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EAN : 9782745360021
452 pages
Honore Champion (11/11/2023)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Reposant sur de nombreux documents inédits, cette biographie retrace la vie de Robert de Bonnières, aussi oublié aujourd’hui qu’il fut célèbre dans les dernières décennies du XIXe siècle. Engagé volontaire en 1870, poète compagnon du Parnasse, chroniqueur redouté au Figaro et au Gaulois, romancier dont la critique citait les œuvres avec celles de ses amis Maupassant et Bourget, cet homme de lettres était aussi collectionneur et proche des compositeurs de son époque,... >Voir plus
Que lire après Robert de Bonnières : Vie et tourments d'un homme de lettres 'fin de siècle'Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Robert de Bonnières est un écrivain oublié au point qu'aucun de ces livres, à ce jour, n'est analysé sur Babelio.

Et pourtant, l'Académie française honora ses « Contes à la reine » du Prix Archon-Despérouses en 1893 avec « Les Trophées » de José-Maria de Heredia, et, au bras de son épouse Henriette, ils brillèrent sur le Paris cultivé ou mondain de la fin du XIX siècle… Sic transit gloria mundi !

Patrick de Bonnières, leur arrière petit-neveu, restitue la vie et les tourments de cet homme de lettres, et nous remémore les débuts de la III république. Né le 7 avril 1850 dans une famille du Boulonnais comptant plusieurs diplomates et officiers, Robert étudie au Collège Stanislas puis entame des études de droit. Arrive la guerre en 1870, la chute du Second Empire, l'étudiant s'engage volontairement dans l'armée de l'Est qui tente de secourir Belfort, puis l'armée de la Loire au 8° Lanciers. La défaite renforce son patriotisme et lui fait prendre conscience de la nécessité d'une réforme intellectuelle et morale, à l'école d'Ernest Renan, et de l'ardente obligation d'analyser les sources de l'efficacité germanique pour en tirer les enseignements utiles à notre pays. Il apprécie la musique wagnérienne, fréquente le festival de Bayreuth et, avec son épouse, contribuera à la traduction française des oeuvres de Friedrich Nietzsche.

Après sa démobilisation, Robert doté d'un capital social et financier s'oriente vers les lettres et la musique. Il participe au Parnasse Contemporain, projet de l'éditeur Alphonse Lemerre, en composant « Quatre sonnets russes » (1876) , puis « La Comédie des Académies de Saint-Évremond » (1879) et «Les Lettres grecques de Mme Chénier » (1881), deux volumes de critiques ainsi que le livret d'un opéra-comique pour Vincent d'Indy « Attendez-moi sous l'orme » (1882) qui lui permettent d'intégrer Le Figaro (1879-1884) sous le nom de Janus, critique et publiciste exigeant et redouté, puis de rejoindre le Gaulois (1882-1884) sous la signature de Robert-Estienne et Gil-Blas sous le pseudonyme Robert-Robert emprunté à l'aventurier glorifié par Louis Desnoyers. Ses articles sont repris dans « Mémoires d'aujourd'hui », trois volumes édités entre 1883 et 1888, qui gravent l'histoire littéraire de l'époque.

Au Cercle Saint-Simon, présidé par Gabriel Monod, il côtoie Paul Bourget, Ferdinand Brunetière, Victor Cherbuliez, Anatole France, Fustel de Coulanges, Ernest Lavisse et Paul Vidal de la Blache. Guy de Maupassant lui dédie la nouvelle « La Folle » en 1882. C'est probablement son ami Henry Cochin qui lui présente Henriette Arnaud-Jeanti, née en 1862, qu'il épouse le 27 octobre 1884, à l'époque où la Revue des Deux-Mondes publie « Les Monach » dans ses numéros d'octobre et novembre. Ce roman évoque la noblesse redorant son blason en s'alliant aux fortunes israélites, thème polémique qui ne permet pas de taxer d'antisémitisme son auteur édité par Ollendorff en 1885 et reçu par les Rothschild.

Les jeunes mariés voguent vers l'Inde en voyages de noces et Robert y trouve l'inspiration d'un second roman « Le baiser de Maïna » (1886). A leur retour Henriette brille dans la grand monde, décor de « Jeanne Avril » et du « Petit Margemont », deux succès qui peignent le milieu que Marcel Proust romancera quelques années plus tard.

