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Critiques de Annie Ernaux (2584)
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La femme gelée

Lu sur Babelio un commentaire lapidaire et insultant sur le Nobel donné à Annie Ernaux. Un truc nuancé du genre « Cette femme n’écrit pas de la littérature » Du coup, ça m’a donné envie de me replonger dans l’œuvre de la dame en question et ça tombait bien, j’ai retrouvé sur une étagère « La Femme gelée » que -honte à moi- je n’avais encore jamais lu.

Œuvre de jeunesse, le livre fait mentir tous ceux qui déplorent le style sec de la romancière. Ici ça claque, ça chahute, ça parle patois. C’est bien simple, j’ai pensé à Colette (N.B. (re)lire un bouquin de Colette). Il y a dans la description de cette enfance libre un bonheur contagieux. Ensuite ça râle et ça enrage de découvrir sa propre soumission au désir masculin. (Cool, Annie: on ne peut échapper ni à son temps ni à son adolescence). Et enfin la catastrophe annoncée, le renoncement à soi, l’abandon de toute ambition et le rôle d’épouse et mère dévouée pour tout viatique.

Ce livre, en fait, fait jubiler. Parce que, nous lecteurs de 2023 connaissons la fin de l’histoire. La femme gelée s’est extirpée du piège marital et, excusez du peu, pièce montée sur le gâteau, elle a gagné le prix Nobel. Et c’est quand même le bonheur, non, de lire qu’un homme il y a 50 ans, pouvait vous dire que, faute de pouvoir pisser debout, vous n’aviez pas droit à la parole. On vient de là, eh ouais, et que de chemin parcouru ! Le dégel est venu, pas pour tou.te.s, pas partout, mais quand même, et pour certains ce sont des dégelées qui ont transformé la météo des rapports hommes/femmes. Napoléon contemplait son pouvoir du haut des pyramides qui rehaussaient sa jeune gloire du rappel des civilisations autrefois altières et désormais caduques, Annie Ernaux est mon Napoléon à moi qui élève avec « La Femme gelée » le tombeau du patriarcat dont le triomphe passé nous fait mesurer l’étendue de notre liberté.
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Les années

Les années est un recueil de phrases ciselées décortiquant la mémoire, essayant de comprendre les liens entre souvenirs et identité, d'encapsuler la société française d'hier, bien loin de l'écriture "plate" d'Annie Ernaux – ainsi qu'elle-même caractérise son style. Sorte de biographie discrète, ce livre parvient à fondre l'existence individuelle au sein de l'existence collective, cette sorte de vague qui emporta chacune (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/11/08/les-annees-annie-ernaux/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Le jeune homme

C’est toujours un immense plaisir de découvrir un nouveau récit d’Annie Ernaux.



« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues », nous dit l’autrice dès la page de garde.

Nous sommes à Rouen, à la fin du 20ème siècle – Rouen, la ville qui a été celle de l’écrivain, qui a connu un avortement clandestin il y a bien longtemps. La narratrice accepte de rencontrer un jeune étudiant qui lui écrivait depuis un an et qui avait trente ans de moins qu’elle.



Ils nouent ce qu’on pourrait qualifier une relation sexuelle, une relation que la narratrice qualifie d’équitable : il lui donne du plaisir, il lui fait revivre ce qu’elle n’aurait jamais imaginé revivre, et elle lui évite un travail qui le rendrait moins disponible : « J’étais en position dominante et j’utilisais les armes d’une domination don, toutefois, je connaissais la fragilité dans une relation amoureuse » : le décor est planté.



Ils dorment dans l’appartement de l’étudiant, concoctent des repas sur une plaque électrique, vont parfois dans des café fréquentés par des jeunes. Le couple présidentiel de 2017 n’est pas encore arrivé, et ce type de relation n’est pas du tout dans l’air du temps : « comment peux-tu sortir avec une femme ménopausée » ? pensent probablement les jeunes qu’ils croisent.



L’étudiant est pauvre. Il n’a pas encore accédé au niveau de vie qui est celui de la narratrice à ce moment-là, il est même un peu « plouc » selon elle : cela la replonge doublement dans sa propre jeunesse, pauvre et sans culture non plus, à ceci près qu’elle pensait s’en sortir en travaillant – « avoir un métier avait été la condition de ma liberté » - tandis que lui essaye d’esquiver le travail en profitant tout de même des droits que la société peut lui accorder.



