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Valérie Rouzeau (Traducteur)
EAN : 9782070765973
128 pages
Gallimard (11/06/2009)
4.08/5   161 notes
Résumé :
Ariel, génie de l'air de La Tempête de Shakespeare, est aussi le nom du cheval blanc que montait à l'aube dans le Devon, en Angleterre, l'un des plus extraordinaires poètes du XX siècle, Sylvia Plath, aux derniers mois de sa courte vie.
Ariel, borne décisive marquant un "avant" et un "après", parole intense jusqu'à la rage parfois, question de vie ou de mort. Ariel, jusqu'au bout, l'extrémité du dernier souffle.
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Il est difficile de parler de ce recueil sans évoquer le contexte dans lequel il a été écrit...Publié à titre posthume en 1965, deux ans après le suicide de Sylvia Plath, il est sa dernière oeuvre poétique, et le reflet profond de sa détresse intérieure, de sa folie transcendée par son génie créateur , de l'appel ultime de la mort.

Mais j'aimerais me détacher de tout ce qui a fait d'elle une légende, la femme écrasée sous le joug masculin ( son mari, poète lui aussi, vient de la quitter au moment où elle écrit les poèmes d" Ariel"), figure du féminisme, la femme bipolaire, écrasée par ses troubles psychiques et qui s'en libère par l'écriture jusqu'au surmenage.

Si l'on ne regarde que les mots, le texte pur, que voit-on ?

Pour moi, ce qui est frappant, c'est la puissance , la brutalité même, des images, leur nouveauté saisissante: " Si le sang jaillit, c'est la poésie
Rien ne peut l'arrêter"
ou " Je suis cette demeure hantée par un cri.
La nuit ça claque des ailes
Et part toutes griffes dehors, chercher de quoi aimer."

Mais il n'y a pas que la violence du désespoir dans ce recueil, l'humour, la tendresse sont bien présents aussi.

Humour et même auto-dérision , je pense en particulier à cette coupure au pouce dont elle parle ainsi: " D'un coup tran-
Ché mon pouce, coupé pour un oignon.
L'extrémité presque arrachée
Retenue par comme un chapeau."

Tendresse pour ses deux enfants. J'aime beaucoup le poème " Chant du matin" dont voici quelques vers évocateurs:

" Toute la nuit ton souffle de papillon
Vibre au milieu des roses toutes roses.Je m'éveille et j'écoute:
Un océan lointain roule dans mon oreille"

L'ironie sur soi-même n'est pas loin car elle écrit ensuite :
" Un seul cri et je saute hors du lit, trébuche , bovine et florale
Dans ma chemise de nuit victorienne"

Cependant, " l'eau noire" de la mort, elle n'y résistera pas:
" Et je
Suis la flèche,

La rosée suicidaire accordée
Comme un seul qui se lance et qui fonce
Sur cet oeil

Rouge, le chaudron de l'aurore"...

