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Critiques de Fernando Pessoa (317)
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Fragments d'un voyage immobile

Ce livre de 1990, plusieurs fois réédité, est une excellente porte d’entrée à l’œuvre de Pessoa car il réunit un large éventail d’aspects de la pensée de celui qui est poète et surtout penseur.



L’auteur est mort en 1935, mais ce n’est qu’en 1968 qu’on a commencé l’inventaire de la malle où on a trouvé 27 453 manuscrits signés de 72 noms différents. L’un de ses biographes, Antonio Tabucchi, a ainsi intitulé son livre «Une malle pleine de gens».



Pessoa a peu publié de son vivant, dans des revues, dont celle qu’il a créée, Orfeu, qui n’a connu que deux numéros, faute d’argent. Le troisième, prêt pour l’édition, n’est sorti qu’une soixantaine d’années après sa mort. Il griffonnait souvent des phrases sur un bout de papier, parfois au dos d’une facture ou d’une publicité, et ces papiers aboutissaient dans la fameuse malle. Ils sont parfois attribués à des hétéronymes, dont les principaux avaient leur style littéraire distinct, leur biographie, leur thème astral avec leur destin, et parfois leur carte de visite, leur démarche propre dans la rue et leur écriture. Pessoa se regardait de l’extérieur «C’est à moi-même que j’assiste». On a retrouvé des feuilles où il s’exerce à créer un modèle de signature correspondant au caractère de chacun, car sous le nom d’un de ses hétéronymes, W. Fasnacht, il a aussi cherché à se lancer dans la graphologie pour arrondir ses fins de mois car il manquait souvent d'argent. Tâtant de tout, il lui faut aussi un hétéronyme pour une pièce policière, un autre pour un annuaire commercial, etc.



Hormis quelques textes complets publiés de son vivant, la plupart de ses œuvres, publiées après sa mort, sont des reconstitutions faites non sans peine, comme un puzzle, par des spécialistes, au départ de ces papiers de la malle, mais tout n’a pas pu être inséré dans un ensemble. Souvent, l’un de ces bouts de papier indique que telle ou telle phrase peut servir dans une œuvre, mais aussi dans une autre. Le choix n'est pas fait. Ce sont des jets d’idée que Pessoa n’a pas pu assembler dans une synthèse. À côté de ce qui a pu être reconstitué subsistent donc quantité de petits textes isolés. Comme l’indique la quatrième de couverture, «Fragments d’un voyage immobile» (chacun de ces mots étant bien choisi) rassemble 241 de ces fragments, choisis parmi tous les hétéronymes. Il existe d’autres anthologies du même genre comme «Pessoa en personne» et «Fernando Pessoa, Le théâtre de l'être».



Pessoa y parle de tout, de ses voyages intérieurs sans quitter Lisbonne, de lui, de ses créations, et il multiplie les paradoxes. Ainsi, la phrase «Je me dois à la mission dont je me sens investi: une perfection absolue dans la réalisation, un sérieux total dans l'écriture» côtoie «Mon ambition n'est pas d'être poète». Une autre phrase typique révélatrice d’une sorte de masochisme moral, et très connue, est «Je ne suis rien. Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être rien. A part ça, je porte en moi tous les rêves du monde». En 1926, à la question «Quelle est la plus grande satisfaction morale que la littérature vous ait apporté?», il fait répondre par son hétéronyme Álvaro de Campos «La seule satisfaction morale que je doive à la littérature est la gloire future d’avoir écrit mes œuvres présentes», mais il fait dire le contraire au même moment à B. Soares.



On retrouve ce contraste d’obscurité et de lumière dans un poème à Érostrate, éphésien obscur dont on ne sait rien, sauf qu’il a incendié l’une des sept merveilles du monde (le temple d’Arthémis à Éphèse, dont il reste aujourd’hui quelques ruines), afin de rendre son nom immortel. Pessoa s’est identifié à cet incendiaire, lui qui n’a pu être incendiaire que dans des manifestes littéraires (et encore, attribués à Á. de Campos). Lui aussi songeait à cette forme de survie compensant la grisaille du quotidien.



On trouve dans le livre beaucoup d’extraits convergents, mais divergents de la vie routinière qu’il menait, comme «Sois pluriel, comme l'univers», «Je me sens né à tout instant à l'éternelle nouveauté du Monde», «Tout sentir de toutes les manières, tout vivre de tous les côtés, être la même chose, en même temps, de toutes les façons possibles», «Vivre, c'est être autre. Et sentir n'est pas possible si l'on sent aujourd'hui comme l'on a senti hier», «Je suis la scène vivante où passent plusieurs acteurs qui jouent plusieurs pièces», ou encore «Mon âme est un orchestre secret; j'ignore quels instruments je pince et lesquels grincent à l'intérieur de moi. Je ne me connais que comme une symphonie».



Voici encore quelques autres "Fragments d'un voyage immobile":



«J'ai passé ces derniers mois à passer ces derniers mois». Digne d’Ionesco !



«Enrouler le monde autour de nos doigts».



«Je ne dors pas. J'entresuis».



«Vivre n'est pas nécessaire : ce qui est nécessaire, c'est créer».