Une sensation étrange nait dans l’esprit de la narratrice, qui se retrouve face à lui dans des gestes qu’elle avait autrefois : « Avec lui je parcourais tous les âges de la vie, ma vie. ». Sensation qui se poursuit lorsqu’elle parcourt des lieux qu’elle a fréquenté à Rouen, comme la cité universitaire encore visible et restée quasiment en l’état.



N’est-elle pas en quelque sorte le personnage de sa propre fiction ? On peut se le demander.



Lorsqu’il évoque le futur, elle fait preuve d’une forme de cruauté. Elle lui répond « le présent suffit », mais ils peuvent parler tout de même du temps où il sera marié, père d’un enfant et … loin d’elle.

Le regard que les autres portent sur eux est bien sûr jugeant, mais ils n’en ont cure, et cherchent même les couples semblables au leur : une forme de connivence s’enclenche aussitôt.



Il y a même de la revanche chez la narratrice à s’afficher ainsi avec lui, comme sur la jetée près de la mer à Fécamp, en écho à une scène sur le même lieu lorsqu’à 18 ans elle se promenait sous le regard furieux de sa mère parce que portant une robe trop moulante : la différence c’est qu'avec l'étudiant elle ne ressent plus la moindre honte, voire même un sentiment de victoire.



D’autres coïncidences troublantes émergent encore, notamment lorsque la narratrice regarde son amant manger, et pense à cet autre étudiant de qui elle est tombée enceinte : et on comprend que tout le récit de cette relation n’avait qu’une finalité : pouvoir entreprendre le récit de l’avortement clandestin qui s’en est suivi à Rouen – et de fait mettre un terme à la relation avec l’étudiant.



Trois ans après la fin de leur histoire, Annie Ernaux publiait « L’Evénement » en 2000 (qui a fait l’objet d’une adaptation au cinéma).



Il faut donc relier ce « Jeune homme » à l’ensemble de son œuvre pour bien le comprendre. Je l’ai lu trois fois successivement pour en digérer le suc, et je me suis rappelée l’immense plaisir à lire « Les Années » que j’avais chroniqué il y a longtemps, mais aussi « Passion simple », « La place » ou « L’autre fille ».



Annie Ernaux est une très grande écrivaine, qui tient une place à part mais très importante dans la littérature française. On se ne lasse pas de la lire – je ne m’en lasse pas pour ma part. J’ai lu trois fois les 37 pages de ce « Jeune homme » et je pourrais recommencer encore sans problèmes.



Elle a une façon bien à elle de traiter du récit : il ne s’agit ni d’une confession, ni d’un aveu, mais de « sauver quelque chose du temps où on ne sera plus jamais » comme elle le dira dans « les Années ».

Elle a confié pourtant à François Busnel de la Grande Librairie se sentir un peu illégitime – pour moi sa légitimité dans la littérature française ne fait pas du tout débat.

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Les années

C'est une forme originale et étonnante d'autobiographie que nous propose Annie Ernaux.

Sur la forme d'abord :

- Une autobiographie où "elle", "on" et un "nous" impersonnel remplacent le "je". L'auteur se raconte comme elle conterait la vie d'une copine, ou d'un groupe de copains. On ne peut douter de la véracité du contenu, mais elle y met beaucoup de distance et de recul, qui cachent sans doute une grande pudeur.

- Une autobiographie rythmée par des photos ou des extraits de film, prétextes à analyser l'évolution physique de l'auteurs et l'impact personnel et sociétal du vieillissement.

- Une autobiographie continue, sans découpage en chapitres ou parties thématiques ou temporelles, qui se déroule inexorablement, comme le temps qui s'écoule.



Sur le fond ensuite : l'auteure nous propose tout autant une réflexion sur le temps qui passe et l'évolution de la société des années 1940 au début du 21ème siècle qu'une véritable biographie. Quand on tourne la dernière page, on a le sentiment d'en savoir plus sur l'environnement familial, social et sociétal dans lequel elle a vécu que sur Annie Ernaux elle-même, un peu comme si elle se caractérisait plus au travers de ses interactions avec les autres que par elle-même...



Le résultat est étonnant et intéressant, tant sur la forme que sur le regard porté sur la seconde moitié du 20ème siècle et le début de 21ème, même si on en apprend finalement assez peu sur ce qu'a fait l'auteure au cours de ces années.
Lien : http://michelgiraud.fr/2020/..
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Hôtel Casanova et autres textes brefs

Première incursion dans le monde d'Annie Ernaux . Son Nobel m'y a forcément poussé mais ce nom avait de toutes les façons suscité mon intérêt.

