la plupart de ses écrits. Que reste-il d'une vie ? Cette insignifiance, justement, celle qui nous permet de nous sentir un peu moins important, un peu plus libre, un peu plus littéraire que le monde qui nous entoure. Ce livre précieux, jubilatoire, amusant plaira surtout à ceux qui sont déjà rentrés dans le monde merveilleux de Kundera. Pour les autres, je recommande de lire d'abord 'L'insoutenable légèreté de l'être', Kundera est un auteur qu'il faut aborder dans sa globalité.
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La plaisanterie

Kundera finit le manuscrit de « La plaisanterie » en décembre 1965. Après avoir été soumis à la censure pendant une année, l’auteur défendant bec et ongles l’intégrité de son ouvrage, celui-ci parait en 1967 pour la première fois et rencontre un vif succès. En 1968 il est traduit en français par Marcel Aymonin et parait juste après l’intrusion des chars soviétiques dans Prague, ce qui laissera penser à ses lecteurs qu’il s’agit d’une critique de l’appareil politique d’état. Mais l’auteur s’en défend et soutient qu’il a écrit « un roman et rien qu’un roman ». Des années plus tard, Kundera peu satisfait du lyrisme du traducteur et de ses métaphores pompeuses, reprend entièrement la traduction pour en livrer une version définitive fidèle à son propos, en 1985.

« Je fus stupéfait. Surtout à partir du deuxième quart, le traducteur (ah non, ce n'était pas François Kérel, qui, lui, s'est occupé de mes livres suivants !) n'a pas traduit le roman ; il l'a réécrit : »

L’histoire : Ludvik entretient une relation amoureuse avec Marketa. Ils sont étudiants et elle est partie faire un stage. Cet éloignement est l’objet d’un échange épistolaire au cours duquel elle se réjouit de l’expérience qu’elle vit alors que lui se morfond de la retrouver. Agacé et sur le ton de « La plaisanterie » : « Alors, j’achetai une carte postale et (pour la blesser, la choquer, la dérouter) j’écrivis : L’optimisme est l’opium du genre humain ! L’esprit sain pue la connerie. Vive Trotski ! Ludvik. » Ce qu’il ne sait pas encore c’est que cette blague va tomber dans les mains de censeurs qui aussitôt vont lui retirer sa carte de membre du parti communiste, le chasser de la faculté où il fait ses études pour l’envoyer en camp disciplinaire creuser une mine…

« La plaisanterie » est le premier roman de Milan Kundera. Il s’agit bien d’un roman d’amour, des jeux de l’amour et du hasard où la vie joue avec la destinée de ses personnages. Par trois fois elle leur joue un tour pendable : avec la carte postale, puis quand Ludvik se venge d’avoir été radié du parti communiste par Pavel en séduisant son épouse, Helena, ce qu’il ne sait pas c’est que le couple est au bord du divorce, et enfin lorsque Helena tente de se suicider par dépit amoureux, Ludvik la fuyant, mais elle avale un tube de laxatifs pensant que c’était des analgésiques. C’est une façon de montrer le ridicule de certaines situations ou actions tragiques et les conséquences tragiques de certaines plaisanteries.

Traduction de Marcel Aymonin, révisé par Claude Courtot et l’auteur.

Editions Gallimard, Folio, 455 pages.

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L'Identité

Une fois encore j'ai été dérouté par l'écriture de Kundera. Un babéliote m'a dit et c'est tout à fait vrai, que Kundera est un auteur à tiroirs et qu'il y avait toujours quelque chose à découvrir dans ses livres, qu'il ne raconte pas à proprement parler une histoire et que pour lui c'était une découverte à chaque page. Il ajoutait que ce n'était pas un auteur qu'il recommandais. Je le rejoins sur tous ces points c'est vrai que Kundera à une écriture atypique qui déroute mais qu'il vaut la peine d'être lu.
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L'Identité

Kundera utilise une banale histoire d'amour et ses banals doutes pour nous interroger sur l'identité.

L'identité de celui que l'on aime.

L'aimerait-on de la même façon s'il était différent ? Aimerait-on autant quelqu'un qui lui ressemblerait en partie ? L'aimera-t-on encore quand le temps l'aura changé ? C'est ce type de questions qui harcèlent Jean-Marc, le personnage masculin principal, à propos de Chantal. Mais Chantal fait naître aussi des interrogations : aime-t-on l'autre pour ce qu'il est ou pour ce qu'on imagine à son sujet ?

Alors, quelle est notre identité réelle ? Sommes-nous ce que nous voulons être ? Sommes-nous ce que nous prétendons être ? Jean-Marc se dit marginal et anticonformiste. Il vit au crochet de sa femme, dans le confort. Chantal, pour sa part, a l'impression d'avoir deux visages : dans le privé, elle est sympathique, ouverte, anticonformiste également ; au bureau, elle se plie au protocole de sa boîte de pub, où l'efficacité froide prime sur l'humain, où l'on sourit à tous, même si on souhaiterait en tuer la moitié.

Ce roman est attachant surtout pour ces questionnements dans lesquels il nous entraîne sans lourdeur. Ce ne sont pas de grandes envolées philosophiques, mais des dialogues, des situations qui posent les sujets et apportent des réponses, propres à chaque personnage. Aucune de ces réponses n'est définitive, assenée comme LA grande vérité. Elles ressemblent plus à des invitations à chercher nos propres réponses.

