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Critiques de Milan Kundera (965)
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Risibles amours

Cela faisait une éternité que je n’avais pas relu du Milan Kundera. Et quel dommage ! Dans ce recueil de 7 nouvelles j’ai retrouvé son style et, encore plus son ton, sa manière de jeter un regard lucide et en même temps légèrement décalé sur les relations humaines. Ici il explore les relations entre hommes et femmes, et, sous son regard sarcastique les hommes ne s’y présentent pas souvent à leur avantage, en particulier dans les deux qui mettent en scène le pathétique docteur Havel (Le colloque et Le docteur Havel vingt ans plus tard). Ce ne sont cependant pas mes préférées, elles sont un peu longuettes. Une troisième, bien plus réussie, aborde le même thème du jeu de la séduction (La pomme d’or de l’éternel désir), avec un personnage plus jeune cette fois.

Dans deux des nouvelles (Le jeu de l’auto-stop et Que les vieux morts cèdent la place aux jeunes morts) Kundera s’intéresse bien plus à l’image que l’un à de l’autre, à la construction de cette image, au paraître et à l’illusion amoureuse. Dans ces deux nouvelles regard et image de l’homme comme de la femme sont explorés en parallèle.

La première et dernière nouvelle (Personne ne va rire et Edouard et Dieu) mettent toutes deux en scène un personnage qui se retrouve piégé dans un engrenage à partir d’un banal mensonge qui avait l’air mineur et sans conséquence au départ. Ces deux nouvelles sont aussi prétexte à aborder un thème plus politique avec une critique du régime communiste qui se targue de valoriser la sincérité des convictions et qui en fait incite les individus à l’hypocrisie. En fait ce ton de dérision, cet humour qui naît d’un pas de côté pour échapper à un univers où l’on ne peut plus rire de grand-chose, traverse toutes les nouvelles et est typique de la plume de Kundera. Et ça m’a donné une folle envie de lire ou relire d’autres livres de Milan Kundera.
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La Vie est ailleurs

Une figure passée au peigne fin…

Au-delà du roman, c’est un portrait psychologique et symbolique que nous dévoile l’auteur. Impossible de fermer un tel bouquin sans essayer d’en extirper le sens profond. Maître dans l’art de disséquer la complexité du genre humain, Kundera nous scotche littéralement dans cet ouvrage qui a pour héros (ou plutôt anti-héros) un jeune poète dénommé Jaromil.



Sous le joug d’une mère exclusive ayant sacrifié toute vie sentimentale pour son fils, le jeune-homme ne pourra s’extraire du monde de l’enfance, prisonnier jusqu’à la mort de ce binôme étouffant. Tous les stigmates de l’immaturité sont représentés à travers lui. Susceptible, colérique et jaloux, l’adolescent se laisse dévorer par ses frustrations et son désir permanent de plaire au plus grand nombre…quitte à flatter le régime de plus en plus contesté. A l’heure où gronde en sourdine la protestation et où le pays voit se dresser des intellectuels contestataires, lui ne perçoit le monde qu’à travers son nombril et se réfugie naïvement dans un lyrisme exacerbé. Seule sa gloire potentielle compte.



Difficile de ne pas y voir une critique acerbe de la poésie! Kundera sème le trouble avec ce titre évocateur qui n’est pas sans nous rappeler les mots de Rimbaud dans Une saison en enfer : « La vraie vie est absente ». La force de ce roman, c’est son impertinence. Jaromil est-il Rimbaud ? Kundera a-t-il voulu briser une figure de la poésie en nous livrant le portrait d’un gamin couvé qui ne peut grandir et s’affranchir de la pression maternelle ? Troublant quand on sait que Rimbaud fut élevé par une mère rigide, exigeante en l’absence de son père… Et cette quête permanente de reconnaissance? Ce comportement excessif, inhérent à la jeunesse ? Cette mort prématurée avant d’avoir atteint l’âge de maturité ? La confusion est à son comble !



Dans ce roman, on ne saurait dire si Kundera s’attaque ironiquement à l’image du poète ou s’il vise à écorcher la jeunesse dans son ensemble en dénonçant les défauts qui lui sont propres. « Le monde des adultes sait bien que l’absolu n’est qu’un leurre, que rien d’humain n’est grand ou éternel. » Tout est dit. Et c’est à travers le chapitre du quadragénaire que l’on découvre une approche de la vie tout-à-fait différente : une approche beaucoup plus calme, plus simple, plus consciente qui contraste avec l’effervescence désordonnée des pensées adolescentes excessives.



N’oublions pas que Kundera a quarante ans lorsqu’il écrit ce roman et qu’on est en 1969! Alors, où est la vie ? Ni dans la révolution, ni dans le lyrisme… A mon humble avis, la réponse de l’auteur se situe ailleurs (en lien étroit avec la notion d'âge et de maturité). Mais ça, c’est un autre débat…
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L'insoutenable légèreté de l'être

Pour une fois ce n'est pas sur une lecture que va porter ce mot, mais sur le souvenir d'une lecture. Un éblouissement. Un éblouissement total. Et c'est à cela que j'ai tout d'abord pensé lorsque j'ai appris la mort de Milan Kundera, l'un des auteurs que j'admirais le plus.

Lorsque j'ai lu, dévoré plutôt, pour la première fois au milieu des années 1990 l'Insoutenable légèreté de l'être (quel beau titre !) Après avoir lu un ou deux autres livres de lui moins célèbres, mais très beaux également comme Risibles adieux, j'ai eu un vrai choc. Celui d'être confronté à un texte d'une intelligence hors-du-commun et d'une clarté lumineuse.