Entrez dans l'univers singulier, hanté de Sylvia Plath, ne vous laissez pas détourner par l'aspect angoissant, déprimant peut-être de ses images, et vous découvrirez des textes foisonnant d'originalité et de force , un monde intérieur certes tourmenté mais tellement riche et unique !
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De son expérience tragique, Sylvia Plath crée une poésie dont l'esthétique provoque en chacun de nous des bouleversements profonds qui vont chercher ce que l'on cache. Ses poèmes sont une fenêtre sur le monde intérieur, sa douleur et sa folie et nous autorisent à être nous-même fous, souffrants, coléreux et passionnés. Les images y sont magnifiques, pleine de vie et même d'humour, la mort est là pour fournir les demi-tons de noir et les contrastes « Toi… douillet comme un bourgeon et content comme un hareng dans de la marinade … sautillant comme un haricot mexicain ». Traversé par les thèmes du suicide, de la perte du père, de la mort, Ariel est plus facile à comprendre quand on connaît la vie de Sylvia Plath. Sa poésie s'enracine dans son vécu intime, notamment dans l'expérience de la perte de son père qui meurt lorsqu'elle a 8 ans. Douée et bipolaire, Sylvia alterne l'allégresse et la profonde détresse tout ceci en écrivant sans cesse de la poésie. Après une tentative de suicide à 20 ans, elle obtient une bourse d'études pour une prestigieuse université en Angleterre. Elle y rencontrera Ted Hugues dont la poésie est déjà reconnue. Après leur séparation, elle se suicide, elle a 30 ans et deux enfants. Ce recueil est écrit durant l'année qui précède son suicide. Il retrace sa passion amoureuse pour Ted « amour, amour voici venue ma saison » et la détresse prémonitoire qui la conduira à la mort « je n'ai que trente ans … Voici la mort numéro Trois. Quelle blague d'anéantir chaque décade ». On y retrouve aussi l'image obsédante des camps de concentration « Un train, un train qui m'entraîne comme un juif. Un juif à Dachau, Auschwitz, Belsen » et de l'horreur de la guerre de 40 qui l'interroge sur les origines allemandes de son père « Tu n'es pas Dieu mais une swastika si noire qu'elle étouffe le ciel ». Tout est puissant chez cette belle femme blonde souriante et suicidaire.
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« Ariel » est un recueil de poèmes de l'américaine Sylvia Plath (1932-1963), traduit par Valérie Rouzeau (2011, Gallimard, Poésie, 128 p.). Cette version des poèmes n'a été publiée que de façon posthume en 1965 par son mari, Ted Hughes. On pourra lire ses « Oeuvres Poèmes, romans, nouvelles, contes, essais, journaux » traduits par Patricia Godi (2011, Gallimard, Quarto, 1280 p.). Son dernier poème connu, « Edge » (Le Bord) fait figure de testament prémonitoire. Sylvia Plath est tout de même été la première poète à gagner le « Pulitzer Prize » à titre posthume pour « The Collected Poems », mais c'est en 1982.
Sylvia Plath est née dans la banlieue de Boston d‘un père, immigré allemand et une mère d'origine autrichienne. À la mort de son père, elle a ce mot « Je ne parlerai plus jamais à Dieu ». Après ses études secondaires à la « Gamaliel Bradford High School », elle est acceptée dans l'une des meilleures universités américaines réservées aux femmes, le « Smith College » à Northampton, à proximité de Boston, où elle fait sa première tentative de suicide en 1953. Elle est admise dans une institution psychiatrique et semble montrer des signes de guérison satisfaisants obtenant son diplôme en 1955 avec la mention honorifique. Elle écrit des poèmes, et écrit des articles pour le magazine « Mademoiselle » dont elle devient éditrice.
A Londres, elle se marie avec le poète Ted Hughes, où le couple s'installe. Puis le couple repart vivre deux ans aux États-Unis, de 1957 à 1959. Deux enfants, Frieda et Nicholas. En 1962, elle retourne s'installer à Londres avec ses enfants. Elle loue un appartement dans une maison autrefois occupée par le poète irlandais William Buttler Yeats. Mais en 1963, elle se suicide au gaz. Après son suicide, elle devient une figure emblématique dans les pays anglophones, les féministes voient dans son oeuvre l'archétype du « génie féminin écrasé par une société dominée par les hommes ».
Un seul roman en prose, écrit juste avant son suicide et publié en 1971. le roman est publié sous le pseudonyme de Victoria Lucas et sous le titre de « The Bell Jar » (1963), traduit par Michel Persitz sous le titre de « La Cloche de détresse » (2023, Gallimard, L'Imaginaire, 288 p.). Cette traduction révisée par Caroline Bouet, est accompagnée d'une préface de Jakuta Alikavazovic, et d'une note biographique par Lois Ames.
Il est difficile de lire Sylvia Plath, sans avoir en tête sa vie, ou plutôt son suicide à 31 ans. La mort de son père quand elle avait 8 ans, puis la dépression, son traitement par électrochocs suivi d'une tentative de suicide à 20 ans, et enfin, répétant son suicide à 31 ans. le tout sur fond de violences et d'infidélité conjugale qui occupent une place de plus en plus importante.
Ainsi, « Ariel » c'est le génie de l'air dans « La Tempête » de Shakespeare. C'est aussi le nom du cheval blanc que Sylvia adorait et montait à l'aube dans le Devon, en Angleterre.
Le poème est plein de consonances, c'est-à-dire de consonnes rimées, et des assonances, ou voyelles rimées, le tout mixé avec des demi-rimes ou inclinaison, et des rimes principales qui forment des allitérations. « Stasis in darkness. / Then the substanceless blue / Pour of tor and distances. // God's lioness, / How one we grow, / Pivot of heels and knees! -The furrow // Splits and passes, sister to / The brown arc / Of the neck I cannot catch ». (Un moment de stase dans l'obscurité. / Puis l'irréel écoulement bleu / Des rochers, des horizons. // Lionne de Dieu, / Nous ne faisons plus qu'un, / Pivot de talons, de genoux ! -- le sillon // S'ouvre et va, frère / de l'arc brun / de cette nuque que je ne peux saisir). Sylvia Plath utilise systématiquement l'enjambement, avec des vers qui se brisent avant leurs points d'arrêt naturels. « D'un coup tran-/ ché mon pouce, coupé pour un oignon. / l'extrémité presque arrachée / retenue par comme un chapeau ». Cet effet produit un sentiment de précipitation, comme si le lecteur montait également sur ce cheval incontrôlable. Mais s'y ajoute une forme d'humour qui fait contraste, par moments, avec la noirceur de sa vie. « Toi… douillet comme un bourgeon et content comme un hareng dans de la marinade … sautillant comme un haricot mexicain ». Avant le retour aux noires idées et l'image obsédante des camps de concentration « Un train, un train qui m'entraîne comme un juif. Un juif à Dachau, Auschwitz, Belsen » et de l'horreur de la guerre. Surtout l'interrogation sur les origines allemandes de son père « Tu n'es pas Dieu mais une swastika si noire qu'elle étouffe le ciel ». La couleur rouge souvent associée aux fleurs comme dans « Tulipes », qui évoquent des bouches en sang. « The tulips are too red in the first place, they hurt me. / Even through the gift paper I could hear them breathe / Lightly, through their white swaddlings, like an awful baby ». (Et d'abord ces tulipes sont trop rouges, elles me font mal. / Même dans le papier cadeau je les ai entendues respirer / Dans leurs langes blancs, comme un bébé affreux).
« Berck-Plage » évoque crument un enterrement avec le cercueil, le chagrin, la mise en terre. « This is the sea, then, this great abeyance. / How the sun's poultice draws on my inflammation. / Electrifyingly-colored sherbets, scooped from the freeze / By pale girls, travel the air in scorched hands. / Why is it so quiet, what are they hiding? / I have two legs, and I move smilingly / […] / This black boot has no mercy for anybody. / Why should it, it is the hearse of a dad foot, / The high, dead, toeless foot of this priest / Who plumbs the well of his book, / The bent print bulging before him like scenery». (C'est donc cela, la mer, cette immensité hors d'usage. / le cataplasme du soleil ne peut rien contre ma brûlure. / Dans l'air fusent les couleurs électriques de sorbets / Puisés dans la glace par les mains gercées de filles blêmes. / Pourquoi est-ce si calme, que veut-on nous cacher ? / J'ai mes deux jambes et le sourire pour avancer. / […] / Cette botte noire n'a aucune pitié pour personne, / C'est le corbillard d'un pied mort, / le noble pied mort et amputé de ce prêtre / Qui sonde maintenant le puits de son livre, / le paysage en relief des caractères imprimés).
Quatre poèmes regroupés sur les abeilles dénotent par une tonalité un peu différente « The Bee Meeting » (L'assemblée aux abeilles) « The Arrival of the Bee Box » (Livraison de la boîte aux abeilles), « Stings »(Piqures) et « Wintering » (Passer l'hiver). Dans le premier, «Square as a chair and almost too heavy to lift. / I would say it was the coffin of a midget / Or a square baby » (Carré comme une chaise et presque trop lourd à soulever. / Je dirais que c'était le cercueil d'un nain / Ou un bébé carré), l'idée de la mort est toujours là. La boîte carrée évoque même un cercueil. Dans le dernier, «Wintering in a dark without window / At the heart of the house / Next to the last tenant's rancid jam / And the bottles of empty glitters - / Sir So-and-so's gin » (Hiverner dans le noir sans fenêtre / Au coeur de la maison / À côté de la confiture rance du dernier locataire / Et des bouteilles de paillettes vides - / le gin de Monsieur Untel), c'est l'univers, ou plutôt l‘enfer domestique qui oppresse. On est bien loin des abeilles.

