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Critiques de Annie Ernaux (2584)
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Mémoire de fille

Annie Ernaux convoque à nouveau sa mémoire, ici la mémoire d'une toute jeune fille de 18 ans. « La fille de 58 ». Ainsi nomme-t-elle aujourd'hui celle qu'elle était hier.



Dans une démarche d'introspection poussée à l'extrême elle exhume en effet cet été de 1958, retraçant en détail « l'expérience » qui l'aura marquée à vie, épisode jusque-là absent et pourtant résolument fondateur de son oeuvre autobiographique, si j'ai bien tout compris.



Alternant le « elle » et le « je » en un monologue presque schizophrène reliant passé et présent, la narration se fait à la fois analyse impitoyable et acte de résilience, mais tourne en boucle à mon sens et impose à ce texte une atmosphère pesante et désincarnée à laquelle j'ai peu adhéré.



Manque de recul peut-être – c'est ma première lecture de cette auteure – manque d'identification aussi, quand pourtant Annie Ernaux ambitionne «une autobiographie qui se confonde avec la vie du lecteur», un miroir universel où il puisse se reconnaître… Hélas, miroir mon beau miroir, tu es resté pour moi désespérément muet.




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Passion simple

En à peine 70 pages, Annie Ernaux raconte l'amour et le désir -à moins qu'il ne s'agisse de souffrance ?



Dans cette autofiction, l'auteur relate de façon à la fois succincte et intense la liaison qu'elle a entretenue avec un bel étranger en poste à Paris, et marié. Pendant cette période, elle n'a fait que l'attendre et recentrer toute son existence autour de lui, pour quelques brefs moments de bonheur.



J'ai aimé la sincérité avec laquelle Annie Ernaux s'auto-analyse, ne s'épargnant aucun ridicule (renoncer à passer l'aspirateur pour être sûre d'entendre la sonnerie du téléphone) et ne cherchant jamais à se justifier. En cela, elle témoigne des aspects peu glorieux que la passion instille chez ceux qui la subissent (paris irraisonnés, consumérisme futile), et surtout de la monomanie qui coupe des autres et de soi-même. Mais l'auteur est quand même une brillante intellectuelle de près de 50 ans, et une telle dépendance amoureuse m'a surprise. Cette vision ne donne pas franchement envie de connaître pareille expérience, d'autant que la froideur chirurgicale de l'écriture contribue à en faire une passion finalement triste.



J'espère vraiment qu'Annie Ernaux a gardé le meilleur de l'histoire pour elle.
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Passion simple

Encore un livre étonnant d'Annie Ernaux qui, personnellement, m'a davantage touché que "Une femme" et au moins tout autant sinon plus que "La place". L'auteure nous raconte la folle passion qu'elle a vécue pour un homme, originaire de l'Europe de l'Est et marié, désigné dans ce livre par l'initiale A, jusqu'à son départ pour un autre pays. le rapport quasi clinique qu'elle nous livre sur cette passion dévorante est un paradoxe en soi qui traverse tout le livre : comment une femme qui, abandonnant tout sens critique, ne vit plus que dans l'attente et le désir de l'autre est-elle capable, quelques semaines après la fin de cette aventure, d'en écrire le récit de façon si dépassionnée ? Sans doute que l'écriture est, pour Annie Ernaux, une passion encore plus dévorante et que la passion pour son amant a servi à alimenter cette autre passion, encore plus puissante. Vers la fin du livre, quelques paragraphes nous renseignent sur la façon dont l'auteure a écrit son récit : « Mais je continuais à vivre. C'est-à-dire qu'écrire ne m'empêchait pas, à la minute où j'arrêtais, de sentir le manque de l'homme dont je n'entendais plus la voix, ne touchais plus la peau, qui menait dans une ville froide une existence impossible à me représenter – de l'homme réel, plus hors de portée que l'homme écrit, désigné par l'initiale A. ».



Je reste fasciné comme le cobra par la flûte du charmeur de serpent.
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La place

Annie Ernaux nous parle de son père, cet homme dont elle s'est éloigné. Sans émotion ni jugement, elle nous livre la vie de cet homme, vacher devenu patron de café.

Il est difficile de noter ce livre, car bien entendu il ne s'agit pas de juger cette histoire de vie. La forme d'écrit qu'a choisit Annie Ernaux n'est cependant pas très sympathique. Ce sont des mots, à peine des souvenirs de son enfance. Elle se détache de tout ça et nous avons un regard finalement froid sur ce qu'elle nous raconte...
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La place

J'avoue avoir eu quelques préjugés au départ, dans la mesure où, dans les manuels scolaires, on nous donne toujours les deux mêmes passages (celui où elle décrit sa rébellion lorsqu'elle était adolescente et celui où elle parle de la peur de ses parents face aux croix de feu). Par ailleurs, je trouve absurde de donner ces deux extraits car ils sont tirés de leur contexte et on leur fait dire n'importe quoi.





