AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,14

sur 14176 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avoir lu le portrait de Dorian Gray juste après La peau de chagrinDe Balzac ne lui en aura donné que plus de valeur, et plus de plaisir pour moi à la lecture.

Deux générations séparent la publication de ces deux immenses romans traitant le même thème de l'homme vendant son âme au diable; c'est évidemment perceptible dans l'oeuvre De Wilde qui, même si la prose est toute aussi 'classique' et ciselée que celle De Balzac, offre une modernité de ton, un cynisme affirmé et une outrance dans la dépravation, bref, un parfum de scandale que son prédécesseur n'aurait pu se permettre.

Mais ce qui m'a le plus séduite est à la fois l'atmosphère du livre, tout en clair obscurs londoniens et déclinaisons de toutes les formes de beauté, mais aussi le traitement qu'Oscar Wilde fait de son sujet en recomposant le mythe de Faust autour d'un questionnement sur le rôle de l'art, la relativité de la morale et de la souffrance de vivre.
Le tout ponctué d'un nombre hallucinant d'aphorismes que l'on voudrait tous noter!

Me reste maintenant à découvrir le Faust de Goethe..
Commenter  J’apprécie          410
J'ai lu le Portrait de Dorian Gray très jeune. J'en gardais le lointain souvenir d'un roman fantastique, avec un étrange tableau qui vieillissait et s'enlaidissait à la place de son modèle tandis que ce dernier gagnait en échange une éternelle jeunesse et beauté. Il y avait aussi une tragique histoire d'amour, des amitiés masculines particulières, une bonne dose de dandysme et surtout de longues discussions et digressions, lues et vécues alors comme des longueurs ennuyeuses…
Tout juste si je savais combien ce roman culte scandalisa l'Angleterre victorienne car les thèmes abordés attentaient à la morale… N'oublions pas qu'Oscar Wilde connut la prison pour avoir vécu son homosexualité au grand jour. Au siècle suivant, des auteurs comme Proust, Gide, Montherlant, Malraux ont contribué à la célébrité de cet écrivain maudit et son génie a enfin été reconnu.
Je le redécouvre aujourd'hui en livre audio lu par Hervé Lavigne : un vrai bonheur !

Ce roman obéit bien sûr aux codes du roman fantastique ; nous retrouvons le voeu d'éternelle jeunesse, les objets magiques ou transitionnels, portrait et livre jaune. le dénouement apporte même une forme de fausse moralité salvatrice…
Oscar Wilde fait aussi défiler une galerie de portraits, particulièrement travaillés et fouillés. le jeune et naïf Dorian Gray, rapidement perverti par l'influence de Lord Henry Wottom, devient à son tour un redoutable corrupteur pour les jeunes gens qui le vénèrent. À ses côtés, Basil Hallward véhicule désintéressement, raffinement, intelligence et finesse ; Sybil Vane apporte une note sentimentale et une connotation shakespearienne avec les personnages qu'elle incarne au théâtre ; enfin, la vengeance ourdie par son frère donne au roman une tonalité aventureuse…
L'ensemble est servi par de longues descriptions des moeurs et des idées d'une certain société londonienne…
Mais c'est tellement plus en réalité !