Il y a tellement de choses dans ce roman, de la musicologie, de la philosophie, une réflexion sur le roman, une superbe histoire avec des personnages si forts, et pourtant tellement peu décrits concrètement...Il y a la Tchécoslovaquie comme on disait alors, son histoire tragique. Une façon magnifique de parler des femmes et de l'amour. Et surtout cette imbrication si typique de tout cela dans de courts chapitres tantôt théoriques tantôt centrés sur l'histoire elle-même.

le pouvoir de la littérature m'a semblé alors si fort. du coup j'ai lu tous ses autres romans, parfois déçus par ceux de la fin, mais il faudra sans doute les relire.

Et puis je dois dire que ce livre m'a tellement plu que l'été suivant je me suis retrouvé en Tchécoslovaquie. Je ne sais si beaucoup de livres ont un tel pouvoir !

Pourquoi Kundera n'a pas eu le prix Nobel, cela restera un mystère pour moi. Autre mystère comment d'un tel chef d'oeuvre littéraire le film qui en a été l'adaptation avec Daniel Day Lewis a pu me semble aussi médiocre...

En tout cas si vous ne connaissez pas ce livre, vous allez rencontrer un roman d'une rare puissance et préparez-vous à un choc !

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La valse aux adieux



Un court roman de Kundera, avec toujours cette écriture si fluide, publié en France en 1976, et que je viens de relire.

De tous les romans de l’auteur, j’ai plus d’affinité pour l’humanité de L’insoutenable légèreté de l’être ou de la Plaisanterie, ou encore de L’identité ou même de L’immortalité, relu récemment.

Mais La Valse aux adieux, ce roman cruel et énigmatique, demeure pour moi, qui relis toutes ses œuvres, le chef-d’œuvre de la construction et de l’écriture, mais aussi celui dont le sens me demeure le plus énigmatique, même à l’issue d’une relecture et cela malgré l’excellente postface de François Ricard.



Incroyable construction de ce texte, un récit marqué par l’unité de lieu et de temps, une intrigue presque totalement linéaire, un découpage en cinq journées comme les 5 actes d’une pièce de théâtre, et les points de vue successifs des différents protagonistes, un rythme qui s’accélère progressivement jusqu’à la fin tragique, (comme dans le déroulé de La Valse de Ravel) c’est vraiment prodigieux, je trouve.

On se prend à regretter que Kundera n’ait pas plus écrit, mais parfois la qualité prime sur la quantité.



Dans ce roman, le lecteur est plongé dans les cinq jours de la vie de huit personnages, dans une petite ville plutôt bourgeoise, au charme vieillot, une sorte de décor de « carton-pâte » bien éloigné de l’idée, me semble-t-il, que l’on se faisait alors des villes du bloc de l’Est, avec une station thermale où les femmes viennent soigner leurs problèmes de stérilité.



Je ne raconterais pas l’intrigue époustouflante de cette farce cruelle, extravagante, absurde, où, avec désinvolture, l’auteur nous mène jusqu’à la mort d’une des protagonistes.

Je dirais simplement que l’auteur nous conduit de façon admirable dans un tourbillon de mensonges et de tromperies, qui me rappelle Feydeau, à ceci près que l’intrigue et son issue sont bien plus grinçantes et que c’est, en définitive, une comédie de la mort qui se joue devant nous.



Mais derrière cette farce, Kundera, comme toujours, nous amène, sur le mode de la désinvolture et de l’ironie, à tant de questions qui lui sont chères: le désenchantement d’un monde qui a perdu ses repères, l’incommunicabilité entre les êtres humains, la question de la pertinence de la procréation dans un monde sans espoir, le lien entre la haine et le désir d’ordre (à méditer en ces temps troublés), la vie et la mort.



Mais cette deuxième lecture m’a aussi laissé perplexe quant au rôle qu’y jouent trois personnages étranges, Jakub, le prisonnier politique récemment libéré qui s’apprête à quitter le pays, Bertlef, l’américain d’origine tchèque, très malade, en villégiature pour accompagner sa femme qui soigne sa stérilité et qui prévoit de repartir en Amérique, et enfin le docteur Skreta, le médecin responsable de l’établissement, et dont comprend qu’il utilise son sperme pour soigner la stérilité de ses patientes.



Au delà des intrigues amoureuses, plutôt loufoques, de quatre personnages, avec leurs triangles plus ou moins classiques, d’une part le mari Klima , la femme Kamila jalouse, l’amante Ruzena et l’autre triangle , Klima, Ruzena et l’amant de celle -ci, Frantizek, au delà du rôle mineur joué par Olga, la jeune protégée de Jakub, qui va choisir de découvrir le sexe avec son tuteur, la place de ces trois personnages, Jakub, Bertlef, et Skreta, étrangers aux intrigues des autres protagonistes, m’est apparue très ambigüe et énigmatique.



Le docteur Skreta, cet étrange gynécologue qui, considérant que les problèmes de stérilité d’un couple sont le plus souvent dus à l’homme, insémine les femmes avec son propre sperme, qui cherche à se faire adopter par Bertlef, est-il un doux rêveur ou un eugéniste dangereux?

Et Jakub, qui vient faire ses adieux dans la petite ville, d’abord à son ami Skreta, auquel il vient rendre un comprimé bleu mortel, que Skreta lui avait fabriqué, au cas où il aurait voulu échapper à la torture, et puis, à sa protégée, Olga, qu’il soutient depuis la mort de ses parents, est-il seulement cet homme désabusé et misanthrope, qui a perdu totalement confiance en l’être humain, à la suite des traitements qu’il a subi, ou un homme transformé par la révélation de la beauté féminine, celle de Kamila, ou encore le messager inhumain de la mort avec son comprimé bleu?