J'ai vraiment aimé ce livre à caractère autobiographique. le point de départ est la mort du père. Annie Ernaux va ainsi retracer la vie de ses parents à travers ses souvenirs. Il n'y a rien de larmoyant (ce que j'appréhendais). L'auteur décrit tout ceci avec une pudeur touchante. L'écriture est fluide.



Lorsqu'on commence ce livre (peu épais, certes, mais à quoi bon s'étaler lorsque tout est dit?), on ne s'arrête plus. On le lit d'un trait.



La Place a obtenu le Prix Renaudot en 1984.
Lien : http://promenades-culture.fo..
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Une Femme

« Aujourd’hui, maman est morte »  dit Camus dans l’Étranger.

« Ma mère est morte le lundi 7 avril » répète Annie Ernaux dans Une femme.

Les phrases sont semblables, et les récits sont différents.



Elle a offert des forsythias aux petites fleurs jaunes, elle veut mettre des lys blancs sur le cercueil, et finalement elle lui apporte des cognassiers (ou fleurs de coings, offerts par les grecs aux mariés), deux symboles de la jeunesse de sa mère.

Après la sécheresse de La Place, Annie Ernaux se lance dans le sentiment, celui vis-à-vis de sa mère, qu’elle pleure, dont elle déplore la disparition, dont elle ne peut reconnaitre la mort, puisqu’elle ne peut écrire «  maman est morte » sur la feuille qui reste blanche, dont elle avait eu l’intuition, brutalement, qu’elle pouvait mourir, avec la conclusion définitive : «  je ne voulais pas qu’elle meure ». Il s’agit pour elle de chercher une vérité difficile à mettre en mots, son projet se situe à la jointure entre social et littéraire bien que voulant rester, « d’une certaine façon, au-dessous de la littérature. »

Parce que, bien entendu, le projet principal, c’est d’écrire, et d’écrire sur le fait d’écrire.

L’amour d’une fille pour sa mère, « la seule femme qui ait compté pour moi », me touche cependant d’autant plus qu’il semble oublier le mépris qu’elle a pour son milieu social en général.

Voilà, on avance.



Bien sûr, on ne coupe pas à l’énumération de l’ascension de sa génitrice, depuis la ferme, jusqu’à l’échoppe commerçante, en passant par l’usine. : bien sûr, cette dernière a conscience d’être inférieure, mais refuse d’être jugée comme telle.

Bien sûr, dans ce monde-là on ne jette rien (encore une fois, dans le monde bourgeois d’après-guerre, on gardait tout aussi : la peau du lait que l’on faisait bouillir, le pain rassis, que l’on mouillait avant de le faire rôtir, etc. Ceci n’est pas la marque de la pauvreté, c’est le vécu d’avant le capitalisme).

Bien sûr elle compare les conseils maternels de ne pas faire de folies de son corps (au moment où la contraception et l’avortement n’existaient pas, le meilleur moyen était de garder sa virginité) à « ces mères africaines serrant les bras de leur petite fille derrière son dos, pendant que la matrone exciseuse coupe le clitoris » !

J’ai relu, de peur de n’avoir pas compris !

Bien sûr aussi, le spectre de l’alcoolisme, marque de l’indigence pour Ernaux. Je la cite, à la vue de sa tante portant ses bouteilles vides (geste plutôt écolo et moderne) : « Je crois que je ne pourrai jamais écrire comme si je n’avais pas rencontré ma tante, ce jour-là ».



Suivent des détails Ernaux aussi inutiles qu’incroyables : la mère a gardé sa culotte en entrant dans le lit le jour de sa nuit de noce. Ben, vlà aut’ chose. Et elle garde « ses serviettes avec du sang dans un coin du grenier, jusqu’au mardi de la lessive. » On est mis au courant de l’arrêt de ses règles, de sa honte quand elle devient incontinente.

La maladie d’Alzheimer, en plus de la rendre colérique, lui fait perdre la place qu’elle avait conquis, la place qu’elle tenait à payer par son travail. Le père ne se sent pas à sa place, comme le gendre dans La place. Et justement, parlons-en, c’est bien la veuve qui dort dans le lit de son mari mort, et pas le gendre et sa femme.



