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EAN : 9782253249245
432 pages
Le Livre de Poche (17/04/2024)
3.89/5   14 notes
Résumé :
“Au dix-huitième siècle, le Grand Tour menait les jeunes aristocrates du nord de l’Europe vers les rivages méditerranéens. Ils allaient parfaire leur éducation et leur connaissance des Humanités. Notre Grand tour, plus modestement, vagabonde dans l’imaginaire européen et invite ses lecteurs aux voyages en montant à bord d’un Trans-Europ-Express utopique - les trains reviennent à la mode, dit-on. Il conte des destins, des villes et des paysages. Il ausculte l’Europe ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Grasset nous a gratifiés, avec bonheur, de cet ouvrage collectif : la présidence française à la tête de l'Union européenne n'ayant pas commencé sous les meilleurs hospices, cet ouvrage tient à nous rappeler les racines de cette union. Politique, économique, avant tout, mais aussi culturelle : et dans la mesure où elle est à l'origine de conséquentes subventions à destination du domaine de l'édition, spécialement des moyennes et petites structures, il est toujours bon de s'en rappeler.

Fort des vingt-sept pays de l'Union Européenne, le maître d'oeuvre de cet ouvrage, l'auteur Olivier Guez ouvre, avec sa préface, la voie aux vingt-sept auteurs respectifs, certains que j'ai pu lire dans le passé. C'est cette diversité de nationalités, dont certaines encore peu représentées dans l'édition française, et spécialement celles est-européennes, qui m'ont donné envie de m'atteler à ce Grand Tour littéraire par la lecture de l'Union Européenne. Pour commencer, il y a Olivier Guez, l'auteur de l'inoubliable et passionnant La Disparition de Josef Mengele. le fait que son roman m'ait laissé une impression très favorable a sans doute favorisé ma décision. Que je ne regrette pas. J'ai beaucoup aimé l'idée de réunir en un ouvrage autant de perceptions différentes de l'Union Européenne qu'elle compte de pays, vingt-sept déclinaisons d'une union basée avant tout sur une union économique, de ce qu'elle provoque dans ces vingt-sept esprits différents, vingt-sept symboles différents. Si le domaine financier est d'abord l'enjeu premier de cette union, on peut considérer ce recueil comme une prolongation de cette union puisqu'il la concrétise sous le point de vue littéraire. J'attendais certaines avec plus d'impatiences que d'autres, les nouvelles baltes, des pays issus de l'ex-Yougoslavie, des Balkans. Mais il y a eu d'agréables surprises, pas forcément celles que j'attendais.

Le recueil est divisé en cinq parties selon la direction qu'a choisi de prendre l'auteur : la première partie Cicatrices se concentre sur le passé des nations. Si on retrouve l'Allemagne en tout premier lieu, on ne s'étonnera pas que Daniel Kehlmann ait choisi un symbole fort du pays divisé, la prison de Hohenschönhaus, qui servit à la Stasi à enfermer ni vu ni connu les prisonniers politiques. On retrouve le même parti pris pour la Finlande et Sofi Oksanen qui a choisi le navire M/S Georg, qui servait à rejoindre la Finlande et l'Estonie. Chypre et la Lituanie. On retrouve un deuxième chapitre, Errance, la France, représentée fièrement par Maylis de Kerangal, la Suède, la Slovénie et la Lettonie. le troisième chapitre, Fantôme, inclut la Pologne, l'Irlande, la Roumanie et la Slovaquie. le quatrième chapitre, Chair, ouvre la voie à l'Espagne, Malte et la Bulgarie. le cinquième chapitre, Villégiatures, présente le Danemark, l'Autriche, la Grèce et les Pays-Bas. le sixième chapitre, Blessures, annonce le Luxembourg, l'Italie, le Portugal et la Croatie. le septième et dernier chapitre, Nostalgie, présente la Hongrie, la Belgique, l'Estonie et la République Tchèque. Chacun des récits de ce recueil mêle la culture et le passé d'un pan du pays avec un présent marqué, entre autres chose, par la présence du Covid, ce qui constitue que l'on veuille ou non un point commun entre les pays. En lisant ce récit, on se rappelle que l'Union européenne, c'est aussi Chypre, Malte, la République d'Irlande, les pays Baltes ainsi que la Bulgarie. Et c'est l'occasion de découvrir des auteurs. Il se trouve que j'en avais déjà lu certains : Sofi Oksanen et le parc à chiens, Kapka Kassabova et Lisière, Rosella Posterino et La goûteuse d'Hitler.