Et enfin, Bertlef, cet américain malade, quel personnage ambigu, impossible à cerner, à la fois un mystique et un jouisseur. Est-il le seul homme bon du roman, un saint qui irradie une lumière bleue, ou une sorte de manipulateur surnaturel comme le Prospero de La Tempête, qui sait le sort qui est réservé à Ruzena, lui disant qu’il est « venu à temps », comme s’il savait que la nuit qu’elle passe avec lui est sa dernière.



En conclusion, La Valse aux Adieux, quel récit prodigieux, mais aussi, en ce qui me concerne, quel jeu déconcertant l’auteur joue avec son lecteur; mais ceci finalement n’est pas pour me déplaire; si tout nous était donné, quel plaisir y aurait-il encore à (re)lire ce livre?
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L'Identité

Une histoire intellectuellement complexe. Les personnages se posent des questions, beaucoup de questions. Ce monde de Kundera que je découvre pour la première fois me semble chargé, pesant, étranger à toute spontanéité mais pourtant authentique et fondé. Une illustration de ces trois visages qui sont les nôtres : celui que nous faisons voir, celui que nous pensons avoir et celui qui est vraiment le nôtre ; tout cela pétrit des petits secrets qui nous habitent et que nous ne laisserons jamais sortir de la chape dont nous les couvrons, bref notre identité...

Vient se greffer par-dessus une histoire abracadabrante qui n’est finalement, ou peut-être, qu’un cauchemar dont on ne sait pas vraiment à quel moment il commence dans le fil de ce roman.

Ce jour là, j’ai acheté deux romans de Kundera. Je sens que je vais avoir du mal à me décider à lire le second…
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L'insoutenable légèreté de l'être

Magnifique étude psychologique de l’individu, plus particulièrement des relations amoureuses. Kundera perce ici avec perfection et virtuosité les soubresauts de l’âme et de la pensée à l’image d’un Knut Hamsun avec la faim ou du maître en la matière Fiodor Dostoïevski dans son immense crime et châtiment.



On suit la vie d’un couple Pragois dans les années 70, l’évolution de leur histoire d’amour, les pensées de chacun, sans tabou et tout ceci dans un contexte de montée du communisme. Tout est ici dépeint de manière simple et précise, l’étude psychologique est fine et la description du contexte politique fait également de ce roman une œuvre sociale.



Un petit bijou à avoir lu.
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L'Identité

Un homme, une femme… Chabadabada, chabadabada… Ah non. Ça c’est Lelouch. Ici, c’est Kundera…



Néanmoins, il s’agit bien ici d’un homme et d’une femme. En l’occurrence, Jean-Marc et Chantal, mari et femme pour le meilleur et pour le pire. Et le pire pour Chantal se résume dans une simple déclaration : « Les hommes ne se retournent plus sur moi… ». Aurait-elle autant changé ?

Peut-on aimer l’autre tel qu’il est (devenu) ou tel qu’il était, ou qu’on pense qu’il était, ou tel qu’il se montrait ? Et si à la longue, on finissait par ne pas le (la) reconnaitre, notamment sur une plage où on est sensé se retrouver…

« L’identité »… « L’identité de l'individu est, en psychologie sociale, la reconnaissance de ce qu'il est, par lui-même ou par les autres. » (Wikipédia). Et si l’observateur, du fait unique de son observation, venait modifier « l’identité » de l’observé ; de l’observée, on l’occurrence ? Cette expérience, Jean-Marc va la vivre en vraie grandeur… Jusqu’au cauchemar…



Après avoir tant apprécié, il y a bien longtemps, « L’insoutenable légèreté de l’être », je suis peut-être un peu déçu par ce petit « roman », et rempli de questionnements… Mais comment pourrait-il en être autrement quand un livre de 165 pages ne contient pas moins de 230 points d’interrogation ?



Malgré tout, un Kundera reste un Kundera et n’est jamais « léger », tant par la qualité de la prose (« l’identité » a été rédigé en français) que par le questionnement métaphysique.

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L'Immortalité

L 'immortalité, engendrant in fine l'ennui mortel, peut-elle être une fin en soi ? L 'immortalité alors : rêve, cauchemar ou paradoxe ? Paradoxe assurément, au point où pour fuir l'ennui je vous conseille vivement l'immortalité de Kundera. Point de mortelle randonnée dans cette belle balade à suivre les chemins de la pensée de Milan Kundera qui nous offre de mémorables perspectives où je me suis plu à m'attarder attendri à rêvasser. Entrelacs de réflexions, jeux de miroirs, rencontres espérées ou inattendues, présence inopinée de l'auteur, apparution du roman dans le roman, émergence du réel dans l'imaginaire, parmi cette suite de faits épisodiques certains relèvent du pur hasard et d'autres se révèlent part intégrante de la nécéssité d'une construction rigoureuse du récit.



Ainsi je garderai en mémoire cette fabuleuse rencontre dans l'au-delà durant laquelle Goethe explique à Hemingway p.320 "Et je croyais, bien sûr, laisser de moi une image qui serait mon prolongement. Oui, j'ai été comme vous même après la mort, il m'a été difficile de me résigner à n'être plus. C'est très bizarre, vous savez. Etre mortel est l'expérience humaine la plus élémentaire, et pourtant l'homme n'a jamais été en mesure de l'accepter, de la comprendre, de se comporter en conséquence. L'homme ne sait pas être mortel. Et quand il est mort, il ne sait même pas être mort."