Les peintres se succèdent aux pieds d'Henriette : James Tissot (1886), Jacques-Emile Blanche (1887-1889), Jean-Louis Forain, Auguste Renoir (1889) l'immortalisent et Albert Besnard (1888) la dresse « sur le toit du Louvre, dominant le pont des Arts, la coupole de l'Institut. Face au Panthéon, Henriette semblait l'incarnation de la Parisienne arriviste. » Henriette se rêve alors en épouse d'académicien …

Les poètes lui dédient leurs vers. À quelqu'un qui s'inquiète de savoir si tous ces «jeunes poètes, symbolistes, décadents, altruistes» dont elle s'entoure ne lui font pas un peu la cour, «Oh ! » répond Henriette, «c'est sans danger. Ils ont été tous refusés au service militaire ! ». Très raisonnable, elle affirme : «non, je ne prendrai jamais d'amant.. . ça peut amener de trop grands traças à une femme mariée...» Et, plus explicite, elle ne craint pas d'ajouter «du reste, j'ai dans mon mari ce qu'il y a de mieux» en révélant certain détail intime à l'appui de sa conviction. Vers les minuits, elle prend congé de ses invités à sa manière : «voici l'heure de la génération ! » Dans une longue conversation, elle avouera plus tard à Régnier - non sans regret ? - qu'elle « a été coquette à fond, mais que personne n'a jamais tenté de la forcer. Il y eut toujours un obstacle quelconque . » Et Régnier pensera à part lui : « Je ne lui ai pas dit le véritable : qu'il n'y avait rien à gagner avec elle, dont le charme est tout de visage. »

L'époux de Marie de Hérédia n'a pas le monopole de la médisance. « Robert de Bonnières passe pour s'être «brouillé avec tous les aînés de ses amis ou les [avoir] blessés» : On a même dit plaisamment qu'il serait capable de faire chauffer un train pour aller répéter à un ami le mal qu'un ami a dit de lui. À la fin d'une soirée, quelqu'un émit cet avis: "Emmenons Bonnières : pendant ce temps-là, il ne dira pas de mal de nous". Avec un résultat identique, Henri de Saussine se souvient d'une approche différente : «Robert de Bonnières avait cela de particulier et de rare qu'il disait des gens le mal devant eux-mêmes et le bien par derrière, ce qui lui avait aliéné beaucoup de sympathies, mais assuré la mienne […].» »

Le couple conçoit Marie-Louise en 1890 et Christine en 1894, l'année suivante est publié « Lord Hyland, histoire véritable », chez Paul Ollendorff, ouvrage plus philosophique, mal reçu par la critique, qui sent « la torture littéraire » selon Régnier et qui marque le début de la fin pour les Bonnières.

Soucis financiers, problèmes de santé, stérilité littéraire De Robert qui rature ou déchire tout ce qu'il écrit, se cumulent. le couple est contraint de vendre ses biens immobiliers, de céder les oeuvres d'art, de réduire drastiquement son train de vie. Robert, assailli par « ce pessimisme radical, issu d'une particulière clairvoyance qui lui fait - qui lui fera voir - la vie comme sans issue… » souffre de dépression. Interné dans une clinique le 4 avril 1905, il chute d'une fenêtre le 7 avril, jour de ses 55 ans. Henriette le rejoint au cimetière d'Auvillers le 9 janvier 1908.

Ce n'est pas seulement la biographie de « ceux que nous appelions : les Bonnières » que nous offre l'auteur, c'est une histoire des débuts de la troisième république, celle de Gambetta, de Ferry, de Grévy, du Général Boulanger, avec l'expulsion des congrégations, le scandale du Canal de Panama, l'affaire Dreyfus, etc. C'est une évocation du Château de Chantilly avec le Duc d'Aumale, du salon de la princesse Mathilde Bonaparte, du grenier d'Edmond de Goncourt. Nous y croisons les Daudet, Barrés et Bourget, nous y apercevons Proust, Léon Blum et André Gide … la fin de siècle prépare la Belle Epoque.

L'auteur livre ici des archives familiales restées inédites et les punaise sur un cadre historique et littéraire étayé par une impressionnante documentation et une immense culture. Son style est clair et non dénué d'humour ce qui contribue au plaisir de lire.