Et pour une découverte , ce fut une réussite.

Une dizaine de petits textes dont se dégagent un état d'esprit et une sensibilité qui m'ont charmé.

Les textes ont des thèmes variés: Amour adultérin, relation mère fille , décrépitude , chute du mur de Berlin , adoration de Pavese...

J'ai beaucoup aimé les mots posés sur sa mère, des mots suintant l'amour et emplis de tristesse devant l'action du temps.

Fabuleux aussi ce texte sur Leipzig, où l'auteure se rend dès la chute du mur , dans cette ex RDA déboussolée. Elle a raison, c'est à ce moment , quand la ville est encore dans son jus du capitalisme d'état, qu'il fallait y être.

Très belle découverte que je vais m'efforcer de poursuivre .
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Mémoire de fille

Il y a toujours un peu de gêne pour le lecteur dans ces livres très introspectifs, comme ceux d'Annie Ernaux ou de Christine Angot par exemple, qui cherchent une vérité, une explication dans un événement vécu.

Malgré cette gêne, j'avais beaucoup aimé les autres récits d'Annie Ernaux, mais je n'ai pas compris le sens de celui-ci.

Annie Ernaux, qu'elle va nommer "la fille" au lieu de "je" parce qu'elle ne se retrouve pas en elle, revient sur une période de sa vie qui l'a fortement marquée sans avoir jusqu'ici réussi à l'écrire.

A 19 ans, elle quitte pour la première fois ses parents, dont une mère omniprésente lui laissant peu de liberté, pour être monitrice dans une colonie de vacances. Très vite, le moniteur-chef, beau gosse, lui saute dessus, l'embrasse plutôt brutalement, essaie de coucher avec elle mais n'y arrive pas donc lui demande - ou plutôt la force - à lui faire une fellation.

Le lendemain, il fait comme si rien ne s'était passé mais elle, n'étant pas sûre d'avoir été déflorée, s'en vante quand même à sa co-turne et bientôt tout le monde est au courant. A partir de là, d'autre moniteurs s'intéressent à elle, cataloguée "fille facile". Elle parle de honte, la honte qu'elle a, ou qu'elle refuse d'avoir.

Mais surtout, ce qui est surprenant mais sans doute lié à l'époque - les années 50 - , Annie tombe amoureuse de cet homme qui a juste eu envie de baiser et qui s'en est pris à la première ingénue venue pour tirer son coup. Aujourd'hui, on pourrait presque parler de viol, mais elle, malgré la brutalité de la relation, fait une fixation sur lui, s'imagine qu'ils sont liés, qu'une romance commence. Une année durant, elle sera obsédée par cette histoire qu'elle s'imagine, se sentant différente des autres parce qu'elle a accédé au sexe, fière de ne plus être vierge, devenue femme, supérieure aux autres filles qu'elle fréquente.

Ce qui me dérange ici, ce n'est pas tant cette naïveté et cette fierté liées éventuellement à ses 19 ans à l'époque, mais c'est que quarante ans plus tard, l'autrice en est encore à considérer cette relation, le fait qu'elle ait eu une relation sexuelle à cet âge, de cette manière, hors mariage, comme un acte rebelle qui la place hors de la norme, qui la rend différente, délinquante? (elle a aussi volé des bonbons quand elle a eu sa période de boulimie).

Comme d'autres lectrices, j'ai attendu que le moment vraiment subversif arrive pour comprendre l'importance que les années 58-59 ont eu pour elle, et ... je n'ai pas vraiment saisi. J'ai trouvé ce récit pitoyable, tout comme cette relation avec le moniteur-chef, mais j'ai surtout vraiment détesté cette fille... pitoyable aussi. Et tout en décrivant avec lucidité et introspection cette période de sa vie, Annie Ernaux ne remet pas en question, ne prend aucune distance avec ses sentiments de l'époque, les revivant de plein fouet sans un regard mature. Je ne sais pas quel sentiment elle a pu éprouver quand elle a fini d'écrire. Je n'ai pas vu l'intérêt de cette publication.
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Mémoire de fille

C'est le quatrième ou cinquième livre que je lis d'Annie Ernaux, en quelques mois. Ces questionnements, son introspection parfois brutale de certains moments de sa vie, je l'avoue résonne en moi comme des petites voix qui me font tendre l'oreille.