Je pourrais évoquer cette bimbo biographe qui courait la notoriété en pourchassant de ses assiduités Goethe, Beethoven et autres célébrités en vue d'y associer son nom à la seule fin d'accéder par leur entremise à l'immortalité. Son nom... Zut ! Je l'ai déjà oublié. Mais au fond est-elle plus pendable que ce Napoléon, à l'ego hypertrophié, en tout pareil à ces autres semblables pustuleux crapeaux bouffis d'orgueil, quémandant les vers du poète pour entrer dans L'Histoire plutôt qu'à s'attarder sur ses pieds foulant la multitude ignorée des morts de ses conquêtes éphémères ?



Mais comme le dit Kundera à son ami Avenarius p.351 :

" - Ce n'est pas racontable.

- Dommage.

- Pourquoi dommage ? C'est une chance. de nos jours, on se jette sur tout ce qui a pu être écrit pour le transformer en film, en dramatique de télévision ou en bande déssinée. Puisque l'essentiel, dans un roman, est ce qu'on ne peut dire que par un roman, dans toute adaptation ne reste que l'inessentiel. Quiconque est assez fou pour écrire encore des romans aujourd'hui doit, s'il veut assurer leur protection, les écrire de telle manière qu'on ne puisse pas les adapter, autrement dit qu'on ne puisse pas les raconter. "



Reste le geste ! Non pas ce geste égocentrique de désir d'immortalité " pour projeter ce moi très loin, par delà l'horizon, vers l'immensité " mais ce geste gracieux qui traverse le roman. Il passe d'être en être par la capture hypnotique d'un regard, ou par l'admiration que la cadette porte à sa soeur ainée. Les êtres passent, le geste se perpétue. Ce geste acquiert ainsi une vie propre et se répète immuablement à travers le temps. Ce geste joyeux au-delà de la tendre nostalgie d'un souvenir naissant renferme la promesse de lumineuses rencontres à venir.



Ce geste que nous adresse ce roman et qui veut dire : viens, il est encore temps. Et c'est à ce moment précis, que moi je le vois comme un diamant, au doigt d'une de ces femmes, irradiant de mille feux en variations infinies de la lumière d'une vie ...
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La lenteur

Milan Kundera est un auteur à tiroirs. Vous trouverez toujours dans ses livres quelque chose que vous n'aviez pas remarqué.



Paru en 1995, La Lenteur est son premier roman rédigé directement en Français. Il met en scène des personnages d'une nouvelle du 18ème siècle, (un chevalier, une Comtesse, un Marquis, un cocu), une journaliste amoureuse d'une célébrité, un congrès d'entomologistes et quelques trublions. Tout ça en un même chateau où l'auteur et son épouse passent la nuit.



Avec un sens aigu de l'anecdote, Kundera développe le ridicule des personnages et le grotesque des situations.

Du suicide raté de la journaliste hystérique suivie par son mari en pyjama jusqu'à l'entomologiste tchèque perdu dans ses émotions et dans les coutumes françaises, tout est dérision. L'auteur, qui veut écrire un livre où rien n'est sérieux, nous offre des dizaines de pages absolument savoureuses et d'une grande drôlerie. Des pages où, de l'entomologiste à la journaliste, du trublion à l' intellectuel prétentieux , chacun vient faire son tour de piste dans le petit halo de la célébrité et du ratage.



Toujours à l'exercice, Milan Kundera présente brillamment des situations paradoxales et des mots pris à contre-pied : une tentative de suicide gaie, un libertinage sexuel triste, un "dissident" héros par lâcheté. Comme à son habitude, il utilise les mésaventures de ses personnages pour se livrer à des réflexions et à des circonvolutions autour de La voix - la célébrité - les Liaisons Dangereuses et la divulgation des secrets - la quête du pouvoir - la lenteur et le bonheur.



Et du bonheur, les 183 pages de ce livre léger et agréable en regorgent. A recommander à ceux qui n'ont pas encore fait connaissance avec l'auteur, et que le statut de l'Insoutenable Légèreté de l'Être effraie.

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L'ignorance

Je suis restée en lisière de cette lecture, alors qu’il y a de belles pensées. Paris, Prague d’aujourd’hui et de l’époque communiste. Nostalgie, mémoire, exil.

Longtemps, Kundera fut mon auteur favori. Je vais retourner vers ses romans plus anciens.
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L'Immortalité

Ce roman/essai philosophique de Kundera est sans doute un de ses livres les plus aboutis. Assez inconditionnel des écrits de cet auteur il fut un temps, j’avais été conquis par de nombreux ouvrages, aux premiers rangs desquels La valse aux adieux et La plaisanterie. Cependant, L’immortalité est celui qui m’a le plus marqué, le plus touché, le plus ému… Et finalement le plus donné matière à réflexion.

Ainsi, le lecteur peut emprunter au fil du déroulement narratif du texte plusieurs niveaux de lectures. Tout au long de sept parties à priori distinctes, mais au final d’une cohérence sans failles, on est conduit dans une réflexion sur le monde moderne, la solitude, l’unicité de l’être humain, le travail de l’écrivain… Tout cela avec, en toile de fond, une critique de la civilisation européenne occidentale, conduisant au regard désabusé et lucide de l’auteur. Travail érudit et d’une grande finesse, ce livre est mûrement élaboré, les idées s’enchaînent, implacables, chaque phrase trouve sa conséquence. On croise au cours du récit Romain Rolland, Goethe, Hemingway, Rilke... Du terrible choix d’Agnès face au peloton d'exécution aux plus risibles mésaventures de celle du notable mort d’éclatement de vessie, tout porte matière à réflexion, sans esbroufe.