Les années ont passé. Aujourd'hui, je suis sensible surtout à l'esthétique et à l'ambiance préraphaélite de ce livre. Je saisis mieux la peinture d'une époque décadente, matérialiste, hédoniste.
Le personnage de Dorian Gray incarne physiquement l'ensemble de ses courants et théories. Les préraphaélites sont des peintres avant-gardistes qui fondèrent vers 1848 la Pre-Raphaelite Brotherhood ; ils signaient leurs tableaux : « PRB » ; parmi les plus connus, je citerai Millais, Hunt ou Rossetti. La société ne dura que quelques années mais leur peinture a perduré jusqu'à la guerre de 1914. Ils voulaient réveiller la peinture et imposer un style nouveau, un style pictural à la fois narratif et littéraire, une façon de peindre plus vivante et plus sincère dans un désir de revenir vers les peintres d'avant la découverte de la perspective. Ils privilégiaient les couleurs éclatantes, une forme de raideur, une infinie précision dans les détails… Cette netteté maniaque donne un effet de surréel, un hyper réalisme hypnotique, un rendu photographique sans mise au point. Ils rêvaient d'éduquer le public par la beauté, ont lancé des modes, des types.
Je sais que le poète John Gray, auteur de Silver points, ami proche d'Oscar Wilde, lui a inspiré ce roman ; c'était un beau jeune homme qui s'est identifié au personnage de Dorian, qui adorait les poètes symbolistes français et qui admirait les peintres préraphaélites. Son recueil de poèmes célèbre d'ailleurs une forme de gravure minutieuse et détaillée et de dessins à la pointe d'argent.
Il y a chez Basil Hallward, seul véritable artiste dans ce roman sur l'art, une volonté de fixer l'image de Dorian à la fois sur un support et dans le temps. le lien entre un portrait et son modèle est profond car il est comme le miroir d'une époque révolue ; le roman illustre en profondeur cette connexion. le corps humain est constamment en train de changer mais sur cette toile il est et sera toujours le jeune homme qui a troublé le peintre ; c'est à la fois lui et pas lui qui est représenté.
La question de l'art est un véritable noeud thématique dans ce livre : l'art ne peut-il être que beau ? Peut-il être désintéressé ? Quelle est la part entre réalité et représentation ?

Certes, j'ai pu être souvent exaspérée par le dandysme excessif des personnages de cette histoire. Tout ou presque s'y passe dans un milieu très aristocratique, superficiel, déconnecté des réalités du monde : les apparences et le culte des apparences cachent sans peine les agissements de Dorian Gray. Les quelques incursions dans les bas-fonds londoniens montrent bien le décalage entre les classes sociales. À ce titre, également, les réactions des personnages lors de l'accident de chasse est révélatrice !
De même, les propos de Lord Henry sur les femmes, bien que révélateurs des mentalités de son temps, m'ont souvent fait réagir et sortir de mes gonds…
Dans la préface à The Picture of Dorian Gray, Oscar Wilde dit de ce ton détaché qui lui est propre : « Ail art is useless » (« L'art est essentiellement désintéressé ») … Cette affirmation révèle combien superficiel est son esprit de dandy, mais également peut-être comment il se désengage de ce qu'il écrit dans une posture d'écrivain qui n'a d'autre responsabilité́ que celle de la forme, forme dont la réception engage surtout le lecteur.

Ce roman est à lire et à relire.
Il fait partie de ces titres que tout le monde connaît, mais dont on finit par oublier toutes les composantes. Chaque lecture ou relecture peut ainsi devenir matière à trouver de nouvelles clés, de nouvelles approches.
Ce format audio, assez bien servi par la voix d'Hervé Lavigne développe une belle dimension pour ce livre : les personnages sont à la fois bien différenciés et traités avec juste ce qu'il faut de retenue et de jeu pour que les dialogues soient plaisants à écouter. Une réussite.
Commenter  J’apprécie          412
Oscar Wilde fait sans conteste partie de mes écrivains préférés. J'ai lu pour la première fois LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY il y a une quinzaine d'années et depuis je prends plaisir à me replonger dans cette oeuvre magnifique de façon régulière. J'ai d'ailleurs été obligée de me racheter un exemplaire récemment car mon volume a fini par rendre l'âme.

J'ai longtemps hésité avant de me décider à écrire un billet sur le roman car tout a déjà été dit sur cette oeuvre singulière. Mais comme l'a si bien écrit Boris Vian avec sa finesse habituelle : «Tout a été dit cent fois / Et beaucoup mieux que par moi / Aussi quand j'écris ces vers / C'est que ça m'amuse /C'est que ça m'amuse / C'est que ça m'amuse et je vous chie au nez.»
Ce cher Boris a su trouver les mots pour me convaincre de me laisser aller à une énième chronique sur LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY !

Je vous rassure, je ne vais pas faire une analyse de texte mais simplement vous dire pourquoi j'aime l'unique roman De Wilde.
Je l'aime parce que le style De Wilde est une pure merveille. Chaque phrase écrite mériterait d'être citée. On sait qu'Oscar Wilde avait un esprit aiguisé et que c'était un amoureux des mots mais, dans LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY on a l'impression qu'il fait un concours d'aphorismes ! Tout le récit est traversé par des pensées et des réflexions philosophiques sur la vie, le société victorienne, la morale... C'est un vrai bonheur pour le lecteur contemporain qui, tour à tour, s'en amuse ou s'en offusque.