Mémoire de fille n'échappe pas aux autres de ces romans, même si cette fille de 58 me paraît lointaine, inexistante, Annie Ernaux avait alors 18 ans, et moi je n'étais pas née, elle me touche.

Certaines de ses phrases font incontestablement mouche, comme celle-ci par exemple :

" Mais à quoi bon écrire si ce n'est pour désenfouir les choses, même une seule irréductible à des explications de toutes sortes... une chose sortant des replis étalés du récit et qui puisse aider à comprendre-- à supporter __ce qui arrive et ce qu'on fait"

C'est là, l'une des clés essentielles que permet l'écriture à mon sens, Annie Ernaux écrit pour comprendre qui elle est, qui elle a été.

Au moment de la rédaction de ce roman, elle a 50 ans de plus, mais la clarté de ses souvenirs, de ses émotions est intacte, ce qui lui permet cette introspection même si elle est parfois laborieuse.

Très intéressante, cette confrontation avec Simone de Beauvoir, d'ailleurs comment ne pas établir un parallèle dans les titres des livres de ces deux femmes.

Mémoire de fille renvoie à Mémoires d'une jeune fille rangée. Sauf qu'Annie Ernaux ne s'octroie pas le mot" jeune", non, elle est plus brutale. Peut être pense-t-elle qu'elle ne peut pas s'octroyer ce mot en lien avec son milieu social. Mais ce n'est qu'une supposition de ma part.

En tout état de cause, Annie Ernaux est passionnante et a, j' en suis sûr à encore beaucoup de choses à m'apprendre, à me dire.





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La place

L'auteure a su trouver les mots, ces mots que l'on ne dit jamais, ces mots qui vous poursuivent et qui s'éveillent un beau jour sans crier gare.



Ce livre m'a écorché le coeur, déchiré ce voile opaque posé sur mon âme d'enfant !



Il est bouleversant de sincérité, de culpabilité, de tendresse, et d'amour intense.



Cet amour que l'on voue à un parent, cet amour qu'on ne dit jamais ou pas assez, cet amour qui se rappelle à nous de manière brutale et définitive quand c'est la fin.



Les larmes d'un souvenir, d'une impuissance maculent mes joues ; ses larmes de tant de regrets, de ce qui ne sera jamais plus.



Douloureux jusqu'aux limites de l'insoutenable.



Ai été très sensible à cet amour qu'elle a voué à son père et ce mélange de respect et de rejet des habitudes de vie d'une certaine France "d'en bas" !







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La place

ce livre est ’une autobiographie dans laquelle Anne Ernaux décrit son enfance, pendant et après la fin de la deuxième guerre mondiale, la pauvreté dont ses parents voudront à tout prix sortir.



Elle décrit ses parents, surtout son père, qui parlait peu, dont elle n’était pas très proche, avec une précision pratiquement chirurgicale. Elle brosse un tableau, décrit les mœurs de l’époque, la façon dont les gens concevaient la vie, la réussite sociale, se sortir de son milieu, faire mieux que la génération d’avant.



On sent parfois qu’elle éprouve de la honte, vis-à-vis de la situation sociale de ses parents, par rapport aux autres familles ou aux copines de classe : « Voie étroite, en écrivant, entre la réhabilitation d’un mode de vie considéré comme inférieur, et la dénonciation de l’aliénation qui l’accompagne. Parce que ces façons de vivre étaient à nous, un bonheur même, mais aussi les barrières humiliantes de notre condition (conscience que ce n’est pas assez bien chez nous), je voudrais dire à la fois le bonheur et l’aliénation. Impression, bien plutôt, de tanguer d’un bord à l’autre de cette contradiction ». P 54



En parlant du café-alimentation, on peut lire par exemple : « Conscience de mon père d’avoir une fonction sociale nécessaire, d’offrir un lieu de fête et de liberté à tous ceux dont il disait « ils n’ont pas toujours été comme ça » sans pouvoir expliquer clairement pourquoi ils étaient devenus comme ça. Mais évidemment un « Assommoir » pour ceux qui n’y auraient jamais mis les pieds ». P 54



Ce qui frappe, c’est la froideur de l’écriture, on dirait que ce livre a été écrit au scalpel. On ne sent aucun affect, on suppose qu’il y a de l’amour entre eux, mais on ne le sent pas du tout. La description de la toilette mortuaire, par exemple, est sidérante. On n’a pas l’impression qu’elle parle de son père. Personne ne semble vraiment à sa place dans la famille, dans la société...



