Pourquoi lire Agatha Christie aujourd’hui ?
Femme de lettres anglaise et prolifique auteur de romans policiers, Agatha Christie est considérée comme l’écrivain le plus lu au monde après
William Shakespeare. Mère de l’intemporel enquêteur Hercule Poirot, elle a marqué l’histoire du genre policier en s’écartant des sentiers battus, autant sur le plan commercial que littéraire, faisant ainsi de ses romans des incontournables du genre. Cinéma, théâtre, opéras et romans, les histoires de la “reine du crime” sont encore loin de quitter le devant de la scène culturelle internationale.
Née en 1890 en Grande Bretagne, Agatha née Miller reçoit une éducation à domicile soignée. Après la mort de son père l’année de ses onze ans, c’est sa mère qui s’occupe principalement de la jeune fille et qui l’oriente vers le piano et le chant, qu’elle étudie à Paris. Trac, timidité excessive, Agatha ne montre aucune prédisposition à cette carrière scénique qu’elle abandonne pour se tourner finalement vers la littérature. Très vite, elle écrit poèmes, contes et nouvelles, toujours encouragée par ses proches.
Lewis Carroll et
Edward Lear, qu’elle a découverts dans la bibliothèque familiale dès son plus jeune âge, sont ses principales inspirations. Quelques temps plus tard, elle s’installe avec sa mère dans la station balnéaire de Torquay, ville dont on retrouve les paysages dans plusieurs de ses romans. L’écrivain dit même s’être inspirée de certaines de ses fréquentations belges de l’époque pour créer le personnage d’Hercule Poirot. La jeune femme s’essaye également à l’écriture et à la réalisation de représentations théâtrales, qui dénotent déjà son intérêt pour le 6e art dont elle tire profit quelques années plus tard. En 1910, clouée au lit par une forte fièvre, elle écrit sa première nouvelle aboutie,
The House of Beauty, évoquant les thèmes de la folie et du rêve. A cette époque, les écrits de la jeune femme illustrent pour la plupart son intérêt pour le spiritisme et le paranormal, qu’elle tient de sa mère. Malgré plusieurs tentatives ainsi que l’usage de pseudonymes, elle ne parvient pas à convaincre d’éditeur.
D’une éducation victorienne, Agatha pense très vite à se trouver un mari. C’est en 1912, alors qu’elle est âgée de 22 ans, qu’elle rencontre Archibald Christie, un séduisant aviateur, qu’elle épouse au Noël 1914. Sa fille Rosalind, naît 5 ans plus tard. La Première Guerre mondiale est un véritable choc pour la jeune Christie. Ses principaux héros, Hercule Poirot ou Miss Marple, incarnent son désarroi face au drame du combat planétaire. Son mari appelé à rejoindre les rangs de l’armée, Agatha Christie s’engage comme infirmière auprès du Secours Volontaire, puis en 1916 comme assistante chimiste. Les remèdes qu’elle manipule lui permettent de se familiariser avec les poisons et autres drogues qui apparaissent régulièrement dans ses romans. Elle écrit d’ailleurs à cette époque son premier roman policier,
La mystérieuse affaire de Styles, qu’elle parvient à faire publier en 1920. C’est là que se joue la première apparition de son célèbre enquêteur, Hercule Poirot. C’est véritablement en 1926 qu’Agatha Christie devient une figure incontournable du roman policier ; ses romans triomphent et remportent l’adhésion des critiques de l’époque. Marple et Poirot assurent son succès continu, et l’écrivain publie dès lors entre un et deux romans par an.
La joie est cependant de courte durée pour la jeune Christie puisque 1926 est également l’année de la disparition de sa mère, ainsi que celui de la déliquescence de son couple. Monsieur Christie lui annonce en effet son intention de divorcer afin de refaire sa vie avec sa dactylographe. Très affectée et perdue, Agatha Christie disparaît pendant l’hiver de la même année. Sa voiture est retrouvée abandonnée près d’un étang et la police s’empare de l’affaire. Suicide manqué, tentative de meurtre, coup de publicité, personne n’élucidera jamais la raison de cette disparition, qui s’achève quelque douze jours plus tard lorsque l’écrivain est retrouvée dans un hôtel où elle s’était inscrite sous le nom de la maîtresse de son mari... Le mystère de cette disparition reste entier, mais récemment
Brigitte Kernel a proposé sa version des faits dans le roman
Agatha Christie, le chapitre disparu, publié chez Flammarion en choisissant l’option du suicide manqué de l’écrivain. Le divorce des Christie est finalement prononcé deux ans plus tard, alors que les ventes de l’écrivain continuent d’augmenter. De nouveau célibataire, Agatha Christie en profite pour réaliser l’un de ses plus vieux rêves : elle se rend à Bagdad à bord de l’Orient-Express. C’est à bord de ce célèbre train qu’elle rencontre son second mari, un archéologue réputé, Sir Max Mallowan. Devenus amis pendant le trajet, c’est tout naturellement que Max lui propose de la raccompagner lorsqu’elle écourte son séjour afin de rejoindre en urgence sa fille, atteinte d’une pneumonie. Ce dernier décide d’ailleurs de prolonger son séjour en Angleterre et trouve même un poste au British Museum afin de rester près d’Agatha. La demande en mariage suit de peu cette rencontre, malgré les réticences d’Agatha à se remarier aux vues de son éducation. Le mariage se fait secrètement en 1930. Alors que son mari doit se rendre sur le site d’Ur en Irak, le directeur des fouilles et sa femme lui laissent entendre qu’elle n’est pas la bienvenue. Cette femme, Catherine Woolley, inspire un personnage du roman d’Agatha Christie,
Meurtre en Mésopotamie, publié en 1936.