Oscar Wilde était un dramaturge de génie et on le sent dans l'écriture des dialogues : les répliques sont savoureuses et fusent de tous côtés. Les dialogues sont très rythmés et contrebalancent le tempo un peu plus lent du récit. le dosage est, à mon goût, parfait. Évidemment, le style est très victorien et je comprends que certains lecteurs bâillent à s'en décrocher les mâchoires mais, pour moi, c'est un vrai délice.

Ensuite, l'histoire du PORTRAIT DE DORIAN GRAY est teintée de fantastique, un genre que j'affectionne. Wilde réussit le pari d'intégrer un élément surnaturel dans un récit classique avec brio. Pas de vampires ou de créatures démoniaques ici mais un voeu impie qui empoisonne la vie d'un jouvenceau naïf, à l'esprit corrompu par un homme heureux de son influence. Wilde n'en fait jamais trop mais titille suffisamment le lecteur pour maintenir l'intérêt.

Enfin j'ai aimé le regard mordant que Wilde porte sur ses contemporains et sur la société victorienne. J'ai aimé l'intelligence dont il fait preuve pour parler des amours homosexuelles sans jamais les nommer. Et plus que tout, j'ai aimé la manière dont il se dévoile à travers le personnage de Lord Henry Wotton.

Cependant, je reconnais qu'un passage m'a toujours ennuyée et je ne le lis plus jamais : celui où Oscar Wilde énumère à l'envie les goûts de son esthète de Dorian en matière de bijoux, de parfums, de tissus ou de portraits de ses ancêtres. C'est long, lourd, pontifiant et franchement soporifique. Mais il ne s'agit là que de quelques pages perdues au milieu d'un roman magnifique qui donne à réfléchir sur le sens que nous donnons à la vie.
Lien : http://le-bric-a-brac-de-pot..
Commenter  J’apprécie          415
Lorsque mon fils était collégien et que son prof de Français avait laissé à ses élèves le choix d'un livre à lire, j'ai conseillé à Adrien "Le Portrait de Dorian Gray". Bien entendu, il a adoré !
C'est ce genre d'ouvrages, entre autres, que les Enseignants devraient faire lire aux ados, je suis persuadée que ça leur donnerait le goût de lire.
Excellent livre que j'ai lu, et relu, avec plaisir. Mais je ne suis peut-être pas bon juge... étant une inconditionnelle d'Oscar Wilde !
Commenter  J’apprécie          382
Je suis contente d'avoir relu ce roman. Une quinzaine d'années après j'ai l'impression de le re-découvrir.
Le récit se découpe en trois parties. La première peut être vue comme une pièce de théâtre, on y découvre les personnages à travers leurs gestes et leurs paroles. de grands dialogues, de longues diatribes, où tout le style de l'auteur donne une belle dimension à l'intrigue et aux personnages. J'ai apprécié ce style, l'éloquence des phrases et le mordant ironique de l'auteur.
La troisième partie mélange cet effet théâtral et le récit d'une intrigue qui de péripéties en péripéties, repousse toujours plus loin Dorian vers le dramatique et le tragique.
La partie centrale assez courte, -heureusement- manque d'intrigues (malheureusement). Elle pourrait se qualifier comme le fait Oscar Wilde du livre que Lord Henri offre à Dorian de "l'étude psychologique d'un jeune Parisien [ici Londonien] qui passait sa vie à essayer de mettre en oeuvre en plein XIXe siècle les passions et les modes..." En 20 pages Wilde passe en accéléré 18 années de Dorian dans les bas-fonds londoniens entre autres.
Ce roman est un récit fantastique qui a du panache. Oscar Wilde a le sens de la dérision, du parler. il joue sur l'éloquence et la critique avec une précision et un don certains.
Commenter  J’apprécie          370
Le Portrait de Dorian Gray est le premier livre De Wilde que j'ai lu, et je ne le regrette nullement, tant il m'a donné envie d'en connaître davantage et m'a permis de découvrir tant d'autres belles choses !
L'histoire de ce qui fut le seul roman De Wilde, et en tout cas une de ses oeuvres majeures, est connue de tous. Tant et si bien, d'ailleurs, qu'elle a servi de support à de nombreuses autres histoires ayant notamment pour but de décrire la vanité de l'être humain.
Pour autant, ce que l'on retient du Portrait de Dorian Gray, c'est avant tout la démarche d'esthète De Wilde et les nombreux aphorismes dont il nous gratifie et que l'on retrouve dans le recueil du même nom.
Ce livre fait partie de ceux que l'on conserve lorsqu'il ne reste rien et on en garde un souvenir vivace.
Commenter  J’apprécie          370
J'ai véritablement adoré "Le Portrait de Dorian Gray" ! L'histoire est tout à fait fascinante : un jeune peintre, Basil Hallward, est en admiration devant l'un de ses amis, Dorian Gray, jeune homme beau et séduisant, et décide donc de réaliser son portrait. Alors qu'il est chez Basil, Dorian fait la connaissance de Lord Henry Wotton, qui lui apprend que le seul plaisir de la vie est la jeunesse (et donc la beauté)...Dorian est aussitôt conquis et, à l'instant même où son portrait est achevé, il fait le voeu d'inverser sa vie avec celle de son portrait : rester éternellement jeune et beau. Ansi, au fil des années, le temps, les vices et les crimes vont s'abattre sur le somptueux tableau de Basil mais aucun tourment ne viendra transformer la peau si fraîche de Dorian Gray.