Le style, quant à lui, n'est pas désagréable à lire, mais on sent qu'il n'est qu'un outil pour véhiculer des idées, faire avancer l'intrigue (car il y en a une, et on veut savoir jusqu'où iront les deux personnages dans leur quête de leur véritable identité et dans leur rejet des autres identités qu'on leur prête ou qu'ils se sont inventés). Il n'y a donc pas de chaleur ni de poésie dans l'écriture, mais une efficacité à conduire son sujet et à nous entraîner derrière lui qui, finalement, nous fait passer un bon moment. Mais un moment troublant. Comme sont troublants les doutes que l'on peut concevoir sur soi-même.
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Risibles amours

François Ricard, l’un des plus fins connaisseurs de l’oeuvre de Milan Kundera, insiste sur le fait que le recueil de nouvelles Risibles amours est la matrice de l’oeuvre à venir, mais qu’on ne saurait le réduire à une oeuvre de jeunesse car c’est au contraire une oeuvre d’une grande maturité. Dans un entretien de 1988, Kundera rappelle le rôle décisif qu’a joué dans son évolution artistique l’écriture de Personne ne va rire, la première nouvelle du recueil. En effet, jusque-là, il s’essayait à toutes sortes de genres littéraires : musique, poésie, pièce de théâtre. « Avec le premier récit de Risibles amours (écrit en 1959), j’ai eu la certitude de m’être trouvé. Je suis devenu prosateur, romancier, et je ne suis rien d’autre. » Kundera revient dans Testaments trahis sur cette époque de sa vie. « La seule chose que je désirais alors profondément, avidement, c’était un regard lucide et désabusé. Je l’ai trouvé enfin dans l’art du roman. C’est pourquoi être romancier fut pour moi plus que pratiquer un « genre littéraire » parmi d’autres; ce fut une attitude, une sagesse, une position. »

C’est pour son regard lucide et désabusé, pour son humour désespéré aussi, que j’aime tant l’oeuvre de Kundera. Elle est pour moi à la fois un stimulant puissant et une boussole m’aidant à m’orienter dans l’existence.



Je désire à cet égard mentionner trois des sept nouvelles qui composent le recueil :

- Dans Personne ne va rire, le narrateur, en même temps qu’il fête son récent succès (être enfin édité dans une revue prestigieuse), reçoit une lettre d’un prétendu admirateur sollicitant de sa part une faveur. Cette requête émanant d’un personnage obscur va entraîner le narrateur dans un engrenage infernal et le mener à sa perte : « Je m’imaginais, ce soir-là, boire à ma réussite et je ne me doutais pas le moins du monde que c’était le vernissage solennel de ma fin ». C’est un procédé analogue à celui que Kundera mettra en oeuvre, quelques années plus tard, dans La plaisanterie : un incident dérisoire, une carte postale à l’humour douteux dans La plaisanterie, une lettre quémandant une faveur dans Personne ne va rire, entraînent des conséquences dramatiques pour le héros, éjecté de sa propre vie et condamné au bannissement. J’ai vu un écho de ce procédé dans La tache de Philip Roth. Là encore, un incident minuscule, en l’occurrence une expression ironique prononcée par un éminent professeur d’université à l’égard d’un de ses étudiants, déclenche une monstrueuse polémique à l’origine de l’éviction du professeur.



- Dans Que les vieux morts cèdent la place aux jeunes morts, deux voix, celle d’une homme et celle d’une femme, font avancer en alternance le récit. Une femme se rend dans une petite ville de Bohème où son mari, mort dix ans plus tôt, est enterré. Elle a oublié de renouveler la concession et espère, en se rendant sur place, réparer son erreur, en pure perte : « Elle leur reprocha de ne pas l’avoir avertie qu’il fallait renouveler la concession, et ils lui répondirent qu’il y avait peu de place au cimetière et que les vieux morts devaient céder la place aux jeunes morts. » Bouleversée et indignée, elle se promène alors, sans but, dans la ville en attendant l’heure du train qui doit la ramener à Prague, quand elle rencontre par hasard un homme encore jeune avec qui elle eut une brève liaison quinze ans plus tôt. L’homme était alors un tout jeune homme et elle, une femme ayant dépassé la quarantaine. Il l’invite dans son studio et, en dépit ou à cause de son aspect vieilli (qui l’attire et le dégoûte à la fois), souhaite reprendre et approfondir avec elle l’acte sexuel consommé quinze ans plus tôt. Elle résiste, au motif qu’elle ne veut pas souiller l’image iconique qu’il a conservée d’elle durant toutes ces années, puis finalement cède à son désir.



- Dans Edouard et Dieu, à l’humour féroce, on retrouve le procédé qui consiste à rendre responsable d’un engrenage qui le dépasse une décision a priori mineure prise par le héros. Edouard, un peu perdu dans une petite ville de Bohême, se consume de désir pour Alice, une jeune fille pieuse qui croit avec ferveur en Dieu et obéit scrupuleusement à ses commandements. L’un d’entre eux en particulier désespère Edouard : ne pas avoir de relation sexuelle hors mariage. Et Edouard, bien sûr, n’a qu’une obsession : faire céder la dévote Alice. Pour ce faire, il use de divers stratagèmes dont celui de faire semblant d’être un fervent croyant. Hélas, il ne fait pas bon être croyant dans un pays communiste et son zèle finit par lui causer des ennuis dans l’école où il occupe un poste d’instituteur. Il est convoqué par un Conseil composé de la directrice, une femme laide et sèche qui l’a embauché et qui éprouve un net penchant pour sa jeunesse, de la concierge, d’un instituteur et d’un inspecteur. Le premier réflexe d’Edouard est de leur avouer la supercherie, mais il se ravise aussitôt :

