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Critiques de Annie Ernaux (2584)
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Une Femme

Lorsque j'appris tout récemment qu'Annie Ernaux venait de se voir décerner le prix Nobel de littérature 2022, je fus tout d'abord étonné. N'ayant encore rien lu d'elle il me fallait faire le choix idéal d'une lecture pour entrer dans son univers. J'annonçai un matin sur le fil du challenge Prix Nobel de Babelio que je venais d'emprunter Une femme auprès de ma médiathèque préférée. Je n'avais pas pris conscience de la portée ambiguë et cocasse d'une telle phrase. C'est mon amie Isacom qui me l'a fait remarquer tout-à-l'heure, évoquant les commentaires bon train que je n'avais pas vus.

Elle fut une femme tout d'abord, elle fut une mère plus tard. Annie Ernaux donne ici naissance à cette femme ordinaire, qui s'est éteinte un lundi sept avril dans une maison de retraite de province.

« Il me semble maintenant que j'écris sur ma mère pour la mettre au monde. »

Comme j'ai aimé cette image inversée convoquant le seul pouvoir des mots et leur magie. Annie Ernaux en effet met au monde sa mère à travers ce texte simple et beau, pour lui redonner vie le temps de quelques pages, refaire le chemin en sens inverse vers elle.

Combien de temps faut-il attendre avant de saisir une feuille blanche, commencer à écrire quelque chose, une esquisse tout d'abord, une première phrase peut-être, par quels mots commencerait-elle ? J'imagine ainsi l'écrivaine devant un bureau, peut-être une fenêtre offre un paysage, une perspective lointaine, un horizon. Peut-être y-a-t-il une photo de sa mère tout près d'elle ? Une photo d'elle jeune, vieille ? Peut-être au contraire cela l'aurait-elle gênée dans son inspiration ? Je me suis posé toutes ces questions.

Annie Ernaux visite ce chemin d'avant comme une chronique d'autrefois et en même temps actuelle, avec parfois moultes détails qui nous donnent à percevoir des bruits, des images qui nous deviennent familiers...

Elle fouille dans sa mémoire, comme cela, pêlemêle, et viennent alors en désordre des scènes où apparaît cette femme active, vive, orgueilleuse, parfois violente.

Elle semble avoir toujours été là, mais comment séparer le réel de l'imaginaire lorsqu'on convoque nos proches dans les souvenirs des jours passés. Et comment les faire vivre aussi, avec cette part de vécu qu'ils ont sans nous ?

Elle nous parle de celle qui fut belle pendant les années de la guerre...

Elle nous parle des étés au bord de la mer...

Elle nous parle de celle qui chantait à pleine voix à l'église.

Elle nous parle de celle qui avait aussi un rapport presque sacré avec les livres.

S'élever, pour sa mère, c'était d'abord apprendre, sortir ainsi de sa condition misérable.

« Elle a poursuivi son désir d'apprendre à travers moi. »

Annie Ernaux a cette envie d'ancrer son histoire dans sa condition sociale et qui, si j'ai bien compris, fait le sel de ses livres.

Elle nous évoque les débordements de tendresse, les reproches, les disputes de sa mère avec son père, la violence des mots...

En écrivant ce récit, Annie Ernaux oscille entre la « bonne » mère et la « mauvaise » mère, dans cette ambivalence qui sans doute parle à certains d'entre nous. Regard sombre, regard affectueux, regard faseyant, parfois empathique, parfois sans concession, livrant les qualités et les défauts d'une personne au caractère fort, entier, exigeante avec les autres autant qu'avec elle-même.

Annie Ernaux nous évoque l'adolescence, où l'on se détache parfois de ses parents, ici celle-ci évoque son éloignement de sa mère, le thème de la liberté féminine, les combats qui vont donner sens à son itinéraire d'écrivaine tandis que pour sa mère, la liberté des femmes n'était que perdition... Comment alors dans ces cas-là, ne pas rompre les amarres ?

D'une écriture sobre, pudique, loin des effets de style, Annie Ernaux rend hommage à celle qui n'avait pas d'histoire, ou peut-être ne semblait pas en avoir, mêlant l'intime à ce paysage social qui lui tient aussi à coeur.

Annie Ernaux a cette envie d'ancrer son histoire dans sa condition sociale et qui, si j'ai bien compris, fait le sel de ses livres.

Elle sent parfois que quelque chose en elle lui résiste dans cette écriture, ce cheminement, l'envie de ne conserver de sa mère que des images purement affectives, joie, tristesse ou colère, sans leur donner un sens... Mais le cheminement d'Annie Ernaux est d'aller toujours plus loin... Sinon, ce serait quoi écrire ?

Elle a le pouvoir de nous faire reconnaître dans ces pages nos mères, celles qui sont uniques, qui nous manquent lorsqu'elles ne sont plus là, qui nous manquent malgré leurs secrets, leurs erreurs, leurs errances,

« Est-ce qu'écrire n'est pas une façon de donner ? »

À la fin de ce long travail d'écriture, Annie Ernaux s'aperçoit que l'image qu'elle a de sa mère est redevenue peu à peu celle qu'elle s'imaginait avoir eue d'elle dans sa petite enfance, « une ombre large et blanche au-dessus de moi. »

Dix mois à écrire ce livre qui pourtant ne compte qu'une centaine de pages. Cela montre l'intensité de chaque mot. Dix mois où son héroïne s'est invitée sans relâche dans les rêves de l'écrivaine. Qu'ont-elles pu se dire dans ces instants-là ?

À l'évocation de nos chères mères disparues, il sera sans doute difficile ce soir d'avoir pour certains d'entre nous l'humeur primesautière, quoique, de cet adjectif au ton presque innocent, j'en ferais bien la première touche du portrait de celle qui me manquera à jamais... Je crois qu'elle aurait voulu que je retienne ce trait de caractère d'elle.

Le dernier paragraphe résonne en moi comme un écho et sa douleur, un dédale pour ne pas dire un labyrinthe où je me perds souvent. Une émotion souterraine qui vient ce soir se glisser dans les mots que je vous écris.