Il y a beaucoup de non-dits, très peu de communication au propre, comme au figuré, entre ces trois êtres qui cohabitent. On a l’impression parfois d’être dans un igloo où tout est gelé, les choses, les évènements, comme les êtres.



On pourrait se dire que c’est l’époque qui veut cela car les parents à la fin de la guerre et dans les années cinquante, communiquaient peu avec leurs enfants, ils éduquaient, il y avait peu de place pour les marques d’affection. On est à des années-lumière des parents copains.



En fait, quand elle évoque son fils, elle dit « l’enfant », « le petit bonhomme », elle parle de lui à la troisième personne, toujours et je dois dire que c’est glaçant encore une fois. On ne sent pas non plus d'amour, comme si elle parlait de quelqu'un d'autre.



C’est le premier roman de l’auteure que je lis et je ne pense pas continuer. Je suis sortie de ce livre en ayant l’impression d’avoir passé un mois sous la banquise et encore je ne suis pas certaine que le climat n’y soit pas plus doux… c’est bien écrit, certes, mais elle est à l’opposé de moi qui baigne plutôt dans l’hypersensibilité…



Je venais de terminer « Nos étoiles contraires » (dont je vous parlerai dans les jours qui viennent) quand j’ai commencé « La place », ce qui a encore accentué la sensation réfrigérante…



Note : 7/10

Challenge ABC
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Les années

« Toutes les images disparaîtront », avertit Annie Ernaux en incipit. Vrai ! Sans compter, au fur et à mesure que j’avance en âge, celles dont je suis la seule à me souvenir, parce que des personnes sont mortes et d’autres ont été perdues de vue.

L’autrice construit son livre à partir de photos. La première, sans doute de 1941, montre un bébé coiffé avec un rouleau sur la tête, il est à moitié nu sur un coussin ; avez-vous eu sous les yeux ce genre de photos, de vous-même ou de vos parents ou grands-parents ? Elles correspondent à une époque, tout comme les photos suivantes. L’une d’elles montre une petite fille aux cheveux courts et au ventre proéminent. En cette année 1944, était-elle atteinte de rachitisme ? Des temps oubliés de la narratrice, mais pas de sa famille.

Pas étonnant, donc, que le livre embraye sur les repas de famille et le grand sujet évoqué, cette guerre encore si proche.



Des images fortes, pleines d’émotion pour ceux qui l’ont vécu, ce qui est mon cas pour certains souvenirs, mais pour ceux qui ne l’ont pas vécu ? C’était il y a 80 ans. Viennent d’autres repas de famille, il y a soixante ans, quarante ans, puis vingt.


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Beaucoup de bons retours et de très bonnes critiques, et en dépit du titre ( aucun mauvais jeu de mots ), j'ai consacré la fin de ma soirée à la lecture de ce livre.

Je ne connais pas les chiffres, mais il n'est pas difficile de déduire de par nos lectures, de par ce qu'en rapportent les médias, des témoignages d'amis ou d'amis d'amis, notre ou nos expériences personnelles que cette cochonnerie de maladie n'est ignorée de personne.

Mes défunts père, tante maternelle et oncle paternel, sont entrés un jour dans cette nuit dont ils ne sont jamais sortis.

Un sujet que je connais bien, hélas !...

Que pouvais-je donc attendre des trois ans vécus par Annie Ernaux auprès de sa mère frappée par un mal qui m'est devenu familier ?

Rien en fait, si ce n'est la confirmation que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Sur les malades.

Sur leur entourage proche.

Sur les structures qui les "accueillent" et sur les "aidants" dont quelques-uns s'efforcent, et dont beaucoup d'autres sont dépassés.

Une heure à lire ces notes prises après chaque visite pendant trois ans.

Du tripal, de l'émotion brute ( non travaillée, non cérébralisée, non travestie )... livrée comme nous le sommes tous à " la grande conjoncture pathétique ..."

Rien donc de "littéraire" dans ce petit bouquin, juste le besoin de mettre des mots sur l'incompréhensible qui s'impose... et comme le dit Ernaux : " Quand j'écris toutes ces choses, j'écris le plus vite possible ( comme si c'était mal ), et sans penser aux mots que j'emploie."

Ceux qui veulent avoir une "approche" de ce qu'est cette maladie, de ce qu'elle génère, de ce qu'elle emporte... c'est un témoignage.

