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Critiques de Éric Fottorino (714)
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Mohican

Brun a voué toute sa vie à l’exploitation de ses terres du piémont jurassien. Désormais malade et proche de la mort, lui qui s’est toujours enorgueilli de sa modernité, a l’idée d’y faire implanter des éoliennes pour sauver son exploitation de la faillite et la transmettre à son fils Mo. Celui-ci se retrouve confronté à un chantier titanesque, en passe de défigurer les paysages qu’il aime tant et de détruire le fragile équilibre naturel de ces lieux.





A travers Brun, c’est un siècle de paysannerie française qui défile sous nos yeux : un siècle qui a soudain métamorphosé notre ancestrale relation à la terre, dans une course au progrès et au rendement destinée à accompagner la croissance économique et démographique. Remembrement, mécanisation, usage intensif des produits phytosanitaires : l’optimisation des rendements et les efforts pour s‘affranchir d’une partie des aléas naturels ont ouvert des perspectives inédites pour l’alimentation du monde. Mais, pour tous les Brun entraînés dans une perpétuelle course en avant, bientôt pris en ciseaux entre le gouffre sans fond de leur endettement et l’interminable chute des cours mondialisés, c’est un progressif étranglement qui, lentement mais sûrement, a clairsemé leurs rangs, semant au passage son lot de suicides et de drames. Pour se maintenir à flot, Brun et ses semblables ont dû rompre le pacte millénaire de l’homme avec la terre, le végétal et l’animal, avant de tardivement s’apercevoir que leurs pratiques d’apprentis sorciers ont fini par bouleverser de complexes équilibres.





L’écriture tout en finesse et en délicatesse teinte d’une poignante mélancolie la mémoire d’un vieil homme parvenu au bout de ses désillusions après avoir tant cru au progrès. Dans un Jura âpre et magnifique qui vaut au récit de somptueux passages, cette vie qui s’achève sans rien vouloir céder, dans un ultime baroud d’honneur tendu vers la transmission au fils unique, prend des accents de vérité dans les moindres détails de la narration. Et c’est avec une tendresse toute révérencielle que l’on assiste au passage de relais entre le père, déclinant mais lucide, et le fils qui s’astreint à ravaler sa rébellion par affection. Malgré leurs divergences de vue, les deux hommes ont en commun les morts qui leur sont chers et un attachement viscéral à une lignée et à une terre qui ne font plus qu’une. Alors, à travers Mo et grâce à la conscience de son enracinement, peut-être l’histoire poursuivra-t-elle son cours, vers un avenir plus sage et plus humain.





Ses peintures majestueuses du Jura, ses personnages d’une parfaite authenticité et sa justesse de réflexion entre désillusion et espoir font de ce roman à l’écriture ciselée un moment de lecture aussi magnifique que poignant, en même temps qu'un vibrant hommage à nos racines paysannes.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Dix-sept ans

« Et puis tout d'un coup je me suis mis à pleurer pour rien. Ce rien, c'était notre vie disparue sans que je te serre contre moi, petite maman, sans ces gestes que tu avais tant attendus puis qu'à la longue tu avais cessé d'espérer, comme on ferme la lumière dans une pièce déserte où nul ne viendra plus. »



Ne plus aimer d'avoir trop aimé. Puis se réconcilier avec son histoire et aimer à nouveau. Un parcours difficile qu'Eric Fottorino va accomplir sur les traces de ses pères, adoptif et naturel, et de Lina, sa mère surpassée pendant trop longtemps par sa propre mère aux yeux de l'enfant qu'il a été.



À Nice, Ascros, Bordeaux, Condéon, Barbezieux... Éric Fottorino va retrouver seul puis avec sa mère ces lieux de bonheurs, de chagrins, de drames familiaux. Pour combler sa quête identitaire et renouer le dialogue avec sa chère mère, ces étapes sont indispensables ; car il lui faut comprendre ce qui lui a échappé de sa famille et de son enfance.



Légitimement, comme tout un chacun, Eric Fottorino cherche à savoir avec quoi et avec qui il s'est construit. Et ce n'est pas facile quand on a une mère, fille-mère (comme on disait à l'époque) à l'adolescence à deux reprises, et deux pères, Moshé de Fès et Michel de Tunis, qui « portaient en eux les germes de toutes les haines ... : les séquelles de la colonisation, l'intolérance religieuse, l'antisémitisme français, le rejet des basanés. » Une autofiction émouvante et sincère, qui, si elle révèle l'intime, contrairement à d'autres ne règle pas ses comptes.
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Mohican

Se distanciant des comédies caustiques et humoristiques qu’il écrit depuis trente ans, Eric Fottorino, ancien directeur du quotidien Le Monde, reprend sa plume de journaliste et publie son enquête sur les dégâts irrémédiables générés par la prolifération des éoliennes.



Tragédie en cinq actes, Mohican met en scène les Danthôme, des jurassiens qui cultivent depuis des générations leur ferme des Soulaillans.



- Déluge, premier acte, montre Brun, 76 ans, récapituler son existence qui en deux générations a transformé ce paysan en agriculteur adepte de la modernité (coopératives, engrais, rendements intensifs, tracteurs, syndicalisme agricole) puis en agricultueur (désherbants, fongicides, insecticides, fongicides). Suzanne, son épouse, est morte assassinée par les épandages qu’il a commis, juché sur son tracteur Little Boy, tel un pilote d’avion bombardant au napalm.



- Désert, décrit les effets mortifères de la politique agricole subventionnant les fermiers qui laissent en jachère leurs terres sans se soucier de la faim dans le monde et les ruine en imposant des prix de cession insuffisants. Asphyxié financièrement, Brun succombe au discours commercial d’un promoteur d’éoliennes avant de mourir d’un cancer.



- Destruction montre les bulldozers monter à l’assaut des Soulaillans, raser les sentiers et les haies, retourner les terres, couler des milliers de tonnes de béton, les grues dresser les pylônes, les nacelles et les pales, puis les câbleurs tirer les lignes électriques reliant les aérogénérateurs au réseau électrique. Chaque structure pèse 1200 Tonnes, écrase le sous sol, détruit les irrigations et assèche les nappes phréatiques. Les pales se révèlent être des armes de destruction massive pour les oiseaux, le bruit et le rayonnement des câbles électriques tuent progressivement la bétail et Mo, le fils de Brun voit ses vaches, ses moutons, mourir comme celles des voisins. Mo se révolte et aidé par son oncle, ancien soldat en Algérie, retrouve des caisses parachutées durant la guerre pour les résistants … « Le Mohican des Soulaillans » connait alors son heure de gloire.



- Délivrance permet à Monika, archéologue helvétique, de dévoiler les dessous des Soulaillans, de déterrer les traces laissées par dix mille ans de vie humaine, de révéler le travail multi-séculaire d’essartage des forêts, d’assèchement des marais permettant à des générations de Danthôme de passer de la cueillette et de la chasse, naturellement aléatoires, à la culture. Les trouvailles archéologiques rendent les Soulaillans inviolables et autorisent Mo à poursuivre, sur les pas de ses ancêtres, une agriculture biologique respectueuse de la nature, de sa préservation et de sa transmission aux générations suivantes.



- Demain (?), le cinquième acte, que l’auteur laisse au lecteur le soin d’écrire, voit Mo et Monika fonder une famille et naitre une génération assurant la pérennité des Soulaillans …



Cette tragédie, fort classique dans sa forme et ses évocations des Géorgiques de Virgile, m’a passionné et pas seulement parce que les éoliennes ont bousillé l’horizon de Baume Les Dames, paysage que je partage avec les Danthôme.