« Je n'entendrai plus sa voix. C'est elle, et ses paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de marcher, qui unissaient la femme que je suis à l'enfant que j'ai été. J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue. »

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« Je ne suis pas sortie de ma nuit » est la dernière phrase que ma mère a écrite. »



Annie Ernaux dévoile ici les mots qu'elle a écrit entre 1983 et 1986, année de la perte de sa mère. Journal d'une dissolution dans l'oubli d'Alzheimer. Journal de la perte à petit feu d'une mère. Journal d'une destruction terrible.



Je me remets à lire Annie Ernaux. Je l'ai lu, beaucoup, il y a des années de cela. Une petite éternité. Hier. Elle m'a manqué. Je la retrouve. Par bribes, et dans le désordre, je veux la relire, (re)découvrir ses écrits. Ses mots de femme. Libre et honnête, avec elle-même, avec les autres. Aves ses mots.



Annie Ernaux est une plume qui écrit juste. Et Dieu qu'elle me touche. Elle effleure ces choses insondables qui nous constituent. Elle a de la magie au bout de la plume et une infinie classe, une magnifique pudeur en racontant tout. Une délicatesse qui va droit au but, sans fard. Sans trompettes. Avec tambour.



Annie Ernaux écrit l'autobiographique avec la fulgurance d'une grande romancière. Avec la vérité toute crue parfois difficile à lire. Elle décrit le trivial, le difficile et le bouleversant. Une finesse brute. Brutale parfois.



Elle raconte les derniers jours de cette mère. le pathétique. le douloureux. L'irracontable. le réel. Elle raconte le chemin de la maladie, puis la perte. Elle écrit comme on dit vrai. Comme on confesse. Elle incendie l'intime, elle gêne le lecteur. Mais ne ment pas.



Elle raconte ses douleurs comme des batailles perdues au quotidien devant celle qui lui a donné la vie. La honte, les remords, la gêne et l'insoutenable.



Annie Ernaux écrit l'amour. Puissant et dévastateur pour cette mère qui s'enfuit déjà.



Annie Ernaux écrit. La vie.



Je relis Annie Ernaux. Et...



« Les larmes me viennent. C'est à cause du temps. »
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Les armoires vides

Les armoires vides c'est l'histoire d'une déchirure sociale ; d'une fille coincée entre deux mondes, celui de ses parents : prolos, travailleurs, peu instruits qui gagnent leur vie en transpirant et celui des bourgeois : éduqués, ayant accès à la culture et qui gagnent leur vie en costumes cravates ou tailleurs. C'est une écriture brute, jetée sur le papier avec violence. Dépourvue d'une quelconque auto-censure. Des phrases vives, nerveuses, comme écrites dans l'urgence, de peur de changer d'avis peut-être, de reculer devant tant de vérité.



Mais sous l'apparence d'une écriture impulsive c'est un texte travaillé, des mots pesés, choisis que nous offre Annie Ernaux. Passer de l'argot, au langage soutenu, d'un monde à l'autre, d'un extrême à l'autre sans perdre le lecteur, sans que ce soit fouillis. Rien n'est laissé au hasard.

C'est un texte court, violent par sa franchise et la mise à nue de l'auteur. Sans mièvrerie ni apitoiement, sans fierté ou fausse modestie, ce texte est un état des lieux. le monde est comme ça. C'est rageant, c'est injuste et comment trouver sa place ?



Il y a beaucoup de contradictions dans ces lignes, beaucoup d'oppositions. Il y a un grand décalage entre ce que ces parents aimants et dévoués mériteraient en retour des sacrifices faits pour élever leur fille et entre ce que cette enfant est capable de leur donner. Ce décalage entraîne une grande culpabilité, de laquelle découle une grande colère. Violence de la société qui conduit à la violence des sentiments. D'où l'urgence de quitter ce carcan. La porte de sortie c'est l'instruction, la fac, les livres pour enfin être libre de choisir son monde ou finalement n'en choisir aucun. Qui sait ?



Une atmosphère dense, servie par une écriture nerveuse, pour un roman qui se lit d'une traite.



Quand j'ai écrit les lignes qui précèdent il y a 3 ans je ne connaissais ni l'autrice ni son oeuvre. Après avoir écouté l'autrice parlé à plusieurs reprises je suis amère d'avoir naïvement pensé que Les armoires vides avait été écrit par une jeune femme en quête de soit qui culpabilisait d'avoir honte de ces parents et de ses origines. Je m'étais dit qu'elle avait grandie et trouvé sa place. Ses propos récents et plus anciens m'ont choqués. Elle est juste contente d'être sortie de sa condition initiale et depuis elle regarde tous ceux qui y sont encore de haut. Moi même transfuge de classe cette attitude me donne la nausée. J'ai lu ce livre à travers le prisme de ce que je suis et j'ai naïvement été bernée, je maintiens mes propos, c'est mon ressenti de l'époque mais aujourd'hui si mo avis n'a pas changé quant à la qualité de la plume je serais certainement moins enthousiaste sur le fond.

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Les armoires vides

De l'ascension sociale au temps des faiseuses d'ange.



"Les armoires vides" c'est le récit de la honte du milieu social dans lequel on est élevé. C'est le récit violent des souvenirs d'enfance, dans le café-épicerie familial. C'est l'envie de sortir de là, c'est l'éducation (la réussite scolaire) qui doit permettre de sortir de là.



Denise Lesur, jeune étudiante, est en train de subir un avortement clandestin dans sa chambre d'étudiante. Lui reviennent alors à l'esprit tous les souvenirs de son enfance, de ses rapports avec ses parents, de la haine qu'ils lui inspirent.



Dans un style très vif, utilisant des mots durs, Annie Ernaux nous livre ici un premier roman remarquable. Le regard qu'elle pose sur la société de cette époque,au confins des années 50, est très intéressant. C'est la méritocratie française qui est disséquée, la réussite sociale par les études, la découverte de la culture littéraire et musicale, l'espoir d'une vie meilleure.