Oscar Wide dénonce la société du XIXème sicèle, le mariage ainsi que l'art en général de sa plume si raffinée et passionnante, utilisant la poésie, les jeux de mots, les proverbes pour parvenir à émouvoir son lecteur, ce qui est parfaitement réussi ! J'ai été subjuguée par ce roman, ne voyant pas défiler les chapitres et arrivant si vite au drame final...L'auteur irlandais écrit là son seul roman, mais quel roman ! Je serai à jamais marquée par ce délicieux livre, incontournable et tellement mythique que je relirai avec grand plaisir ! Un chef d'oeuvre, bien évidemment.

A lire ABSOLUMENT !!
Commenter  J’apprécie          370
Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde.
Un monument de mon adolescence. Après quelques dizaines d'années, je me replonge dans ce qui m'avait bousculé à mes 15 ans.
Sur le fond, ce roman est étonnement très moderne. La course à la jeunesse, la manipulation de l'image pour paraître... et les travers qui doivent bien avoir des conséquences quelque part. Dans le roman, ce sera sur le portrait. C'est lui qui subira toutes les ignominies du personnage. J'y ai vu une anticipation sur le monde actuel : on montre une image de vie parfaite sur les réseaux sociaux, mais le miroir ne reflète que fragilité ou noirceur.
La forme est très classique. M'étant éloignée dans mes lectures du style classique De Wilde et ses contemporains, j'ai mis quelques chapitres à retrouver mes marques. le plaisir de relire des mots recherchés, pesés et affinés au sujet a été ensuite un vrai régal.

La prouesse de ce roman, c'est son renouveau à chaque lecture. En fonction de la période de sa vie à laquelle on lit LE Portrait de Dorian Gray, en fonction de son vécu, du moment choisi, le livre se ressent différemment.
Ce roman porte en lui une vie multiple, comme le portrait.