Cet ouvrage est un superbe objet de 450 pages dont 50 d'annexes Généalogiques, de Sources, de Bibliographie et d'index, avec un encart couleur de 8 pages reproduisant notamment les tableaux dont Henriette est le gracieux modèle.

Merci à Babelio et à l'éditeur Honoré Champion de me l'avoir adressé à l'occasion le l'opération « Masse Critique Non-fiction : mission Connaissances. ».

Souhaitons que cette réussite soit couronnée par le prix de la biographie de l'Académie française !

PS : Lilas blancs et roses noires : le roman de Marie de Régnier
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Qui d'entre nous, comptant dans sa famille un arrière grand-oncle illustre, un homme de lettres mélomane connu et apprécié du Tout-Paris littéraire, musical et mondain, comme un certain Robert de Bonnières, tombé injustement dans l'oubli, qui n'aurait pas ressenti l'impérieux besoin et le devoir de le faire renaître de ses cendres ? Telle fut l'initiative de Monsieur Pactrick de Bonnières, arrière-petit neveu devenu historien. Et cette biographie prend la forme d'une véritable Bible, un ouvrage remarquable de spécialiste, aux confluents de l'histoire, de la culture, de la musique, de la littérature - et de « la condition humaine » où Robert de Bonnières et ses proches nous entraînent dans un tourbillon didactique, vertigineux et assurément délectable. Cet ouvrage est désormais recommandé voire indispensable à tout étudiant, universitaire et, bien sûr, tout amateur de belles-lettres et de « culture générale » touchant à la fin du 19ème siècle.
(ne pas manquer de lire la préface de Patrick de Bonnières qui est disponible en ligne pour cet ouvrage).

En parcourant les premières pages de cette biographie, et tout au long de cet ouvrage, il m'a semblé plonger dans les trois tomes du Journal des Goncourt, retrouvant des noms et des faits connus et piquants, et cette ambiance si particulière d'un Paris tourbillonnant. L'écriture vive et savante de Patrick de Bonnières, qui s'attache au plus infime détail, nous plonge dans cette ambiance où évolue « son vieil oncle » Robert, d'année en année. Enfant né de la noblesse, baignant dans une atmosphère cultivée et mélomane, studieux et sage, notre héros apprend le grec et le latin au point de composer, comme Rimbaud, des poèmes en vers. Voilà qui présage un attrait certain pour les belles-lettres auxquelles il vouera toute sa vie et qu'il chérira toujours. Robert est sans façade, il aime le vrai, le bon et le droit. D'ailleurs il entre à la Faculté de Droit - comme Flaubert ! - puis la quitte, comme Gustave. le droit est trop froid pour lui. Son destin est ailleurs.

Un moment militaire durant la guerre de 1870, nous le suivons aux côtés des lettrés de son époque, dans l'élaboration de ses romans, de ses poésies, qui remportent du succès, notamment Jeanne Avril et le Petit Margemont, dans la rédaction de ses articles parmi les journaux et revues, côtoyant « les journalistes » parmi lesquels Maupassant.
Robert et sa jolie femme Henriette tiennent un salon et sont reçus, comme Flaubert et les Goncourt, chez la Princesse Mathilde et chez tous les grands de ce monde. Adorateur de Liszt et de Wagner, de Bach, le couple joue du piano et le fameux Vincent d'Indy, intime de notre comte Robert se voit offrir des vers pour accompagner diverses pièces musicales. En revanche Debussy ne convainc point le romancier, du fait sans doute de sa modernité : Robert demeure « un classique » !

Henriette est appréciée pour son intelligence et sa beauté (en témoignent les tableaux de peintres connus, notamment Jacques Blanche) - sa courtoisie, sa générosité, sa culture, - elle est une figure de mode et porte des bijoux de Lalique - tandis que le pauvre Edmond de Goncourt s'inquiète de la voir poser ses jolies mains sur ses bibelots japonais quand celle-ci lui rend visite ! Sacrée mondaine !