« A nouveau, nous nous adressions la parole sur ce ton particulier, fait d’agacement et de grief perpétuel, qui faisait toujours croire, à tort, que nous nous disputions et que je reconnaitrais, entre une mère et sa fille, dans n’importe quelle langue. »

« Il me semble maintenant que j’écris sur ma mère pour, à mon tour, la mettre au monde. »

Et même aveu oedipien à son honneur : « Nous étions, mon père et moi, amoureux de ma mère. »



Voilà, l’ambivalence entre amour et rejet ne peut pas être mieux exprimée. J’ai senti qu’à travers cette relation mère/fille, et sans doute grâce à sa complexité, le roman Une femme transmet parfaitement ce sentiment : « vivre toujours avec elle, dans un temps, dans un lieu, où elle est toujours vivante ».

Là, chapeau bas, Ernaux, malgré tous les mots populaires honnis, malgré les différences sociales, malgré tout ce qui les oppose, malgré la maladresse de dresser le portrait d’une colérique, et peut-être même avec ces clivages, l’amour est là, d’autant plus indéniable et fort qu’elle n’a pas pontifié un éloge funèbre.



Ce livre me donne envie de relire : « Une mort très douce », puisque Annie Ernaux note que sa mère est morte huit jours avant Simone de Beauvoir.  









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La place

J avais lu il y a une trentaine d années deux ouvrages d Annie Ernaux. J en ai gardé un vague souvenir détestable. Je me souviens d une scène où la jeune fille se disait dégoûtée par sa mère qui apres avoir fait pipi s était essuyee avec sa chemise de nuit. Pourquoi raconter ça ? Et puis il y avait cette manière de le faire.

L écriture était froide, désobligeante.



Issue moi aussi d un milieu ouvrier, je n ai jamais eu ce regard aussi dur sur cette classe sociale, sur ma famille. Oui des fois certaines choses m agaçaient. Mais j imagine comme dans tous les milieux. Pourquoi offrir en pâture sa famille? Pourquoi décortiquer, disséquer chacun de ses gestes?

Là encore je retrouve cette froideur. Cette absence de bienveillance. Cette absence de sentiments. Parce qu' ils font des " fautes de français " , se sentent moins bien que les autres, ils ne méritent pas plus de considération?

Et cette scène décrite de manière indigne où elle révèle avoir vu le sexe de son père lors de la toilette du défunt. Mais purée elle pense à quoi en écrivant ça ? ?? A vendre plus de livres?

Le mien est parti depuis 14 ans et je n aurais jamais pu écrire des choses pareilles. Mon coeur avait explosé en mille morceaux et j étais à 10000 kilometres de penser à ses manières ou à ses fautes de français. Chaque centimetre carré de mon corps n était que douleur. Alors qu on a l impression qu Annie regarde un chat écrasé au bord de la route.

Tout me manque chez mon père, y compris son parler gaga. Et oui des fois à la fac j ai eu peur de lâcher du parler gaga, de faire des erreurs de syntaxe. Et après ? Je suis devenue prof. Et ces mots là quand je les rencontre me font doucement sourire.

Donc je suis certainement à contre courant des autres lecteurs mais je n aime pas ce qu écrit Annie Ernaux ni dans le fond ni dans la forme.

Même si je peux comprendre le clivage entre les classes sociales, la honte de ses origines, la culpabilité aussi de s être élevée ou d avoir honte de sa famille...

Dit autrement peut être que cela passerait mieux.
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Regarde les lumières, mon amour

Deuxième rencontre avec Annie Ernaux, dont je me suis promis, dans mon parcours de découverte des Nobel, d'essayer d'appréhender le travail en faisant fi de mes a priori négatifs - a priori d'ailleurs confirmé par ma première lecture (Passion simple).

A ma grande surprise, l'expérience avec celui-ci a été un peu plus positive que je ne pensais, alors que je me souviens m'être gaussée à sa sortie, avec la petite moue méprisante du lecteur à qui on ne la fait pas, que l'on ose se targuer de faire de la littérature autour d'une promenade dans un supermarché.

Contre toute attente, "quelque chose" a fini par se passer au fil des pages. Une petite musique mélancolique, insinuante qui m'a embarquée dans ce récit, les mains accrochée au caddie.

Au point que l'idée qui me paraissait affligeante au départ, à savoir traiter le sujet de la "vraie vie" en prenant pour objet d'étude des allées d'un Auchan de banlieue, s'est avérée sinon lumineuse, du moins pertinente : quoi de mieux, ou de pire, pour souligner le vide existentiel face à la profusion, pour dessiner en creux la carte des classes sociales, que ces temples de la consommation sur-illuminés, aliénants, désespérément laids ou merveilleusement féériques, rythmant le quotidien à coup de foires de Noël, de rentrée, aux vins, aux jouets, aux sacro-saintes promotions.