Et tout cela se lit sans difficulté. Le style si particulier de Kundera, qui sait tenir en haleine le lecteur au fil d’une narration non linéaire et précise, nous fait perdre de temps à autre le fil de nos pensées pour retomber sur nos pieds quelques pages plus loin. On ressort de ce livre grandi.
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La lenteur

Contre l'avis prédominant, je n'ai pas vraiment accroché avec cet ouvrage. Pour être exacte, je me suis plus égarée que régalée dans cette lecture dans laquelle trois histoires se superposent les unes aux autres.



Tout commence par la venue du narrateur / auteur avec sa femme Véra dans un château pour y passer quelques jours. A cette première histoire vient se greffer, celle d'une nouvelle du XIIIe siècle dont l'auteur n'a été reconnu que très tard et dont l'intrigue se situe dans ce même château. L'histoire est celle d'une femme, Madame de T. , très libertine, qui trompe à la fois son mari et son amant mais également celui qui est l'amant de l'amant. Enfin, en parallèle de la première histoire ( je ne sais pas si vous me suivez toujours), se déroule également dans ce même lieu un congrès des entomologistes au court duquel un savant tchèque va à la fois se ridiculiser et retrouver un peu de sa superbe et dans la nuit qui va suivre, Vincent, lui, un ami du narrateur et un autre des protagonistes de ce roman, va perdre de lui toute estime.



Un roman qui fait une superbe éloge de la lenteur, il est vrai et qui est extrêmement bien écrit mais dans lequel je me suis un peu emmêlé les pinceaux. De plus, j'ai également trouvé, concernant, tout ce qui a un rapport avec l'acte sexuel évoqué dans ce livre qu'il y avait de nombreux passages vulgaires et grossiers et donc, pour ceux qui me connaissent un peu à travers mes critiques, savent que c'est bien là une chose à laquelle je suis extrêmement sensible, peut-être un peu trop, je le reconnais.



Pour avoir rencontré Milan Kundera il y a quelques années à la fête du livre d'Aix-en-Provence, je ne peux que flatter sa plume et son élocution mais je dirais simplement que je n'ai sûrement pas dû commencer par le bon livre !
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La valse aux adieux

Une pure merveille!

Dérision féroce, humour absurde, profondeur effrayante, c'est toute une vision du monde (bien noire c'est vrai) qui est contenue dans cette histoire qui oscille entre le conte philosophique et la farce potache avec une légèreté de style et un brio extraordinaire!



un des livres que j'ai le plus offert, que je feuillette régulièrement avec plaisir .



ne ratez pas ce chef d'oeuvre qui se lit en deux heures!
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L'Identité

On retrouve dans ce livre un des thèmes chers à Kundera : la difficulté de vivre réellement en couple. L'intrigue est très simple. Jean-Marc vit avec Chantal. Mais on s'aperçoit très vite que chacun a ses propres perceptions sur l'autre et sur son environnement. Et cette différence de perception va s'accentuer malgré une affection certaine. Jusqu'à une certaine dissociation ou déréalisation. En fait, Kundera nous montre que le couple n'existe pas réellement. C'est un livre très juste, qui nous questionne. Une réflexion qui me restera longtemps à l'esprit, en ce qui me concerne. Tout comme "L'insoutenable légèreté de l'être".
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La plaisanterie

Comment séduit-on une fille quand on est adolescent et qu’on ne sait pas quoi faire ? Ludvik utilise l’humour noir, et prend plaisir à égratigner tout ce qui est cher à l’élue de son cœur. Choix déjà discutable de base, mais d’autant plus lorsqu’il le conduit à moquer le Parti sur une carte postale, dans un pays totalement dévoué à la cause communiste et qui voit des traîtres partout.



Pour cette mauvaise plaisanterie, il sera considéré comme un ennemi du régime, et passe de futur cadre du Parti à mineur dans un camp de prisonniers politiques. Mais c’est surtout le fait d’avoir joué un rôle qui torture Ludvik toute sa vie : il se rend compte, un peu trop tard, qu’une fois que le public y croit une seule fois, il n’y a plus de retour en arrière possible. L’image que les autres ont de vous a plus de poids que ce que vous êtes vraiment. Une fois formée, vous ne pouvez plus y échapper.



Bien que victime de ce regard d’autrui, cependant, Ludvik n’hésite pas à l’appliquer également chez les autres, notamment dans ses relations amoureuses : chacune des filles dont il tombe amoureux doit combler un manque précis à un instant de sa vie. Aucune n’est aimée pour elle-même, seulement pour ce qu’elle est dans la tête de son soupirant.



C’est ce qui donne à la lecture de ce livre une sensation de malaise. Toutes les relations qui y sont décrites ne sont finalement que des gigantesques malentendus : chacun veut faire jouer à l’autre un rôle bien précis dans sa petite pièce de théâtre personnelle – femme simple et docile, être déchu qu’on va pouvoir sauver de lui-même, amante voluptueuse, frère jumeau dans la foi, élève reconnaissant de la réception d’un savoir précieux, les choix ne manquent pas ! Tant que l’autre s’y plie, par bonne volonté ou par ignorance d’être sur scène, tout va bien ; quand le masque se fissure, ce ne sont que colère, larmes et séparation. Chaque lien qui unit deux personnes ne serait-il finalement qu’une tentative de vampirisation mutuelle ? L’amitié et l’amour véritables existent-ils vraiment ? On a toujours envie d’y croire, mais à la sortie de ce livre, on est quand même pris de quelques doutes.
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L'insoutenable légèreté de l'être

Commencer, puis mis de côté. Re-commencer et re-mis de côté. Re-re-re-commencer puis re-re-re-mis de côté, il aura fallu le challenge Multi-Défis 2017 pour me botter les fesses et le lire (enfin!) jusqu’au bout. Pas que je n’ai pas aimé cette histoire d’amour (ou de désamour), mais Kundera, c’est Kundera. C’est, à certains moments, très bon et à d’autres, très long. J’ai navigué tout le long de ma lecture entre ces deux ressentis : j’aime, ou je n’aime pas. Encore là, en fermant la dernière page, je ne saurai choisir !