La poésie et la prose de Plath s'inscrivent dans le cadre plus large de l'écriture confessionnelle. C'est un mouvement littéraire essentiel pour amener des sujets personnels ou émotionnels typiquement tabous tels que la sexualité, le suicide et les traumatismes au premier plan de la littérature américaine à la fin des années 1950. Si sa prose, et surtout sa poésie sont reconnus, Sylvia Plath est souvent oubliée dans son rôle de rédactrice de lettres et de chroniqueuse. La publication de « The Letters of Sylvia Plath » en deux volumes qui vont de 1940 à 1956 (2017, Harper, 1424 p.) et de 1956 à 1963 (2018, Harper, 1088 p.) soit près de 2500 pages révèle cette écriture foisonnante. Une partie est traduite en partie par Sylvie Durastanti « Letters Home 1950-1956 » (1988, Des Femmes, Antoinette Foulque, 373 p.)
A propos de la littérature confessionnelle, Christopher Beach qui fait autorité en la matière avec « The Cambridge Introduction to the Twentieth-Century American Poetry » (2003, Cambridge University Press, 224 p.) « le mode du confessionnalisme – que l'on approuve ou non le terme – a servi de modèle aux poètes qui a choisi de rejeter les difficultés modernistes […] en faveur d'une voix plus détendue ou personnelle ». En tant que jeune membre du mouvement, Sylvia Plath exploite le mode confessionnel à son profit, s'inspirant de son propre environnement et écrivant avec une « voix personnelle » c'est le moins que l'on puisse dire. « Je pense que mes poèmes naissent immédiatement des expériences sensuelles et émotionnelles que j'ai vécues. […] Je crois qu'il faut pouvoir contrôler et manipuler les expériences, même les plus terribles, comme la folie ».