« Il comprenait qu’en leur disant cela il ne ferait malgré lui que tourner en dérision leur sérieux; il comprenait que ces gens n’attendaient de lui que des faux-fuyants et des excuses, et qu’ils étaient prêts à les rejeter. Et il comprit (d’un seul coup, car il n’avait pas le temps de réfléchir) que le plus important pour lui, à cet instant, c’était de demeurer semblable à la vérité, ou, plus exactement, semblable à l’idée que ces gens s’étaient faites de lui. »

Il leur avoue donc qu’il croit vraiment en Dieu. Et c’est cette « franchise » qui le sauve, enfin, si l’on peut dire. Car désormais, il s’engage à se faire « rééduquer » par la directrice ce qui, en réalité, revient à coucher avec elle. Ce faisant, l’écho de son « martyr » et de sa résistance à ses « bourreaux » a fait le tour de la ville et est parvenu aux oreilles d’Alice qui, de froide et distante, devient tendre et aimante. Edouard réussit enfin à obtenir de la jeune femme qu’elle se donne à lui. Mais, las, au lieu de le faire accéder au bonheur tant espéré, sa volte-face met fin à son désir pour elle. Ce thème de la fin du désir celui-ci aussitôt consommé n’est pas franchement nouveau, mais il prend, sous la plume de Kundera, une connotation singulière qui le rend à mes yeux tout à fait intéressant :

« Et il comprenait avec tristesse que l’aventure amoureuse qu’il venait de vivre avec Alice était dérisoire, faite de hasards et d’erreurs, dépourvue de sérieux et de sens (…); et il se dit tout à coup que tous les gens qu’il côtoyait dans cette ville n’étaient en réalité que des lignes absorbées dans une feuille de papier buvard, des êtres aux attitudes interchangeables, des créatures sans substance solide; mais ce qui était pire, ce qui était bien pire, c’est qu’il n’était lui-même que l’ombre de ces personnages-ombres, car il épuisait toutes les ressources de son intelligence dans le seul dessein de s’adapter à eux et de les imiter, et il avait beau les imiter avec un rire intérieur (…) cela ne changeait rien, car même une ombre qui ricane est encore une ombre, une chose seconde, dérivée, misérable. »
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L'Immortalité



Je relis actuellement tout "mon Kundera », un de mes écrivains vivants préférés (relecture en pointillé, certes car je lis aussi beaucoup d'autres livres) et me voici à relire « l'immortalité", lue il y a pas mal d'années et que j'avais moins aimé, ainsi que « La lenteur » qui m'avait un peu déçu aussi.



Je crois que ma première impression avait été marquée par le fait que la lecture de ce livre faisait suite à celle des premiers romans de l'auteur, de « La plaisanterie » à « L'insoutenable légèreté de l'être » (lu et relu n fois depuis).

La manière dont ce roman est écrit est fort différente des précédents, et c'est sans doute ce qui m'avait déconcerté il y a quelques années.

J'ai cette fois beaucoup mieux appréhendé et apprécié ce roman pas comme les autres.



C'est un peu difficile à expliquer, sans doute n'étais-je pas réceptif autrefois, mais cette fois, j'ai été subjugué par cet incroyable texte, d'une grande complexité et d'une grande richesse, car de très nombreux thèmes s'y superposent. Non, en fait, il y a un thème majeur, l'immortalité, et toute une série de thèmes mineurs, dont celui de la tyrannie des autres, qu'il s'agisse de celle des dictatures, ou de celle de nos pays occidentaux, médias, publicité, et on pourrait maintenant ajouter, réseaux sociaux, qui n'existaient pas alors.

Comme l'écrit si justement un ou une babeliote, (et je dois dire que ma critique s'efforce de s'ajouter modestement aux commentaires déjà remarquables faits sur ce site) on pourrait de prime abord se dire que ce n'est pas un roman, mais en fait c'en est un. Le virtuose Kundera s'amuse à jouer ce marionnettiste qu'il décrit dans un des chapitres, nous montre les « ficelles » de la création romanesque, mais, dans la fin du livre, tous le thèmes se rejoignent et la narration romanesque prend le pas sur le reste.

Et puis, il y a cette fantaisie, cet humour lucide, ce sentiment désabusé à l'égard de ce monde « absolument moderne ». Et les critiques de Kundera à l'égard de notre époque «moderne », telles celles du pouvoir des journalistes, du nouveau tribunal médiatique, restent plus que jamais d'actualité.



Revenons au thème de l'immortalité.

Il est décliné d'une manière beaucoup plus subtile que la simple question: quelle trace laisserons après notre mort? Et cela même si cette question est la matière du 2ème chapitre dans lequel l'auteur traite avec beaucoup d'ironie lucide, des relations de Bettina Brentano avec Johann Goethe, une Bettina avide de gloire, de construire pour la postérité l'édifice de son lien présumé avec Goethe ou d'autres d'ailleurs) et un Goethe qui, vieillissant, cédera par vanité à cette dernière.