Une chose qui est claire, c’est que cet auteur sait écrire et décrire les sentiments profonds de ces personnages qui meublent son roman. Il a même l’audace de mêler la philosophie à l’amour, poussant son lecteur à réfléchir, trop même, peut-être. Du moins, c’est l’effet qu’il m’a fait ; je me suis souvent arrêter pour penser et par le fait même, bloquer mon identification aux personnages et m’empêcher d’accrocher à l’histoire. Je suis restée spectatrice et j’ai pensé le livre plus que de le vivre. Peut-être me faudrait-il une relecture et passer outre mes réflexions pour pleinement profiter de cette histoire. Mais ce ne sera pas pour bientôt, j’ai trop de livres non-lus qui m’attendent pour me prêter à l’exercice. Mais dans cette pile à lire, j’en ai un autre de Kundera… on verra bien si j’ai le même ressenti face à une autre œuvre de lui.

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La fête de l'insignifiance

Le style s'affirme, ou bien s'affine ; mais peut-être, s'effeuille-t-il, ou encore s'effrite-t-il, doucement... La tragédie des grands écrivains - ce que Kundera est, ne nous y trompons pas - est sans doute l'enfermement et la réduction progressive d'un immense talent à une prose unique, un style trouvé et plus jamais abandonné. Une solution de facilité.



Comme beaucoup, lecteur de Kundera, je ne pouvais manquer son nouveau roman : le titre, malicieux, rappelle "L'insoutenable légèreté de l'être" et nous annonce que le sujet sera à nouveau une glorification de ce qui nous paraît futile, dépourvu de sens, oublié dans la quête de vérité ; le contenu est masqué, dans la promotion du livre, par les thèmes que les médias citent (humour, légèreté, rêves, histoire et présent, du Kundera dans son essence). La longueur étonne, mais quand j'ai ouvert la première page, je me suis dit que cent quarante pages brillantes allaient m'obliger à pardonner notre expatrié d'avoir abandonné les digressions de dizaines de pages.



Hélas ! Une heure et demi plus tard, la dernière page tournée, que me reste-t-il dans les mains à part une oeuvre anodine ? On me dira : vous n'avez pas compris, l'insignifiance du roman que vous critiquez, c'est justement cette magie qui est dans l'existence, que l'on a perdue et que Kundera veut nous faire retrouver. Je réponds : Kundera n'y arrive pas. A glorifier l'insignifiance - et je le suis : la futilité, la lenteur, l'humour, l'absence de sens, des valeurs négatives depuis le XVIIIe siècle, qu'il serait temps de prendre vraiment en considération - Milan Kundera oublie l'essence du roman : sa trame d'abord, son langage ensuite, les réflexions qu'il suscite enfin. Car si "L'insoutenable légèreté de l'être" dissertait de longs moments sur la légèreté et la pesanteur, le kitsch, l'histoire, l'amour, la musique, ici, "La fête de l'insignifiance" fait court, va vite, suit un chemin sans travers. Réduire la longueur, est-ce pour autant être plus concis, plus fort, plus incisif ? Parfois oui ; ici, non. Au contraire, l'insignifiance, ce sont aussi des pages inutiles mais belles, et ces pages manquent à l'appel...



Il y a quelques pépites à garder, bien entendu. Milan Kundera trouve du souffle, des moments de plaisir où il s'amuse et nous amuse. Quand il parle de l'histoire, de Staline, il n'est jamais aussi bon - encore que l'on aurait pu espérer plus d'entrain, plus d'expansion. Quand il parle du rien, il dit beaucoup. Seulement, il n'en parle pas assez pour lui donner de l'importance. Ses phrases alternent entre une mollesse stylistique effrayante et quelques belles sonorités ; parfois, une, deux, voire trois séquences se chevauchent et me prennent à la gorge : des paragraphes sont magnifiques. Ils sont toutefois trop rares, et épars, comme ces aphorismes qui, s'ils caractérisaient son oeuvre, ne sont plus que des pensées préparées, plaquées dans une oeuvre dépourvue d'envie. A trop vouloir dire que l'insignifiance est dans l'existence, Milan Kundera sombre loin dans les travers de la facilité, comme si, installé sur un matelas forgé depuis quelques dizaines d'années, il s'y était sagement reposé sans jamais vouloir se renouveler. Quitte à s'enfoncer et se perdre.
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L'insoutenable légèreté de l'être

Ce livre, que j'ai relu avec plaisir, est plus pour moi un roman philosophique q'un roman d'amour à proprement parlé. Kundera a l'art de manier les mots avec une simplicité qui me rappelle celle de Rainer Maria Rilke, une âme romantique. Me voici donc face à quatre figures personnifiées: l’ambiguïté, la morale, la pesanteur et la légèreté. Nous allons les suivre à travers l'Europe au moment même où une époque s’éteint. Mais au delà de la philosophie, pour moi ce livre reste celui de la désillusion, du questionnement face à la barbarie, au sens de l'existence et de l'acte d'agir.
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La Vie est ailleurs

C’est un peu comme si, à mesure que le niveau culturel d’une civilisation se montre de plus en plus sophistiqué, le péril qu’elle encourt devient à son tour plus grand. Rien de nouveau sous le soleil : culture et barbarie sont les deux pôles d’un même axe.