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Ariel est le symbole d'un ange surdoué fauché en plein vol.
A l'instar d'un James Dean, Sylvie Plath fut une étoile filante talentueuse que le destin brisa.
Toute sa courte vie, elle sembla hésiter entre deux vies, celle qu'elle vivait et l'existence qu'elle aurait souhaité.
Cruel dilemme inscrit en des mots sensibles, à fleur de peau et parfois en hurlements poétiques comme un cri au secours.
Sa prose portant toujours le sceau d'une ambivalence, d'un paradoxe irrésolu dans son
moi profond.
Ses vers au relent intimiste, nous entraînent dans la vie perdue de l'auteur, alternant quelques éclairs de joie, mais retombant vite dans la mélancolie, la souffrance ou la colère, comme une urgence intérieure ayant un besoin immédiat d'être exhalée sur le papier.
Regrets, incompréhension d'elle-même, insatisfaction face au réel, sont les chemins poétiques qui la guideront. Cependant, malgré l'adversité, elle montra un incroyable labeur d'écriture seule ou en binôme avec son mari le poète Ted Hughes.
Où faut-il chercher son mal-être ?
Fut Elle vraiment cette image que les féministes mirent sur un piédestal iconique ?
C'est sûrement en lisant ses poèmes que vous trouverez la réponse à ces interrogations ?
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Impressions de lecture… Ariel paraît deux ans après que l'auteur ait mis fin à ses jours, à l'âge de trente ans, en se suicidant au gaz. La biographie de Sylvia Plath est fascinante : ses fêlures personnelles qui entraînèrent tentatives de suicide et dépression, le couple mythique qu'elle forma avec Ted Hughes, sa fin tragique et prématurée et son aura posthume de poète majeur du XXème siècle, de figure emblématique pour les féministes. Son vécu a nourri son oeuvre, elle se raconte dans ses écrits avec une lucidité et une honnêteté déconcertantes.

Il est bien sûr difficile de lire de la poésie traduite et il faut aller voir un peu la version originale pour saisir précisément la langue de l'auteur. Mais Valérie Rouzeau, qui assure la présentation et la traduction du présent recueil, relève cette gageure brillamment, cherchant toujours, on le sent, à servir la voix de l'auteur avec ferveur et engagement. L'émotion demeure. L'univers de Sylvia Plath se déplie comme une fresque d'origamis géants enfermés à l'intérieur des pages et qui dressent autour de nous, peu à peu, un décor proche du cauchemar, des terreurs enfantines, des peurs primales… des arbres sombres, des rochers menaçants, une végétation macabre et des sons inquiétants… Comme Gulliver dans le poème éponyme (p.49), le lecteur est capturé dans la toile tissée par l'auteur.

Sa poésie est entêtante, sans doute parce qu'elle fait justement appel à ces images de l'inconscient collectif qui hantent chacun/chacune de nous. Elle nous tend un miroir. L'eau dont la surface a le pouvoir de refléter est d'ailleurs un motif que l'on retrouve dans plusieurs textes. La mort, source ou finitude de toutes les peurs primales, est omniprésente. Au fil des pages, Sylvia égraine ses mythèmes, inlassablement, avec obsession : la maternité (la naissance, contraire de la mort ou peut-être sont-ce plutôt les deux faces d'une même médaille car la mort chez Plath prend des allures de retour à la matrice), le cheval au galop (notons d'ailleurs que le cheval est un animal psychopompe), les hôpitaux et les ambulances, les médecins et les infirmières, les blessures, les cicatrices et le sang. La couleur rouge, lancinante, souvent associée aux fleurs (tulipes, coquelicots) et qui évoquent des plaies, des bouches ensanglantées. Les éléments aussi reviennent à chaque coin de page : l'air, l'eau, la terre, le feu. le vent, le sol, les pierres, le ciel, l'océan qui se déchaînent, qui engloutissent. Plusieurs textes explorent cette idée d'engloutissement, s'enfoncer et se perdre dans le sol, comme les personnes mortes qu'on enterre : « Tulipes » (p.23), « La voix dans l'orme » (p.29), « Gulliver » (p.49). Une imagerie qui rejoint sans doute la peur de la paralysie que Sylvia Plath redoutait comme nous l'indique Valérie Rouzeau dans sa note 14, p.110 ; angoisse qui s'exprime dans le poème Méduse (p.54). Comme je l'ai déjà noté, la pierre, les cailloux, se retrouvent dans nombre de poèmes, la pétrification comme métaphore de la maladie, de la diminution puis de la mort : « mon corps est un galet pour elles » (p.24).

« Berck-plage » (p.35) est un texte puissant et sublime sur le deuil et évoque sans détours les aspects concrets d'un enterrement : le cercueil, le chagrin, le disparu qui devient un saint, l'ensevelissement.