«Un homme peut, s'il est vraiment sage, jouir sur une chaise de tout le spectacle du monde, sans savoir lire, sans parler à personne, en n'utilisant que ses sens, à la condition que son âme ne soit jamais triste».



«La vraie sensualité n'a aucun espèce d'intérêt pour moi».



«Le poète est un simulateur. Il feint si parfaitement qu'il finit par feindre qu'est douleur la douleur qu'il ressent vraiment».



Pessoa n’a jamais trouvé ce «chemin vers la vie qu’est la vie» dont parle Álvaro de Campos. Encore en Afrique du Sud où il a fait ses études, et sous l’influence d’E. Poe, il signe des poèmes en anglais du nom d’Alexander Search (le choix du patronyme est éloquent), jumeau central qu’il fait naitre le même jour que lui et qui a un frère, celui que Pessoa a perdu, et un double, Cesar Seek. En même temps nait un équivalent francophone, Jean Seul, au patronyme tout aussi significatif. Pessoa entame avec Search une correspondance qui continuera après son retour à Lisbonne, et pousse le réalisme perfectionniste jusqu’à expédier réellement les lettres par la poste, L’un de ses biographes, Octavio Paz, le préfacier du livre, écrit «Toute l’œuvre de Pessoa est une quête de l’identité perdue». Malgré son nom, Alexander Search n’est pas anglais mais né à Lisbonne, déraciné, biculturel comme Pessoa qui écrit «Dès mon enfance... j’ai eu tendance à m’entourer d’amis et de connaissances qui n’ont jamais existé... leur donnant silhouette, mouvement, caractère et histoire».

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Lisbonne

On n'aurait pas idée de lire de bout en bout, ligne à ligne et mot à mot, un guide touristique. On y piocherait plutôt les renseignements voulus : histoire des monuments, horaires des visites, parcours suggérés. Pourtant, en suivant ce cicérone qu'est Fernando Pessoa, on se retrouve à lire, justement, un véritable guide touristique de bout en bout, ligne à ligne, mot à mot. De façon exhaustive y sont décrits les monuments, les rues, les musées, tout ce que le touriste doit voir selon le titre original - et en anglais - du récit.



Le lecteur qui a vu Lisbonne retrouvera certainement la ville qu'il a arpentée le nez en l'air. Celui qui ne l'a pas vue l'idéalisera probablement, car rien dans le récit de Pessoa ne vient diminuer la capitale portugaise. C'est à raison, évidemment, que l'auteur célèbre cette ville dont il fut privé lorsque, avec sa mère et son beau-père, il déménagea en Afrique du Sud. Il y a, derrière cette description aussi minutieuse que laborieuse (aucun horaire n'est oublié, ni aucun nom d'artistes, ni même aucune curiosité digne d'intérêt), l'expression d'un attachement de Pessoa à une ville longtemps associée au bonheur familial et originel, et celle d'une connaissance parfaite des secrets lisboètes.



Si Pessoa chante le génie portugais à travers les arts qui s'exposent dans la capitale : architecture, sculpture, peinture, céramique ..., il se fait surtout le guide discret qui, pourtant, imprègne toujours chaque rue de sa ville chérie. Encore aujourd'hui, à Lisbonne, Pessoa est partout: plaques commémoratives, portraits peints, souvenirs stylisés à son effigie. Pourtant, nous dit la postface, il n'est nulle part, tant les traces de l'homme sont fugaces. L'homme, en effet, avait symbolisé jusque dans son nom (Pessoa signifie personne, au sens d'être qui vit, en portugais) son individualité et son indifférenciation. C'est donc logiquement que cette ombre que l'on suit nous fascine et nous laisse, bien naturellement, admirer Lisbonne, le Tage et toutes les beautés que l'on pourra trouver.
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Le Banquier anarchiste

Un banquier cherche à démontrer avec une intense mauvaise foi et des arguments fallacieux qu'il vit l'anarchisme en acte quand les militants libertaires ne le vivent qu'en paroles. Décrétant que vouloir la liberté pour les autres, c'est déjà les subordonner à une volonté, le banquier ne pense être fidèle à ses principes anarchistes qu'en sauvant sa propre liberté. Et comment être plus libre dans un monde capitaliste qu'en étant riche ? Au mieux l'anarchisme qui est proposé là se rapproche de celui, individualiste, de Max Stirner. Le banquier égoïste aurait été un titre moins provocateur !

Au-delà du sophisme, Fernando Pessoa en profite pour partager quelques convictions intéressantes sur les fictions sociale aliénant l'individu, sur leurs destructions à privilégier à celle des individus détenteurs du pouvoir (critique de l'action directe) et sur les dangers des révolutions violentes comme prémices des dictatures militaires, avec une étonnante intuition sur le destin de l'URSS.

Un tout petit livre, plaisant à lire, mais dans lequel le banquier ne convainc pas plus de son anarchisme "authentique" que ses confrères des vertus de l'argent !
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Ode maritime





Ce poème sensationniste d'Alvaro de Campos commence un matin avec l'arrivée d'un paquebot en vue du port. Cela déclenche une réflexion sur l'existence comme vie maritime.