Commenter  J’apprécie          360
Roman fantastique, roman psychologique ou conte philosophique ? Un peu tout cela à la fois, mais roman sur un sujet fascinant quoi que pas nouveau. L'histoire, assez proche de la peau de chagrinDe Balzac, est celle d'un beau jeune homme, Dorian, à qui l'on offre son propre portrait. Il formule alors le souhait que le tableau vieillisse à sa place pour pouvoir garder lui-même sa beauté, même s'il y perdait son âme. Dorian, fasciné par Lord Henry, dandy à l'hédonisme sans limite, est entraîné dans une vie de débauche, de vice et de dépravation. Il constate que le portrait évolue et qu'il devient de plus en plus laid et pas seulement plus vieux. Bref, le mythe de Faust revisité… A l'époque victorienne, les dandys n'étaient pas mal vus (et Oscar Wilde en était un), bien au contraire, ce qui fait de ce court roman une analyse sans pitié de la société victorienne. Mais il est aussi profond et complexe, portant sur le pouvoir de la fascination, la tentation du mal, la métamorphose d'un individu au fil du temps, la désillusion, le narcissisme … le style est classique mais plein de poésie, et ciselé avec finesse et précision. Il se laisse lire d'une traite. Un récit à la fois parfaitement ancré dans son temps et intemporel !
Commenter  J’apprécie          360
Après la lecture des nouvelles d'Oscar Wilde, je ne pouvais décemment pas faire l'impasse sur ce roman majeur qui, au même titre que Les Misérables ou le Rouge et le Noir, fait partie des grosses hontes personnelles de ne pas avoir lu... Tout le monde connaît ici ma passion pour le XIXe romantique, l'Angleterre, le décadentisme et son goût pour les passions, tout est donc réuni dans ce chef d'oeuvre où je me suis régalé, servi encore une fois par une traduction remarquable de Jean Gattégno.

Le principe est très connu, et un de mes mentors universitaires l'avait évoqué il y a plusieurs années en cours : Dorian Gray, jeune homme narcissique à la beauté extraordinaire, souhaite un jour conserver sa beauté et sa jeunesse, et qu'un portrait sublime de lui peint par son ami artiste Basil Hallward se mette à vieillir à sa place. Son souhait est exaucé, mais alors que Dorian a acquis la jeunesse éternelle, la contemplation de ce miroir toujours plus déformé finira par le rendre fou avec la fin à laquelle on s'attend... Voila ce que je savais du roman, mais il y a beaucoup, beaucoup plus.

Après une préface d'aphorismes sur l'art, servant à exposer le goût de l'art pour l'art et de la beauté au-dessus de tout pour Wilde, le roman s'ouvre sur le trio de personnages principaux : Dorian Gray, Lord Henry Wotton, et Basil Hallward. le peintre Basil a été bouleversé par sa rencontre avec le jeune Dorian Gray qui, selon lui, redéfinit la beauté. Tout son art, désormais, sera influencé par lui, et il voue un culte esthétique au jeune homme dont le sous-texte est évident. Basil peint donc Dorian Gray qui pose pour lui. Ce qui est fascinant dans ce début, est que l'on se rend compte très vite que Dorian Gray lui-même semble être une toile vierge, une page blanche, un être vide et perméable, que l'on peut peindre à volonté intérieurement : C'est ce qu'il va se passer du début à la fin au contact de Lord Henry, qui est le Méphistophélès du roman. Jouisseur invétéré et assumé, Lord Henry passe son temps à défendre la recherche du plaisir à tout prix, la contemplation de la beauté, quels que soient les prix humains et dommages collatéraux. Pour lui, la vie ne doit être que plongée dans la jouissance et un refuge dans l'art comme sublimation, esthétisation d'un réel morne, violent, qui n'a pas de sens, idéologie à laquelle j'adhère, mais certainement pas dans les proportions d'Henry qui est totalement jusqu'au boutiste dans son propos, à un point absurde et ridicule. Ainsi, ce mauvais génie va se mettre dès le départ à influencer Dorian Gray qui va peu à peu adopter ses préceptes et sa personnalité, et totalement changer au fur et à mesure du roman. C'est cela que je trouve le plus passionnant : La virginalité intérieure de Gray, qui se trouve modelé sans cesse, malaxé en tant qu'individu. Il est peint intérieurement par Henry, comme il l'avait été extérieurement par Basil. Et son portrait, plus que de le représenter vieillissant, va expliciter au fur et à mesure sa descente dans le mal, car Wilde semble estimer (derrière ses personnages qui le disent) que n'importe quel pécheur porte sur son corps et sur son visage les marques de ses infamies. le portrait de Dorian Gray se dégradera ainsi considérablement non seulement avec le temps mais aussi au gré de l'évolution négative de ses moeurs et de ses actes, alors que Gray arborera toujours le même visage de jouvenceau à la pureté absolue, qui fera même que son entourage ne pourra concevoir quoique ce soit de mauvais à son sujet, malgré les rumeurs qui naîtront. le portrait restitue donc la noirceur et l'horreur de l'âme de Dorian, bien plus que le passage du temps que Dorian a troqué contre sa beauté physique éternelle. Lord Henry, évidemment, n'échappera pas aux affres de l'âge et du stigmate de ses vices.