Une grande culture dans de petits esprits, des idées qui prennent toute la place et qui ne laissent plus rien pour l’humanité, voilà le péril. Croire savoir des choses alors que l’on n’a fait qu’assimiler la pâture que nous lance la société du spectacle. Croire pouvoir devenir quelqu’un d’important alors qu’on ne fait que jouer le jeu des autres.





Poésie et politique entretenaient un rapport étroit fut un temps, nous dit Kundera. Imaginez que l’on clame encore des poésies dans les journaux ou sur les places publiques. Quelle merveille, qu’on se croit imaginer, alors qu’on n’y pige que dalle ni à la poésie ni à la politique, mais on aime penser qu’il pourrait y avoir quelque chose derrière tout ça. Seulement que ce n’est pas la création qui est une merveille, mais l’utilisation que l’on en fait, le rapport que l’on entretient avec. Kundera nous parle d’une instrumentalisation silencieuse de la poésie qui en fait un outil de propagande et de lobotomisation aussi efficace que la télévision ou les réseaux sociaux aujourd’hui.





Comme si les êtres humains se précipitaient tous instinctivement vers tout ce qui peut exister pour cesser de vivre aux yeux des uns les autres.

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L'insoutenable légèreté de l'être

Wow. Allez, je me lance : J'ai été encouragé dans cette lecture par deux personnes, Fabrice Chassot, professeur de l'université Toulouse-II, spécialiste du XVIIIème siècle, qui était arrivé l'année dernière à la fin de son cours à dresser un pont incroyable entre Marivaux et Kundera, et une amie de très longue date, qui a découvert bien d'incroyables classiques avant moi. Ouvrage culte, dont il m'avait surtout été dit qu'il parlait de la trivialité de la vie, et de la nécessité pour nous de la romancer, d'y injecter du romanesque, pour lui donner un sens, nous inventer une destinée au milieu d'un chaos de hasards sordide. C'est bel et bien cela, mais aussi plein d'autres choses.



Le ton pourra quelques fois évoquer Céline, dans le cynisme et l'usage, beaucoup plus occasionnel cependant, du familier, pour susciter un effet chez le lecteur. C'est un roman-essai philosophique, très didactique, presque ludique, où l'auteur prend soin de bien amener le lecteur où il veut, dans des raisonnements souvent de la pertinence d'un Shakespeare, parfois hilarants d'insolence... Structuré en sept parties qui fonctionnent en cercle, où les thèmes reviennent constamment, en échos et leitmotiv, le roman titre généralement ses parties de deux pôles, illustrés à chaque fois par ses quatre personnages principaux assumés créations du narrateur, Tomas et Tereza, Franz et Sabina. Il y a d'abord la tension entre l'insoutenable et la légèreté. L'insoutenable est un fardeau qu'on s'octroie, une mission, une tâche, un sacerdoce, une personne... un tragique, pour que notre existence ait un but, sous lequel on ploie. La légèreté est au contraire un attachement à rien ni personne, une fuite en avant, une liberté absolue, délectable, mais qui à la fin ne ramène qu'à une infernale solitude... et le besoin à nouveau d'une pesanteur, d'un poids qui nous fixe, sans lequel notre vie dans son ensemble ne signifierait rien. Tomas et Sabina incarnent respectivement (même si c'est un peu plus fluctuant et complexe dans le cas du premier) la victoire du fardeau tragique et de la légèreté débridée, dans des conséquences effrayantes. On vit leur vie avec eux, chaque croisée des chemins, chaque décision, et le bilan tétanise de tristesse, l'un pour son enfermement dans un couple morose et une situation politique cauchemardesque, l'autre pour son abandon de tous, qui brise toutes ses chaînes, mais qui n'a plus personne à la fin. Kundera possède un sens de la psychologie absolument remarquable, à la hauteur de maîtres tels que Dostoïevski. Il n'a de cesse d'intervenir espièglement ou doctement dans la narration de son récit et nous rappeler que son quatuor n'est qu'illustration au service de ses propos, pantins d'encre et de papier... Et pourtant, on a bien affaire à des êtres qui vivent, respirent, guidés par des pulsions, présentes pour de bonnes raisons, brouillés par des malentendus irréconciliables, des incompréhensions dûes à l'expérience de chacun... Tereza, elle, est obsédée par la dualité du corps et de l'âme. Sans cesse violée dans son intimité par une mère qui exhibait à tout va le corps, banalisait la chair et le nu dans ce qu'ils avaient de plus bas, Tereza veut faire ressortir son âme à travers sa figure, et qu'on ne la ramène plus jamais à un simple tas d'entrailles parmi tant d'autres. Tomas le libertin lui posera donc bien des problèmes, lui qui désire toutes les femmes et tous leurs corps, là encore pour des motifs psychologiques qui n'appartiennent qu'à lui...



Mon chapitre préféré du roman est sans doute "Les Mots incompris", sur la liaison entre Franz et Sabina, et qui explore toute une liste de concepts (La musique, l'obscurité et la lumière, le cimetière, New York, le cortège, etc.), ce qu'ils signifient pour chacun des deux personnages, et à chaque fois c'est radicalement différent, en fonction de leur vécu respectif, et tout aussi pertinent. Les divergences humaines nous y apparaissent alors dans toute leur splendeur, insolubles, comme entre Tomas et Tereza.