Kundera pose notamment ces grandes questions: y- a-il une vie après la mort? Quel sens a notre vie? Et questionne la réalité de notre identité, un thème qui sera abordé à nouveau dans un de ses autres prodigieux romans, « l'identité ». Et dans ce cadre, il nous fait un exposé jubilatoire sur celles et ceux qui veulent affirmer leur moi par la méthode additive, et s'ajoutent comme des médailles, de nouveaux attributs voyants à leur personne, leur chat, leurs goûts esthétiques, leurs vêtements, etc...et les autres qui utilisent la méthode soustractive, c'est à dire de se dépouiller de ces oripeaux pour que ne reste que l'essentiel.

Et tant d'autres thèmes passionnants comme celui du hasard qui se mêle si souvent de notre existence, etc...

Et tout cela, sans pédanterie, et, à ce propos, je ne partage pas l'avis de certains qui lui reprochent son côté moralisateur, rétrograde...



Ici, tout ceci est dans la trame d'un véritable objet romanesque pas tout à fait dans la norme classique, mais tellement plus original. Car, pour certains romans, disons le tout net, une fois la lecture terminée, et le récit parvenu à son terme, il ne reste plus grand chose et l'oubli s'installe vite. Avec les textes remarquables comme celui-ci, l'écho de ce qui a été écrit reste longtemps dans votre esprit.
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La valse aux adieux

Roman théâtral ou théâtre romanesque, une chose parait sûre, "La valse aux adieux" s'inspire du monde des planches. Dans une unité de lieu avec une ville d'eaux comme décor, la valse s'y danse à 5 temps de journées, comme autant d'actes. Les personnages s'y côtoient, s'y croisent, s'y entremêlent, les situations s'emberlificotent, évoluant au rythme des hypocrisies, mensonges et autres tromperies. Imbroglios, revirements de coeur, hypocrisies sentimentales égrainent la découverte de cette ville d'eaux où l'infertilité féminine se soigne à coups d'éprouvettes, de concerts, de jalousie, mais aussi d'amour (plus rarement).

Surpris tout d'abord par la forme de ce roman aux allures de vaudeville, j'ai été quelque peu déçu au départ, pour finalement être emporté par le foisonnement des histoires qui s'entrechoquent, par l'écriture toujours aussi fine et élégante de Kundera. Pas de doute, c'est bien le même auteur qui m'a emballé par le passé dans l'insoutenable légèreté, les risibles amours ou la plaisanterie. On y retrouve sa sagacité sur les moeurs humaines, son ironie latente, sa sensibilité à l'impermanence et son sens de l'humour, même si ici il se confronte à la tragédie.
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La Vie est ailleurs

On va la faire concise : Kundera m'avait emballée dans La valse aux adieux, je me suis un peu perdue en revanche dans La vie est ailleurs. Construction déroutante, personnages baroques auxquels j'ai eu du mal à m'attacher… je m'en veux presque de n'avoir aimé qu'à moitié.



Rendez-vous un peu manqué donc – je devais être ailleurs moi aussi ce jour là – mais qui ne m'empêchera certainement pas de revenir à Kundera. Si vous avez des conseils n'hésitez pas...




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Risibles amours

Quand on a lu L’Insoutenable légèreté de l’être, ces nouvelles semblent presque affligeantes. Et pourtant, il y a quelques bonnes phrases, quelques bonnes idées, malheureusement présentées au lecteur comme un éventail de prostituées à Amsterdam. Considérons ces nouvelles comme un exercice de préparation effectué une quinzaine d’années avant le grand roman de Milan Kundera, et réconfortons-nous avec l’Insoutenable légèreté contre l’insoutenable platitude.
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Le Livre du rire et de l'oubli

Le livre du rire et de l’oubli est un recueil de nouvelles. Je ne voudrais pas contredire son auteur, Milan Kundera, mais je n’y arrive pas. Il insistait pour prétendre le contraire, stipulant qu’il s’agissait d’un « roman en forme de variations », c’est une façon de voir la chose, mais je n’y adhère pas. Oui, les thèmes se mêlent et s’entremêlent, donnant parfois l’impression évanescente d’une certaine unité ou continuité, surtout que la plupart des histoires se déroulent autour de Prague, quelque part après l’instauration du communisme mais… Il y a ce mais, qui provient de mon esprit trop cartésien pour suivre l’auteur dans son emballement.



Quelques unes de ces histoires m’ont beaucoup plu. La première, celle de Mirek qui cherche à récupérer chez son ancienne maitresse des documents compromettants (je rappelle qu’on est au début de l’ère communisme, les intellectuels sont activement surveillés, toute critique du régime est sévèrement réprimée) me semblait particulièrement réussie, surtout avec son dénouement inattendu. Quant à la suivante, celle de Marketa, Karel et sa mère, si elle n’était pas enlevante, elle était tout de même intriguante. J’avais gardé un bon souvenir de la seule autre œuvre que j’avais lue de cet auteur, L’insoutenable légèreté de l’être. Ça remontait à assez loin, mais j’étais très emballé à l’idée de redécouvrir sa plume (évocatrice, incisive, un brin humoristique quand on considère qu’il attaque avec l’absurde) et les premières nouvelles m’ont répondu positivement à mon attente.



Puis les choses se sont gâtées. Cette histoire des deux américaines qui commentent Rhinocéros… bof. Mon intérêt s’est ravivé (légèrement) avec celle de Tamina puis après je n’ai plus rien compris. Il me semblait que le livre devenait un essai, où il est question de musique, de poètes et d’écrivains morts, de considérations sur la philosophie et la littérature (sa théorie du litost, quand je lis avant de me coucher, pas évident !). J’ai trouvé que c’était long, dense et ennyeux. Puis, on nous ramène à Tamina mais aussi sur la politique, ce fameux dirigeant communiste Gottwald, mais c’était trop tard : l’intérêt n’y était plus, Kundera m’avait déjà perdu. Puis, j’ai rêvé ou le tout finissait en un voyage fantastique sur une ile peuplée d’enfants cruels ?