C'est une lecture émouvante, un impressionnisme social et psychologique redoutable.
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La place

Annie Ernaux, en tant que narratrice nous livre un récit autobiographique , une collection de souvenirs sur ses origines modestes : celles de son père qui avait réussi à se faire "une place"...."La place" en reprenant un commerce avec sa femme, la mère d'Annie. Une place toute en discrétion.

Elle nous fait partager cette distance qui existait entre son père et elle après ses études, cette différence inévitable de classe sociale.

Il l'avait voulu pourtant cette ascension sociale pour sa fille mais il ne savait pas la partager, c'était bien trop différent de son essence , de ses origines qui l'avaient fondé.

L'auteure parle de son père en le désignant par "il", avec beaucoup de respect, en éliminant les petits détails et en gardant les moments les plus importants.

On voit les scènes qu'elle raconte défiler devant nous comme des photos, racontées avec un vocabulaire simple mais qui sonne tellement juste, avec des phrases très sincères.

Se sont-ils rencontrés ces deux-là ? En tous les cas, j'ai eu l'impression qu'ils s'étaient compris, tout en silence.

Une très belle lecture dont j'ai savouré chaque mot.

Ce qui n'est pas difficile, le livre compte à peine 114 pages.

Elle l'a écrit en 1982 un peu après la mort de son père.
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Une Femme

Annie Ernaux écrit sur sa mère pour " la mettre au monde" : retracer les différentes étapes de la vie de cette femme, issue d'un milieu modeste et qui a toujours voulu s'en sortir, s'élever, apprendre.

Elle essaie de donner un sens aux traits de caractère de sa mère, à ses comportements, en la resituant dans son histoire, sa condition sociale. Grâce aux sacrifices et à la volonté de sa mère, Annie Ernaux a évolué socialement , elle est arrivé dans le monde dominant des mots et des idées, si cher à sa mère. Sa mère est devenue ainsi "histoire",et accompagne sa fille dans son nouveau milieu.



C'est une histoire d'amour entre une mère et une fille, des sentiments ambivalents qu'elles partagent, de leur attachement viscéral.



On reconnait et on ressent à travers ces mots, la douleur de la séparation. L'évolution sociale d'une génération à l'autre y est aussi bien décrite, entrainant agacement et incompréhension et en même temps reconnaissance et fierté.
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Regarde les lumières, mon amour

Je viens de terminer ce court texte d'Annie Ernaux, auteure que je suis depuis ses tout premiers textes: la Place, La honte, etc. Femme de plume, que j'apprécie tout particulièrement....



Déjà de fort nombreuses critiques excellentes....Je vais tenter d'ajouter au plus près mon ressenti. Ne vous fiez surtout au titre qui ferait songer à une "bluette"…



Même si je ne partage en rien l’attirance de Annie Ernaux… pour les hypermarchés et « grandes surfaces »… je trouve son regard et ses observations passionnantes, sur notre société de consommation et nos comportements dans ces lieux.



Même si elle apprécie ces lieux de « l’Hypermodernité », elle n’en conserve pas moins une lucidité et un esprit critique salutaires… …Une de ses phrases retenues dans ce court texte est la nécessité de VOIR… et d’ ECRIRE ce qu’on a observé, pour lui donner une véritable existence : « Parce que voir pour écrire, c’est voir autrement. C’est distinguer des objets, des individus, des mécanismes et leur conférer valeur d’existence » (p.71)



Elle exprime très finement l’ambivalence des ressentis face à ces « temples de la consommation » :



« Au fil des mois, j’ai mesuré de plus en plus la force du contrôle que la grande distribution exerce dans ses espaces de façon réelle et imaginaire (..)- sa violence (…) Son rôle de l’accommodation des individus à la faiblesse des revenus, dans le maintien de la résignation sociale. (…)

Souvent, j’ai été accablée par un sentiment d’impuissance et d’injustice en sortant de l’hypermarché. Pour autant, je n’ai cessé de ressentir l’attractivité de ce lieu et de la vie collective, subtile, spécifique, qui s’y déroule. Il se peut que cette vie disparaisse bientôt avec la prolifération des systèmes commerciaux individualistes, tels que la commande sur Internet et le « drive » qui, paraît-il, gagne de jour en jour du terrain dans les classes moyennes et supérieures.

Alors les enfants d’aujourd’hui devenus adultes se souviendront peut-être avec mélancolie des courses du samedi à l’Hyper U, comme les plus de cinquante ans gardent en mémoire les épiceries odorantes d’hier où ils allaient « au lait » avec un broc en métal » (p.71-72)



Ce texte est court mais très dense par les observations, notes sociologiques, anecdotes diverses… Annie Ernaux a tenu ce journal pendant une année, lors de ses visites à l’hypermarché Auchan…de Cergy-Pontoise. Grand rendez-vous humain… où on vient faire ses courses, mais aussi retrouver « des groupes humains » de tous les horizons et « presque » tous les milieux sociaux, casser la solitude, un certain isolement…



L’extrait que Annie Ernaux a choisi de mettre en exergue donne très justement , l’ambiance, le ressenti, que nous retrouverons au fil des notes, observations contrastées du journal de son auteur.



Je vous retranscris la citation de Rachel Cusk « Contrecoup » (éditions de l’Olivier, 2013), choisie en début de ce texte : « L’ hypermarché au bout de la route est toujours ouvert : toute la journée, ses portes automatiques coulissent dans un sens ou dans un autre, accueillent et relâchent tout un flot humain. Ses espaces éclairés au néon sont si impersonnels et si éternels qu’il en émane du bien-être autant que de l’aliénation. A l’intérieur, vous pouvez oublier que vous n’êtes pas seul ou que vous l’êtes »

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La place

Autrefois j’ai vécu « Une passion simple » comme un déchirement et « Se perdre » était pour moi une évidence.

Dans mon idée, Annie Ernaux était une écrivaine sulfureuse, à la mode, provocatrice, sans fard, avec des mots nus, crus. Dérangeante. J’ai aimé comme on aime un interdit. Puis j’ai oublié. Trente ans sont passés…

Aujourd’hui, je succombe à la pression médiatique du moment.

