« Je relevais d'une longue maladie. Quand arriva le jour de ma sortie de l'hôpital, c'est à peine si je savais encore comment marcher, à peine si je me rappelais qui j'étais censé être. » Ainsi commence ce roman de
Paul Auster. Un point de départ simple pour un roman qui ne l'est pas…
Le narrateur est un romancier new-yorkais, Sidney Orr, qui, après avoir passé 3 mois à l'hôpital est très heureux de retrouver sa femme Grace, dont il est éperdument amoureux.
Il va se remettre à écrire, avec un grand engouement, de façon quasi magique, à partir du moment où il achètera, dans une papeterie tenue par un chinois, un mystérieux carnet bleu d'origine portugaise. « Ces carnets sont très sympathiques mais ils peuvent aussi être cruels et tu dois prendre garde à ne pas t'y perdre. » (C'est John Trause, un vieil écrivain, qui l'avertit…)
Sur cet étrange support, Sidney Orr entame son nouveau roman, l'histoire de Nick Bowen, un éditeur qui quitte femme et emploi sur un coup de tête, et qui décide alors de recommencer sa vie.
Il prend arbitrairement un avion en lisant le manuscrit d'un roman : «
La Nuit de l'oracle », l'oeuvre oubliée d'un grand auteur du début du XXe siècle…
Après de multiples péripéties, Nick Bowen, va se retrouver enfermé de l'intérieur dans un abri anti-atomique désaffecté, et on se demande comment il va s'en sortir…
Pendant qu'il écrit ce roman, Sidney Orr est inquiet face au comportement de sa femme, Grace, qui a quitté sans raison leur maison…
Paul Auster joue avec nous, tout au long de ce récit qui imbrique allègrement la réalité de Sidney Orr et la fiction qu'il couche sur papier. D'où une question : dans quelle mesure le monde créé dans la fiction influe-t-il sur le quotidien de l'écrivain ?
Il y a de multiples histoires dans l'histoire, des personnages qui surgissent de partout, plein de fausses pistes… des vies qui s'entrecroisent, qui se mêlent, se démêlent et s'emmêlent.
Des quiproquos, des relations fortuites qui ne sont pas uniquement le fruit du hasard…
On est un peu comme dans un jeu de pistes ou dans un labyrinthe, et on échafaude des hypothèses !
Et il va falloir démêler le vrai du faux !
Souvent le réel se mélange à l'imaginaire. le vécu et l'inconscient de l'écrivain interfèrent avec son imagination. Et on en vient à se demander si l'inverse est possible, si les mots peuvent aussi influer sur le réel et le concret. le thème d'un voyage dans le temps est aussi évoqué par le biais d'un scénario que le narrateur doit écrire, une sorte de réadaptation de « La Machine à remonter le temps » de Herbert George Wells, dans lequel un homme du passé et une femme du futur se rencontreraient dans le présent, et devraient tomber amoureux…
Passé, futur, réel et imaginaire, ce roman flotte entre toutes ces dimensions !
Beaucoup de thèmes se succèdent dans ce roman foisonnant : le mal et la fièvre d'écrire, les difficultés financières malgré les best-sellers et le recours facile à l'écriture de scénarios, le monde de l'édition, l'image de l'écrivain vieilli, représenté par son personnage John Trause, la violence aussi du New York des années 80…
Une intrigue romanesque lie cet ensemble de thèmes.
Un secret sépare Sidney Orr et sa femme Grace, impliquant le passé de celle-ci et John Trause, justement…
On a l'impression que tout se tient, mais finalement tout est instable.
« Depuis que j'ai acheté ce carnet, tout se déglingue. Je ne pourrais plus dire si c'est moi qui me sers du carnet ou le carnet qui se sert de moi. » (John Trause l'avait prévenu !)
Paul Auster sait comment garder le lecteur en haleine.
Son écriture est plaisante, claire, agréable, bien que l'histoire soit un peu échevelée, je trouve.
J'ai été tour à tour intrigué et séduit par ce roman parfois irréel et parfois très réaliste.
C'est une question intéressante que ces rapports entre la réalité et la fiction.
« Les pensées sont réelles, disait-il. Les mots sont réels. Tout ce qui est humain est réel et parfois nous savons certaines choses avant qu'elles ne se produisent, même si nous n'en avons pas conscience. »
Le futur ne peut-il pas être pressenti de manière non consciente et s'exprimer dans les rêves ou dans l'écriture ? Je pensais au livre de 1977, de l'auteur américain
Don DeLillo, intitulé «
Joueurs », dans lequel un attentat sur les tours jumelles du World Trade Center avait donc été écrit bien avant la date fatale du 11 septembre 2001 !
J'ai beaucoup aimé la façon dont
Paul Auster raconte la hantise de l'écrivain en manque d'inspiration, et aussi sa fascination devant le surgissement du passé dans le présent, et du présent dans le futur. Et puis la puissance des mots : « Les mots peuvent altérer la réalité et par conséquent ils sont trop dangereux pour être confiés à un homme qui les aime par-dessus tout. »
De prime abord, j'ai été surpris par les notes de bas de pages très copieuses, et puis ensuite j'ai compris qu'elles étaient très importantes, car elles nous font sortir du récit et créent une distanciation, un effet de recul, qui donne une dimension supplémentaire au récit.
Il y a l'histoire, les histoires dans l'histoire et le commentaire sur l'histoire !
C'est vraiment une idée géniale !
Pour conclure, je dirais que «
La nuit de l'oracle » est un roman rythmé, doucement nostalgique et mélancolique, avec des surprises et des rebondissements, où on navigue entre polar, avec enquête à la
Alfred Hitchcock, quête spirituelle et interrogation métaphysique.
Un roman où
Paul Auster fait preuve d'une fine psychologie et de beaucoup d'humanité.
En comparaison des 2 livres d'Auster que j'avais lus précédemment, «
Brooklyn Follies » et «
La Vie intérieure de Martin Frost », je trouve que ce livre-ci est un petit peu moins réussi, ce qui fait que je lui accorde 4/5.