La mort semble être partout autour de l'auteur, en témoigne le texte « La lune et le cyprès » p.56 dans lequel elle décrit ce qu'il y a autour de sa maison, un vieux presbytère qu'elle a acheté avec son mari dans le village de Court Green (ce sont toujours les notes de Valérie Rouzeau qui nous l'apprennent, p.110) et à côté duquel se trouve un cimetière et le cyprès qu'elle voit depuis sa fenêtre. le cyprès, arbre des cimetières, planté depuis l'Antiquité près des buchers et des tombeaux, symbole de vie éternelle car il reste toujours vert. Dans Les Métamorphoses (au livre X) , Ovide raconte l'origine légendaire de cet arbre, voué au funéraire : le jeune Cyparisus, inconsolable de la mort d'un cerf magnifique qu'il a lui-même tué par mégarde demande à Phébus la faveur de pouvoir verser des larmes éternelles ; le dieu le change en cyprès et gémit : « Moi, je te pleurerai toujours ; toi, tu pleureras les autres et tu t'associeras à leurs douleurs ». Ted Hugues, époux de Sylvia Plath et qui lui suggéra d'écrire ce poème, connaissait, sans nul doute, cette histoire, lui qui proposa une réécriture des Métamorphoses, parue en 1997 sous le titre Tales from Ovid. On retrouve le cyprès dans d'autres textes : « Les mannequins de Munich » (p.92), où les cyprès sont directement associés aux hydres et donc à la mythologie antique et « Petite fugue » (p.87), texte dans lequel plane l'ombre du père. Un père très présent dans les écrits de Sylvia Plath, d'abord vénéré puis détesté et rejeté, source de traumatisme précoce, figure inquiétante. À lire, le troublant « Papa » (p.66) dans lequel elle évoque sa tentative de suicide à 20 ans.

Le mythe de la résurrection imprègne l'oeuvre de Plath, notamment dans le texte « Arriver » (p.51). le passage sur terre ne serait-il qu'une traversée d'un territoire ravagé par la guerre, d'un charnier infernal ? Au bout, la promesse d'oubli des eaux du Léthé (fleuve de la mythologie censé apporter l'amnésie à ceux qui boivent ses eaux) afin de redevenir aussi « pure qu'un bébé » (p.53), être innocent, encore épargné.

Quelques textes ont une tonalité un peu différente, notamment les quatre poèmes sur les abeilles (« L'assemblée aux abeilles » p.74, « Livraison de la boîte aux abeilles » p.78, « Dards » p.80, « Passer l'hiver » p.83). « Livraison de la boîte aux abeilles » m'a particulièrement fasciné, elle y décrit un mélange de terreur et de pouvoir, la peur de cette petite armée grouillante d'abeilles et le pouvoir démiurgique de vie ou de mort qu'elle a sur elles : « Demain je suis bonne comme le bon dieu, je les libère » (p.79). L'idée de la mort, bien sûr, est toujours là ; la boîte lui évoque même un cercueil, « le cercueil d'un nain ». Ce texte me semble une sublime expression tout à la fois de la fragilité et de la force de la vie. « Passer l'hiver » (p.83) cristallise pour moi une impression très forte que j'ai eu à la lecture de ce recueil : l'univers domestique versus celui des forces sauvages, aussi inquiétants l'un que l'autre. La maison, la cuisine, les chambres d'hôpitaux contre la nature, la nuit, le vent, le sol qui engloutit. Dans le texte « Passer l'hiver » la nuit demeure au coeur de la maison, dans la cave « Six yeux de chats dans la cave / Qui passent l'hiver dans une ténèbre sans fenêtre / Au coeur de la maison […] Je n'ai jamais mis les pieds dans cette pièce. / Je ne pourrais jamais respirer dans cette pièce. le noir s'y recroqueville comme une chauve-souris » (p.83). L'hiver, saison endolorie, n'est-elle pas comme une mort lente, avant le printemps, la résurrection ? Période de renoncement aussi, les abeilles qui se sont débarrassées des hommes, ne vivent plus de fleurs, mais de sirop, « Elles y consentent. le froid s'est installé. » (p.84). C'est aussi d'elle dont elle parle, de la femme, besogneuse comme les abeilles, entourée d' « objets navrants » (elle écorche au passage la propriété, le matérialisme), recluse dans sa maison et ses tâches ménagères, servante vouée à la reproduction, et dont l'esprit s'éteint : « son corps est un bulbe au milieu du froid, trop gourd pour penser. » (p.85).

Dans « Cadeau d'anniversaire » (p.58) elle raconte de manière saisissante son mal être, son envie de mort. Elle s'y décrit aussi comme celle qui veut être la parfaite femme au foyer, affairée dans sa cuisine, image dont elle nous montre le caractère tout à la fois tranquillisant et enfermant : « Celle-là qui mesure la farine, retranche l'excédent de pâte / Et se conforme aux lois, aux lois, aux lois. » (p.58). Et dans « le candidat » (p.17) elle met en scène la marchandisation de l'humain, de la femme particulièrement : « Une vraie poupée vivante, vous pouvez vérifier. / Ça coud, ça fait à manger, / Et ça parle et ça parle et ça parle. / Ça marche, regardez, il ne lui manque rien. / Vous avez un trou, c'est une ventouse. / Vous avez un oeil, c'est une image. / Mon garçon c'est votre dernière chance. / Allez-vous l'épouser, alors vous l'épousez ? » (p.18). le ton et l'acidité du texte m'évoque un autre poème, de Taslima Nasreen intitulé « Femmes marchandises » : « Une femme, vous voulez une femme ? / Il y a là toutes sortes de femmes. […] Nez percé, oreilles percées, tube digestif percé, / Touchez et vérifiez bien que rien d'autre n'est percé. […] Donnez-lui trois solides repas par jour, / Offrez-lui des saris, des bijoux et un bon savon / Pour adoucir son corps. / Elle ne lèvera pas les yeux, n'élèvera pas la voix, / C'est une femme timide et réservée, / Capable de préparer sept plats rien que pour le déjeuner ».