« La place » se conjugue avec « être » et « avoir », avec rigueur et jugement.

Avoir sa place, c’est l’ambition de son papa. Passer d’ouvrier à commerçant.

Être à sa place, c’est être accepté par les autres de son rang.

Tenir un café-épicerie en Normandie. Devenir des braves-gens.



Annie Ernaux exprime avec pudeur et sentiment la relation avec ses parents. « Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité. »



Gigot-flageolets chaque dimanche avec une bonne bouteille de vin vieux et « la certitude qu’on ne peut pas être plus heureux qu’on est »



Et puis l’envie et la crainte qu’elle soit plus éduquée, plus distinguée qu’eux.

Leur fille sera l’inquiétude et la fierté de leur vie.

« Je me suis pliée au désir du monde où je vis qui s’efforce de vous faire oublier les souvenirs du monde d’en bas comme si c’était quelque chose de mauvais goût. »



Ce court roman d’une famille écrit serré comme une étreinte, laissera sur moi une marque de vécu, comme une empreinte.



Avec le Nobel, aujourd’hui Annie, vous êtes « La place » to be.



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Le jeune homme

C’est un récit très court et intimiste comme le sont tous les récits d’Annie Ernaux, c’est une petite parenthèse amoureuse et sexuelle dans sa vie de femme de 55 ans.

Cette liaison avec cet étudiant de 30 ans son cadet suit la genèse d’un roman qui parle de cet avortement clandestin qu’elle a subi alors qu’elle était étudiante comme lui.

Cet amour, qui attire les regards, la comble, car pourquoi les femmes mures n’auraient pas le droit de s’afficher avec des jeunes hommes puisque le contraire semble n’étonner personne. Et elle sait être convaincante et provocante, Annie, lorsqu’on touche au féminisme.

Á travers le comportement de ce jeune étudiant, « désargenté, issu d’un milieu populaire » elle retrouve ses origines modestes :

« Il était le porteur de la mémoire de mon premier monde ».

Elle épingle même ces petits gestes, les mêmes que les siens autrefois et c’est comme une marche arrière dans sa vie :

« J’avais l’impression de rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu, la pièce de ma jeunesse.

Elle met une certaine distanciation quand elle évoque sa relation qui se joue au présent, dans cette l’immédiateté qui lui apporte une certaine jouissance. Elle est aussi dans les souvenirs, ceux de ses amours passés, plutôt que dans un avenir commun incompatible avec leur différence d’âge :

« Avec lui, je parcourais tous les âges de la vie, ma vie. ».



Le jeune homme a joué ce rôle « d’ouvreur du temps » dans la vie de l’écrivaine, lui permettant d’écrire son roman jusqu’à ce qu’elle le quitte.

« Plus j’avançais dans l’écriture de cet évènement qui avait eu lieu avant même qu’il soit né, plus je me sentais irrésistiblement poussée à quitter A. »



Malgré la sincérité qui perce tout au long du récit, on a l’impression qu’elle se sert de la jeunesse de son amant, qu’il est un catalyseur pour retrouver sa jeunesse étudiante et lui permettre d’entrer en écriture.

Et la brièveté du récit ne fait que renforcer mon impression. Peut-être qu’avec un texte plus long, plus fouillé aurait-on pu sentir davantage cette complicité et ce plaisir simple qui vont bien au-delà de la différence d’âge ?

Cette lecture m’a laissée sur ma faim.







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Les années

"Avec le temps, on oublie le visage et l'on oublie la voix" chantait Léo Ferré.

Et le temps, il en est question dans cet ouvrage, où Annie Ernaux décrit une douzaine de photos où elle apparaît à différentes époques de sa vie, dressant peu à peu le portrait d'une femme et d'un écrivain, mais établissant aussi une radioscopie de la France contemporaine. Et c'est fascinant.



Lire Annie Ernaux place toujours le lecteur dans une position de voyeur, même si la vie qu'elle raconte -la sienne- a une résonance universelle. En parlant d'elle, elle parle de toutes les femmes, de leurs élans et de leurs contraintes. Mais bien que narré d'un point de vue féminin, son récit ne s'adresse pas qu'aux femmes, et sans sombrer dans un féminisme virulent, il souligne juste la complication d'être une femme (lecteurs masculins, soyez donc les bienvenus !).

Toutefois, il ne s'agit pas non plus d'une véritable autobiographie -d'ailleurs, Annie Ernaux n'utilise jamais le "je", préférant le "elle" ou le "nous". C'est plutôt une étude sociologique de la France de 1941 à 2006, dans laquelle elle s'inscrit en personnage principal. Au fil des années, et notamment autour des repas de fête en famille, on perçoit l'évolution de la société française. J'ai beaucoup aimé cette façon de chroniquer 65 ans de notre Histoire, de l'après-guerre à l'élection de Sarkozy, avec une multitude de repères politiques, culturels, technologiques et publicitaires. J'ai beaucoup apprécié son analyse de notre rapport au progrès et à la consommation.

Mais ce livre est aussi, et surtout, une réflexion sur le temps qui passe et qui emporte tout, jusqu'au souvenir des souvenirs, qui pose la question de ce qui restera de nous après notre passage sur cette planète, et qui interroge sur la façon d'appréhender le temps qui nous reste. Ce n'est pas la partie la plus gaie de cet ouvrage.

Enfin, l'écriture est toujours "plate" et "froide", mais elle se prête parfaitement bien à la distanciation qu'Annie Ernaux souhaite instaurer avec ce qu'elle relate. Chaque mot est réfléchi et pesé avec précision, mais ça ne m'a pas empêchée d'être émue lorsque l'auteur évoque son chat.



J'ai donc beaucoup aimé cet ouvrage inclassable, court mais dense, qui ne peut laisser indifférent. J'ai aimé cette mise à nu, cet autoportrait en femme seule et forte, avec en toile de fond un monde qui tourne de plus en plus vite.