C’est, à ma connaissance, la première fois qu’un écrivain français, qu’un journaliste « de référence », montre concrètement les drames résultant des éoliennes qui sont tout sauf les innocents moulins à vent que nous promettent nos financiers et nos politiques qui projettent de déployer 36 000 aérogénérateurs sur nos terres et les mers du littoral en occultant leurs conséquences sur la faune, la flore, la population et le climat.



Inspiré par la nostalgie d’un Zola dans « La terre », la tradition d’un René Bazin dans « La terre qui meurt », la poésie d’un Jean Giono dans « Le chant du monde », Eric Fottorino réussit un roman magnifique et prophétique qui nous promet que Mo n’est pas « Le dernier des Mohicans » mais est le prototype du paysan de demain, garant d’un avenir frugal, naturel et sain.
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Caresse de rouge

Félix est assureur, si sa vie actuelle ne lui confère aucune assurance, il fait de son mieux pour assurer et rassurer ses clients. C’est un homme humain. Lorsqu’il se rend sur les lieux d’un incendie, une photo de jeune garçon de huit ans l’arrête, le hante. Il se souvient alors de son fils, Colin, lui qui n’aura jamais huit ans. Il a été tué à la sortie de l’école par un chauffard qui court toujours.



L’histoire se balance entre présent et flashbacks. Un présent où Félix reste terriblement marqué par son fils. Dans la rue, chaque enfant criant « papa » le fait se retourner, il fait ses courses avec la poussette de Colin, la télévision est branchée sur les dessins animés. On sent combien cet homme aimait son fils, combien il lui manque. Combien il en veut déjà à la mère, Marie, elle qui a abandonné son enfant pour faire marche arrière quand Félix n’en voulait plus d’une mère pour Colin. Parce que Félix, il a tout donné pour son fils. Tout jusqu’au sacrifice, jusqu’à la folie.



Une caresse de rouge. Rouge de tout cet amour qui déborde du cœur, de la tête, du temps, de l’instantané.

Une caresse de rouge. Rouge la couleur d’une robe. Rouge la couleur d’un baiser d’une mère.

Une caresse de rouge. De ma bouche à ton front.

Une caresse de rouge. Rouge sang la couleur de ton sang échappé de ton corps inerte.

Une caresse de rouge. Tourbillon borderline dans les dédales d’une parternité orpheline.



Une caresse de rouge.

Je veux maman.



Mais il n’y avait qu’un père. Qu’un homme qui voulait tout pour son fils.



Aucun pathos ici, c’est fluide, ça secoue, ça bouscule, ça dérange parce que trop d’amour étouffe, rend fou. Un roman bien écrit où je me suis sentie un peu trop à l’extérieur de cette histoire d’amour filial.
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Le 1 en Livre : Romain Gary, le visionnaire

La route devant soi!
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Dix-sept ans

Longtemps les origines d'Éric Fottorino, et plus encore son lien avec sa mère, n'auront été que secrets, mensonges ou souvenirs fragmentaires. "Korsakov" ou "L'homme qui m'aimait tout bas" (pour ne citer qu'eux), désarmants hommages à ses deux pères, témoignent de cette quête d'identité sans trêve qui relie la plupart des oeuvres de cet auteur sensible et discret.



Ici le voilà qui convoque à nouveau le secours de l'imaginaire et des mots pour comprendre l'histoire de sa vie, explorant pour la première fois son sujet sans doute le plus complexe et le plus douloureux : sa mère, le "profil perdu" qui manque à sa mosaïque familiale.



S'affranchissant des absences et des non-dits, Fottorino emprunte à l'artifice du roman pour mettre en lumière et réinventer sa "petite maman", celle qu'il côtoie depuis toujours mais dont il ignore tout. Celle qui, à l'âge de dix-sept ans, donna clandestinement le jour à cet enfant pas vraiment prévu au programme.



Plus que jamais l'on comprend combien, pour cet auteur, ses mots et leur magie sont une essentielle respiration de vie, et en l'occurrence ici sa seule façon d'exprimer un amour filial irrémédiablement entravé par un lourd passif de mutisme émotionnel.



« Ce livre est traduit du silence »… merveilleuse formule pour un message bouleversant, le plus lumineux moment de grâce que j'aie pu découvrir de cet auteur à ce jour.




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Dix-sept ans

« Être abandonné, avoir été abandonné, qui peut dire ce qui fait le plus mal ? »



Un dimanche, une mère révèle à ses trois fils qu'elle a accouché d'une petite fille qu'on lui a enlevé aussitôt. C'était en 1963, elle était déjà « fille-mère », c'était plus que n'en pouvait supporter sa famille, sa propre mère surtout qui a organisé l'abandon, avec la complicité de l'église et sans la consulter bien sûr.

Commence alors pour l'ainé, le « narrateur batard », une quête difficile mais devenue nécessaire : qui était cette enfant de dix-sept ans qui en aout 1960 l'a mis au monde clandestinement à Nice ? Sa mère, cette inconnue.



Refaire le chemin, sans juger, vers Nice, tenter de remonter le temps vers son enfance à Bordeaux, entre autre. Se rapprocher de sa mère adolescente, de ses souffrances, de ses pères aussi, naturel et d'adoption.

Chercher à comprendre. Se heurter à l'incompréhensible.

« J'essayais de recoller nos vies. » « On s'en était sortis vivants. Vivants, mais pas indemnes. »



Ce roman, largement autobiographique, est d'une grande sobriété. Il dit sans fioritures les ravages des non-dits, le poids des secrets au sein d'une famille, leurs répliques même cinquante ans plus tard. Son authenticité, sa justesse de ton font sa force. C'est l'hommage émouvant d'un fils à sa mère mais aussi le témoignage rapporté d'une époque pas si lointaine où les carcans de la société pouvaient briser des vies en toute impunité.



Commencé dans la brutalité de la révélation d'un secret, il s'achève par une délivrance, une ébauche d'apaisement et de tendresse entre un fils et sa maman.

C'est peut-être cela en définitive que j'ai envie de retenir au-delà de la quête personnelle de l'auteur : le pouvoir d'apaisement et de libération des mots, plus forts que les maux, magistralement démontré par Eric Fottorino.

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Dix-sept ans

Lorsque les écrivains prennent la plume pour évoquer la figure maternelle , pour peu que Calliope, muse de la poésie se soit penchée sur le berceau de l’auteur, le récit fait alors vibrer les âmes, séduites par l’expression sublimée de l’amour filial.





A partir d’une confidence tardive qui révèle un secret de famille bien gardé, l’auteur part à la recherche des vestiges de la jeunesse de sa mère, mêlant ce qu’il en sait et ce qu’il en devine, reconstruisant l’histoire à partir de bribes et de témoignages glanés au hasard. Déambulations sur les lieux historiques , recueil de confidences de témoins jusqu’alors ignorés, le lecteur est guidé sur les traces de la jeune fille, à qui l’on a volé l’enfance pour la condamner deux fois . C’est ainsi que l’auteur tisse la lame de sa filiation, deux pères, c’est à dire aucun, une famille cependant, mais à jamais amputée d’une enfant dont personne ne savait l’existence.



Si l’impression première laisse penser que l’histoire s’orientera vers la recherche de cette soeur ignorée, il n’en est rien. C’est bien de ses propres racines que l’auteur explore. Sans juger, en essayant juste de comprendre.



« J’étais le survivant d’une histoire trouble qui nous avait séparés, une histoire douloureuse oubliée à dessein »



La démarche est incontournable, l’auteur ne peut l’éviter :



« Mon existence en dépendait. Toutes mes pensées affluaient vers une gamine saisie au vif sur la promenade des Anglais, dans ces journées de soleil où elle croyait que l’avenir existait. il était temps de rembobiner le temps. d’aller là où je n’étais jamais allé , au plus profond l’oubli »



La filiation peut se faire confuse, au point de ne plus avoir de qui l’on parle, de quelle enfant, mère ou fille , d’autant que se mêle souvent l’ombre de la grand-mère, à l’origine de tous ces liens anéantis.