Lien : http://quelscaracteres.eklab..
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Citations et extraits (73) Voir plus Ajouter une citation
39,5°de fièvre

Pure ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Les langues de l’enfer
Sont mornes, aussi mornes que la langue

Triple du morne et gros Cerbère
Qui halète à la porte. Incapable
De lécher, incapable de laver

Le tendon fébrile, le péché, le péché.
L’amadou gémit.
Cette odeur indélébile

D’une bougie mouchée !
Amour, amour, de moi sortent ramper en volutes
Des fumées comme les écharpes d’Isadora, j’ai peur

Qu’une écharpe aille se prendre dans la roue.
Des fumées si jaunes, si pleines de fiel
Créent leur propre élément. Elles ne s’élèvent pas,

Leur masse vengeresse fait le tour du globe,
Étouffe les vieillards et les humbles,
Le faible

Nouveau-né dans son berceau,
L’orchidée atroce
Qui suspend son jardin suspendu dans l’air,

Léopard du diable !
Les radiations l’ont brûlée à blanc
Et tuée en moins d’une heure.

Les corps adultères sont roulés dans une poussière noire
Comme la cendre d’Hiroshima, et dévorés.
Le péché, le péché.

Mon chéri, toute la nuit
J’ai tremblé, j’ai tremblé.
Les draps pèsent comme une étreinte obscène.

Trois jours. Trois nuits.
Eau et citron, eau et poulet,
L’eau me donne la nausée.

Je suis trop pure pour toi et pour qui que ce soit.
Ton corps
M’offense comme ce monde offense Dieu. Je suis un lampion –

Ma tête une lune
De papier japon, ma peau de l’or battu
Infiniment raffiné, infiniment luxueux.

Ma chaleur ne t’ébahit-elle pas. Et ma lumière.
Je suis à moi seule un immense camélia
Qui rougeoie, qui vient et qui va, de bouffée en bouffée.

Je crois que je vais me lever,
Je crois que je peux m’élever
Les grains de métal brûlant volent et moi, amour, moi

Je suis une vierge
De pur acétylène
J’ai mon escorte de roses,

De baisers, de chérubins,
Et tout ce que ces choses roses peuvent bien signifier.
Pas toi, ni lui

Ni celui-ci, ni celui-là
(Ces visages de moi se dissolvent, vieux jupons de putain)
Pour le Paradis.


Fever 103°

Pure? What does it mean?
The tongues of hell
Are dull, dull as the triple

Tongues of dull, fat Cerberus
Who wheezes at the gate. Incapable
Of licking clean

The aguey tendon, the sin, the sin.
The tinder cries.
The indelible smell

Of a snuffed candle!
Love, love, the low smokes roll
From me like Isadora’s scarves, I’m in a fright

One scarf will catch and anchor in the wheel,
Such yellow sullen smokes
Make their own element. They will not rise,

But trundle round the globe
Choking the aged and the meek,
The weak

Hothouse baby in its crib,
The ghastly orchid
Hanging its hanging garden in the air,

Devilish leopard!
Radiation turned it white
And killed it in an hour.

Greasing the bodies of adulterers
Like Hiroshima ash and eating in.
The sin. The sin.

Darling, all night
I have been flickering, off, on, off, on.
The sheets grow heavy as a lecher’s kiss.

Three days. Three nights.
Lemon water, chicken
Water, water make me retch.

I am too pure for you or anyone.
Your body
Hurts me as the world hurts God. I am a lantern——

My head a moon
Of Japanese paper, my gold beaten skin
Infinitely delicate and infinitely expensive.

Does not my heat astound you! And my light!
All by myself I am a huge camellia
Glowing and coming and going, flush on flush.

I think I am going up,
I think I may rise——
The beads of hot metal fly, and I love, I

Am a pure acetylene
Virgin
Attended by roses,

By kisses, by cherubim,
By whatever these pink things mean!
Not you, nor him

Nor him, nor him
(My selves dissolving, old whore petticoats)——
To Paradise.
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TULIPES

Les tulipes sont trop à vif, c’est l’hiver ici.
Regarde comme tout est si blanc, si calme et dans quelle neige
J’apprends la paix allongée, seule et tranquillement
Comme la lumière se pose sur ces murs blancs, ce lit, ces mains.
Je ne suis personne, les explosions ne me concernent pas.
J’ai abandonné mon nom et mes vêtements aux infirmières,
Mon histoire à l’anesthésie, mon corps aux chirurgiens.

Ils ont calé ma tête entre l’oreiller et le drap bien bordé :
Un oeil entre deux paupières blanches qui refusent de se fermer.
Pupille stupide, forcée de tout engloutir.
Les infirmières passent et repassent, elles ne me dérangent pas,
Elles passent comme au-dessus des terres les mouettes coiffées de blanc,
Les mains occupées de mille choses à faire et toutes les mêmes,
Si bien qu’il est impossible de dire combien elles sont.