Evidemment j'aurais préféré Houellebecq dans cet exercice, c'est tellement plus drôle quand c'est désespéré. Mais sous la plume d'Ernaux, banale (pas la trace d'une idée forte dans ses observations, juste quelques maladresses justement relevées par d'autres babeliautes), paresseuse même sur la forme (une restitution à plat de notes prises au jour le jour), on finit par se sentir pris dans un collectif, un peu triste, un peu médiocre, pas très grave, et cela laisse la sensation paradoxale d'un bourdon presque joyeux.

Alors, suis-je passée du camp des contre au camp des pour de cette auteure clivante? Pas encore, mais ma lecture suivante d'Ernaux (qui a sans doute influencé ce billet) me fait franchir un pas de plus...
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La place

Mon premier ouvrage d'Annie Ernaux. Une écriture neutre et factuelle, épurée, sans aucune "poésie du souvenir", dans laquelle l'écrivaine prend délibérément distance avec son sujet, ses parents et leur condition sociale. Celle de son enfance de fait, dont elle s'est extraite pour devenir une transfuge bourgeoise. L'ouvrage témoigne d'une longue tranche de vie, des codes sociaux qui exsudent et définissent les individus malgré eux. Très intéressant sociologiquement, un peu froid néanmoins pour moi. L'autrice a choisi le parti-pris d'une écriture dépourvue d'affect et arrachée "au piège de l'individuel", parti-pris scrupuleusement respecté jusqu'à la désignation de son propre enfant par le terme "l'enfant". En refermant le livre, je me suis demandée si des souvenirs plus tendres auraient réduit la valeur de témoignage social de cet ouvrage, je ne le crois pas. Ici, la famille, le milieu populaire, le provincialisme deviennent des objets de décortication. L'émotion n'est pas exempte de cet ouvrage mais elle n'est pas liée à l'évocation des ressentis de l'écrivaine, plutôt à la manière dont il résonne sociologiquement pour le lecteur. Je vais poursuivre la découverte des ouvrages d'Annie Ernaux...
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La place

j'avoue n'avoir jamais rien lu d'Annie Ernaux. Sa nobélisation, je sais ça peut paraître idiot, m'a incité à le faire...

J'ai trouvé ce texte admirable parce qu'il décrit avec beaucoup de justesse de pudeur et de réalisme des sentiments que j'ai moi même éprouvé vis à vis de mon père, maçon de son état, ainsi que les regrets que je garde longtemps après sa mort.

L'oeuvre d'Annie Ernaux mérite d'être connue et diffusée.

Après avoir terminée la lecture de la Place, une idée complotiste me vient à l'esprit. Une fois n'est pas coutume...

Et si l'Académie Nobel avait sciemment choisi d'honorer une auteure française affirmant que son écriture est « ce qu'[elle pouvait] faire de mieux comme acte politique, eu égard à [sa] situation de transfuge », au moment où le pays est dirigé par un Président représentant au yeux de l'opinion l'exacte opposé de ce qu'il déclare à propos d'Annie Ernaux «Sa voix est celle de la liberté des femmes et des oubliés du siècle.»

Oubliés qui continuent d'être oubliés quels que soient les gouvernements, quelles que soient les voix qui portent leurs paroles, quels que soient leurs revendications et leurs colères.

En cela la littérature de l'auteure mérite le plus grand respect.

Merci Madame !

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Le jeune homme

C'est plutôt rigolo, cet opuscule proustien en diable et pourtant d'une concision revendiquée (pas plus d'une subordonnée par phrase - et courte avec ça). Proustien car entièrement voué à la mémoire que seule la littérature parvient à dompter.

Annie Ernaux a un amant beaucoup plus jeune qu'elle, qui lui permet de rembobiner le temps ou plus exactement de s'installer au coeur de la répétition: tout ce qu'elle fait avec lui, elle l'a déjà fait avec d'autres et surtout elle l'a fait en étant lui, c'est-à-dire jeune et frustre. Et la relation qu'elle noue avec cet homme, elle la noue avec elle-même en se regardant du dehors, en s'objectivant comme personnage de roman. Dès lors, elle n'est pas la cougar qui initie le jeune éphèbe (rôle que la société lui réserve) mais l'initiée qui revit le passé avec la même jouissance étonnée et fiévreuse que Marcel portant à ses lèvres sa madeleine humide de thé.