Comme beaucoup de recueils de nouvelles, il me semblait que Le livre du rire et de l’oubli était inégal. Ça n’enlève rien à la portée ou à l’importance de l’œuvre mais, dans tous les cas, ça m’en a éloigné. Il est vrai qu’elle aborde et soulève des thèmes marquants (et délirants !), des thèmes qui m’interpèllent. L’exil et la nostalgie réussissent toujours à m’accrocher et me retourner. Toutefois, j’avais l’impression que ça allait dans tous les sens. Si les liens, les variations dont parlait Kundera étaient bien présents, permettaient-ils d’établir une trame narrative continue ? J’en doute. Je termine ce livre encore profondément mystifié…
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Le Livre du rire et de l'oubli

Le lecteur qui attend d'un livre de Kundera qu'il lui raconte une histoire sera certainement déçu. Pourtant l'univers de Kundera existe : je l'ai rencontré !



Il y a 7 chapitres au Livre du Rire et de l'Oubli. Malgré ce que je viens d'écrire, je vais en résumer les sujets :



chapitre 1.- Les lettres perdues : Mirek a eu voici 25 ans une liaison avec Sdena. Il reprend contact avec elle en vue de récupérer et de détruire ses vieilles lettres d'amour car il a honte de cette relation. Obsédé par cette idée futile, il néglige de se débarrasser de documents politiques compromettants, ce qui amène son arrestation et son emprisonnement par la dictature tchèque des années 70.



chapitre 2.- Maman : Karel et Markéla supportent mal Maman, mais ils décident de l'inviter une semaine à la condition qu'elle parte samedi pour ne pas compromettre leurs jeux libertins avec Eva. Mais Maman feint d'oublier le jour du départ.



chapitre 3.- Les Anges : Michèle et Gabrielle, étudiantes préférées de Madame Raphaël, doivent analyser devant sa classe le Rhinocéros de Ionesco. Elles axent leur intervention sur l'effet comique de la pièce et sont tournées en ridicule par Sarah, une rivale. Michèle et Gabrièle sortiront victorieuses de cette situation grâce au soutien de Madame Raphaël.

Nous suivons en parallèle l'histoire de la jeune R. qui soutient l'écrivain Kundera, dissident, en lui permettant d'écrire des horoscopes alimentaires dans le journal où elle travaille. Il en profite pour tourner en ridicule le directeur de ce quotidien.



chapitre 4.- Les lettres perdues : Tamina a fui la république tchèque avec son mari, décédé quelques mois après. Elle souhaite récupérer des carnets intimes abandonnés dans sa fuite afin de reconstituer son passé.



chapitre 5.- Littost : Le soir où il doit recevoir à Prague sa maîtresse, l'étudiant est invité par son ami Voltaire à une soirée à laquelle participe le Grand Poête.



chapitre 6.- Les Anges : Raphaël vient chercher Tamina pour la conduire sur une île ou elle se retrouve au milieu d'enfants. Elle sera acceptée, adorée, puis traquée avant de quitter l'île à la nage et de se noyer.

En parallèle Kundera évoque l'agonie de son père.



chapitre 7.- La Frontière : Jan oscille entre des aventures sexuelles décevantes et des conversations aux amis. Comme il s'apprête à quitter définitivement la ville, il consent à aller à une orgie organisée par Barbara. Il assiste également à l'enterrement de Passer, qu'un incident rend drolatique.



Voici pour les histoires.



S'agit-il de nouvelles ? Dans son "chapitre 6 les Anges" , Kundera s'explique : "tout ce livre est un roman en forme de variations." - "C'est un roman sur le rire et sur l'oubli, sur l'oubli et sur Prague, sur Prague et sur les anges."



Un roman sur le rire, sur l'oubli, sur Prague, sur les Anges ? Pas seulement bien sûr. Mais c'est ça, et surtout ça.



Qu'est ce qu'une variation ?

Les variations sont un voyage, nous dit-il. "Le voyage des variations conduit au dedans de l'infinie diversité du monde intérieur qui dissimule toute chose."

C'est donc à travers l'infinie complexité du rire et de ses significations que le livre nous conduit. Car le rire peut être fédérateur ou discriminatoire, fait du diable ou fait des anges. Les anges peuvent ils être parfois plus cruels que le diable lui-même ? Toutes ces histoires m'amènent à le penser.

C'est à travers l'infinie déclinaison de l'oubli que nous emmène Kundera . L'oubli qui conduit Tamina à sa perte. L'oubli qui désinhibe Karel, Markéla et Eva. L'oubli qui détruit le peuple tchèque ou l'oubli qui chasse la culpabilité, ou l'oubli de circonstance de Maman. Et d'autres oublis que j'ai oublié - oui je sais, c'est facile.