Pour ces deux êtres retranchés derrière un silence affectif lourd de sens, les retrouvailles sont poignantes. Ce qu’il a découvert sur cette petite dame qu’il a côtoyé des années durant, qu’il n’a jamais pu appeler maman, a fondamentalement modifié leur relation, recréant le lien distendu par les non-dits, les impossibles à dire.



C’est ce rapprochement inespéré qui fait surgir l’émotion, et achemine le récit vers un fin bouleversante.
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Dix-sept ans

Conquise par la critique qu'en avait posté Lolokili, j'ai sauté sur ce livre sans même me poser la question de savoir s'il s'agissait ou non d'un roman autobiographique. Au cours de ma lecture, il m'est apparu comme une évidence qu'il ne pouvait en être autrement.

Il me semble, en effet, qu'un auteur, aussi talentueux soit-il, ne pourrait nous transmettre avec une telle intensité, des sentiments, des blessures, des ratages, s'il ne les a pas lui-même vécus, ressentis, éprouvés.



Ce livre transpire à toutes les pages de vies volées, de rendez-vous manqués, de non-dits, de cris désespérés et d'amour. Surtout d'amour.

Et quelle belle écriture !

Touchée. J'en ressors sincèrement émue.
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Mohican

Immédiatement , en lisant ce titre m'est revenue en tête la lecture du fameux et remarquable " Dernier des mohicans " de' Fenimore Cooper et ce retour incertain dans un passé , hélas déjà lointain pour moi , m'a particulèrement séduit .Si les deux principaux personnages ne sont pas de la tribu des fameux indiens , ils s'en rapprochent bigrement .Derniers représentants d'un monde rural en grande mutation , on va suivre avec eux et notamment Brun , le père ,le lent déclin d'un monde agricole sinistré . Avec Brun , c'est toute l'histoire de l'agriculture de ce dernier siècle qui ressurgit sous nos yeux , qui nous donne à voir ce que fut cette activité noble réalisée par des hommes fiers , durs au mal , durs en affaires , avides d'enrichissement personnel , de rachat de terres , de remembrements quitte à vouer leur âme au diable et se trouver fort dépourvu quand arrive cette bise nommée surenchère ...dans l'usage de produits infernaux , de rendements , de concurrence ....Quand arrive aussi l'heure du grand départ pour Brun qui , pour combler les caisses va se croire obligé de livrer son domaine aux rapaces chargés de " vendre " des éoliennes ....Et MO dans tout ça , l'amoureux des terres , de la terre , des bêtes et de la nature ....?

Ce roman trés riche , ce monde du Jura rude et parfois ingrat , traduit avec une incoyable finesse ces activités rurales en cours de démentèlement et même de mort programmée .

C'est trés beau , émouvant , terriblement bien raconté au point qu'on a l'impression d'être retransporté ( moi , en tout cas , au vu de mon âge ) dans le monde d'avant dont on ne dira pas , toutefois , s'il était mieux ou ...moins bien .Je pense aussi qu'il devrait beaucoup plaire à des lecteurs plus jeunes qui pourraient , dans ces trés belles pages , dans ces trés beaux paysages , retrouver un peu de leurs racines .

Voilà , chers amis et amies , mon point de vue sur ce roman qui n'est pas un cours d'histoire sociale des paysans , mais l'histoire de l'évolution d'une famille paysanne parmi tant d'autres et une belle réflèxion sur notre propre devenir .

Et puis , sous la plume de Fottorino , tout de même!!! .

Attendez vous à vivre plein d'émotions dans cette famille patriarcale où la transmission des biens n'est pas un vain mot ....

Je pars vers d'autres horizons , le vent souffle fort , la pluie cingle les carreaux , le canapé me tend les bras ...A bientôt .

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L'homme qui m'aimait tout bas

L'homme qui m'aimait tout bas, c'est un chant d'amour et d'innocence, le cri sourd d'un enfant devant l'incompréhension de la mort d'un père et de tous les questionnements qui scellent parfois des portes à jamais...

J'entre dans l'univers d'Éric Fottorino avec ce livre.

C'est un chagrin intime, celui d'un enfant au coeur inconsolable.

Inconsolable, parce que la mort de quelqu'un qu'on aime est déjà une révolte en soi... Inconsolable, parce que vouloir mourir, se donner délibérément la mort, comme cela sans prévenir, demeure toujours et à jamais un acte incompréhensible pour les proches...

Se donner la mort d'une balle dans la bouche, au bord d'un printemps... Celui qui s'est donné la mort ainsi, dans sa voiture un 11 mars 2008, n'était pas le père biologique d'Éric Fottorino, mais son père adoptif... Qu'importe !

Qu'importe ? Non, pas tout à fait. Avec beaucoup de poésie et de délicatesse, ce récit aborde le sujet. Ici, en effet, Éric Fottorino sait trouver les mots pour dire la filiation et la transmission qu'il y a dans l'acte d'être adopté. Je suis père adoptif de deux enfants, un garçon, une fille, j'ai été particulièrement touché par les mots qui affleurent le sujet. Comme c'est dit ici avec tant de justesse !

Dans l'adoption, ce sont les enfants qui adoptent les parents. Ici, je ne parle pas de l'acte légal mais de celui du coeur. Ici, les mots d'Éric Fottorino nous le rappellent à merveille...

" Toutes ces années, nous nous sommes aimés jusque dans nos différences ".

Éric Fottorino demeure dans ses pages un fils vivant, l'enfant tout bonnement qu'il est, qu'il sera toujours, un fils qui fait entendre la joie de vivre que lui a transmis ce père adoptif qu'il appela dès le début : Papa...

Nous découvrons le portrait d'un homme peint avec pudeur, un kinésithérapeute qui travaillait " à l'ancienne ". C'est le portrait d'un homme taiseux, qui lui a transmis le soleil de sa Tunisie natale. Peut-être ces pages fouillent ce silence, cherchent des clefs pour ouvrir l'indicible...

Il était secret, taiseux, ce père qui s'appelle Michel. Il se sentait libre jusqu'à ce 11 mars 2008 où s'affirma sa liberté sans explication...

Comment faire le deuil, après cela ? Tenter de descendre au fond du gouffre pour comprendre, chercher à comprendre pourquoi, descendre un peu plus bas, à tâtons, là où c'est profond, vertigineux, les mots voudraient éclairer cet abysse d'incompréhension, mais il n'y a rien à comprendre dans cette obscure volonté de mourir qui habitait son père...

Remonter alors jusqu'à la lumière, ce n'est plus le soleil de Tunisie...

Je pense que pour l'auteur, écrire ce livre fut une manière de parler à ce père, parler à quelqu'un qui se taisait souvent, derrière ses gestes beaux, " à l'ancienne ", qui se terrait peut-être derrière ses secrets...

Remonter encore un peu plus près de la lumière, poser cette clef qui n'a pas réussi à ouvrir les portes...

C'est comme un dialogue, avec des jeux d'enfant, des souvenirs et des rêves, des odeurs gorgées de soleil et d'épices, on voudrait que le temps se dilate à l'infini.

Écrire pour retenir ce qui peut l'être encore, avant que le temps ne s'ouvre, ne s'éventre, n'enfouisse tout, lentement ou d'un seul coup capricieux...

C'est un fil renoué. Nous sommes le funambule de ce fil tendu entre deux rives...

Poser la clef sur le bord du chemin au cas où...