Il y aurait beaucoup à dire sur ces différents chapitres au travers desquels les auteurs recréent chacun à leur façon le lien qui unit leur pays à l'union européenne : si Rosa Postellino a choisi l'angle politique qui fait de son pays une plaque tournante des réfugiés, Maylis de Kerangal a choisi de traiter une page historique à travers les plages normandes du débarquement. D'autres comme l'irlandais Colm Toibin a choisi la figure de proue littéraire irlandaise, James Joyce, et avec succès, ce fut l'un des textes que j'ai préférés. J'ai aimé lire Tomas Venclova expliquer l'identité de la Lituanie d'après ses trois villes principales, Vilnius, Kaunas et Klaipéda, l'auteur grec Ersi Sotiropoulos évoquer le temple de Bassae. Nous avons vingt-sept points de vue uniques et précieux sur le rapport de leur pays à l'Europe, Tomas Venclova présente le sien comme une sorte d'Europe en miniature. Björn Larsson, porte-parole de la Suède, démontre de la position extra de son pays, pour qui l'Europe représente le sud, dont le Danemark est le point de départ. Il y démontre la variabilité du concept même Europe/Union Européenne, où les uns sont à l'euro et pas les autres. le texte de Norman Manea, qui représente la Roumanie, cerne parfaitement bien cet espace géographique, par le biais d'une des région la Bucovine, et ses mouvements migratoires. Vingt-sept perspectives différentes qui forment un kaléidoscope, bien sûr incomplet et partial, de ce territoire dont les racines slaves, scandinaves, latines, germaniques lui donnent sa richesse aussi bien que sa complexité et son ambivalence. À l'image de ce temple grec de Bassae, unique en son genre par cet alliage de « caractéristiques archaïques » aux « tendances novatrices », issu du récit relatif, que l'auteur pose en symbole de l'Européanisme, démocratie, citoyen contre barbares, et qu'il qualifie de « mariage unique d'éléments disparates » : on ne saurait trouver meilleure définition. Cette Union Européenne, quoique morcelée, est finalement unifiée par ses mers, ses fleuves, ses frontières qu'elle est détentrice au fond d'une histoire commune, avant comme aujourd'hui : des frontières au sud et à l'est, qui nous concerne tous.


Je conseille vivement la lecture de cet ouvrage collectif, les textes se lisent rapidement et étant donné la variété des pays et des thématiques, on ne se lasse jamais. On redécouvre certains pays, on en découvre d'autres, la lecture de ce recueil est une expérience culturelle inégalable. J'ai également très apprécié de découvrir ces auteurs que je n'ai pas encore lus – le recueil est en plus doté d'une partie biographique en fin d'ouvrage – et que j'aimerais appréhender plus amplement ultérieurement. Peut-être que je prendrai le temps de consacrer un post pour chacun de ces textes, la richesse de chacun des textes s'y prête totalement.


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À l'approche des résultats du premier tour de la présidentielle, où l'Europe pourrait vivre ses dernières heures, en pleine guerre sur le front de l'est, le Grand Tour ouvrait certaines portes. Olivier Guez a ainsi réuni vingt-sept écrivains représentant chaque État membre pour tenter une certaine Union européenne et culturelle. Cette chronique demeure difficile tant les mots d'Olivier Guez sont d'une lucidité et d'une justesse déconcertante. Je n'aurais pas touché une seule virgule de sa vision d'une Europe qui n'a pas su saisir l'opportunité, à la sortie de la seconde guerre mondiale, d'un nouvel élan. de cette peur de notre identité européenne, d'affirmer haut et fort que nous faisons partie d'un collectif. Alors oui, l'Europe n'a pas été exemplaire à bien des égards, oui chaque État a accepté de réduire sa souveraineté et de se soumettre aux juridictions européennes. Mais l'Europe pourrait s'attaquer au problème culturel dès le plus jeune âge pour créer des aspérités nouvelles.