Je pourrais poursuivre encore pour vous faire remarquer que toutes les scènes de sexe sont tristes alors que la scène de l'enterrement est gaie. Je pourrais attirer votre attention sur le fait que Litost, qui m'évoque le Banquet de Platon, est la seule histoire dont les chapitres n'ont pas de numéros , (si quelqu'un a compris pourquoi, je suis preneur). Je pourrais relever tous les paradoxes, tel le comportement paradoxal de Mirek qui milite contre l'oubli du passé historique en cherchant à faire disparaître son passé privé. Je pourrais affirmer, car j'en suis certain, que Raphaël est l'ange qui accompagne les voyageurs et que le récit de Tamina sur l'île est celui de son agonie. Alors je vous ferais remarquer que dans le premier récit des anges la professeure s'appelle Madame Raphaël, et moi aussi je dirais que ce n'est pas par hasard.



Je pourrais vous dire cent autre choses sur cet univers si riche, si vos yeux restent ouverts et si vous prenez votre temps.

Car l'oeuvre de Kundera est un univers, comme l'est celle de Kafka, l'autre Tchèque. Un univers de variations qui peut vous apporter un plaisir immense -et varié - si vous n'oubliez pas que la poire est plus importante que le tank, que l'invasion des villes par le merle est plus historique que l'invasion de Prague par les Russes, et que les choses ne sont pas toujours aussi simples qu'elles le paraissent.



Les variations sont plus importantes que les histoires.

Il appartient à chacun d'oublier la ronde et de rejoindre les rangs des inconditionnels de Kundera.
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L'insoutenable légèreté de l'être

Tomas et Tereza, couple devenu mythique, s'aiment dans cette Tchécoslovaquie d'avant la perestroïka. Un pays sans liberté où il faut courber l'échine et prêter allégeance aux ordres de la petite bureaucratie et du pouvoir central. Tomas, brillant chirurgien de son état est ainsi contraint à devenir laveur de carreaux pour avoir refusé d'obtempérer. Mais Tomas est aussi un séducteur irrésistible. Tereza, après des boulots de survie se révèle comme une talentueuse photographe. Tout y est dans ce roman phare de Kundera,d'abord une écriture poétique et enlevée et puis ces grands thèmes : l'instinct de survie malgré la privation de liberté et les humitiations de tout ordre, l'intensité des sentiments, l'amour plus fort que les apparences.

J'ai eu ma période Kundera, depuis je l'ai quelque peu perdu de vue mais ce livre demeure pour moi un chef d'oeuvre, le titre à lui seul m'a toujours fasciné, si vrai, si évident
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Le Livre du rire et de l'oubli

La Tchécoslovaquie, pays de l'auteur exilé, entre les années 1948 (invasion de l'armée russe) et 1981, avec un point d'orgue en 1968 (Printemps de Prague).

On y rencontre des hommes et des femmes tentant de définir leur vie mais ce qu'il en ressort n'est qu'une triste comédie, car Kundera a l'art de rendre ridicule ce qui pourrait être présenté comme de belles romances. Constat déçu d'un idéaliste? Tentative de prendre du recul, par le rire, ou l'oubli, de petits et grands événements douloureux? L'exclusion d'un groupe politisé, la peur de voir son pays disparaître totalement sous le joug de l'URSS, la déception d'une relation amoureuse... Kundera tourne autour de ces thèmes en de multiples variations et sa voix n'est jamais bien loin: elle construit son oeuvre, évoque son passé, l'agonie de son père, son exil en France.

Certaines conceptions de l'amour et du sexe datent clairement de l'après-soixante-huit, et j'ai moyennement accroché, mais pour le reste j'aime la plume de Kundera, même si elle peut faire mal. En réalité, elle fait surtout réfléchir et trempe dans une certaine mélancolie de la solitude face au destin.
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L'insoutenable légèreté de l'être

Voici bien longtemps que j'avais envie de me plonger dans lecture de ce roman philosophique grandiose qu'est " L'insoutenable légèreté de l'être".

Je le lis et le découvre par petites tranches accompagnées de réflexions.

J'adore le parallélisme entre les faits du roman illustrés par la vie de Tomas et ses choix déroutants et d'autre part les rappels à la philosophie, aux vies antérieures.

C'est soufflant et je n'ai pas fini de m'y replonger de temps à autre.
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Risibles amours

Quel bonheur de retrouver mon cher Kundera avec ce recueil de nouvelles dans lequel je replonge pour la troisième fois et toujours avec une vision différente.



Dans sa postface, François Ricard, ce remarquable essayiste québécois décédé en février de cette année, et qui fut, entre autres, l’exégète éminent de l’œuvre de Kundera, nous dit que ce recueil, qui fut le premier écrit par Kundera, bien que publié après La plaisanterie et La vie est ailleurs, « est le point de départ de toute l’entreprise romanesque de Milan Kundera. »

En effet, ce regard lucide, ironique et désabusé, ce détachement, cette attitude désenchantée mais si profondément humaine, tout cela est dans ce recueil, ainsi que les thèmes récurrents de l’auteur, l’amour et la fidélité, les question de l’identité, de la vérité, du paraître et de l’être, de la vie que l’on ne contrôle pas., etc..



Et puis, cette postface m’a fait toucher du doigt un aspect que je n’avais pas vu, ou bien oublié, c’est la beauté de la construction, sa structure symétrique dans laquelle la première nouvelle Personne ne va rire et la dernière l’incroyable Édouard et Dieu, se répondent en abordant le même thème « politique », celle du monde communiste où l’on ne peut plus rire de tout, mais auquel on peut échapper à l’aide de la dérision, du recul amusé sur la situation.

Et de même la deuxième et l’avant-dernière ont pour sujet une certaine forme de Donjuanisme qui est celle du jeu de la séduction devenu comme un but en soi, bien plus que son résultat.