Aimer tout bas... En silence, sans faire de bruit... Venir et se retirer sur la pointe des pieds, aimer comme cela, avec les blessures de l'âme... Un jour, quelqu'un m'a dit que le mot "aimer" se suffisait à lui-même. Ce soir, Éric Fottorino me convainc du contraire...
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L'homme qui m'aimait tout bas

C'est marrant, moi qui ne lit jamais le journal Le Monde (excepté Le Monde des Livres), moi qui n'avait jamais entendu parler d'Eric Fottorino jusqu'à présent, il a fallu que l'on me dépose cet ouvrage pour que je l'intègre dans mon fonds de bibliothèque pour que tout de suite, je sois aimanté par cette écriture bouleversante.



Ici, ce n'est pas le journaliste qui parle ni même l'écrivain, non c'est la voix d'un petit garçon, qui, même devenu adulte, a perdu son papa et c'est alors un cri déchirant. Certes, Michel Fottorino n'était pas le père biologique de notre auteur-narrateur mais autant l'un que l'autre se sont toujours considérés comme tels (le )premier en ne faisant pas de différence entre cet enfant de dix ans et ses deux autre enfants qu'il aurait plus tard avec la mère d'Eric) et pour le second, acceptant Michel dans sa vie comme un véritable héros qui, comme plus beau cadeau, lui offre son nom.



Eric Fottorino revient dans ces pages sur les beaux moments qu'il a passé avec son père, les moments que celui-ci a passé avec ses patients, les soulageant avec sa voix calme leurs blessures de l'âme (comme il le fit avec lui) et avec ses gestes tendres de kinésithérapeute leurs blessures du corps. Non, Michel n'a jamais rien demandé : il donnait sans compter car il aimait les autres tout simplement...mais homme pudique cependant lorsqu'il s'agit de sentiments ! Merci à Eric Fottorino de nous faire part de ce cadeau car parfois, pas besoin de beau discours pour dire à une personne qu'on l'aime et qu'on est fière d'elle : un simple regard ou un sourire suffisent !



Une lecture qui m'a vraiment emballée (même si il me manquait parfois certaines références sur la biographie du romancier) et que je ne peux que vous recommander !
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L'homme qui m'aimait tout bas

Dans notre pays, de nos jours, il y en a un peu moins, mais ça existe toujours les hommes qui aiment tout bas. Parmi eux, il y a ceux qui se taisent jusque dans leurs gestes et ceux qui, par leurs actes, le "crient" très fort. le père de l'auteur est de ces derniers, et son plus beau "cri" a été de faire du petit Éric, un petit garçon avec un papa.

Tellement souhaité ce papa, qu'il en invente sa petite enfance dans le pays d'origine de ce père adoptif.



"Ce sont des années magiques. Je suis immortel. Il ne peut rien m'arriver. Je déborde de mensonges vrais." P.54



Un père si bien adopté que le fils finit par lui ressembler.



"Plus d'une fois pourtant, il m'a semblé que je lui ressemblais, que je me comportais dans la vie comme lui se serait comporté. À force d'être mon modèle, il avait déposé son empreinte sur moi. Je finissais par prendre ses intonations, ses mouvements de sourcils. Enveloppe vide, je m'étais rempli de lui." P 71



Tant aimé ce père discret et bienveillant, que son livre le pleure haut et fort.



"Mon père a été. le temps est passé et il a passé vite. Être et avoir, ne plus être, ne plus avoir. Glissement imperceptible et pourtant si pénible. Mon père est, vit, respire, mon père était. S'habituer à ce "était" alors qu'il est encore là. Était : jamais imparfait n'a si bien mérité ce nom, le passé est imparfait, qui souligne ce qui n'est plus et ne sera plus jamais. Impossible de parler de papa au présent désormais, ... " p. 33



Magnifique livre... tant d'émotions... de poésie... de si beaux passages sur le deuil, l'adoption, l'amour entre et un père et un fils... oui, tant d'amour !

Il est bon maintenant que je me taise... dans le silence, imaginez-vous le lire !
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L'homme qui m'aimait tout bas

« Nuit Blanche des Livres », pas loin de chez moi. Aux côtés de François Busnel il est là, Eric Fottorino, et la larmichette au coin des mirettes (je suis une fille sensible à mes heures perdues) je lui parle de son Korsakov lu il y a déjà longtemps mais dont je garde encore un souvenir ému (voir larmichette dont au sujet de laquelle je viens de parler plus haut).



A la faveur de cette rencontre je découvre aujourd'hui "L'homme qui m'aimait tout bas", dédicacé au passage avec une souriante et chaleureuse bienveillance, merci Monsieur.



Plusieurs fois déjà, dans ses autres romans, Eric Fottorino esquissa son enfance et ses origines à travers des personnages fictifs, mais ici c'est à la première personne qu'il s'exprime pour ce bouleversant hommage à son père adoptif, l'homme humble et généreux qui l'a « aimé tout bas » et auquel il voue à jamais une admiration d'exception.



Humble et généreux l'auteur semble l'être tout autant, car à travers le portrait de ce père adoré je retrouve l'écriture à la fois discrète et lumineuse qui m'avait tant marquée, cette façon singulière de manier les mots parfois, cette prose délicate et inventive d'où affleure une poésie infiniment touchante.



Une histoire d'amour entre un père et son fils, une merveille de sensibilité et de pudeur, « un récit solaire malgré les ombres » (qu'il a écrit dans ma dédicace, Monsieur Fottorino).




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Mon tour du ''Monde''

Quel récit dense, instructif et finalement très politique ! Éric Fottorino, après avoir fourni déjà une riche production littéraire, a raconté vingt-cinq années de passion journalistique au sein de ce journal de référence qu'est le Monde.



C'est après avoir travaillé autant d'années pour ce grand quotidien du soir qu'il se voit révoqué, le 15 décembre 2010, par Pierre Bergé, nouveau président – avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse – du groupe le Monde (Télérama, Courrier International, La Vie, Ulysse). Ce jour-là, s'arrêtait une formidable aventure qu'il définit ainsi : « écrire pour ce satané canard qui raccourcissait nos nuits mais prolongeait nos vies. »

Né en décembre 1944, sur les décombres du « Temps » qui avait collaboré, le Monde a été fondé par Hubert Beuve-Méry. Éric Fottorino y arrive en 1986, au service économique. Il faut : « d'abord mériter l'honneur qu'on m'avait fait de m'engager » sa passion pour le journalisme lui a donné l'occasion de travailler, à 19 ans, au service des sports de Sud-Ouest où il réalise même une interview de Colette Besson. le journalisme lui permet de guérir une timidité naturelle alors qu'il rêve encore de faire carrière dans le cyclisme. À 20 ans, il réalise qu'il ne pourra pas devenir coureur professionnel et monte à Paris pour étudier le droit. Licence en poche, il est reçu à Sciences-Po. C'est à cette époque qu'il tente sa chance en envoyant directement un article au Monde, article qui est publié. Encouragé par ce premier succès, il écrit pour Le Quotidien de Paris et Libération. Durant l'été 1982, il est stagiaire deux mois dans ce dernier quotidien puis collabore avec plusieurs magazines.