Mais le succès et l'aisance ne sont pas synonymes de bonheur durable : bientôt la dérive menace. Des dépenses de toutes sortes malgré une importante fortune et des rentes régulières. Trop de prodigalités, et pas assez de travail de la part De Robert peut-être, dont l'inspiration littéraire s'échappe ou s'amollit au fil des ans. Sans doute est-il atteint de quelque dépression mélancolique très grave, qui l'empêche d'être fort et de produire davantage, de se rendre compte aussi qu'il a trop dépensé en voyages, en tableaux, en bijoux, en réceptions, en excentricités aussi. le commun ne lui sied guère, il a voulu partir aux Indes en voyage de noces, comme il s'en expliquera.
Souvent nous l'avons vu se poser des questions métaphysiques, douter de lui-même et du genre humain. Il se sous-estime sans doute. Ou bien est-il trop sévère envers lui-même ? Mais comment, dans ce Paris illustre, rivaliser avec Hugo, Zola ou Flaubert ? Et il y a de grands poètes tels que Mallarmé et Valéry…. Aussi le couple est-il obligé de vendre des biens et des immeubles de grande valeur.
Hélas très rapidement la gravité du mal dont souffre l'homme de lettres se confirmera par une entrée à l'Hospice des Frères St Jean de Dieu. le jour même de ses 55 ans on trouve, en-dessous de la chambre étroite où il se tenait, son pauvre grand corps à terre. Robert est mort.
Ruinée, Henriette va vivre chez sa mère et décède trois ans plus tard, minée en grande partie par le chagrin. Henri de Régnier, l'ami intime De Robert, qui lui avait promis une biographie ou quelque grand ouvrage pour l'immortaliser, n'a point tenu ses promesses. Après la mort de l'écrivain, personne ne s'est souvenu de lui. Aucun de ses amis n'a honoré sa mémoire.
Heureusement qu'il restait encore un Patrick terrassant le dragon de l'oubli, pour ressusciter Robert et sa femme et toute cette fin de siècle mémorable ! Bonnes lectures à tous ! Vous allez être comblés, comme moi !

Tous mes remerciements vont à Nicolas Babelio et aux Éditions Honoré Champion pour ce superbe ouvrage.
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Dès le début de la lecture, j'ai été impressionnée par la qualité du travail de recherche effectué par l'écrivain Patrick de Bonnières.
Toutes les références sont soigneusement reportées et l'auteur annonce clairement ce qu'il suppose sans pouvoir le prouver.
Passé l'avant-propos qui donne un aperçu des activités de Robert de Bonnières au cours de sa vie – poète chroniqueur écrivain- de ses relations -auteurs, artistes, familles nobles- de son épouse Henriette avec lequel il tenait salon, le livre passe ensuite plus classiquement à un cheminement chronologique.
J'avoue avoir eu un peu peur au départ de ce livre, face au nombre de personnalités évoquées dans l'avant-propos, d'être dans un catalogue des relations de Robert de Bonnières. Par la suite, j'ai réalisé que cela permettait de se rendre mieux compte de la place que celui-ci avait eu dans la société culturelle de la fin du 19 -ème siècle, entouré de Guy de Maupassant, Emile Zola, André Gide, Leconte de Lisle, Alphonse Daudet , les frères Goncourt De bien d'autres…
Le premier chapitre est plus spécialement consacré à la généalogie élargie de
Robert de Bonnières de Weyre, en passant par ses parents, oncles et tantes, liens avec les conjoints des uns et des autres, tous de noble appartenance, par filiation ou par érudition.
La plus grande partie du livre m'a intéressée, l'ajout de textes de l'époque amenant du relief à l'écriture. La scolarité de Robert de Bonnières au collège Stanislas est accompagnée de lettres envoyées par sa mère, qui s'inquiète de ses penchants pour la poésie française. Il rencontre au cours de celle-ci le musicien Vincent d'Indy, son meilleur ami, qui mettra d'ailleurs en musique certains de ses textes. On suit ses années dans l'armée via des courriers de nouvelles données par André de Bonnières.
De retour de la guerre, Robert de Bonnières reprend ses activités littéraires et écrit des chroniques, dont de nombreux portraits de personnalités de l'époque, politiques ou culturelles, pour Le Figaro puis pour le Gaulois. Sa plume est à la fois redoutée et admirée. Il fréquente de nombreux salons où se retrouvent ceux qui font la vie culturelle de l'époque, poètes écrivains et peintres.
A partir de son mariage avec Henriette Arnaud-Jeanti, le livre prend une autre tournure, comme si sa vie culturelle cédait le pas à une vie essentiellement mondaine. Les journaux de l'époque parlent beaucoup de la présence du couple à des mondanités, de l'élégance de Mme Robert de Bonnières, mais le nombre d'articles diminue de façon drastique. Robert de Bonnières semble plutôt se consacrer à sa carrière d'écrivain, mais il y a peu de reprises de textes de ses livres, malgré la bibliographie significative qui figure en fin de l'ouvrage.
J'ai moins aimé les chapitres de cette période de leur vie, trop de descriptions de soirées, de concerts, de fêtes, de liste de participants.
On retrouve par la suite essentiellement des nécrologies rédigées par Robert de Bonnières en hommage à d'anciens amis disparus, des lettres de soutien à de jeunes écrivains, mais plus d'écrits personnels, la source étant tarie par le doute de Robert de Bonnières concernant ses capacités littéraires, et l'inquiétude face à la diminution des finances du couple, mises à mal par des années de train de vie démesuré.
Description d'une époque, ce livre sur Robert de Bonnières évoque également les questions de religion, de patriotisme, de politique et d'évolutions des moeurs. Un beau livre, très documenté, agrémenté de photos du couple, mais pas forcément facilement accessible vu le niveau d'érudition global !
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Lorsqu'elle arrive le dimanche vers cinq heures, Julia Daudet observe, «dans l'atmosphère enfumée des cigares de la journée», les quelques présences féminines, l'écrivaine espagnole Emilia Pardo-Bazan, la comtesse Greffulhe et «Mme Robert de Bonnières, parant des plus jolies toilettes sa beauté botticellienne». Si, chez Concourt, les femmes sont admises à embellir les fonds, le charme n'opère cependant pas longtemps sur le maître bougon qui s'agace devant sa gracieuse visiteuse à qui il dévoile ses collections d'ivoires japonais :