Alors, "avec le temps, on n'aime plus" ? Pas toujours, et surtout pas lorsque l'on écrit un témoignage aussi intelligent sur une tranche d'Histoire de France ; et je me sens prête à admirer et aimer Annie Ernaux pendant des années encore.
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L'Occupation

Après la lecture de ce deuxième épisode de la vie amoureuse d'Annie, je note qu'Annie a une préférence pour les hommes plus jeunes qu'elle. Annie a bon goût.



Proust est, sans aucun doute, celui qui a le mieux disséqué la jalousie. Lire Un amour de Swann c'est connaître exhaustivement les effets de ce sentiment un peu honteux que nous avons forcément tous ressenti. Alors Annie peut-elle avec 76 pages apporter quelque chose de neuf à ce qu'a écrit magistralement le grand Marcel ?



Je réponds oui sans hésitation. Car Annie est une femme et Marcel pas (si, si), ses préoccupations, son ressenti sont ceux d’une femme, et si amour et jalousie concernent autant les hommes que les femmes, ils sont vécus différemment selon que l’on soit l’un ou l’autre.



D’où l’intérêt de ce livre qui creuse, cherche, avoue pourquoi et comment une femme, amoureuse (ou pas), ne souffre pas que l’homme qu’elle a délaissé s’intéresse à une autre. Je trouve cela très féminin et pas du tout masculin. Peu d’hommes, qui plaquent une femme, se préoccupent de qui leur succède, ils ont souvent trop de mal à rompre (avec leurs habitudes) pour regarder en arrière quand ils y parviennent.



Je continue avec plaisir la découverte de l'oeuvre d’Annie E, probablement parceque j’aime la liberté et l'impudeur cathartique de son double littéraire, qualités précieuses à mes yeux, moi qui suis un peu empêtrée.

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La place

Annie Ernaux a toujours revendiqué écrire pour "venger (s)a race", et cela ressort particulièrement de ce court récit consacré à son père.



J'ai énormément aimé la façon dont elle dresse le portrait de celui-ci, en le tenant toujours à distance et en nous épargnant pathos et sentiments. Comme elle l'annonce dès le début : "Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement." Parce que l'histoire ne s'y prête pas, elle est trop violente pour être romancée et ornementée. Ernaux appelle un dominé un dominé, et un péquenot un péquenot. Toutefois, la description n'est jamais cruelle, même lorsque l'auteur pointe les fautes de Français de son père ou ses manières d'une autre époque. C'est la colère qui transparaît dans chaque paragraphe qui raconte le parcours de ce paysan devenu ouvrier puis commerçant, qui a passé sa vie à compter et calculer, à s'accrocher à son statut si chèrement acquis (la fameuse "place", sournoisement assignée par les classes dirigeantes aux classes soumises qui s'en accommodent candidement), et à évoluer dans un univers étroitement limité géographiquement, intellectuellement et émotionnellement. Et Ernaux de balancer : "Quand je lis Proust ou Mauriac, je ne crois pas qu'ils évoquent le temps où mon père était enfant. Son cadre à lui c'est le Moyen Age." Que j'aime cette auteur qui monte sur le ring pour défendre sa race !

Transfuge de classe (elle obtient son Capes en lettres modernes peu de temps avant la mort de son père, mais il y a longtemps qu'elle ne vit plus sur la même planète que lui), l'auteur relate le fossé qui s'est creusé irréversiblement entre eux, et sous la précision chirurgicale, on perçoit la douleur rageuse qui irradie. Cette ambivalence du transfuge m'a beaucoup touchée.



Dans son discours de Stockholm, où le Nobel lui a été remis, Annie Ernaux a rappelé que c'est de sa race qu'elle a reçu "assez de force et de colère pour avoir le désir et l'ambition de lui faire une place dans la littérature". Objectif atteint (n'en déplaise à ce grand penseur autoproclamé qu'est A.F.). Aussi, si la thématique vous démange, n'hésitez pas à lire cet hommage à la race des vaincus.
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La place

« C’est fini »



C’est ainsi que la mère de la narratrice annonce le décès du père au début du livre.



Mais en a-t-on jamais fini avec ses parents, son enfance, ses origines ?



Annie Ernaux dans ce court récit, remonte le fil de temps avec beaucoup de justesse et décrit de manière quasiment clinique son histoire familiale.



Issu du milieu agricole, son père devient ouvrier en usine puis ouvre avec sa femme un café-épicerie. Ce sont des taiseux, mieux vaut ne pas faire de vagues, « ne faut pas péter plus haut que son cul » tandis que la narratrice par son aisance intellectuelle accède à la culture, aux études et petit à petit ne fait plus tout à fait partie du même monde….



La fierté du père n’a d’égale que sa douleur à voir sa fille lui échapper. Ils n’ont plus la même grammaire sociale, culturelle. A travers des bribes du quotidien, des phrases, des descriptions d’objets, de lieux qui façonnent nos vies, Annie Ernaux signe un texte magnifique, un peu froid, pour nous parler de « La place » de chacun au sein de la famille et de la société.



Un livre sobre et efficace.



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Une Femme

Annie Ernaux écrit un livre qui fait le portrait de sa mère et de sa relation avec elle.

Elle ressent beaucoup d'empathie et de compréhension pour le personnage qui a fait sa révolution, à sa façon, contre la pauvreté et a voulu amener sa fille à vivre mieux qu'elle.

Elle vit une relation conflictuelle avec elle qui est sans cesse coincée dans les convenances et pourtant, mère et fille s'aiment se protègent l'une l'autre.

C'est une très belle histoire, et Annie Ernaux est très humaine dans sa façon de percevoir sa mère qu'elle fait revivre à travers ce livre.



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La Honte

L’idée d’Annie Ernaux est que le fait d’écrire est une action interdite devant entrainer un châtiment. Peut être celui de ne plus pouvoir écrire quoi que ce soit ensuite.

La pub, quoi, c’est interdit, donc je le fais.

On est tous pendus à ses lèvres : va-t-elle y arriver, ou non ?