Il en est de même pour l’extraordinaire et ambiguë nouvelle Le jeu de l’auto-stop, et Que les vieux morts cèdent la place aux jeunes morts, deux nouvelles qui abordent le thème de l’illusion amoureuse.

Et ces six récits enchâssent la formidable nouvelle « centrale » ( au total 7 récits, un des chiffres fétiches de Kundera) Le colloque, traitée comme une pièce de théâtre en cinq actes et à cinq personnages ( cinq, encore un chiffre Kunderien!), et dans laquelle les dialogues sont prépondérants. Dans cette nouvelle, derrière l’apparence de légèreté d’un vaudeville, toute une série de thèmes existentiels sont évoqués, avec une extraordinaire profondeur que je redécouvre, entre autres, la vérité et le mensonge, l’identité des êtres, l’amour, la vieillesse, etc…



En conclusion, une œuvre bien plus aboutie que je ne l’avais gardée dans mon souvenir.

Mention spéciale pour le jeu de l’auto-stop qui m’a bouleversé, une fois de plus. Jeu où chacun dans ce couple de jeunes gens se crée, par jeu, une identité différente de ce qu’il est, lui le jeune homme très amoureux transformé en séducteur cynique, elle, timide et réservée, devenant une aguicheuse, une « putain ».Mais ce jeu qui était vécu initialement comme libérateur devient un piège redoutable dont les deux n’arrivent plus à se libérer, jusqu’à ce que, à la toute fin, la jeune fille éclate en sanglots en criant « je suis moi, je suis moi » et que le jeune homme allant chercher loin en lui-même la compassion, ne revienne vers elle; mais, est-ce que leur vie redeviendra comme avant, l’énigme reste entière. C’est magnifiquement écrit et décrit.
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La fête de l'insignifiance

Un drôle de livre! Segmenté drôlement! ça tourne de l'insignifiance à l'insignifiance! Quand bien même Staline y fait son entrée, c'est d'une manière absurde, le dictateur, le cruel, le sadique, brille ici dans une insignifiante histoire de perdrix très sages attendant le retour de leur chasseur pour les décimer alors qu'il est en rupture de balles dans son fusil, c'est qu'il en a déjà tué quelques uns...



Ça se lit drôlement bien, l'humour ne s'invente pas, ne se force pas, on va simplement le chercher dans le drame, on cherche le rire dans la tragédie comme si on cherchait simplement le bon côté de la vie ou à conserver uniquement de bons souvenirs, et la vie continue!

Quant à aimer ou ne pas aimer, une position mitigée me laisse encore perplexe sur ce style...



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L'insoutenable légèreté de l'être

Avant-propos.

Ce que j'aime avant tout dans les écrits de Kundera, c'est leur magnifique architecture et la manière dont s'y articule sa pensée. Et si je devais relier cette architecture je la rattacherais indubitablement au Dasein, donc indirectement à Heidegger ; comme le pont qui enjambe la vallée et la révèle en prenant la place qui l'attendait, ce roman révèle la bohème et l'invasion de la Tchékoslovaquie par les tanks russes suite au printemps de Prague et plus encore la nature immuable. Cette chronique tentera de s'inscrire dans cette lignée avec une volonté absolue de bienveillance et d'humanisme d'habiter le temps, c'est-à-dire lui donner âme. Je le précise pour celles et ceux que le partis-pris pourrait choquer voire blesser, si sa lecture vous devient insoutenable sautez à la conclusion.





L'insoutenable légèreté de l'être, c'est de ne pas lire, et en particulier ne pas lire ce livre.

Pour clarifier sa pensée Milan Kundera catégorise les êtres en deux groupes distincts suivant une alternative. Il me semble intéressant d'utiliser sa méthode pour préciser ma position en prenant appui comme il le fait sur Parménide qui assimile une manière d'être à la légèreté (positif) et l'autre à la pesanteur (négatif). Ainsi l'on peut distinguer les lecteurs qui rentrent dans l'univers du livre en cours, deviennent protagonistes de l'histoire, passent par divers sentiments et cette immersion en vient à modifier, et ce parfois encore longtemps après avoir refermé le bouquin, leurs affects dans leur quotidien. Ceux-là s'embarqueront dans milles aventures, découvriront milles trésors différents. Là est la légèreté. A l'opposé certains lecteurs amènent avec eux leur univers intérieur qu'ils projettent à l'intérieur du livre quel qu'en soit le contenu et leur lecture se trouve fortement impactée par leurs affects du moment. Pour ceux-ci, dans chaque histoire ils recherchent, comme Tomas à travers ses conquêtes féminines, le millionième de différence qui les rapprochent de la connaissance de leur être. C'est évidemment la pesanteur.