En voyant touchoter avec des doigts si bêtes mes bibelots par ce joli petit animal qui s'appelle Mme de Bonnières, j'étais furieux de montrer ces choses à pareille femmelette et je me demandais si je n’aurais pas dû être un collectionneur incognito, un collectionneur pour moi seul et sans que personne s'en doute. L’ignorance, l'ignorance de cuisinière de cette petite femme, qui a des prétentions à l'art, à la littérature, est vraiment extraordinaire. Elle a commencé à s’écrier en se penchant sur les gardes de sabre : «Ah ! voilà les entrées de serrure ! » Puis quelques instants après, en apercevant la vitrine des netskés: «Voyons un peu les manches de parapluie ! »

Emporté par sa misogynie coutumière, Goncourt s'est déjà risqué à prédire: «La curiosité dufas et du nefas parisiens mènera loin la jolie petite Mme de Bonnières. La toute nouvelle mariée, qui va finir sa soirée du grand monde au Chat Noir, est prédestinée à l'adultère dans un avenir prochain. »

Clairvoyance ou médisance de Goncourt ? Nous verrons.
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Alors que le doute l'étreint, un article de Bernard Lazare - celui peut-être qu'il destinait à l’Événement - paraît dans le Supplément littéraire du Figaro. Lazare y donne une idée exacte du talent dont Bonnières semble ne plus se satisfaire :

On parle souvent d'un certain esprit français qui serait net, un peu sec, élégant et correct, spirituel et d'une certaine étroitesse, esprit charmant, d'une belle ligne, apparié parfaitement aux jardins que dessina Lenôtre, d'une rectitude et d'une raideur même qui n'est pas sans grâce.

M. de Bonnières est assurément dans la tradition de cet esprit et il fait tout pour s'y maintenir.

[...]. Il n'a pas l'amour de la métaphysique, il la trouve trop brumeuse et trop lointaine ; il a même de l'éloignement pour les idées générales. Aussi, il a peint les hommes dont il parlait et il s'est ingénié à restituer leurs sentiments par leurs gestes, par les actes de leur vie et non par des raisonnements.

Cette préoccupation l'a poursuivi dans ses romans ; ils y ont gagné de la précision et de la sécheresse, mais ils n'y ont pas acquis de profondeur; ce sont des dessins au trait, mais ils sont privés d'atmosphère. Il en est de même pour ses vers ; ils sont classiques et clairs, ils coulent de la source où s'abreuvèrent Boileau, Voltaire et Béranger ; mais cette source n'a jamais été l'Hippocrène.