Puisqu’elle accompagne régulièrement son mari pour ses fouilles, elle rédige un ouvrage sur le sujet,
Dis-moi comment tu vis (Elles-mêmes), publié en 1941. Ses nombreux voyages en Orient lui inspirent de nombreuses intrigues, dont le culte
Le Crime de l`Orient-Express. Cette époque correspond à sa période la plus prolifique, puisqu’elle n’écrit pas moins de 17 romans et 7 recueils de nouvelles dont certains de ses plus grands chefs-d'oeuvre comme
A. B. C. contre Poirot en 1935,
Mort sur le Nil en 1937 ou encore
Dix petits nègres en 1939. Le début de la Seconde Guerre mondiale signe l’engagement de son mari dans la défense civile anglaise. Voulant se rendre utile, Agatha Christie met une nouvelle fois ses compétences pharmaceutiques à disposition de l’hôpital de sa région. Puisqu’il parle l’arabe, Max est envoyé au Caire comme commandant et Agatha Christie se retrouve cette fois encore seule. Mécontente, elle cherche par tous les moyens à rejoindre son mari, mais ne rencontre guère le succès. Cette seconde guerre influence directement l’oeuvre de l’écrivain, qui prête désormais sa plume à d’autres enquêteurs qu’Hercule Poirot et s’intéresse désormais à la mise en scène de certains de ses romans. Plus encore, la guerre lui a inspiré deux romans fondamentaux :
Hercule Poirot quitte la scène et
La Dernière énigme. Curieusement, ce dernier roman de Poirot, est publié en 1975, soit un an avant la mort de sa créatrice, ainsi que
La Dernière énigme,mettant en scène la fin de Miss Marple. Agatha Christie explique alors qu’elle se protège ainsi contre la reprise par d’autres écrivains de ses deux figures littéraires dans le cas où elle viendrait à disparaître pendant le conflit.
Après la guerre, l’activité théâtrale de l’écrivain s’intensifie. Sa pièce
La Souricière est présentée pour la première fois à Londres en 1952 et devient la pièce du théâtre britannique la plus longtemps jouée, puisqu’Agatha Christie assistera à sa 1998e représentation en 1956. En 1974, elle assiste à l’avant-première de l’adaptation cinématographique de son roman
Le Crime de l`Orient-Express en présence de la Reine Elisabeth II. Satisfaite de l’adaptation excepté de la moustache du personnage de Poirot, elle réalise alors sa toute dernière apparition en public. Elle disparaît deux ans plus tard dans sa résidence près d’Oxford.
Auteur de 66 romans, de 154 nouvelles et de 20 pièces de théâtre, Agatha Christie est l’un des écrivains les plus connus et les plus traduits au monde. Démultipliant les perspectives du roman policier, cette femme timide et rechignant aux conventions sociales de son temps, continue d’inspirer quotidiennement les artistes de tous bords, des comédiens aux cinéastes qui ne cessent de s’inspirer de ses crimes...presque parfaits.
Le saviez-vous ?