La fin de cette liaison coïncidera avec l'écriture d'un livre sur son avortement subi à 24 ans, l'âge de son amoureux: comme on affronte le passé au cours d'une psychanalyse pour mieux s'en détacher, Annie Ernaux a pu revenir sur cette expérience mortifère et en faire le sujet d'un livre après avoir observé la jeune femme qu'elle était dans le corps de son amant.

Et ensuite, dit-elle, assez du passé et bonjour le 3° millénaire!

Bon, on ne se débarrasse pas aussi facilement de ses vies antérieures mais c'était une façon assez crâne d'achever ce texte.

Quant à moi, je vais arrêter là mon billet car il ne s'en faudrait pas de beaucoup qu'il ne soit plus long que le livre dont il voulait rendre compte.
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La place

Annie Ernaux nous parle de son père, ce n'est pas vraiment un hommage plutôt le récit d'une vie tout en gardant une certaine distance.

C'est cela qui m'a surtout gêné, le regard qu'elle pose sur les générations précédentes n'est pas sentimental, juste des faits énoncés sans fioritures. Il n'y a pas d'amour qui émane de ce témoignage, comme si ce couple était des étrangers.

Son père est passé de garçon de ferme à ouvrier puis commerçant. Une évolution donc, un changement de classe qui ne semble pas suffisant pour l'auteure.

Il y a eu une coupure à l'adolescence, la sensation d'être différente, une volonté d'évoluer, de s'extraire de cette condition, une honte même de ce que ses parents étaient. Et donc le désir de découvrir d'autres milieux, de laisser derrière soi ce qui lui rappele d'où elle vient.

Pas ou très peu de nostalgie, un témoignage froid qui m'a mis mal à l'aise. Je retiens surtout en point positif les descriptions intéressantes des conditions de vie de ces époques révolues.
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La place

Annie ERNAUX a perdu son père ; c’est l’occasion pour elle de convoquer ses souvenirs et de les coucher sur le papier.



Le temps qui a passé permet une étude plus aiguisée des faits, les souvenirs sont parfois un peu flous, presque dénués de sentiments ; c’est sans doute ce qui permet d’en apprécier l’essence. Une écriture simple, juste un récit de son enfance, très touchant.



L’autrice nous raconte son père qui a sué sang et eau en travaillant dans une ferme, puis son travail en tant qu’ouvrier à l’usine pour finir commerçant et le plaisir d’avoir réussi à s’élever un peu. Une fille qui fait des études, qui devient adolescente, et qui serait prête à faire la morale à son père, à lui expliquer la vie, ce qui se fait, ce qui ne se fait pas et une jeune fille qui va épouser un jeune homme qui vient d’un milieu plus aisé et qui sera peu à l’aise dans ce milieu « ouvrier » qu’il trouve inculte.



On retrouve dans ce récit des sujets intemporels : les classes qui ne se mélangent pas, la lutte des pauvres pour obtenir un statut plus élevé, le mépris des plus aisés… On retrouve également les conflits entre parents et enfants ; quand les petits grandissent et veulent apprendre la vie à leurs parents…



Bref, un livre émouvant, qui donne l’impression d’écouter sa grand-mère ou de lire un livre d’ethnographie, voire de philosophie par moments ; un récit court à méditer.



À lire après avoir feuilleté un album photos de famille, en écoutant « mon vieux » de Daniel Guichard, en sirotant un lait-grenadine accompagné de quelques boudoirs.



Mon compte Instagram : @la_cath_a_strophes
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La place

Ce n'était pas gagné d'avance, mais j'ai penché du côté de l'appréciation positive pour La place. Contrairement à mes craintes je n'y ai pas vu ce mépris de classe que certains ont ressenti, mais plutôt un respect, une tendresse timide dans l'évocation sensible de ce père d'un autre monde, frustre et droit, derrière lequel l'auteur parvient ici encore à dessiner avec une acuité bluffante le tableau d'une certaine société française.
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Les années

Je viens de terminer avec émotion ce livre prodigieux, époustouflant, et d'une sincérité rare. Et puis, il y a tant de tendresse et d'humanité qui transparaît derrière ce choix revendiqué du récit impersonnel. Pour moi, un véritable chef-d'oeuvre.



D'Annie Ernaux, j'avais énormément apprécié dans les années 80 ses romans La place et Une femme, consacrés en grande partie l'un à son père l'autre à sa mère. Cette façon de relier autobiographie et récit sociologique dans une écriture volontairement dépouillée, débarrassée de toute emphase, mais pas sans émotion, m'était apparue foncièrement originale.