La France qui préside depuis quelques mois l'Union Européenne devra à travers son nouveau ou actuel visage, renforcer ses liens avec les États membres et faire bloc. Elle qui pensait qu'une guerre sur son propre sol ne pourrait plus qu'être une utopie… le danger sommeille pourtant à tout instant. À travers les figures tutélaires que sont Imre Kertesz et Milan Kundera, cet ouvrage apolitique éblouit par sa richesse tant littéraire qu'intellectuelle. Ce dernier prônait alors un « maximum de diversité dans un minimum d'espace ». J'ai parfois levé les yeux pour m'en imprégner, j'ai relu de nombreux textes à travers j'ai pu passer à coté parfois, et puis dans son ensemble tout s'est éclairé. Au XVIII ème siècle, existait déjà un grand tour, avec certains aristocrates qui traversaient l'Europe pour s'enrichir personnellement.

27 autrices et auteurs aux langues, aux histoires, aux passés différents, pour se concentrer sur un lieu, une époque qui fait Europe. Des errances, des villégiatures aux fantômes, de la chair aux blessures, des cicatrices à la nostalgie, sept chapitres composent cette Europe qui fait foi littéraire en opposition à cette Europe parfois trop technocratique qui n'a plus d'âme. Cet ouvrage réaffirme la mémoire collective de totalitarismes, de dictatures incessantes et d'un communisme pesant.

Sur 27 textes, certains ont été de véritables claques. Tomas Venclova pour la Lituanie qui affirme « Les pays de l'Europe ne sont jamais à l'unisson, mais dans l'ensemble ils sont en harmonie les uns avec les autres ». Trois capitales, trois mini pays qui déjà sont si différents ne peuvent être qu'une difficulté supplémentaires à l'échelle européenne. Chaque barrière physique ou morale éloigne pas à pas les peuples les uns des autres. Et pourtant Olivier Guez a réussi à diriger un ouvrage qui petit à petit rassembles les voix littéraires à l'autre bout d'une Europe de plus en plus morcelée par les guerres.

Puis il y a le brillant Björn Larsson qui débute son texte par cette particularité qu'en Europe 47 zones où se heurtent trois nations pour le plaisir de visiter « trois pays en trois minutes ». Avec sa patte suédoise, il distingue bien la notion européenne de tous ses avatars sémantiques, il exerce avec sagesse, le droit d'interroger les trois pays scandinaves. l'identité européenne n'est pas encore au firmament de l'unanimité où les trois peuples se renvoient la balle d'une appartenance quelconque. « l'identité est une mosaïque qui se forge à travers une vie ».

Enfin il y a Agata Tucszynska qui nous raconte le ghetto de Varsovie, les réfugiés, la famine, l'enfermement. À chaque texte, je me suis interrogé sur l'inquiétante modernité de tous ces destins. Je n'en ai extrait que trois sur vingt sept et pourtant bien plus sont capitaux pour comprendre ceux qui nous entourent. Ces européens parfois un peu forcés, que nous ne regardons que d'un lointain coin d'oeil, qui sont pour certains une menace, pour d'autres des voisins à qui on irait bien demander du sel.

Avec chacune de ces voix, j'ai croisé beaucoup de langues grâce aux traducteurs que l'on doit chaque jour remercier. J'ai vu grâce à ces 27 plumes, tous ces êtres humains qui sont totalement différents de ce que je suis. J'y ai vu beaucoup de langues, de coutumes, de destins croisés, de ressemblances, en somme : du commun.
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Vous vous sentez européen(ne), vous ? Moi, si on me pose la question, je réponds « oui ». Sans hésiter. Mais sur quoi ce sentiment se fonde-t-il ? Ma langue, mes habitudes, ma culture, me définissent avant tout comme française. Cette identité-là s'incarne quotidiennement dans mes paroles et dans mes gestes. Alors, être européen, qu'est-ce que c'est ?

L'Europe, ce sont des contours géographiques, une monnaie commune, un marché économique, des institutions. Certes. Mais comment cet ensemble peut-il réellement fonctionner s'il ne s'appuie pas sur de solides fondations ? C'est-à-dire sur un socle culturel partagé, sur une dimension sensible et affective, en somme, plutôt que sur des organes exclusivement administratifs ?