C'est que M. de Bonnières n'est pas un lyrique ni un imaginatif : c'est un conteur délicat, un essayiste discret, et surtout un bon écrivain. L'éloge n'est point commun.
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UNE MYSTIFICATION

Alors que Robert de Bonnières est en Inde avec sa jeune épouse - un voyage qui n'est pas passé inaperçu dans la presse parisienne - paraissent dans le Gaulois, du 13 février au 22 avril, donc avant la publication par le Figaro des premières Notes de Bonnières, sept Lettres de l'Inde, signées «Nirvana», précédées, le 9 février, d'un avertissement :

Nous sommes heureux d'annoncer une véritable surprise à nos lecteurs.

Un de nos amis, écrivain des plus distingués, qui voyage aux Indes, nous a promis de nous envoyer, sur ce mystérieux, merveilleux et encore très inconnu pays, une série de lettres, qui seront des études très profondes et en même temps très pittoresques de la vie sociale, politique, religieuse et philosophique des Indes. [...] La première, qui, nous télégraphie-t-on, est, depuis plusieurs jours, partie de Colombo, contiendra le récit d'une entrevue avec Arabi-Pacha, prisonnier des Anglais.

Curieusement, au moins au début de son périple, l'auteur de ces Lettres suit les mêmes étapes, à la même date que les Bonnières et y fait les mêmes rencontres : la confusion est donc aussi informée que volontaire. Robert de Bonnières connaît-il alors l'identité de l'auteur de ces récits qu'on dirait chatoyants de couleur locale ? Celui-ci n'est autre qu'Octave Mirbeau qui, lui, n'a jamais mis les pieds en Inde...

(…)

Alors que Mirbeau publie dans le Gaulois des articles anticolonialistes, il a mis sa plume vénale au service d'un politicien du «parti colonial», François Deloncle, l'instigateur de cette supercherie. Ce commanditaire, jugeant la politique de Jules Feny trop timorée aux Indes, espère gagner l'opinion publique contre la présence britannique.
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Pour autant, le désordre politique en France ne justifie pas de recourir à l'aventure. La fondation de la Ligue des Patriotes par Paul Déroulède. l'auteur des Chants du soldat, inspire une grande défiance à Janus: il raille les leçons de tir et de gymnastique et s'étonne que la Ligue n'ait pas même pensé, tant qu'à faire, à «ranimer le patriotisme par la propagation des airs guerriers» :

Je sais bien qu'il n'entre que de bons sentiments dans le cœur des membres de la ligue et qu'ils sont pour la plupart centre-gauches. [...] On est en train de créer une sorte d'association, une sorte de franc-maçonnerie patriotique si vous voulez, que je crois bien plus faite pour troubler l'ordre public qu'utile à la défense de la Patrie. [...] Non, non. Messieurs, ne poussez pas plus avant cette idée de ligue des Patriotes. C'est une idée plus artistique que pratique, plus dangereuse qu'utile où nous ne pouvons vous suivre malgré toutes les sympathies que vous inspirez.

Une fois encore, Robert de Bonnières proteste d'une trop haute idée de la patrie pour la voir s'abimer aux mains d'intrigants, fussent-ils animés des meilleures intentions. Mieux vaut s'en remettre à la tradition : «la Tradition, cette voix divine, comme disaient les anciens, et qui maintient et remet le chanteur dans le ton juste. »

Janus reste «persuadé qu'en politique beaucoup de pessimisme ne saurait nuire».
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(…) Edmond de Concourt a inauguré, le 1er février 1885, son «Grenier», aménagé au second étage de sa maison d'Auteuil, où les rencontres prennent la relève des dimanches de Flaubert dans un décor nettement plus sophistiqué, tendu d'andrinople. Depuis leur retour, les Bonnières sont assidus de ce salon où le vieux maître cultive une atmosphère potinière dont les effluves sont méticuleusement consignées dans le fameux Journal.

« Du monde, beaucoup de monde dans mon Grenier : Daudet, Maupassant, de Bonnières, Céard, Bonnetain, Robert Caze, Jules Vidal, Paul Alexis, Toudouze, Charpentier. Et à la fin de ces réunions toutes masculines, un rien d'élément féminin : les femmes venant chercher leurs maris. et aujourd'hui les rameneuses d'époux, sont Mmes Daudet, de Bonnières, Charpentier. Les femmes font vraiment très bien sur les fonds, et entrent tout à fait dans l'harmonie du mobilier...
Mais la généralité de mon public demande toutefois que les femmes viennent tard, tard, tard. »
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