Les hasards des premières années de sa vie professionnelle lui font rencontrer un certain Edwy Plenel mais, déçu par la politique, il ne vibre plus que pour l'économie et la justice. Après avoir fait ses armes à La Tribune, le voici au Monde, rue des Italiens. Il comprend vite que là, la star, c'est le journal. Dès 1983, il a sa carte de presse et, à partir de 1989, il assiste à l'informatisation progressive de la rédaction. C'est la période où il fréquente la Bourse, le Palais Brongniart, où il rencontre, le fils de Jean Robic qui y travaille comme coursier à vélo. Sans cesse sur le terrain, il ne cesse d'aller chercher l'information au plus près de ceux qui font la vie que ce soit en Éthiopie, en Guinée, au Niger, au Brésil, en Écosse, etc… mais aussi en Lot-et-Garonne. Ces enquêtes lui permettent d'écrire ses premiers livres sur l'agriculture car il est conscient du danger des politiques agricoles qui coupent les paysans de leurs racines. Il découvre le travail de Henri Mendras qui dénonce les deux maux précipitant la fin de la paysannerie au profit de l'agriculture : la motorisation et la chimie.

Envoyé spécial au Panama, au Vietnam, à Moscou, au Mexique, en Colombie, à Madagascar, en Afrique du Sud, au Maroc, en Tunisie, au Brésil encore, il découvre toutes les turpitudes qui pervertissent la vie sur notre planète mais, au Monde, la succession d'André Fontaine est ouverte.. jacques Lesourne hérite de la direction. Alian Minc et Jean-Marie Colombani entament un travail de sape. Éric Fottorino décide alors de faire une pause et de prendre une année sabbatique pour écrire un roman. Éric Arnoult – Orsenna le conseille et il publie Rochelle avant de revenir au Monde, fin 1994, appelé par Edwy Plenel, Jean-Marie Colombani étant directeur . il réussit maintenant à faire la part entre le journalisme et son travail d'écrivain.

Le Monde a déménagé à la rue Falguière et sa nouvelle formule a fait remonter les ventes de 6%. Les journalistes travaillent maintenant en open space, regrettant l'époque des petits cagibis de la rue des Italiens. Éric Fottorino fait partie de l'équipe des grands reporters et ses modèles sont Jean-Claude Guillebaud et Jean Lacouture. Il consacre son dernier reportage au Rwanda et publie Coeur d'Afrique juste avant que Edwy Plenel ne le nomme rédacteur en chef chargé du service des reporters.



Pendant cinq ans, de 1998 à 2003, il n'écrit plus mais anime une équipe, même si, en 1999, il publie une double page d'extraits du livre de Véronique Vasseur, médecin-chef à la Santé. 2001, c'est l'année de sa fameuse expérience au coeur de la course à étapes du Midi Libre avec un vélo offert par Jimmy Casper. Après s'être entraîné très dur, il peut rouler aux côtés des coureurs et raconte au jour le jour ce qu'il vit. Il y a ensuite le choc du 11 septembre, des hommages funèbres à Tabarly, à Gainsbourg, etc… Puis Pierre Péan et Philippe Cohen publient La face cachée du Monde, un poison lent qui vise le triumvirat Colombani – Minc – Plenel. Ils quitteront le journal l'un après l'autre.

En 2003, la diffusion s'effondre. Même le Figaro fait mieux ! À l'automne 2005, Plenel démissionne et le journal déménage au Boulevard Auguste Blanqui. Il est temps de réinventer le Monde. Neuf journalistes dont il fait partie, travaillent d'arrache-pied pour sortir une nouvelle formule, le 7 novembre 2005. C'est un succès. En décembre 2006, le voilà Directeur de la rédaction et directeur délégué. Les pertes du groupe étant de plus en plus grandes, il faut céder le Midi Libre.

Jean-Marie Colombani est mis en minorité, le 22 mai 207 et voilà Éric Fottorino élu Directeur du Monde avec 63% des voix. Laurent Greilsamer est son directeur adjoint et Alain Frachon, Directeur de la rédaction.

Commence pour lui un combat titanesque pour résorber un déficit structurel de 10 millions d'euros. Lagardère et le groupe espagnol Prisa veulent prendre le contrôle du Monde avec Alain Minc. « je serai l'homme du compromis de l'éditorial avec le capital », déclare Éric Fottorino qui met toute son énergie dans la bataille avec l'angoisse au coeur. C'est l'époque où les capitalistes tiennent la presse française : Bernard Arnault (Les Échos), Serge Dassault (Le Figaro), François Pinault (Le Point), Vincent Bolloré (Direct Matin), Edmond de Rotschild (Libération)… époque qui perdure aujourd'hui.

Le Monde a déjà revendu le Midi Libre au groupe Sud-Ouest et se sépare de Fleurus Presse et des Cahiers du cinéma. Un drame familial inspire L'homme qui m'aimait tout bas, un livre en hommage à son père. Il doit affronter les partenaires sociaux, prévoit de supprimer 129 emplois et se retrouve devant une grève. le Monde ne paraît pas pendant trois jours : historique ! Il doit faire des concessions. 103 départs sont acceptés mais rien n'est gagné.

Arrive l'épisode intitulé « scènes de château » qui voit Éric Fottorino confronté au candidat Nicolas Sarkozy qui n'aime pas ses articles ni les dessins de Cabu. Une fois à l'Élysée, le Président lui propose même une sortie à vélo mais le Directeur du Monde refuse, prétextant que son compagnon roulerait trop vite… le Monde soutient ce qui se fait de bien mais condamne les dérapages sur les libertés, les dérives judiciaires et policières. M. Sarkozy complimente l'écrivain pour mieux critiquer le Directeur du Monde et ça va crescendo…

Un prêt de 25 millions d'euros permet de passer 2009. le 15 mai 2009, paraît le numéro 20 000 du Monde avec 20 Unes-témoins de l'Histoire depuis 1944. Ce jour-là, les ventes doublent !. les initiatives se succèdent comme le lancement du magazine M, du Monde des Livres et 2009 produit un solde positif. En 2010 Sylvie Kaufmann est la première femme Directrice de la rédaction mais les soucis financiers ne sont pas résolus et plusieurs acquéreurs sont sur les rangs.

Arrive alors le second épisode dit « du château » car M. Sarkozy s'intéresse à l'avenir du Monde. Raymond Soubie assiste à l'entretien. La lutte est sévère mais Éric Fottorino comprend que c'est lui qui va devoir « mettre fin à une utopie de 65 ans, à ce rêve de journalisme autogestionnaire, à la belle aventure d'un journal de journalistes. » Il se rend compte qu'il gêne aussi bien à l'intérieur du journal que pour l'Élysée. La belle aventure est finie.Éric Israelewicz lui succède. Son dernier éditorial paraît le 11 février 2011 : « Au revoir et merci ! »



Pour conclure l'auteur cite cette remarquable pensée de Confucius : « Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voulaient faire la même chose, ceux qui voulaient faire le contraire, et l'immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire. »




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Mohican

Sur les pentes jurassiennes s'étend le domaine des Danthôme. Des terres, des pâtures, des bois, un verger, un potager et des animaux. Un domaine dont Brun a toujours pris grand soin et auquel il tient beaucoup. Des terres qu'il a, pour certaines, données à son fils, Mo. Deux visions bien différentes de l'agriculture. Quand l'un pulvérise et traite à tout va, l'autre ne jure que par l'écologie et le laisser-faire. Mais lorsque le médecin lui annonce qu'il est atteint d'une leucémie, Brun, pour éviter la faillite et désireux d'agir contre le réchauffement climatique, va accepter le projet d'implantation d'éoliennes. Un chantier loin de plaire à son fils...