Ceux qui ont eu affaire dans leur vie à cet affreux mot : Alzheimer... ils n'apprendront rien de plus qu'ils ne savent déjà.

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Mémoire de fille

Lecture indispensable pour mieux saisir la misère sociale, culturelle et sexuelle de la France et en particulier celle d'une jeune fille de 18 ans en 1958. Quelle misère et quelle tristesse, on comprend mieux comment mai 68 était inévitable. On comprend également pourquoi l'auteur a attendu près de 60 ans avant de nous faire partager sa souffrance à tout point de vue. L'écriture est parfaite, maîtrisée, sensible et profonde comme habituellement avec les livres d'Annie Ernaux.
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L'autre fille

Lecture ancienne faite en juillet 2011...



Un bref récit poignant de l'auteure qui se remémore la violence d'une nouvelle entendue par inadvertance, l'été de ses 10 ans. se croyant fille unique... elle découvre qu'une petite soeur a existé avant elle, décédée toute petite...

Annie Ernaux relate avec finesse le poids des secrets, des non-dits sur l'avenir des individus...l'influence ultérieure sur la construction de son existence, en précisant qu'en plus, dans les années 50, il était interdit implicitement d'interroger ses parents...



Une phrase m'a profondément frappée: "Je n'écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j'écrive, ça fait une grande différence." (p.35)





"D'après l'état civil tu es ma soeur. Tu portes le même patronyme que le mien, mon nom de "jeune fille", Duchesne. Dans le livret de famille des parents presque en lambeaux, à la rubrique Naissance et Décès des Enfants issus du Mariage, nous figurons l'une au-dessous de l'autre.

Toi en haut avec deux tampons de la mairie de lillebonne (Seine-Inférieure), moi avec un seul- c'est dans un autre livret officiel que sera remplie pour moi la case décès, celui qui atteste de ma reproduction d'une famille, avec un autre nom.

Mais tu n'es pas ma soeur, tu ne l'as jamais été. Nous n'avons pas joué, mangé, dormi ensemble. Je ne t'ai jamais touchée, embrassée. Je ne connais pas la couleur de tes yeux. Je ne t'ai jamais vue. Tu es sans corps, sans voix, juste une image plate sur quelques photos en noir et blanc. Je n'ai pas de mémoire de toi. Tu étais déjà morte depuis deux ans et demi quand je suis née. Tu es l'enfant du ciel, la petite fille invisible dont on ne parlait jamais, l'absente de toutes les conversations. Le secret. " (p.13)



Un récit qui prend "aux tripes", car il parle du deuil, du manque indéfinissable provoqué par des non-dits familiaux, de la séparation... d'une des multiples nécessités de l'écriture... là en l'occurence, une sorte de "réparation", rendre "la vie" à un être de sa fratrie...



"Evidemment ,cette lettre ne t'est pas destinée et tu ne la liras pas. Ce sont les autres, des lecteurs, aussi invisibles que toi quand j'écris, qui la recevront. Pourtant, un fond de pensée magique en moi voudrait que , de façon inconcevable, analogique, elle te parvienne comme m'est parvenue jadis, un dimanche d'été, peut-être celui où Pavese se suicidait dans une chambre de Turin, la nouvelle de ton existence par un récit dont je n'étais pas non plus la destinataire. Octobre 2010" (p.78)
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La place

Un style épuré, distancié, dans lequel transparaît en filigrane, l'émotion, la douleur et l'amour pour un père. Un père, petit commerçant, duquel Annie Ernaux s'est peu à peu éloignée, de par son ascension sociale …



« Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé. »

Annie Ernaux retranscrit les expressions entendues, notées en italique:des gens pas fiers, on avait tout ce qu'il faut, ce qui se fait, il ne faut pas péter plus haut qu'on l'a.

A défaut d'images précises, elle retrouve, en observant des êtres anonymes, au travers des gestes, des postures, qui révèlent les signes d'infériorité, la figure de son père.

Entre bonheur modeste des gens simples et dénonciation de l'aliénation, de l'humiliation, subies par la classe ouvrière, un bel hommage d'une fille devenue « quelqu'un » à son père.

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Mémoire de fille

Annie D va avoir dix-huit ans. Elle est la fille d’épiciers et a suivi sa scolarité dans un établissement catholique. Elle a obtenu un poste de monitrice dans une colonie de vacances et c’est la première fois qu’elle sort de chez elle. Elle anticipe la joie de se retrouver avec des jeunes de son âge, mais elle n’a pas les codes et c’est la catastrophe.