Je ne sais pas m'expliquer pourquoi, depuis lors, je n'ai plus rien lu de cette autrice. Il y a comme cela des écrivain.e.s que l'on oublie alors qu'on les a aimés, c'est ainsi pour moi par exemple d'Andrei Makine dont je n'ai plus rien lu depuis le testament français, ou encore Gilles Leroy depuis Alabama Song.

Le Prix Nobel 2022 attribué à Annie Ernaux m'a incité, comme beaucoup d'autres je suppose, à aborder à nouveau l'oeuvre de cette autrice.



Après un petit hors d'oeuvre constitué par une chronique perspicace et tendre d'une année de courses dans l'hypermarché Auchan de Cergy, le plat de résistance qui m'attendait était ce formidable récit publié en 2008. Annie Ernaux, approchant des 70 ans, revient sur son parcours de vie en y mêlant les événements de la société et de la politique qui l'ont marquée.

Et le résultat est magnifique. Car cette narration impersonnelle et impressionniste, et pourtant si émouvante, dont elle s'explique en fin de livre, raconte à la fois plus d'un demi-siècle de notre mémoire collective, et les attentes, les déceptions et les joies, les combats de cette femme profondément humaniste et honnête.



Je sais que je ne peux pas être totalement objectif à l'égard de ce texte, car je suis de la génération de l'autrice, de quelques années plus jeune, comme elle issu d'une famille modeste, et ayant longtemps partagé, mais plus depuis les années 2010, ses opinions politiques. Évidemment, je n'ai pas vécu sa condition de femme et ses évolutions durant toutes ces années.

Mais que cela me parle, la vie d'après guerre, les récits des parents de « leur » guerre 1939-1945, les réunions de famille, les années yé-yé, mai 68 où j'étais étudiant, 1981 et ses grands espoirs finalement déçus, la société de consommation et ses dérives, l'avènement de l'ère Internet et du téléphone portable, des réseaux sociaux, et ce sentiment de décalage avec la vie actuelle, et tant, tant d'autres choses. D'ailleurs, ayant fini le livre, je n'ai qu'une envie, le relire. Et je remercie cette femme d'avoir ainsi donné vie à notre vie collective.

Et puis, l'évolution de sa vie, les attentes de l'enfant, de la jeune fille, sa condition subie de femme au foyer dans les années 60, son émancipation, sa vie professionnelle, amoureuse, les relations avec ses enfants empreintes de tendresse et d'étonnement, et enfin, la sérénité de la vieillesse. Et jamais de complaisance, d'auto-satisfaction, de misérabilisme non plus.

Des photos de famille constituent aussi les jalons de ce kaléidoscope personnel et collectif, conférant une mise à distance dans l'autobiographie.



Vraiment un très grand livre. Maintenant je comprends mieux pourquoi le jury du Nobel a voulu distinguer Annie Ernaux pour « le courage et l'acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements, et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ».

Enfin, un petit détail, peut-être pas si petit que cela, qui m'a émerveillé: c'est sa référence à Proust et à la mémoire involontaire, auquel elle consacre quelques pages, et cette façon dont, comme Proust dans le Temps retrouvé, elle termine son livre en annonçant comment elle a trouvé la manière de le construire. Et pourtant, quelle différence entre les méandres et la luxuriance de l'écriture de Proust, et celle si dépouillée de Ernaux. Mais cette différence ne doit pas nous tromper. Tous deux sont des écrivains qui mêlent mémoire personnelle et collective, et ont créé un « monde » si proche et si lointain, inimitable.



Je sais que beaucoup de lectrices et de lecteurs s'expriment, sur Babelio ou ailleurs, pour dire leur désintérêt, voire leur rejet de cette oeuvre qu'elles, ou ils, trouvent trop auto-centrée, voire narcissique, et puis ne laissant pas de place à la fiction, l'imaginaire.

Des lectures que j'ai faites et notamment de celle-ci, je ne partage pas cet avis. Pour moi, comme dans d'autres aspects de l'art, peinture, musique, etc.., il y a différentes approches qui ont toutes leur beauté, et que l'on ne peut comparer. En tout cas, et bien que je ne serais pas là pour le vérifier, je parie que l'oeuvre d'Ernaux, comme avant elle celle de Proust, restera dans cent ans, comme témoignage d'un monde disparu et comme source de réflexion sur la vie.

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Les années

Que d'émotions en lisant ce livre. Annie Ernaux nous entraîne dans un tourbillon historique et individuel d'où il est impossible de se sortir. Pas de "c'était mieux avant" possible. Le carcan social et religieux brimait l'individu et l'empêchait de s'accomplir. Faire partie du groupe absolument. La description de la première communion est à cet égard significatif. L'histoire nous entraîne comme une force à laquelle on ne peut échapper. Impossible dans ce milieu social par exemple de ne pas participer à mai 68. Pour autant , l'avenir est tout sauf radieux car la technologie et la société de consommation nous entraîne dans l'individualisation à outrance très bien décrite dans l'évolution des repas de famille où l'on peine à s'entendre sur des sujets de conversation. Les jeunes ne parlent plus que de leur "dernière bécane".