Sauf que depuis qu’elle a réussi à écrire ce récit, elle a l’impression qu’il s’agit d’un événement banal, plus fréquent que l’on ne pense dans les familles : son père a voulu tuer sa mère quand elle avait 12 ans.

Pas cool pour celle qui veut choquer en écrivant.

Peut-être le récit, tout récit, rend normal n’importe quel acte, y compris le plus dramatique. Alors là, bam, ce qu’elle va écrire serait-il normal ?

Vous avez dit normal ?

Le récit ne crée pas la réalité, il la cherche, les mots doivent se plier dans cet acte auto-ethnologique qui est de chercher sa propre vérité.

Le sentiment de honte (social, un peu beurk, la chemise de nuit pleine d’urine de sa mère) est aussi un sentiment de honte éprouvée à 12 ans, : il lui a été impossible d’en parler, et sans doute aucun livre n’arrivera à être à la hauteur de ce que la petite Annie a éprouvé.

Lorsque le père s’emporte, et elle se sent responsable : « il n’y avait de faute ni de coupable nulle part. Je devais seulement empêcher que mon père tue ma mère et aille en prison. »

Comme d’habitude, ce qui l’intéresse en premier lieu c’est le fait non de l’avoir vécu, mais de pouvoir l’écrire.

Or personne ne peut entendre une chose aussi énorme, la possibilité d’un meurtre. Écrire, c’est rendre normal n’importe quel acte même dramatique.

« J’ai toujours eu envie d’écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d’autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m’apporter l’écriture d’un livre qui soit à la hauteur de ce que j’ai éprouvé dans ma douzième année. »



Elle se fait pour cela l’ethnologue d’elle-même, son unique souci, et de son milieu, citant les expressions, qu’elle croit être «  de son milieu » alors qu’elles sont «  de notre temps. »

La honte, pour un ethnologue, ne pas savoir de quoi elle parle, avoir honte d’un passé pas du tout honteux (à part son histoire d’essai de meurtre) bref essayer de nous faire pleurer sur ce monde d’avant la consommation.

Nous ne coupons pas à l’évocation des règles désirées et des serviettes hygiéniques, c’est un grand leit motiv de notre autrice préférée et, qui sait, le secret succès vis-à-vis des jurés du Nobel ?

Allez savoir.





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Regarde les lumières, mon amour

Annie Ernaux nous livre le compte rendu d'un journal relatant ses expériences avec les supermarchés ou autre centres commerciaux.

Pour être un habitué des susdits commerces, je me suis clairement retrouvé dans les textes de la "nobélisée ".



On apprend beaucoup sur les gens dans les supermarchés , devenus un lieu , le lieu ?, où l'on peut se rencontrer. Qui regarde les prix, qu'a t on dans le Caddy , à quelle heure y est on ?

Ces lieux sont aussi le reflet d'une société mouvante , consumériste. Les librairies disparaissent ou n'exposent que les stars tandis que les rayons bio envahissent l'espace .

L'auteur s'attarde sur les différences hommes femmes et leur exposition au quotidien dans les supermarchés. Le clivage des jouets , les vendeurs masculins dans le rayon téléphonie, les caissières.

On notera une belle réflexion sur les produits du moment, ceux qui perdent 50 % de leur valeur une fois le moment passé : Après avoir été surexposés, ces marchandises se retrouvent pèle mêle dans des bacs , accoutrés avec une belle étiquette fluo qui pousse l'opportuniste à faire un achat et montre surtout que le prix précédent contenait 50 % de subconscient.

C'est un métier commercial , les plus brillants font cinq ans dans des écoles hors de prix , on doit en sortir avec certaines compétences de maniement des foules.



Bon , voilà, c'est court, pas mal foutu mais on en ressort avec l'impression que l'on aurait pu l'écrire .L'étude sociale n'est qu'esquissée , ce qui est dommage mais sans doute le but était ailleurs . Mais , on reconnaitra l’élégance du sujet, qui s'adresse à tous, avec un regard neutre mais développé.
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Le jeune homme

Ce court roman d'Annie Ernaux, plutôt une nouvelle, est important pour comprendre sa démarche d'écrivain et son rapport au temps et à l'écriture.

L'histoire est connue : elle a une laison avec un jeune homme de 25 ans alors qu'elle a 30 ans de plus.

Davantage que l'histoire elle-même (les regards réprobateurs, sa volonté de choquer,...), c'est ce que lui inspire cette histoire qui est intéressante;

Cette histoire lui permet de replonger dans ses propres souvenirs de jeune femme, quand elle était encore étudiante, dans ses souvenirs d'avant son changement de statut social aussi.

Que ce soit clair, elle n'a pas eu cette aventure pour avoir une trame de roman, mais elle a compris que l'écriture donnait de l'épaisseur et de la réalité à ce qu'elle vivait.



Cette démarche, toute proustienne (alors que leurs styles sont à l'opposé l'un de l'autre), permet de comprendre Annie Ernaux et sa recherche inlassable des moments forts de sa vie pour en faire des thèmes de roman.

Loin de l'auto-fiction pure, elle prend de la distance pour retranscrire l'essence de ses souvenirs, et si ça ce n'est pas proustien... ;-)

Après avoir lu les autres billets, j'ajoute qu'à mon avis on apprécie plus ce livre si on a lu les autres ouvrages d'Annie Ernaux.

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Regarde les lumières, mon amour

Depuis un certain temps, je tourne autour de cette auteure sans me décider à acheter un de ces livres. J'ai été attiré par la photo de couverture du livre de la collection Quatro édité par Gallimard montrant une jeune fille, très jolie, aux longs cheveux libres, qui regarde un lointain. Et puis en librairie, j'ai feuilleté ses oeuvres, lu des pages au hasard.

Non pas encore !

Cette semaine de voir partout la promo pour ce opuscule, et convaincu par une femme dont j'aime l'enthousiasme à s'emparer d'une oeuvre, je me suis décidé. Bien mal m’en a pris ! Quelle désillusion ! Livre aux propos grotesques écrit avec l’encre du mépris. Une suffisance et une malhonnêteté intellectuelle rare ! Annie Ernaux n’a fait ni oeuvre sociologique (on lui attribue cette compétence) ni oeuvre littéraire.