Les codes, ce serait d’abord de savoir dire non à un garçon. Faute de le faire, elle passe pour une fille facile (nous sommes en 1958) et elle est méprisée par les autres.



Elle tombe amoureuse de H. Ou plutôt, elle lui est soumise alors que ce qu’elle a subi s’apparente à un viol, c’est ce qu’on dirait aujourd’hui. Ce qui ne vient pas le moins du monde à l’idée de la jeune fille bien que la violence de ces premières relations sexuelles ait des conséquences.



J’ai apprécié ce livre grâce à la finesse de la description de cette époque où l’autorité et l’interdiction remplaçaient l’éducation, avec pour résultat que les jeunes faisaient ce qu’ils voulaient loin de leur famille et de leurs amis. Et tant pis pour les filles qui ne l’avaient pas compris.


Lien : https://dequoilire.com/memoi..
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L'autre fille

‘'Elle raconte qu'ils ont eu une autre fille que moi et qu'elle est morte de la diphtérie à six ans, avant la guerre, à Lillebonne.''

‘'A la fin, elle dit de toi elle était plus gentille que celle-là

Celle-là, c'est moi.''

C'est par des mots échangés avec une cliente devant l'épicerie familiale, un jour de l'été 1950, que la petite Annie apprend, de la bouche de sa mère, qu'elle a eu une soeur. Une soeur morte avant sa naissance. Une sainte. Une fille parfaite et gentille.

D'elle, il ne sera plus jamais question. Ses parents n'en parlèrent jamais, croyant la préserver, l'enfermant dans un secret de famille et une concurrence déloyale. L'autre est la gentille, elle est la turbulente. L'autre est une sainte, elle est un démon. L'autre est morte pour qu'elle puisse vivre.



Présenté sous forme de lettre pour la collection ‘'Les Affranchis'', L'autre fille est un récit autobiographique où Annie Ernaux évoque ses dix ans, la révélation fortuite de l'existence d'une soeur, sa mise à distance et les réflexions que cela a engendré.

‘'Mais tu n'es pas ma soeur, tu ne l'as jamais été. Nous n'avons pas joué, mangé, dormi ensemble. Je ne t'ai jamais touchée, embrassée. Je ne connais pas la couleur de tes yeux. Je ne t'ai jamais vue. Tu es sans corps, sans voix, juste une image plate sur quelques photos en noir et blanc. Je n'ai pas de mémoire de toi. Tu étais déjà morte depuis deux ans et demi quand je suis née. Tu es l'enfant du ciel, la petite fille invisible dont on ne parlait jamais, l'absente de toutes les conversations. le secret.''

Annie comprend qu'elle vit parce que sa soeur est morte, qu'elle n'est qu'une remplaçante, un second choix.

A travers sa lettre à l'absente, elle analyse le deuil impossible de ses parents et dissèque l'impact du secret sur son enfance, sa place dans le monde, sa légitimité.

Si l'écriture d'Annie Ernaux peut paraître froide et distanciée, on sent la douleur insidieuse, l'impossibilité de questionner ses parents qui partiront sans jamais avoir ouvert leur coeur à leur fille. Autres temps, autres moeurs…L'autrice évoque une époque où les parents ne s'épanchaient pas, où les enfants devaient rester ‘'à leur place''…

Un texte troublant et fort, une belle entrée en matière dans l'oeuvre de la française nobélisée.

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L'événement

Annie Ernaux raconte ici une "affaire de femmes".

Alors qu'elle vient de passer un test de dépistage du SIDA et qu'elle est plongée dans la rédaction d'un roman, l'auteur repense à l'avortement qu'elle a subi 35 ans auparavant.

Le récit alterne entre la retranscription crue des faits et les réflexions développées avec le recul du temps ; Ernaux est à la fois le personnage principal et sa propre commentatrice. De son ton direct et clinique, elle procède à la description la plus fidèle possible de son expérience, sans fausse pudeur ni exhibitionnisme -et sans plainte. L'affect ne transparaît que pour dénoncer le mépris de classe et le patriarcat qui régnaient à l'époque de ses vingt ans, et c'est ce qui rend le texte si fascinant à lire. J'ai aimé sa colère d'insoumise.