Je passe les détails pour ne pas spoiler, mais le roman est addictif tant il n'a de cesse de nous surprendre avec des rebondissements et des retournements de situation constants dans l'évolution de la personnalité de Gray. Alors que je regardais la série Breaking Bad en même temps, où le protagoniste Walter White s'enfonce également dans le crime progressivement et où les attentes du spectateur sont perpétuellement déjouées, j'ai été frappé par la similitude des deux schémas. La comparaison s'arrête là, hein! Mais vu le talent d'Oscar Wilde comme raconteur, et comme esthète, au vu de la superbe écriture du roman (notamment de très belles descriptions de jardins), on déplorera, comme souvent, que sa création littéraire fut fauchée en plein vol par ses déboires judiciaires. Les événements de certains chapitres nous stupéfient, comme aujourd'hui savent le faire tout excellent épisode de série américaine.

Le Portrait de Dorian Gray ravira tout amateur des atmosphères et du siècle déjà évoqués plus haut (avec en plus le Londres nocturne du XIXe siècle et un univers parfait pour Tim Burton). L'influence de Baudelaire s'y fait également sentir par l'attachement aux objets insolites, aux parfums, au dandisme de manière générale. Nous sommes dans des courants et des lignées artistiques du XIXe bien spécifiques, et que j'affectionne particulièrement. Mais tout lecteur et amoureux de la littérature sera également ravi par ses références incessantes : Il y est question de Shakespeare avec énormément de références, de Faust (évidemment, avec un personnage comme Dorian qui s'enfonce dans une sorte de pacte avec le Diable qu'il finit par payer) du personnage de Des Esseintes, protagoniste d'À rebours de Huysmans, qui a influencé Wilde, qui va jusqu'à faire intervenir un livre avatar d'À rebours dont la lecture modifie là encore la personnalité de Dorian.

C'est véritablement un coup de coeur littéraire pour moi, qui a rejoint mes classiques. Il est extrêmement riche en interprétations, et très réussi en tant que roman fantastique et décadentiste. le sous-texte de l'homosexualité dans le roman est admirable de sous-entendus et de non-dits pesants, et jouera immanquablement dans l'infortune d'un personnage. Wilde dira aussi de Dorian, Henry et Basil qu'ils représentent trois versions ou perceptions de lui, par le public (qui le voit comme l'impénitent dévergondé Henry) ou par lui-même (qui se voit plutôt en Basil). Son seul défaut, et peut-être est-ce cela qui a importuné certains détracteurs ici, réside dans le tic stylistique des discours de Lord Henry, faits d'antithèses au premier abord sibyllines, qui trouvent leur sens dans le contexte ou dans ses explicitations ensuite. La plus connue étant son fameux "Le meilleur moyen de résister à la tentation, c'est d'y céder". Henry parle comme ça TOUT LE TEMPS, et cela peut finir par vite agacer, un peu comme les antithèses systématiques d'Hugo. On peut aussi trouver que Wilde aurait pu tailler un peu dans ces passages de discussions certes essentiels puisqu'Henry sculpte la personnalité de Gray et cause sa descente aux enfers. Son portrait au vitriol des mondains et des mondanités est encore une fois des plus savoureux.

J'espère avoir donné envie à ceux qui ne le connaissent pas encore, car c'est un réel coup de coeur pour moi, et je me suis absolument régalé. J'ai même envisagé de lui faire rejoindre l'île déserte de Babelio et songe à l'offrir à un de mes proches...
Commenter  J’apprécie          363




Lecteurs (48924) Voir plus



Quiz Voir plus

Quiz sur Oscar Wilde

De quelle nationalité est Oscar Wilde ?

écossaise
irlandaise
anglaise
galloise

10 questions
253 lecteurs ont répondu
Thème : Oscar WildeCréer un quiz sur ce livre

{* *}