La protagoniste ne se retrouve plus dans l'éclatement familial et social.

Un roman sociologique et déterministe qui ne laisse pas indifférent.
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L'usage de la photo

Voilà un livre qui ne peut laisser indifférent à mon avis ceux qui liront ce récit à deux voix.

Parler de sexe à partir de photos de vêtements jetés dans l'excitation de l'acte, photographiés après les ébats. On pourrait dire, voilà un speech pour intellos tordus. Oui mais voilà, si le sexe est ainsi mis en scène, c'est parce que leurs auteurs sont dans un moment difficile de leur existence, Annie Ernaux se bat contre un cancer du sein, Marc Marie fait le deuil de sa mère. Deux êtres bousculés dans leurs chairs et leurs cœurs, le sexe comme une sorte d’exutoire face à la mort envisagée. N'y voyez aucun voyeurisme là dedans, le propos tient dans la réflexion de nos brèves et fragiles existences. Et la photo est réussit.

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La femme gelée

La femme gelée ou comment les petites filles joviales, brillantes et confiantes dans l’avenir deviennent des jeunes femmes ternes et stressées …



Annie Ernaux nous parle une fois de plus de son histoire : elle a grandi dans une famille atypique, le père aux fourneaux à écraser la purée, la mère cheffe de sa petite entreprise, au verbe haut et « qui ne soupçonne pas que la poussière doit s’enlever tous les jours ». Malgré cet exemple, la jeune Annie tombera dans l’aliénation domestique et le désenchantement qui guettent chaque fillette vite assignée à résidence à se couper en quatre pour être aux petits soins avec monsieur et à torcher les fesses de sa descendance, au sacrifice de ses aspirations professionnelles. Combien de fillettes ne sont-elles pas tombées dans ce piège, à coup de petites phrases bien mordantes, de regards accusateurs et culpabilisants de la famille ou de la belle-famille ?



Annie Ernaux décrit très méthodiquement comment le piège se referme peu à peu sur les jeunes femmes, et ce quel que soit leur niveau d’éducation, avec son écriture qui sublime le quotidien. Les portraits des uns et des autres sont saisissants de réalisme et surtout criants d’honnêteté, notamment le passage sur ses sentiments au moment du début de la première grossesse. Elle ne fait pourtant que décrire les petites choses communes de la petite vie des femmes mais c’est fait avec une telle justesse qu’on en ressent une certaine jubilation.



Certains ont critiqué son prix Nobel de littérature eh bien je ne suis pas d’accord avec eux : ici encore Annie Ernaux prouve qu’elle sait écrire ! Ce qui indispose peut-être certains et certaines c’est que son propos apparemment inoffensif se révèle être un manifeste brûlant pour plus d’égalité entre les hommes et les femmes, depuis l’école jusqu’à la maternité dans le cas de ce récit en particulier. Oui à une école qui ne brise pas les ailes des rêves des petites filles et qui ne met pas sur un piédestal la maternité.



C’est une lecture qui peut s’avérer douloureuse, car il est facile de se reconnaitre – à des degrés divers - dans les mots de l’auteure, et cela nous fait prendre conscience de notre propre aliénation, de nos lâchetés, de nos petits arrangements avec la réalité pour faire taire nos rêves abandonnés et nos ambitions sacrifiées, à l’autel de la maternité et de la vie de couple.



Annie Ernaux, ou la possibilité d’un retour sur soi-même, sa vie et ses choix …

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La place

Je viens de poser le roman d'Annie Ernaux que je m'étais promis de lire, même avant qu'elle ne soit récompensée par son prix Nobel (pas Chantal, l'autre!)

J'ai été surpris, ça fait peur un Nobel de Littérature, on s'attend à trouver une écriture complexe avec des lignes à relire plusieurs fois pour être sûr d'en avoir bien saisi le sens.

Pas du tout, pas de ça ici.

Pour moi, c'est une histoire simple avec une écriture simple pour parler de gens simples qui vivent simplement dans laquelle, j'y ai retrouvé parfois quelques miettes de ma propre histoire, avec les gens simples qu'étaient mes parents mais que j'ai beaucoup aimés, tout simplement.