Si Brun Danthôme a voué sa vie à ses terres, il en paiera malheureusement le prix aussi. À coup de pesticides, de fongicides ou d'herbicides pulvérisés pour augmenter sa production, le voilà aujourd'hui atteint d'une leucémie. Ses jours comptés, il se lance dans un projet un peu fou : planter des éoliennes. Mo, réfractaire, féru d'écologie et d'agronomie, n'ose s'opposer à ce chantier, titanesque mais promis à de jolies rentrées d'argent. Avec ce roman âpre, dur et salutaire, Éric Fottorino nous plonge dans le monde paysan. Un secteur régi de plus en plus par la productivité, soumis à de fortes concurrences, délaissé parfois (la France compte plus d'un suicide d'agriculteur par jour) et plombé par la solitude. L'auteur défend ainsi ces hommes durs à la tache, au rythme de travail effréné mais ô combien attaché à leur terre. Avec finesse, l'auteur nous fait part du monde agricole d'avant et des souvenirs d'antan de Brun, ponctués d'une certaine mélancolie et de désillusions. Un portrait authentique, poignant et sensible sur le monde paysan, sur cet attachement viscéral à cette terre et sur les relations père/fils.

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Mon enfant, ma soeur

Ouvrage dont j'avais fait l'acquisition pour me médiathèque lors de la rentrée littéraire 2023, je m'étais promis de le lire pour 1) pouvoir conseiller mes lecteurs et 2) parce que j'aime beaucoup Eric Fottorino. C'est une amie qui m'avait recommandé cet auteur et je ne regrette en rien de l'avoir écoutée, au contraire. Cependant, j'ai un petit regret en refermant cet ouvrage, celui de n'avoir pas lu au préalable son précédent roman "Dix-sept ans" mais je vais me rattraper sous peu car je le possède également à la médiathèque.



Ici, j'appréhendais un peu cette lecture car mon amie m'avait prévenue : c'est un ouvrage sans aucune ponctuation, écrit en prose avec des moitiés de phrases mais pour elle, c'est passé. Elle m'avait alors dit : tente, tu verras bien, soit ça passe soit tu n'accroches absolument pas. Pour moi, ce fut la première option et j'ai littéralement dévoré cet ouvrage que j'ai non seulement adoré (donc que je ne peux que fortement vous recommander) mais j'en suis également sortie bouleversée, désemparée, en colère. Une mère à qui l'on arrache son enfant dès la naissance, contre son consentement pour le confier à d'autres, cela ne devrait jamais se produite. En pourtant, c'est ce qui est arrivé à la mère de notre auteur. Trois ans après sa naissance, alors qu'elle n'était pas majeur, sa mère met au monde une petite fille dans un établissement religieux. le père ? Inconnu, d'où enfant de la honte. Cela ne devait pas se savoir. Sa propre mère a d'ailleurs tout fait pour cacher la grossesse de sa fille. Soixante ans après, Eric Fottorino se met en tête de la retrouver. il ne peut plus laisser sa mère comme cela, elle qui restait au lit tous les 10 janvier, jour de son accouchement. Pourtant, elle a refait sa vie, a rencontré un autre homme et a eu deux autres enfants mais rien n'y a fait. Elle a beau avoir aimé ses trois autres enfants du mieux qu'elle le pouvait, avoir caché sa peine autant que possible, rien n'a pu effacer ce qui s'est produit pour elle ce 10 janvier 1963.



L'auteur nous emmène vers une longue démarche pour retrouver cette sœur. Est-elle en vie ? Va-t-elle bien ?

Tant de questions qu'il n'a cessé de se poser, s'inventant cette vie qu'il aurait pu avoir avec elle et sa mère. Eux trois (et non pas eux deux comme ce fut longtemps le cas) contre le reste du monde ! Comment se serai dérouler leurs vies ? Tant d'années gâchées ! Tant de blessures. L'on ne peut pas revenir dans le passé, reconstruire tout ce qu'ils on perdu, tout ce que l'on leur a interdit mais l'on peut se bâtir un avenir...même soixante ans plus tard !



Un ouvrage extrêmement touchant sur la quête d'identité, des vies volées mais réparées (enfin, un peu seulement), un ouvrage sur l'amour d'une mère pour son enfant et sur le parcours d'une enfant adoptée qui a appris qu'elle l'était par "inadvertance" comme elle le le dira elle-même. Les adultes ont tendance à croire que les enfants n'entendent pas les paroles des grands ou qu'ils ne les comprennent pas. C'est entièrement faux. Ces petit bouts de choux, quel que soit leur âge, entendent et comprennent bien plus que ce que l'on ne pourrait croire !



Une lecture que je vous recommande (encore une fois, mieux vaut deux fois qu'une) vivement avec un bon conseil : ne faites pas comme moi, lisez d'abord "Dix-sept ans", ouvrage du même auteur auparavant mais si ce n'est pas le cas, je vous rassure, vous comprendrez tout néanmoins !
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Mohican

Que faire pour le bonheur des champs



En suivant une famille de paysans jurassiens, Éric Fottorino raconte les mutations de l’agriculture française depuis les années cinquante. Un roman qui fait suite à «J’ai vu la fin des paysans», récit-reportage publié en 2015 avec Raymond Depardon.



Brun Danthôme a 76 ans. Il aura passé toute sa vie dans sa ferme du Jura. «Il n’avait de rapport au monde qu’à travers ses terres, minces terres caillouteuses des hauteurs, fortes terres argileuses de la plaine. Sa raison de vivre était tout enfouie dans ces étendues fécondées qui portaient l’épi comme un destin vertical. Plus il se penchait sur ses sillons, plus il se sentait grand, utile, et somme toute heureux. (...) Labourer, semer, récolter, et recommencer, respirer le grand air, c’était sa vie, il n’en connaissait pas de meilleure.»

Seulement voilà, Brun vient d'apprendre de la bouche de son médecin qu'il était condamné, qu'une leucémie allait l'emporter, sans doute victime des produits chimiques qu'il épandait depuis des années, lui l’«apôtre de l'agriculture». Il va pouvoir rejoindre tous les morts de la famille, à commencer par son épouse Suzanne, morte très jeune après avoir toutefois «eu le temps de lui transmettre ce qu'elle aimait, ce qu’elle était, même si le temps fut trop court comme le sont toutes les vies quand on brûle de la passion de vivre.» Il laissera son domaine à son fils Maurice, dit Mo, qui a choisi pour sa part une autre agriculture. Une agriculture qu'il ne comprend pas, une agriculture qui ne se donne «plus la peine de remuer la terre, de casser les mottes, de déchaumer. C’était les nouvelles idées écologiques. Du travail de sagouin. Il en avait mal au ventre.»

Alors, peut-être plus par provocation que par conviction, il va accepter l'offre qui lui est faite d'installer des éoliennes sur son domaine. Mo n'aura qu'à se débrouiller avec cette énergie verte et encaisser la somme rondelette qui lui est promise, même si bientôt plus personne ne reconnaitra les Soulaillans: «Mon père ne veut pas se l’avouer, pense Mo, mais nous sommes déjà morts, et lui un peu plus que les autres. Les éoliennes, c’est la dernière arme qu’ils ont trouvés pour nous éliminer, nous les paysans. Quand le béton aura éventré nos terres, quand nos paysages seront devenus des usines en mouvement, nous aurons disparu à jamais.»

On l'aura compris, cette histoire de succession permet à Éric Fottorino de retracer l’histoire de nos campagnes. De ces paysans qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale et à l'aide du plan Marshall, ont cru à leur mission de nourrir la planète et de produire toujours plus, quitte à utiliser des tonnes de produits chimiques, fongicides, herbicides, insecticides et autres pesticides. De ces paysans qui vont voir au fil des ans leurs revenus se réduire comme peau de chagrin et les politiques agricoles successives leur enjoindre de changer de modèle, de produire moins mais mieux, de faire plus écolo. De se transformer en producteurs d’énergie soi-disant verte.