Mais, entrons dans le sujet. Elle fréquente l'hypermarché Auchan de Gercy, qui fait partie d'une très vaste zone d'activité. AE comprend que dans ces zones vont les classes moyennes et populaires (c'est-à-dire 90% des français).



Voilà ce qu'il y a dans ce livre:



Mépris

"Les femmes et les hommes politiques, les journalistes, les "experts", tous ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans un hyper-marché ne connaissent pas la réalité de la France d'aujourd'hui". Allons donc, ne vont-ils que chez Hediard ou envoient-ils un chauffeur chez Auchan ?

Quand on veut parler d’une femme ronde, on n’écrit pas « grassouillette », si on veut faire oeuvre sociologique.

Ensuite à la question "avez-vous la carte de fidélité Auchan ?" posée par une hôtesse de caisse généralement souriante malgré le travail abrutissant et mal payé qu'elle exerce, A. Ernaux avait l'habitude de répondre "Je ne suis fidèle à personne" ! Voyez vous ça, baronne hautaine en plus ! C'est qu'elle a oublié que la demoiselle ou la dame de la caisse fait son boulot, et bien en plus !

Puis dans le rayon Légumes à un employé qui range des fruits sur l'étal, elle demande des pommes pour une tarte, et elle a soudain envie de lui demander son salaire. Et tiens pourquoi pas ? Dites-donc, mon brave, combien gagnez-vous ... ? De la baronne encore !



Sexisme

La séparation des jouets entre garçons et filles. Elle n'aime pas ! Soit ! Son avis va-t'il peser dans l'agencement du rayon ? Non, bien sûr, ! L'objectif du magasin est de vendre, non de suivre les métastases intellectuelles d'A. Ernaux, mais d'appliquer une étude marketing précise concluant que cette séparation convient aux acheteurs. Auchan n'applique pas encore la théorie du genre si chère à notre Education Nationale !

En plus elle en appelle aux Femen pour tout détruire ! Les Femen ont d'autres objectifs plus élevés et plus risqués que de foutre en l'air le linéaire Jouets d'Auchan. Et je préfère quand on parle des Femen, que ce soit Caroline Fourest qui traite du sujet dans son livre " Inna" (Inna Shevchenko). C’est plus crédible.

Le secteur Informatique. Que des vendeurs ! Virilité ?Non addiction. Temple du geek. C’est masculin. C’est comme ça. Méprisant avec la clientèle ? Pas du tout. On apprend à ces vendeurs que plus ils sont techniques et incompréhensibles, plus ils vendront. Encore du marketing !

Le supermarché domaine de la femme ? Encore un raccourci, qui me fait penser qu’elle a sans doute vécu avec un homme qui ne foutait rien à la maison. Nous présenter comme des niais, des "nourrissons" devant un rayon, le mobile collé à l’oreille appelant notre épouse au secours est d’un autre âge.



Vanité

Ensuite, le rayon Livres ! Il n'y a que des Best Sellers. Quoi d'anormal ? Que ce soit chez Auchan ou Carrefour, ou d'autres, il n'y a que ces bouquins qui se vendent. Alors pourquoi mettre en rayons ceux qui ne ce vendent pas ? Auchan, c'est pas Mollat ! C'est un supermarché ! Bon, elle a trouvé quelqu'uns de ses bouquins à elle ! Elle peut être rassurée car elle est populaire (Merci Auchan !), ou attristée d'être devenue un produit de supermarché (saleté de capitalisme !) Et puis les clients ne viennent pas pour les livres, mais pour la bouf et les vêtements et les produits de ménage. Regardez le rayon Livres, on ne peut pas dire qu’il y a foule !

Mais où est donc le dernier livre de Jean-Marc Roberts ? C’est agaçant à la fin de ne trouver que Marc Levy et Régine Desforges.

Une dame la reconnait ô bonheur ! Elle aurait pu se passer de l'écrire.

Mais une petite vanité fait toujours du bien !

Et le "nos" clients qui l'indigne ! Que dit-elle, elle ? Mes lecteurs ou bien les lecteurs des livres que j'écris ? Là ça chipote dur et ça se noie dans le ridicule !

Elle veut acheter "Le Monde ». Mais comment ne le trouve-t’on pas le soir chez Auchan ? C’est incroyable !



Colonialisme

Ensuite elle croise une femme "noire". Doit-elle écrire africaine, ou simplement femme ? Quel dilemme atroce dont elle aurait pu nous faire grâce. Tout le monde sait que dans un hyper il y a toutes les communautés du monde. Et tout le monde d'ailleurs s'en fout. Mais bon, après, elle assume. Elle écrira plus loin "femme eurasienne" sans trembler. Et elle a trouvé "un vigile noir" pour l’aider à sortir un caddie. L’enfant noir qu’elle veut photographier: elle se ravise car ce serait peut-être du "pittoresque colonial" Ou va-t’elle chercher tout ça ?



Religion

Quant à la tradition catholique de manger du poisson le vendredi, il y a belle lurette que ça n'existe plus, ma pauvre dame ! Elle n'a donc pas compris que si on mange du poisson, c'est bon pour la ligne, les neurones et la santé des vieux ?

Les femmes voilées lui rappelle les religieuses à cornette de sa jeunesse… qui ont fait voeux de chasteté ! Vous vous rendez-compte: ne pas connaitre le plaisir avec un homme une seule fois dans sa vie ! Qu'en sait-elle de la vie sexuelle de ces bonnes-soeurs. Le célèbre Casanova en a rendu une très heureuse. Et elle devrait lire Sainte Thérèse d’Avila, elle apprendrait ainsi ce qu’est un orgasme divin !



Un seul bon point ! Elle trouve la zone "hard discount" hideuse. C'est vrai Auchan pourrait faire un effort !



Conclusion

Une belle arnaque intellectuelle servie par une plume tatillonne et inquisitoriale. L'esprit misérabiliste d’une femme habitée par un complexe de supériorité gigantesque.