Mon corps est un galet pour elles, elles en prennent soin comme l’eau qui court
Prend soin des galets qu’elle doit polir doucement,
Elles m’apportent la torpeur dans leurs aiguilles radieuses, elles m’apportent le sommeil.
Maintenant que je suis perdue mes bagages m’encombrent -
La mallette en cuir verni comme une obscure boîte à pilules,
la photo de famille où me sourient mon époux et mon enfant ;
Leurs sourires s’accrochent à ma peau, petites griffes mesquines.

J’ai laissé, cargo de trente ans, les choses filer,
Amarrée obstinément à mes nom et adresse.
On m’a lavée de mes attaches sentimentales.
Nue sous la housse de plastique vert du chariot
j’ai vu avec effroi ma porcelaine, mon linge fin, mes livres
Sombrer puis disparaître, et l’eau m’a submergée.
Me voilà nonne maintenant, je n’ai jamais été si pure.

Je n’avais pas besoin de fleurs, je voulais seulement
Rester couchée les paumes offerts, être complètement vide.
C’est une telle liberté, tu n’as pas idée d’une liberté pareille -
La paix ici est tellement vaste qu’elle te donne le vertige
sans rien te demander en retour, sinon une étiquette avec ton nom, des bricoles.
C’est ainsi que les morts peuvent partir finalement ; je les imagine
Qui referment la bouche sur cette paix comme une hostie. /.../

Extrait de Tulipes
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Pouce

D’un coup tran-
Ché mon pouce, coupé pour un oignon.
L’extrémité presque arrachée,
Retenue par comme un chapeau

De peau,
Un pauvre fichu en lambeaux,
Blanc blême.
Et puis cette peluche rouge.

Petit pèlerin,
Il t’a scalpé, l’Indien.
Tout droit sorti du cœur
Ton tapis se déroule

En barbiche de dindon.
Je l’écrase comme j’empoigne
Ma fiole de pur alcool,
Mon flacon qui pétille.

C’est parti pour une cérémonie.
Un million de soldats
Tous habillés en rouge
Accourent comme un seul homme.

Pour quel camp se battent-ils ?
Dis donc,
Homunculus, je défaille.
J’ai pris un cachet vaille que vaille

Contre ce malaise pitoyable
De papier pelure.
Saboteur,
Kamikaze – 

La tache sur ta
Gaze Ku Klux Klan,
Babouchka,
Devient sombre et terne et quand

La pulpe
En rondeur de ton cœur
Affronte sa petite
Meule de silence

Tu fais un de ces bonds –
Ancien combattant, pouce
Trépané,
Moignon, poupée souillon.


Cut

What a thrill -
My thumb instead of an onion.
The top quite gone
Except for a sort of hinge

Of skin,
A flap like a hat,
Dead white.
Then that red plush.

Little pilgrim,
The Indian's axed your scalp.
Your turkey wattle
Carpet rolls

Straight from the heart.
I step on it,
Clutching my bottle
Of pink fizz. A celebration, this is.
Out of a gap
A million soldiers run,
Redcoats, every one.

Whose side are they on?
O my
Homunculus, I am ill.
I have taken a pill to kill

The thin
Papery feeling.
Saboteur,
Kamikaze man -

The stain on your
Gauze Ku Klux Klan
Babushka
Darkens and tarnishes and when
The balled
Pulp of your heart
Confronts its small
Mill of silence

How you jump -
Trepanned veteran,
Dirty girl,
Thumb stump.
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Dame Lazare

Et j’ai recommencé
Tous les dix ans
J’y reviens –

Un miracle vivant, ma peau
Luisante comme un abat-jour nazi;
Mon pied droit, c’est

Un presse-papier,
Mon visage, une fine
Toile juive,

Arrache ce linge
O mon ennemi.
Suis-je bien terrifiante? –

Le nez, les orbites, la denture parfaite?
L’haleine en un jour
Perdra toute son aigreur.

Bientôt, bientôt la chair
Sera
Chez elle chez moi

En moi, jeune femme souriante.
Je n’ai que trente ans
Et comme les chats, j’ai neuf fois pour mourir.

C’est la troisième fois.
Quelle dérision
Que de vouloir abolir chaque décade.

Ces millions de filaments!
La foule croquant des noisettes
Se bouscule pour les voir

Me déballer pieds et poings –
C’est le grand strip-tease.
Messieurs, mesdames

Voilà mes mains
Mes genoux.
Je n’ai que la peau sur les os

Et pourtant, je suis la même femme identique à moi-même.
La première fois, j’avais dix ans.
C’était un accident.

La seconde fois, je voulais vraiment en finir
Ne plus jamais en revenir.
Je me suis refermée

Comme un coquillage.
On a dû appeler, appeler
Et m’arracher les vers comme des perles gluantes.

Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je le fais exceptionnellement bien.