Peut-être l'image du pianiste est-elle plus parlante : celui qui lit la partition, essaye d'en comprendre le sens qu'a voulu le compositeur, en se basant au besoin sur le contexte dans lequel elle a été écrite, pour en rendre au mieux tous les accents, et voilà que ses mains ne lui appartiennent plus et deviennent la musique (légèreté-positif), à l'inverse de cet autre pianiste pour qui la partition n'est qu'un support à transmettre son propre univers musical, et ses sentiments profonds indicibles (poids-négatif). Pour être complet une distinction similaire peut être établie dans la manière de chroniquer : certains se rattachent particulièrement à l'histoire, à l'auteur et au contexte, partagent leur plaisir ou frustration de découverte (légèreté), d'autres, plus rares, se munissent du scalpel de Tomas pour disséquer et faire apparaître les dessous, des sens cachés et raccrocher à leur vécu du moment des éléments qu'ils transmettent (pesanteur). Quatre couples lecteurs-chroniqueurs peuvent ainsi exister (+ x +, + x -, - x +, - x -) et il est assez facile de pouvoir les identifier à travers les chroniques. La magnifique chronique d'Hugo est - x - (ce qui donne + en mathématique) ; c'est aussi le cas de celle-ci, mais sur des prémices différentes, car ce qui domine chez moi pour le moment ce sont le dégoût et la colère. La colère pour exprimer ce dégoût d'une soumission imposée allant jusqu'au viol de ma pensée et au vol de ma vie.



Cela tombe bien car c'est exactement ce que ressent Tomas lorsqu'il écrit son article basé sur Œdipe. Or les "tanks russes" viennent d'envahir ma ville au printemps, comme ils envahissaient Prague, pour imposer, par une pensée d'autant plus totalitaire qu'elle s'étend cette fois sur le monde, un contrôle de plus en plus poussé et le déni de toute liberté. Aussi je reprends sa phrase polémique que le pouvoir en place n'aura cesse de lui faire regretter, prouvant par là-même son autoritarisme et sa volonté d'asservissement. " A cause de votre ignorance, ce pays a peut-être perdu pour des siècles sa liberté et vous criez que vous vous sentez innocents ? Comment, vous pouvez encore regarder autour de vous ? Comment, vous n'êtes pas épouvantés ? Peut-être n'avez-vous pas d'yeux pour voir ! Si vous en aviez, vous devriez vous les crever et partir de Thèbes !" p.264 Voilà ce que, comme lui, je veux crier à ceux qui s'arrogent le droit de me voler ma vie et de me soumettre à un incessant lavage de cerveau.





Qu'il est difficile de partager vraiment une pensée. Kundera le sait lui qui sans cesse clarifie les concepts qu'il utilise, revient régulièrement les préciser, manie la langue, la creuse, au point de faire jaillir Franz pour un échange connotatif avec Sabina dans le chapitre Les mots incompris, au point d'expliciter le poids de l'étymologie dans la coloration française du mot compassion (avec la référence à la souffrance qui dérive si facilement sur une forme de supériorité, de condescendance, de pitié) alors que la coloration allemande est télépathie de sentiments quels qu'ils soient : gais ou tristes. La souffrance, tellement personnelle, que je me refuse à l'amoindrir, à vous en ôter le plein droit. Ainsi je me défie de tout kitsch tel que défini par Milan Kundera, de toute bienséance, d'un discours consensuel et de bon aloi, dans l'air du temps ; je vais aller à contre-courant et parler de ce que notre siècle veut taire, veut occulter au point de s'en crever les yeux. Aussi vais-je l'aborder par la phrase musicale qui transcende tout ce roman tirée du 4ème mouvement du quatuor opus 135 de Beethoven, son dernier. Phrase suffisamment importante pour en avoir la transcription musicale p.54. Je le fais comme Beethoven "Der schwer gefasste Entschluss - la décision gravement pesée."





Variations majeures : (pesanteur)

Muss es sein ? (Le faut-il ?) Es muss sein ! Es muss sein ! (Il le faut)

Der Tode.

La Mort. Insoutenable. Imprévisible. Incontournable.

Muss es sein ? Der Tode. Es muss sein ! Der Tode. Es muss sein ! Das Leben.

La Vie. Imprévisible. Incontournable. Insondable.

La Mort fille de La Vie.

Le vers est dans le fruit. L'oiseau mange le vers. Le chat tue le piaf. La main de l'homme caresse le chat.

La Vie génère La Mort. Indissociables.





Kundera appelle alors au difficile passage en mode mineur : (légèreté)

Le faut-il cette mort-là ? Cette mort d'un être cher.

Il le faut, cette mort-là ! Il le faut, la tienne aussi !

Le faut-il cette mort-là ?

Il le faut, La Vie. Il le faut, ta vie.

Et quelle te soit légère ta vie, en toute connaissance de cette mort-là révélant l'essence de ton être.





Il serait bien cruel de terminer ainsi. Ce ne serait pas lire de faire l'impasse sur la septième partie tellement importante. Et ce ne serait pas lire que d'en ignorer les références au Paradis perdu, à l'âme et à Dieu car c'est dans le sourire de Karénine que se trouve la légèreté. Cet indicible sourire que le chien adresse dans les bras de Tereza lorsque Tomas s'apprête à le piquer. Hors seule la légèreté permet de s'identifier à Karénine. Permettez-moi d'évoquer (en mode + x + donc) cette voie de la légèreté indiquée par Milan Kundera en vous renvoyant à ce poème "Hêtre en soi" qui commençait ainsi :





Qu'il est doux d'être chien

de s'amuser d'un rien

...



Poème terminant ma critique de Maître Eckhart ou la profondeur de l'intime. Maître Eckhart grand artisan d'une langue sans cesse travaillée comme l'est aussi Milan Kundera, d'où ce pont.

https://www.babelio.com/livres/Mangin-Maitre-Eckhart-ou-La-Profondeur-de-lintime/396549/critiques/1135701





L'insoutenable légèreté de l'être, une œuvre magistrale d'un grand architecte.

Krout

Le 2 avril 2020
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