Construit en quatre parties, déluge, désert, destruction et délivrance, le roman dresse un constat sans concession de la vie dans les campagnes. Un sujet que le romancier et directeur de presse connaît fort bien, puisqu’il a commencé sa carrière de journaliste comme spécialiste des matières premières et publié un essai remarqué en 1988 intitulé Le Festin de la Terre. Mais c’est après avoir parcouru la France avec le photographe Raymond Depardon en 2015 que l’idée du roman a germé. Pour présenter J’ai vu la fin des paysans, Éric Fottorino rappelle que l’agriculture fut la première grande rubrique qu’on lui confia au Monde au milieu des années 1980. «J’y ai appris la France vue du sol, avec ses traditions et ses élans de modernité, ses gestes ancestraux et ses révolutions silencieuses, ses bouleversements profonds alliant l’exode rural à une productivité si performante qu’elle fit craindre pour l’environnement.»

Après Nature humaine de Serge Joncour, couronné l’an passé par le Prix Femina, le sujet a trouvé en cette rentrée littéraire deux autres beaux ambassadeurs, Corinne Royer avec Pleine terre et Matthieu Falcone qui publie

Campagne. Tous donnent raison à Gogol, qui proclamait dans Les âmes mortes qu’«il est démontré par l'expérience des siècles que, dans la condition d'agriculteur, l'homme conserve une âme plus simple, plus pure, plus belle et plus noble.»




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Le marcheur de Fès

Son papa s'appelle Maman.

Il ne l'appelle pas papa.

Il ne s'appelle pas Maman.



A la mort de celui qui lui a donné son nom et qui l'a élevé comme son fils, Eric Fottorino décide qu'il est temps de clarifier son état civil et sa généalogie et d'en finir avec cinquante ans de rendez-vous manqués.



Il renoue contact avec son père biologique, gynécologue, juif marocain, qui n'a pu épouser sa mère pour désaccords religieux. "Notre drame fut la concordance des temps. Je n'étais jamais là où tu étais". Moshé/Maurice Maman raconte Fès où il est né, la vie et les coutumes de ses aïeux dans le mellah et sa jeunesse dans un Maroc très francisé.



Nostalgique des souvenirs de son père, Eric Fottorino entreprend le voyage à Fès. La visite du cimetière et de la synagogue, la rencontre avec un rabbin et des amis d'enfance de son père, lui permettent de compléter les anecdotes et les repères qu'il détient. Il refait l'histoire à l'envers.



Ses déambulations constituent le trait d'union entre hier et aujourd'hui, entre judéité et laïcité, entre médina et mellah, entre joies et drames d'une famille et d'une communauté séculaire enrichie par l'arrivée des Juifs d'Andalousie, dont les Maman.



Loin d'être un guide du routard malgré les innombrables trésors d'histoire et de traditions qu'il recèle, ce livre est un hommage au père resté si longtemps inconnu.



Lecture riche et émouvante.

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Mohican



Comment rendre hommage à ce roman, à la hauteur des émotions que M. Fotorino a, grâce à son écriture, suscitées en moi ? Il m'aura fallu plusieurs jours après avoir refermé ce livre pour mettre mot sur le bouillonnement de souvenirs que ce récit a fait remonter en moi.

Secousse affective, mais aussi saisissement de colère et sentiment d'injustice devant la lucidité terrifiante portés par le regard de l'auteur sur le monde paysan et sur la nature en général.



C'est l'heure des comptes aux Soulaillans, mais il n'est pas seulement comptable. Une vie de labeur va s'achever, celle du père (Brun) agriculteur, ou plutôt, disait-on paysan de son temps...

La nouvelle de sa maladie s'accompagne de moments rétrospectifs sur sa vie grâce à la voix de feu son épouse qui retentit à ses oreilles dans ses nuits d'insomnie. C'est la voix de cette femme disparue, emportée par la maladie, la voix de Brun ce père veuf à l'aube de partir, et celle de Mo, leur fils, qui nous content leur histoire, celle d'une paysannerie française désillusionnée.



En se plaçant à hauteur de ses personnages, Éric Fotorino nous fait rentrer dans la famille, on s'assoit à leur table, on partage leur pain, leur fatigue, leurs peurs ; on comprend soudainement, (parce que ça nous est raconté comme notre grand-père le ferait), d'où l'on vient. Toute l'histoire qui nous a précédés, parce que la terre perdure, parce qu'elle est trait d'union entre les générations, parce qu'elle est léguée avec la charge d'être agriculteur.



J'ai été terriblement émue par ce roman. Bien sûr, il évoque l'écrasement et le délitement des exploitations à taille humaine, la chape de plomb sur les épaules de l'agriculteur de la productivité, érigée en valeur cardinale, induisant l'utilisation à outrance des pesticides et toute la "gangrène" qu'elle entraîne, course à la rentabilité, jusqu'à l'implantation d'éoliennes...

Mais si le tableau dressé par l'auteur est passionnant, même si parfois un peu manichéen, moi j'ai été emportée par la petite musique derrière les paroles : "Mohican" c'est l'histoire des hommes, c'est l'amour de leur travail, c'est l'ancestralité des gestes qui se transmettent. Oui, c'est une Histoire de transmission. Et j'ai revu mon grand-père. Non, pas paysan, bien qu'il vienne de ce monde là. Nous partions nous promener à travers champs, quand il venait à la maison pour Noël. Vous savez quand le ciel est bas et cotonneux, quand l'air froid est vif et brûle à chaque inspiration ; le croassement des corbeaux résonant curieusement dans un silence presque respectueux de la nature. Et mon papy marchait sans un mot. Mon papy avec son indéfectible chapeau. Il s'arrêtait de temps à autre, il regardait l'immensité du champs, qui avait été bien labouré après la moisson. Et soudain déclare : "C'est beau une terre bien entretenue et bien travaillée". Moi j'ai 14 ans, je me tais. Je ne comprends pas trop. Oui... Beau ? Une trentaine d'années plus tard, mon papy n'est plus là pour admirer les champs. A vrai dire, les champs eux aussi ont disparu derrière chez moi. Des lotissements ont été construits. On ne verra plus la biche en lisière de forêt le matin tôt en ouvrant les volets doucement. Mais j'entends toujours mon papy. Il m'a accompagné tout au long de ma lecture.

Merci M.Fotorino de m'avoir ramenée là-bas, merci car à force d'oublier, je ne me souvenais plus...



• Mohican est un magnifique roman dédié à l'amour de la terre et au sens de la transmission. La relation père- fils y tient une place prépondérante et illustre une opposition générationnelle, fondée sur deux visions divergentes du métier d'agriculteurs. Face à une exploitation de moins en moins rentable, le père, malade, pense faire un dernier baroud d'honneur en laissant implanter des éoliennes sur ses terres: "Il doit croire qu'avec les éoliennes on va vivre dans la laideur. Il a tort. On va juste mourir en beauté.(P.66)

Les éoliennes ne sont que le symptôme d'un profond désaccord : quand l'un y perçoit l'innovation et la modernité, la rentabilité des énergies vertes, l'autre rétorque par la dévégétalisation, la fin du métier d'agriculteur et la soumission à EDF: "Quand notre exploitation sera traversée de routes qui mènent aux éoliennes, on sera une usine, une industrie, un sous-traitant EDF , tout ce que tu veux, mais sûrement plus des agriculteurs." (P.72)



Car la question est bien celle-ci : qu'est-ce qu'être agriculteur ?



Pourtant père et fils ont en commun de vouloir faire vivre leur terre. Mais faire vivre c'est faire perdurer, on ne peut pas toujours envisager sa terre à court terme et la vision de Mo, le fils, bouscule les certitudes paternelles d'avoir été un "bon" paysan. La voix de Suzanne, cette épouse disparue, donne corps à l'introspection de Brun, comme une conscience que l'on ne peut plus bâillonner : c'est elle dans des monologues nocturnes qui place Brun face aux conséquences de ses choix passés.