Avec ce court récit, Ernaux revendique son appartenance à cette longue lignée de femmes ayant dû recourir à un avortement clandestin, puisque empêchées par la loi de disposer de leur propre corps, de leur avenir et de leur vie, tandis que le personnel de santé qui se risquait à interrompre une grossesse non désirée encourait la prison. C'est pourquoi j'ai trouvé ce court récit courageux, d'autant qu'il souligne l'écrasante solitude avec laquelle elle a traversé cette épreuve, malgré une solidarité féminine discrète et inattendue, et qu'il pointe l'hypocrisie de la société d'alors.

(D'alors seulement ?)



"N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant." Simone de Beauvoir
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Les armoires vides

Je garde de ce livre un souvenir poisseux.

Ce livre colle, ce livre coule, il tache, il moisit, il pourrit.

L'écriture d'Annie Ernaux - et en particulier dans ce roman - est très matérielle, terrestre. Ces passages coulants sont souvent liés à la condition sociale de l'héroïne, Denise. En effet, cette dernière est la fille de petits commerçants, d'ouvriers incultes et modestes, mais grâce à ses excellents résultats scolaires, elle entrera à l'école privée, décrochera son bac, entrera à l'université.

Denise est à cheval entre deux mondes, le monde poisseux de son enfance où l'on mange avec les doigts et où l'on fait pipi au fond de la cour, et le monde éthéré des bourgeois, dont il lui a fallu apprendre les codes. Ce roman, c'est un roman de déchirure entre ce que l'on était, ce que l'on est, ce que l'on voudrait être et tout ce qu'il y a entre ces catégories.

Une de mes lectures les plus intéressantes de ces deux dernières années, en dépit de la prose dense et saccadée qui vous laisse une boule dans le ventre.
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L'autre fille

A la fin des années 90, j'avais découvert et m'étais pris de passion pour l'oeuvre d'Annie Ernaux.



Je l'avais dévorée en quelques mois.



La tâche n'était pas si herculéenne : Annie Ernaux est l'auteur d'une douzaine seulement de courts romans autobiographiques. Elle y décrit ses origines modestes, dans la petite ville normande d'Yvetot, son avortement à la fin des années 60, l'échec de son premier mariage, l'accession à une forme d'indépendance financière et sexuelle ....



Dans son dernier livre, qui se présente sous la forme d'une lettre ouverte, elle s'adresse à sa soeur morte à l'âge de six ans, en 1938, deux ans avant sa naissance. Ses parents lui en avaient caché l'existence et elle la découvrit par hasard alors qu'elle était encore enfant. Cette soeur morte à un âge innocent fut longtemps sa concurrente : elle était "gentille" alors que la jeune Annie, déjà turbulente et indépendante, l'était si peu.



René Féret, qui avait vécu la même histoire, en a fait un très beau film méconnu "Baptême"



Plus bref encore que ses précédents livres qui l'étaient déjà beaucoup, "L'autre fille" semble marquer l'épuisement d'une oeuvre narcissique. Depuis quarante ans, Annie Ernaux ne réussit pas à parler d'autre chose que d'elle-même, de sa famille, de son parcours. Bien sûr l'angle de vue est chaque fois différent. Mais elle n'évite pas le ressasement ni la répétition (on retrouve le père violent évoqué dans "La place" ou la déchéance de la mère racontée dans "Je ne veux pas sortir de ma nuit"). A plus de 70 ans, elle a peut-être atteint les limites de sa démarche.
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L'événement

Ca y est, j'ai enfin lu notre dernière Prix Nobel de Littérature ! Et je l'ai fait davantage pour le challenge solidaire que par curiosité, les avis très partagés ne me motivant pas.

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L'événement qui donne titre au livre, c'est un avortement, l'auteure y racontant son expérience.

Enfin y racontant rapidement son expérience, car le livre est très court, très très court. Comme tous les livres d'A. Ernaux si j'ai bien compris.

Sans exiger que tout livre sorte en pavés, j'aime quand même quand un récit prend le temps de se poser. Là je n'ai pas réussi à sentir l'inquiétude chez la jeune femme pourtant devant une situation plus que difficile à cette époque où l'avortement était poursuivi au pénal. De fait il m'a manqué un peu d'empathie, de chaleur dans ce récit presque trop clinique.

J'ai trouvé intéressant les réactions des personnes qui se trouvent témoins de ce récit (dans un sens ou dans l'autre). Mais c'était trop court, trop rapidement traité.

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Disons que ce livre a le mérite de rappeler que l'avortement est un acquis récent, qu'il faut se battre pour qu'il demeure un droit. Dans l'espoir (utopique) de le voir un jour se généraliser....
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