A l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, Olivier Guez a demandé à 27 écrivains - un par Etat membre - d'écrire un texte dont la seule consigne était « de relater un lieu qui évoquerait un lien de leur pays avec la culture et l'histoire européennes ». Il en résulte un recueil tout à fait passionnant qui permet d'entrevoir ce que, du point le plus septentrional de la Finlande à un village de Malte et de l'extrême est de la Lettonie à ce cap portugais où finit la terre, nous pourrions avoir en partage.

Ce qui est frappant, à la lecture de cet ouvrage, c'est de constater combien l'histoire de ce continent s'est écrite sur des drames. Les souffrances dues aux deux grandes guerres et à la Shoah sont encore très vivaces dans les esprits, et les lieux qui en recueillent la mémoire, omniprésents. Sans oublier l'esclavage, ainsi que le rappelle la Portugaise Lidia Jorge, et le commerce triangulaire grâce auquel certains pays purent autrefois prospérer. Nombre d'auteurs s'en font l'écho.

D'autres évoquent un patrimoine commun, qu'il s'agisse du pain dont la narratrice de la nouvelle signée par l'Espagnol Fernando Aramburu se rappelle avec émotion avoir goûté toutes les variétés à l'occasion de ses voyages, ou des mouvements artistiques qui se sont mutuellement inspirés, à l'instar des peintres danois croqués par Jens Christian Grøndahl qui, à la fin du XIXe siècle, vinrent découvrir à Paris une autre manière de travailler la couleur.

Evidemment, le point de vue varie selon que l'on a affaire à un auteur solidement ancré dans son pays d'origine ou à un autre ayant sillonné le continent, vivant tantôt ici, tantôt là. le Suédois Björn Larsson est de ceux-là, qui voit davantage de points communs entre deux pêcheurs officiant l'un au Guilvinec et le second dans un petit port danois qu'entre un citadin de Paris et un autre de Copenhague : leur métier et leurs expériences les rapprochent.

Dans un recueil de nouvelles, et plus encore lorsque celles-ci sont l'oeuvre de différents auteurs, les textes peuvent paraître inégaux. Aussi chaque lecteur sera-t-il plus réceptif à l'un ou à l'autre. Olivier Guez a néanmoins su dégager quelques lignes de force permettant de donner de la cohérence à cet ensemble.

En ce qui me concerne, je dirais que les textes qui m'ont paru les plus intéressants sont les plus personnels, ceux qui relèvent d'une expérience ou d'une perception intime de l'espace qu'il s'agissait de circonscrire. Je regrette que certains auteurs aient opté pour un ton plus distancié, tenant davantage de la notice historique que du récit original et singulier. Mais heureusement, ceux-ci sont minoritaires.

En revanche, j'ai fait quelques belles découvertes, en premier lieu Larsson – qui, je l'ai appris en me baladant sur le Net, a traduit Vallès ! – dont j'ai fort apprécié la qualité d'analyse et la finesse du propos. Ces lectures m'ont donné une furieuse envie de faire plus ample connaissance avec des auteurs dont je n'avais même jamais entendu parler ! Là n'est pas la moindre des qualités de ce livre excellemment préfacé par Olivier Guez, qui présente un large panorama d'une littérature européenne. Un formidable point de départ pour voir enfin palpiter le coeur de notre Europe !


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Une idée extrêmement intéressante.
Alors que je ne suis pas un fan des nouvelles et que ces courts textes s'y apparentent, je n'ai nullement ressenti ceux-ci comme des nouvelles mais plutôt comme un moment que chaque auteur me consacrait.
Le choix de regrouper ces écrits par thème m'a beaucoup séduit, l'ensemble des textes rassemblés dans un chapitre donnait une atmosphère commune qui a probablement participé que je n'ai pas ressenti ces lectures comme des nouvelles, l'ambiance se poursuivant d'un texte à l'autre.

J'ai trouvé l'ensemble très inégal mais je pense que cela est dû à ma sensibilité qui m'a fait trouver ennuyeux "Errances" que j'ai trouvé trop onirique alors qu'à l'opposé j'ai beaucoup apprécie "cicatrices" nettement plus en relation avec la réalité des choses.

C'est un ouvrage intéressant qui n'apporte rien sur l'histoire de l'Europe ou alors sur quelques très petits points. Il s'agit bien d'une compilation de regards sur l'Europe en offrant un éventail d'auteurs étrangers composant l'Europe.