A la fin du bouquin, j’ai pensé le titre, illustré par Reiser le jour de Noël dans un Hyper: un bonhomme aux dents cassés en train de montrer de son gros doigt les illuminations à son gamin morveux ! Sordide !





Je ne sais pas si un jour je lirai un autre bouquin d’A. Ernaux.

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Passion simple

L'histoire d'une attente, celle d'un coup de téléphone, celui qui annoncerait à la narratrice (auteure) que A., l'homme marié avec lequel elle entretient une relation-que dis-je une relation, plutôt une passion démesurée, du moins pour elle - lui annonce sa visite.

Durant ces deux années, de 1989 à 1990, elle n'a pratiquement vécu que pour cela, attendre qu'il l'appelle. Toutes ses passions d'avant n'ont plus la même saveur sans lui, sans ses caresses, sans son odeur. Pourtant, elle sait très bien qu'il est marié et qu'il y a forcément d'autres femmes dans sa vie, du moins au moins une, sa femme officielle, et qu'un jour viendrait où il devrait la quitter. Etant étranger, c'est d'ailleurs ce qui arriva lorsqu'il lui annonça qu'il retournait chez lui, dans les pays de l'Est. Ce fut tout d'abord une déchirure mais avec le temps, même les blessures de coeur, qui sont parfois les plus douloureuses, finissent par guérir.



Avis assez partagé sur ce livre car, même si je dois reconnaître que l'écriture d'Annie Ernaux est très belle, le lecteur est lui aussi dans l'attente - l'attente qu'il se passe quelque chose - mais voilà, il ne se passe rien ! Celle-ci réussit néanmoins à trouver les mots exacts pour décrire ce qu'est une passion dans l'amour, quelque chose de très intense mais qui ne s'étend pas nécessairement sur la durée et en cela, elle en rend parfaitement compte dans cet ouvrage !
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La place

Cherche-t-elle sa place, y compris lorsque étant reçue au Capes de lettres modernes, elle sort « avec colère et une espèce de honte » ?

Colère que ce succès soit dû à sa présentation du Père Goriot, où les filles le renient ?

Colère que les examinateurs la félicitent ? 

Honte d’avoir réussi ?

Honte de ne pas appartenir à « ce monde » ? mais puisque justement elle y accède, grâce à sa bourse d’études !

Honte d’avoir à dire que son père, qui vient de mourir (juste deux mois après son succès) ne lui inspire aucune compassion filiale : « J’écris peut-être parce qu’on n’avait plus rien à se dire ».



Honte de savoir son mari (Ah, oui, le gendre balzacien !) « gêné par un deuil qui n’est pas le sien », qui n’a pas sa place dans la maison ni dans la famille de Madame et qui doit tout de même dormir dans le seul lit à deux places là où le père vient de mourir ? Il n’a pas sa place et il hérite de deux places, vous suivez ?



Honte de la « distance » entre ses parents et elle, comme si les enfants de commerçants se devaient de reprendre « le fond » comme elle dit et qu’il était insurmontable qu’ils fassent autre chose, sous-entendu qu’ils montent dans l’échelle sociale, alors que ses parents sont, eux, montés depuis la ferme, puis ouvrier, jusqu’au petit commerce et ne veulent pas « retomber ouvrier » ?

Honte de son milieu, comme si la pauvreté d’après-guerre, le peu de denrées, le manque de viande n’était pas le sort de la majorité de français de cette période, comme si tous les enfants en 1950 avaient une garde-robe fournie, des habits de marque et l’estomac plein ?

Honte lorsqu’elle déchire un de ses vêtements et que sa mère crie ? cela lui parait-il la marque évidente d’une infériorité, alors qu’elle reconnait qu’elle a les mêmes poupées, gommes et taille-crayon que les enfants de cultivateurs ou de pharmaciens ?

Honte et colère de reconnaitre que « chez ces gens-là », les femmes pissent debout dans leurs robes, font des pets ? Pourquoi parler, sinon, comme elle le fera constamment, des serviettes hygiéniques surveillées par les voisins, du mal de ventre menstruel et du fait qu’elle voit le sexe de son père sur son lit de mort ?

A qui veut-elle faire croire, en citant ces pratiques, cette présence obscène du corps, qu’ Elle, et ceux qui ont étudié, voilà, ce sont de purs esprits.



Honte, ou fierté déguisée, en tous cas complexe de classe insoluble, puisqu’elle se moque des mots vieillots utilisés par ses parents, n’arrive pas à les oublier depuis trente ans où théoriquement elle a, elle-même, lu et pensé autre chose et les utilise pourtant elle-même : « aller aux commissions », « la veille au midi. »



Car ce qui la travaille, par-delà les sornettes de la honte qu’il y a à s’en sortir, c’est le fait d’écrire justement ces sornettes. Elle « écrit lentement », décide de le faire sans que ce soit passionnant ou émouvant : «  aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante, l’écriture plate ». Il n’est pas question de parler de son père, des sentiments qu’elle a pour lui, le seul sujet étant la distance entre ses parents et elle, elle qui entretient cette distance. Nous avons l’aveu, avec La place, d’une névrose de classe impossible à guérir, une incapacité à aimer, incapacité à appeler son fils autrement que par le mot « l’enfant », qui n’a rien à voir avec la classe sociale de ses parents et grand parents et dont elle dit seulement qu’il dort.

Comme elle m’agace prodigieusement, et si vous aimez Annie Ernaux, surtout ne me lisez pas, ceci n’est que mon avis personnel : je pense qu’elle a trouvé un super moyen pour gagner de l’argent en faisant son auto-analyse, au lieu de la faire en payant un analyste. Parce que, finalement, au moment où elle parle de son père et de sa mort, aucun affect n’effleure, aucune tristesse, aucune pensée pour lui. Elle parle d’elle, point, sans se livrer non plus.

A moins que ce ne soit une redite du Père Goriot, vu du côté d’une des filles, expliquant donc toutes les raisons sociales de son rejet.



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