Je le fais et c’est l’enfer.
Je le fais et c’est la vérité.
C’est le retour

Le retour théâtral en plein jour
Au même endroit, au même visage, au même cri
Amusé et brutal :

« Un miracle! »
Qui me terrasse.
Il faut payer

Pour scruter mes cicatrices, payer
Pour entendre mon cœur –
Il bat vraiment bien.

Il faut payer et payer gros
Pour un mot, un contact
Ou un peu de sang

Une mèche de cheveux, un bout de ma robe.
Tiens tiens Herr Doktor
Ah tiens, Herr ennemi.

Je suis votre grand’œuvre,
Je suis votre trésor,
Le beau bébé d’or pur

Qui fond en un seul cri.
Je roule et je brûle.
Mais bien sûr que j’y crois à votre grand tourment.

Cendres, cendres –
Vous fouillez et vous remuez.
De la chair, de l’os, rien de rien –

Si! Un morceau de savon,
Une alliance,
Une dent en or.

Herr Dieu, Herr Lucifer
Prenez garde.
Oui, prenez garde.

Je sors de mes cendres
Avec mes cheveux rouges
Et je dévore les hommes comme l’air.
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Cadeau d'anniversaire

Qu’est-ce que c’est, sous ce voile, quelque chose de laid, quelque chose de beau ?
Cela miroite : cela a-t-il des seins, des contours

Je suis sure que c’est unique, sûre que c’est exactement ce que je veux.
Tranquille affairée dans ma cuisine, je sens cela qui m’observe, cela qui pense

"Est-ce pour elle que je suis là, à elle que je dois apparaître, elle
L’élue, cette femme aux cernes noirs sous les yeux, à la cicatrice ?

Celle-là qui mesure la farine, retranche l’excédent de pâte
Et se conforme aux lois, aux lois, aux lois.

Est-ce à elle que je dois faire mon annonce ?
Mon dieu, c'est trop drôle !"

Sans cesser de miroiter, et je crois bien que cela me veut moi.
Je ne rechignerai pas, qu'il s'agisse d'un os ou d'un bouton de nacre.

Je n'ai, de toute façon, aucun désir de cadeau cette année.
Après tout, je ne suis jamais en vie que par accident.

Et cette fois je me serais tuée avec joie par n'importe quel moyen.
Mais il y a ces voiles avec leur miroitement de rideaux,

Le satin diaphane d'une fenêtre de janvier
Aussi blanc que literie de bébé, le scintillement d'un souffle de mort. Ô ivoire !

Ce doit être une défense ou une colonne fantôme.
Ne vois-tu pas que cela m'est égal.

Ne vas-tu pas me le donner?
Il ne faut pas avoir honte, ça ne me gêne pas si c'est petit.

Épargne-moi tes mesquineries, je suis prête pour l'énormité.
Asseyons-nous autour, face à face, admirons ses reflets,

Son lustre, son éclat changeant.
Prenons là notre dernier repas, comme sur un plateau d'hôpital.

Je sais pourquoi tu ne veux pas me le donner,
Tu as peur

Que le monde explose dans un hurlement, et ta tête avec,
Antique blason en cuivre, en relief,

Miracle à préserver pour tes arrière-petits-enfants.
Ne crains rien, cela n'arrivera pas.

Je vais seulement le prendre et l'emporter dans mon coin.
Tu ne m'entendras pas l'ouvrir, pas de papier craquer,

Pas de rubans tomber, pas de cri pour finir.
Mais tu ne me crois sûrement pas capable d'une telle discrétion.

Si seulement tu savais combien de jours ces voiles m'ont tués.
Pour toi ils ne sont que transparences, de l'air limpide.

Mais mon dieu, les nuages sont comme du coton-
En troupes armées. C'est de l'oxyde de carbone.

Et je l'aspire en douceur, en douceur
J'emplis mes veines d'invisible, d'un million d'atomes

De poussière probable qui soustraient les années à ma vie.
Tu portes un costume argenté pour l'occasion. Ô machine à calculer-

T'est-il impossible de laisser une fois quelque chose échapper, t'échapper totalement?
Dois-tu vraiment tout estamper de pourpre,

Tuer tout ce que tu peux tuer ?
Je ne désire qu'une chose aujourd'hui et toi seul peux me l'offrir.

C'est là, à ma fenêtre, aussi gros que le ciel.
Il respire entre mes draps, le froid, centre mort

Où les vies déchirées se figent et durcissent pour devenir le centre de l'histoire.
Ne me l'envoie pas par la poste, miette à miette.

Ne me l'envoie pas dire ou j'aurai soixante ans d'ici
A ce que ça me parvienne, je ne saurai plus qu'en faire.

Une seule chose : baisse donc enfin ce voile, ce voile.
Et si c'est la mort

J'en admirerai la gravité profonde, l'œil perpétuel.
Je saurai que tu étais sincère.

Il y aurait de la noblesse à cela, il y aurait un anniversaire.
Le couteau ne découperait rien, il pénétrerait

Aussi pur et net que le cri d'un bébé,
Et alors l'univers glisserait de mon corps.
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