Je remercie Annie Ernaux pour cette belle écriture, pas si froide que ça (cela m'étonne un peu de lire ce type de commentaires parfois!) car j'y trouve beaucoup de coeur, beaucoup d'amour, même si parfois son personnage a ressenti de la gêne, voire de la honte pour ce milieu qui cachait ses origines. Son amour est bien réel, simple aussi mais je le ressens fortement.

Merci Madame Ernaux, merci pour votre écriture, pour votre engagement réel aussi, surtout après avoir entendu votre discours d'après Nobel! Merci pour vos prises de position politiques, et votre engagement contre la réforme Macron! Merci pour votre amour pour les gens simples!
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L'événement

Nous nous aimions le temps d'une chanson

--- en 1963 ----



"Des milliers de filles ont monté un escalier, frappé à une porte derrière laquelle il y avait une femme dont elles ne savaient rien, à qui elles allaient abandonner leur sexe et leur ventre. Faire passer le malheur."





Une écriture au scalpel, quasi chirurgicale qui dissèque l'événement au titre du droit imprescriptible d'écrire sur son expérience personnelle et de l'offrir en partage à d'autres, de parfaits inconnus, de prendre le risque de l'exposer comme son corps et son sexe l'ont été, du 20 au 21 janvier 1964.





Une épreuve, une douleur, qu'ont vécues clandestines des milliers de femmes, que vivent encore dans le monde certaines d'entre elles et/ou que risquent de connaître d'autres générations (si nous n'y veillons pas).





* Si je n'avais pas raté la projection grand écran du Lion d'Or de la Mostra

* Si Annie Ernaux n'avait pas été con-sacrée Nobel 2022

* Si la location VOD n'était pas arrivée à terme sans que je la visionne



* Si les USA, à l'été, et peut-être à l'automne 2022 (cfr élections de mi-mandat) n'avaient pas assassiné leur constitution tout comme Kennedy à Dallas l'année et le mois où lui a été confirmée une grossesse non désirée

.

* Si l'introduction du roman n'avait pas évoqué l'attente d'une réponse à un test de séropositivité me renvoyant aux enfants endormis lus en août

* Si le sujet ne m'avait pas paru aussi 'obligatoire' que certaines ordonnances en pharmacie



* Si certaines femmes ne s'étaient pas battues pour obtenir le droit à l'avortement, à la contraception, à la liberté de disposer de son corps comme un homme, d'en jouir sans en porter le malheur ou les conséquences, bien souvent seules.



* Si certains médecins n'avaient pas, à l'inverse des Dr N, V., de l'interne de l'hôpital-Dieu, du médecin de garde de la cité universitaire, couru le risque de se voir privés du droit d'exercer ou d'être pénalement condamnés



* Si les images évoquées dans ce roman n'avaient pas été aussi bien écrites, perturbantes, jusqu'à me provoquer les nausées d'une femme enceinte



" celle à 9 ans de la grand tache rosée, de sang et d'humeurs, laissée au milieu de mon oreiller par la chatte morte pendant que j'étais à l'école et déjà enterrée quand je suis revenue, un après-midi d'avril, avec ses chatons crevés à l'intérieur d'elle."



" --- un sac de biscottes vide et je le glisse dedans. C'est comme une pierre à l'intérieur. Je retourne le sac au-dessus de la cuvette. Je tire la chasse.

Au Japon on appelle les embryons avortés, mizuko, les enfants de l'eau."



" Mon ventre était une cuvette flasque. J'ai su que j'avais perdu dans la nuit le corps que j'avais depuis l'adolescence, avec son sexe vivant et secret qui avait absorbé celui de l'homme sans en être changé. rendu plus vivant et plus secret encore."





* S'il n'y avait pas eu une grève générale ce 9 novembre en Belgique me permettant de dormir un peu plus après une nuit courte peuplée de rêves

"Devant moi flottait un petit baigneur blanc comme ce chien dont le cadavre jeté dans l'éther continue de suivre les astronautes dans un roman de Jules Verne."



-- Si tous ces si ne s'étaient pas additionnés, alignés, je n'aurais ni lu ni terminé ni parlé de ce roman. --- Bref (le voilà revenu, mon bref)



Je serais passée à côté de l'événement: expérience indicible. Entre beauté singulière de l'écriture clinique qui prend aux tripes et horreur des émotions face à l'épreuve, la violence, l'indifférence complaisance ou curiosité de la fin de l'histoire, la brutalité des gestes et des propos: médecins, prêtre, étudiants ou fiancé.





(les Si --- Pas de ce billet sont un clin d'oeil à B. Giraud)



--- Nous nous aimions le temps d'une chanson. Nous vivions.
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