Et si la voix de Suzanne est très éclairante car sans hypocrisie sur l'impact d'une agriculture intensive, si celle de Mo est primordiale pour incarner une façon plus respectueuse de travailler la terre, celle de Brun est finalement celle qui m'a le plus bouleversée. Celle d'un homme au crépuscule de sa vie qui dresse le bilan de sa vie d'homme et de paysan.



La maladie amène le père à se raconter au fils, ces mots qu'on n'a pas toujours le temps de léguer à nos enfants, ces histoires qui nous ont bâtis comme nous sommes. L'émotion est dure quand le père raconte sa vie de misère, enfant, auprès de ses propres parents. Et on comprend mieux ses choix d'avoir cultivé à outrance, pour ne plus manquer :

"0n était pauvres et on avait peur. Pauvres comme tu n'imagines même pas. Une misère sans fond. La vérité c'est qu'on crevait de faim. Les récoltes couchées par la tempête pourrissaient sur pied. [...] Les hivers, on n'en voyait pas le bout. [...] Les femmes, on en faisait nos homme à tout faire. L'argent nous filait entre les doigts. Si le bois venait à manquer, on commençait à brûler nos meubles." (P.130)



• À travers les mots du père, se dresse douloureusement l'histoire d'une désillusion, celle des paysans. Ça aurait tout aussi bien pu être celle des mineurs qu'on poussa tels des bêtes de trait à produire toujours plus, après guerre, pour finalement réprimer (en 1948 particulièrement), leur mouvement de contestation dans la violence ingrate de ceux qui, après vous avoir flattés et exploités, vous reprennent tous vos droits.



C'est ce qui arriva au monde paysan :

"Nous avons été bien manipulés. D'abord il a fallu produire. Des tonnes de tout, des quintaux, des hectos. On aurait semé jusque sur le goudron si on les avait écoutés. On aurait coupé les arbres , on aurait même planté dans le creux des fossés. La force de frappe céréalière, c'était notre bombe atomique , l'arme alimentaire , que sais-je encore. Little Boy ! Mo n'a pas connu cet âge d'or, l'explosion des rendements qui nous remplissait d'orgueil . On achetait des machines toujours plus grosses . On arrachait les haies pour planter plus de blé encore, puisque le blé valait le prix de l'or. Je m'entends encore proclamer fièrement : "Je produis , donc je suis !" Les prix grimpaient jusqu'au ciel . On était les rois du monde , pas vrai? [...] On s'endettait sans compter. Les traites passaient à la banque comme dans du beurre, l'argent coulait à flots depuis Bruxelles. Puis un autre jour, les conseilleurs ont dit stop. Arrêtez de produire ! Rendez les champs à la nature que vous avez massacrée avec vos engins et vos engrais de malheur. Ayez la main verte. Et mettez vos terres au repos. Ça leur plaisait, cette image. Une grande banquise brune. Il fallait se tenir debout sur les freins, qu'on devait ronger, on a voulu nous tuer en plein élan. On a gelé nos terres. Et plus on les gelait, plus on touchait. Ils nous ont payés à ne rien faire, ne rien produire, à mourir sur pied. Voilà ce qui est sorti de leurs cervelles malades. Produire était devenu un gros mot. On voyait aux informations les paysans sans terre du Brésil et du Sahel. Et chez nous en ouvrant les volets on contemplait nos terres sans paysans." (P.66).



L'amertume de Brun est poignante, lui qui a cru toute sa vie qu'être paysan, c'était être la vestale du temple : le gardien et protecteur des terres, qui les valorise et les fait fructifier pour le bien de tous. Mais il réalise qu'il ne fut rien que le pantin de lobbys : hier ceux de l'agrochimie qui les ont empoisonnés et tari leurs sols, aujourd'hui ceux des fournisseurs d'énergie verte.

- "Un pantin sait bien faire quand on le tire par ses ficelles. Ils étaient de mèches avec les marchands de semence , d'herbicides et d'insecticides, et que sais-je encore, avec les marchands d'aliments, avec l'industrie et même avec les grandes surfaces, tu m'ôteras pas ça de l'idée. Ce petit monde a prospéré sur notre dos. Et nous , crédules comme pas deux, flattés d'être des entrepreneurs modernes et pas des péquenauds en gros sabots, on a gobé ces mirages. (P.98)



Mais à la fin sonne l'heure des comptes...



• Mohican, c'est enfin, et peut-être surtout le roman d'un empoisonnement, un sombre gâchis chimique, celui des vies abîmées ou fauchées par cette course à la productivité.

"On accusait les herbicides. Certains d'entre eux ont été interdits depuis. Quand j'étais enceinte , tu les épandais tous aux Soulaillans, tous sans exception. [...] Je ne veux pas t'accabler , c'était ainsi . Tu t'es empoisonné tout seul, et nous avec." (P.75)



L'auteur ne juge pas, il recontextualise: comment en est-on arrivé à effectuer des épandages meurtriers (pour les agriculteurs et leurs familles, pour les habitants proches, pour les sols et la nature elle-même), le tout au nom d'un objectif louable : nourrir tout le monde... Peut-on justifier une horreur par une intention louable ?

"Je garde l'image de toi , de ton visage rayonnant , soulagé , un matin que tu avais pulvérisé tes produits au-dessus des Grands Champs. Tu venais de faire l'acquisition d'un petit ULM. Tu n'en revenais pas de l'efficacité de la vaporisation sur les grandes feuilles vertes des maïs. [...]

"j'avais l'impression d'être au Vietnam et de larguer du napalm." (P.76)



Bien que le dernier quart du roman s'appuie sur une "pirouette" favorisant un dénouement heureux, du moins pour cette exploitation-ci, il ne faut pas perdre de vue que ce récit est le douloureux émissaire d'un monde qui tend à disparaitre.



C'est un superbe tableau d'un monde fait d'hommes qui triment, durs à la tâche et avares de plaintes. Des taiseux rugueux de pudeur. "Brun parle mieux à ses vaches qu'à son fils. Mo en a pris son parti depuis longtemps, c'est ainsi et on ne le changera pas."(P.79)



Mohican dresse le portrait d'un monde qui est englouti : par une société bétonisée, par des macro exploitations qui "mangent les petits", par des lobbys et des politiques qui font la pluie et le beau temps sans considération pour ces petits exploitants et éleveurs frappés d'un sur-taux de suicide.



"Là où poussaient ses blés, un immense supermarché a surgi, avec parking à perte de vue, station-service et zone de stockage. Quant à la ferme des Mignots, à moins de trois kilomètres, la fin n'a pas été plus glorieuse. L'autoroute a tout dévoré. [...] Il aurait fallu que les prix du blé montent au ciel pour qu'ils résistent, aux Mignots." (P.100)



Je referme "Mohican" le coeur serré, un peu sonnée par tous ces passages emplis d'une telle vérité, une acuité sur ce métier, sur ce monde et sur les changements qui à travers ceux de la paysannerie, préfigurent ceux de toute une société et de ce que nous et nos enfants en feront.



"Paysan n'était pas un métier . C'était ce geste ancestral toujours recommencé. Se nourrir pour ne pas mourir . Se faire l'égal de Dieu en multipliant le grain qui donne le pain." (P.115)



N.B: Par une curiosité inhabituelle, je feuillette jusqu'à la dernière page du livre. Comme au cinéma, quand on attend un dernier petit clin d'oeil à la fin du générique, ce petit bonus que les premiers sortis de la salle, pressés, auront raté.

Et je constate, toute émue, que ce roman a été imprimé chez moi, dans cette petite ville charentaise où les terres arables disparaissent mais où les livres qui en parlent, fleurissent...
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