• La reine du crime n’a pas écrit que des polars : sous le pseudonyme de Mary Westmacott, elle a également publié des romans à l’eau de rose
• Elle a terminé ses études en France, dans une maison d’éducation à Paris
• Elle a été l’une des premières anglaises à pratiquer le surf
• En août 2015, des chercheurs de l’université de Belfast ont affirmé avoir mis au point une formule mathématique permettant de découvrir le coupable des romans d’Agatha Christie
• C'est à la suite d’un pari avec sa sœur, qu’elle écrit son premier polar
• Agatha Christie a disparu pendant 12 jours et personne n’a jamais connu la raison de ce mystère. Pendant cette période, pas moins de 15 000 bénévoles assistent la police dans ses recherches
• Avec plus de 100 millions d'exemplaires, son roman les
Dix petits nègres est dans la liste des ouvrages les plus vendus au monde, le premier roman policier et le septième livre tous genres confondus
Chronologie
15 septembre 1890 : Naissance d’Agatha Mary Clarissa Miller en Angleterre
1910 : Rédaction de sa première nouvelle :
The House of beauty 1912 : Agatha rencontre Archibald Christie, son futur mari, lors d’un bal
1917 : La jeune femme obtient son diplôme de pharmacienne
1919 : Naissance Rosalind Christie, la fille d’Agatha
1920 : L’éditeur Bodley Head accepte de publier son premier roman :
La mystérieuse affaire de Styles 1924 : Publication de
L’Homme au complet marron 1926 : Début de la célébrité pour Agatha Christie grâce à la publication du
Meurtre de Roger Ackroyd. La même année, elle perd sa mère et son mari lui annonce son envie de divorcer
4 décembre 1926 : Meurtrie, Agatha Christie disparaît pendant 12 jours
1930 : Elle fait la rencontre de Max Mallowan qui deviendra son second mari et publie son premier roman non policier
Musique barbare 1934 : Publication du
Crime de l’Orient-Express 1936 : Publication de
ABC contre Poirot suivit de
Mort sur le Nil l’année suivante
1939 : Son mari s’engage dans la défense civile alors qu’elle publie
Dix petits nègres, adapté au théâtre un an plus tard
1945 : Adaptation théâtrale de son roman
Rendez-vous avec la mort 1956 : Agatha Christie est élevée au rang de Commandeur de l'ordre de l'Empire britannique
1975 : Elle publie
Hercule Poirot quitte la scène, ouvrage dans lequel son personnage éponyme perd la vie
12 janvier 1976 : Disparition de la célèbre romancière près d’Oxford
Influence et héritiers
Si on lui connaît également des romans à l’eau de rose, Agatha Christie a principalement influencé le monde littéraire policier. Elle a participé à l’essor de ce que l’on appelle la “detective fiction”, sous-genre de la fiction de crime et née avec
Edgar Allan Poe et son
Le Double Assassinat de la rue Morgue, suivi de La Lettre vo..., que Christie lisait étant enfant. En France, c’est
Emile Gaboriau avec
Monsieur Lecoq en 1869 qui démocratise le genre auprès du grand public. Ce genre, dans lequel des figures récurrentes d’enquêteurs privilégient les jeux de l’esprit à l’action, a connu ses heures de gloire pendant l’entre-deux-guerres et Agatha Christie joue pour beaucoup dans la notoriété de cette mouvance littéraire.
A l’origine, ce sous-genre littéraire s’intéressait principalement à la résolution de crimes par des enquêteurs, qui jouaient de leur intuition et de leur perspicacité. Inspirée par cette mouvance, et notamment par les intrigues de
Gaston Leroux, l’auteur du
Le Mystère de la chambre jaune, Agatha Christie a su créer un genre d’intrigue bien à elle. Elle est même considérée comme l’une des auteurs les plus novateurs au regard de l’évolution du genre policier à son époque. Conservant certains éléments de la “detective fiction” classique, comme la récurrente présence d’un cadavre ou le dévoilement de l’identité du meurtrier dans les toutes dernières pages du livre, elle a rompu avec certaines règles établies par la communauté littéraire. Avec ses fameux détectives, fils spirituels du Sherlock Holmes d'
Arthur Conan Doyle, elle parvient à créer des machinations toujours plus complexes, tout en veillant à donner à ses lecteurs des indices théoriquement suffisant à la résolution de l’enquête.
Elle a par ailleurs développé un autre aspect du genre en mettant en avant l’explication du comportement du criminel par des renseignements concernant sa personnalité. En d’autres termes, en plus des indices disséminés au cours de la lecture, le lecteur peut également établir des suppositions fondées sur des mobiles psychologiques.
Parallèlement à ce nouveau genre d’intrigue, la reine du crime savait également faire preuve d’humour et laissait transparaître une certaine ironie envers les règles sociales du monde qu’elle fréquentait, ce qui a terminé de rendre ses écrits uniques en leur genre.
Il serait évidemment trop simple de conclure sur l’influence des écrits de Christie sur l’ensemble des écrivains de polar qui lui ont succédé. En revanche, l’unicité de son style est si difficilement égalable que personne, pas même sa légataire officielle, ne prétend copier la reine du crime. Les ayants droits d’Agatha Christie ont cette année en effet cédé les droits du personnage d’Hercule Poirot à
Sophie Hannah, une auteur britannique, afin que cette dernière puisse redonner vie au célèbre enquêteur. Elle l’a notamment fait dans son roman
Meurtres en majuscules. Sans chercher à imiter la reine du crime, ce qu’elle juge être absolument impossible, elle se revendique plutôt d’un genre de “continuation novel”, c’est à dire un genre littéraire qui vise à reprendre les personnages d’une série après la mort de l’auteur original, et refuse catégoriquement d’entendre dire qu’elle fait “revivre Poirot”. Elle le continue un point c’est tout.
Loin d’être cantonnée à la littérature, les histoires d’Agatha Christie nourrissent encore beaucoup le monde du cinéma. Le film
Gone Girl, paru en 2014 par Gillian Finch reprend de très nombreux éléments de la disparition de l’écrivain, et la mini série de Sarah Phelps portant
Dix Petits nègres parue en Noël 2015, en sont des exemples parmi une multitude.