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Quelle bonne idée : un récit, un souvenir, une tranche d'histoire, une anecdote ou une réflexion par un(e) écrivain(e) de l'Union Européenne ! Vingt-sept auteur(e)s ; toute la diversité de l'Europe ou presque.
Je n'ai pas trouvé tous les textes à mon goût, forcément, mais je ne regrette pas ce voyage à travers le temps et l'espace de mon continent. J'ai aimé longer les remparts de Tallin, découvrir la Bucovine, parcourir le siècle dernier le long des côtes croates, connaître les hauts et les bas de l'industrie textile de Brno, regarder l'immensité de l'océan comme Henri le Navigateur. J'ai ressenti de la colère en lisant les atrocités subies par les juifs de Varsovie et de la tendresse pour la mélancolie de tel ou telle autre héros de ces courtes productions. Un beau tour d'Europe.
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critiques presse (2)
LaCroix
04 mai 2022
27 écrivains, un par État membre de l'UE, donnent leur vision littéraire de la culture européenne. Une invitation à réfléchir au prix des libertés.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeFigaro
26 avril 2022
L’écrivain publie un ouvrage collectif, forme d’autoportrait de l’Europe par vingt-sept écrivains européens. Une ode à la culture du Vieux Continent injustement délaissée à ses yeux au profit d’un projet technocratique.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Je marche dans la vieille ville de Tallinn pendant le coronavirus, et c’est là encore une expérience inédite. Je ne vois plus les touristes que déversaient les paquebots de croisière, et pas davantage les autochtones. Je me souviens que la vieille ville avait ce même aspect dans les années 1980, avec ses rues pavées désertes, ses façades délabrées, l’écho des pas d’un marcheur solitaire, le linge qui séchait dans les cours. La masse grisâtre des bâtiments du XIVe siècle, les flèches des clochers gothiques fichées dans le ciel gris. Les heurtoirs en bronze et les bas-reliefs ornant les portails : croix, coupes, grappes de raisin. Et les remugles de cantine par-dessus tout cela, de poisson surtout. Le poisson à la polonaise, façon soviétique. Au début du XXIe siècle, ces odeurs ont disparu. Les gens, eux aussi, ont disparu quelque part. La vieille ville n’appartient plus qu’à elle-même, totalement autonome.

Quand l’Estonie a recouvré son indépendance, il lui a fallu prouver, aux yeux de l’Occident, qu’elle faisait bien partie de l’Europe. Cela nous paraissait étrange, car l’Europe avait été notre environnement pendant des siècles, bien plus longtemps que n’avait duré notre Première République. Nous avions fait partie de l’ancienne société féodale. Tallinn, ville hanséatique, avait été édifiée par des artisans rhénans. C’était un paradoxe de l’Histoire : les bâtiments et les remparts de construction germanique étaient devenus, durant la seconde moitié du XXe siècle, partie intégrante de la résistance spirituelle des Estoniens.
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J’ouvre lentement les yeux. Puis je les referme aussitôt. Je vois devant moi ce bleu qui me rappelle sans cesse le continent ; ce bleu est le lien avec l’Europe, il est également ce qui sépare de l’Europe. Avant Skorba, le bleu nous a portés, nous a amenés – le bruit, le silence du sable, le sourire du vent. Avant Skorba, nous sommes arrivés sur cette terre et la terre nous a accueillis sans le moindre bruit. Ce jour-là nous nous sommes dit que la mer avait bien voulu nous porter jusqu’ici et que cette terre allait nous garder. Ce jour-là. Nos yeux étaient grands ouverts car nous ne voulions rien rater de ce qu nous entourait.

Ce jour-là.

Aujourd’hui je ferais mieux de garder les yeux fermés.

MALTE, LE VILLAGEOIS DE SKORBA OU CE QUE JE DEVAIS ENVOYER À MONSIEUR GUEZ, PAR IMMANUEL MIFSUD
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Nous sommes façonnés par des générations d'absents dont nous avons hérité les talents et les faiblesses, la couleur des yeux ou des cheveux, l'attachement à la terre ou à l'eau. Agata Tuszyríska
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Je serai bientôt persuadée que ce qui n'est pas écrit existe moins. Qu'avec le temps, cela cesse d'exister. Que les destins non-écrits restent inconnus.

Page 135
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La disparition de Josef Mengele
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