Je retiens également le chapitre intitulé "La Grande Marche", où le cynisme de Kundera atteint son apothéose : la vanité et l'illusion de l'Histoire, des manifestations pour une noble cause qui ne sont que théâtre de fourmis aux yeux de puissants indétrônables, dédaigneux et tout aussi mortels et vains, ainsi que sa définition élaborée et complexe du kitsch (images d'Épinal du bonheur pour nous rassurer, clichés utilisés par les pouvoirs politiques et religieux pour convaincre les esprits et reproduits au quotidien, jusqu'aux caricatures qu'on retient des êtres post-mortem, d'un coup réduits à une phrase ridicule ou complètement erronnée, une épitaphe simpliste, un simple moment censé les résumer dans leur entier...) Kundera s'amuse à démonter la religion chrétienne en rappelant entre autres l'infâmie du corps qui défèque et l'impossibilité totale d'"un accord catégorique avec l'être" (c'est-à-dire avec notre condition)... Pas très gai ni optimiste, me direz-vous, mais son humour, son sarcasme et le cheminement du propos font passer tant bien que mal la pilule.



La tristesse de la fin, en pastorale dégradée par le communisme et le passage du temps, m'a encore rappelé Voyage au bout de la nuit. Mais parlons du fameux communisme! C'est certainement le plus gros choc du roman : j'ai eu l'impression de comprendre, bien des années après sa lecture, 1984 d'Orwell. Kundera nous met les pieds en plein dans la dictature et les méthodes qui ont inspiré Orwell, et ce durant la majeure partie du livre, avec tous les détails, puisque Tomas et Tereza vivent à Prague sous l'occupation russe. J'ignorais TOUT des exactions de ces salopards, et suis resté SCIÉ. Mon tempérament révolutionnaire va s'ôter vite ce genre de bannière pour modèle. En gros, comme dans 1984, les gens sont sur écoute, ils DOIVENT manifester lors de rassemblements publics leur accord vis-à-vis du Parti (d'où le dégoût du cortège pour Sabina, qui était une contrainte, là où Franz, venant d'un autre pays, y voit ce que nous voyons toujours en tant qu'occidentaux citoyens de démocraties, un défilé qui peut changer l'Histoire), le profil du citoyen est dressé, et on peut dégrader les intellectuels, artistes, docteurs jusqu'à l'écheveau le plus bas de la société s'il s'avère qu'ils sont opposés au Parti, quand on ne les envoie pas au goulag. On vous apostrophe innocemment dans un bar ou même au cabinet médical en tant que patient, vous parlez politique tout naturellement, en confiance, vous vous enflammez... et c'est en fait à un flic (devrais-je dire flic de la pensée) que vous vous adressez, et c'en est fini! Bref, ce contexte historique du roman, qui n'est qu'un sujet et un fil rouge parmi tant d'autres, vous laisse un bon coup de poing dans l'estomac, tant il est omniprésent et omnipotent, et rappelle bien le danger de CHAQUE extrême politique.



Comme disaient d'autres lecteurs ici et l'amie qui me l'a conseillé, c'est le genre de livre où on peut souligner des pages entières, et quasiment toutes les pages, tant la sagacité et l'exactitude des propos de Kundera nous bluffent. On réexamine notre vie, au regard de ses développements, des parallèles avec les 4 personnages... Pour autant, il faut prendre garde à ne pas le citer hors-contexte, lui faire dire ce qu'il ne dit pas, ou saisir absolument tout comme vérité générale, il y a tout de même des moments de désaccord, un peu trop cyniques et pessimistes. Ce n'est pas un gourou, encore heureux! Toutes les parties sur l'amour sont magnifiques, et comme je le disais au début, Kundera encourage ce besoin irrépressible à romantiser et romancer notre vie, développer dans notre imaginaire un destin, un fil conducteur, qui nous conduit là où on va, nous fait rencontrer telle ou telle personne, ou pas, mirage qu'il est bon d'entretenir pour ne pas sombrer dans un désespoir et une absence de sensibilité qui ne sont que trop familiers à l'être humain. Cette quête sémantique est capitale, pour éviter l'anarchisme insupportable des hasards qui ferait à la place notre temps sur Terre. Les parallèles avec Anna Karénine raviront les amateurs de Tolstoï, et il y a également quelques clins d'oeil affectueux à Nietzsche. Parmi toutes les références convoquées par l'auteur, d'autorité ou pour s'amuser, je crois que celle de Iakov, le fils de Staline, nous marquera longtemps!!



Lisez-le!! C'est un très beau roman, incroyablement éclairant par la hauteur que semble avoir l'auteur, on ne peut plus sage, très sensuel et corporel, mais aussi malicieux et désenchanté, où on trouve à coup sûr au moins 80% d'échos avec nos propres expériences. Et le tout est d'une cohérence magistrale, ce n'est pas un fourbi thématique, car la récurrence de chaque motif et thème lui confère au contraire une unité incroyable, qui n'a de cesse de nous renvoyer en arrière ou d'être expliqué/mieux compris par un autre exemple a posteriori. La vie de Tomas et Tereza, tantôt explorée du point de vue de chacun, avec à chaque fois son lot d'interprétations subjectives, de quiproquos... passionnera aussi les fans de séries récentes, qui se délectent de ce jeu avec les points de vue! Un des meilleurs livres qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps!
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