Une rêverie galopante le propulse au temps de la marine à voile avec Jim Barns comme porte-voix.

"Comme vous, enfin, gagner des ports extraordinaires !

Fuir avec vous la civilisation !

Perdre avec vous la notion de morale !

Sentir au loin se métamorphoser mon humanité !

Boire avec vous dans les mers du Sud

De nouvelles sauvageries, de nouveaux branle-bas de l'âme,

De nouveaux feux au centre de mon esprit volcanique !



Le délire se fait masochiste, s'identifie amoureusement à la violence primitive des pirates.

"Oui, oui, oui... Crucifiez-moi dans vos traversées !

Et mes épaules jouiront de ma croix ! (...)

Qu'on fasse des agrès de mes veines,

Des amarres de mes muscles !

Qu'on m'arrache la peau, qu'on la cloue sur la paroi des quilles

Et que j'éprouve la perpétuelle souffrance des pointes enfoncées !"



Le poète devient en imagination le réceptacle de toutes les violences maritimes passées. Sa libido homosexuelle et sadomasochiste explose :

"Ah ! être dans tous les crimes ! être tout ce qui participe

Aux abordages, aux viols et aux massacres !

Être tout ce qui est arrivé pendant les mises à sac !

Être tout ce qui a vécu et agonisé sur la scène des sanglantes tragédies !

Être le pirate type de toute la piraterie à son apogée,

Et la victime-synthèse, mais en chair et en os, de tous les pirates du monde !"



"Être dans mon corps passif la femme-toutes-les-femmes

Qui furent violées, assassinées, blessées, déchirées par les pirates !

Être dans mon être subjugué la femelle qui doit être la leur !"



L'ingénieur Alvaro de Campos aux "nerfs féminins et délicats" admire la sauvagerie illégale des pirates :

"Ne pouvoir avancer qu'avec la douceur des mœurs sur le dos - paquet de fanfreluches !

Garçons de course - et nous le sommes tous ! - de l'humanitarisme moderne !

Crétins de phtisiques, de neurasthéniques, de lymphatiques,

Sans courage pour être gens de violence et d'audace !

Et notre âme comme une poule avec un fil à la patte !"



Après tant d'exclamations, d'interjections et d'onomatopées, la tornade hystérique s'essouffle, remplacée par une dépression de l'âme. La nostalgie de l'enfance se mêle à la chanson du Grand Pirate, à la vie commerciale des ports, aux visages si singuliers des voyageurs, à l'adieu au steamer anglais quittant le port de Lisbonne.

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Le gardeur de troupeaux

La poésie de Pessoa est à la fois naïve et subtile. C'est à chaque fois un regard neuf qu'il pose sur la vie et les choses qui l'entourent et nous deviennent vite familière. J'ai aimé cette simplicité, cette absence de pathos et cette sagesse inquiète.
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Le Banquier anarchiste

J'aime beaucoup Pessoa : il me semble qu'il jouit en France d'une renommée inférieure à ses mérites. J'ai été attiré par cette nouvelle peu connue parce que j'adore aussi ce topos littéraire - l'anarchiste grand bourgeois voire aristocrate - qui a traversé différentes littératures tel un météore (cf. entre autres Lady L. de Gary).

Les sophismes facétieux contenus dans ce monologue rarement interrompu par un contradicteur, de la bouche de l'anarchiste "mon ami le banquier, grand commerçant et accapareur notable" tendent à l'auto-justification, intenable de par son statut social, et à la négation des contradictions qu'implique sa posture. Ils relèvent d'une ironie pointue et subtile, tout en révélant la teneur des débats, à l'évidence encore actuels dans ces années-là (parution en 1922), au sujet des "doctrines [sociales] d'avant-garde".

Au-delà de l'intention narrative sarcastique et du goût du paradoxe - notamment par rapport à la problématique de la vérité qui caractérise l'auteur par ailleurs - on peut savourer les termes surannés de ce débat : les concepts de liberté, d'ordre social "naturel", de "régime révolutionnaire"...
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Un dîner très original : Suivi de la porte

Deux nouvelles très intéressantes, typiques des écrits de jeunesse où s'affrontent volonté d'indépendance et influence littéraire. Les thèmes phares de Pessoa sont là, à savoir la fascination pour le génie et la folie, ainsi que l'impossibilité d'être au monde et la misanthropie certaine. En grand admirateur de Poe, Pessoa nous offre deux nouvelles inquiétantes et glaciales, mais, et c'est le caractère quasi-systématique des écrits de jeunesse, se situe peut-être un peu trop du côté de l'auto-analyse et l'explicitation de sa propre écriture. En même temps, cette attitude est caractéristique de Poe!

Très bien pour qui veut résoudre l'énigme Pessoa!
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Le Banquier anarchiste

quand on pousse une logique jusqu'au bout, il arrive que l'on aboutisse au contraire de l'intention qui à presidé au début de notre réflection.
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Bureau de tabac, autres poèmes

Pessoa comme Beckett, poète-écrivain du silence...

Alors juste deux mots (sans doute de trop...) à l'image de la citation:

Désespoir et rêve...

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Le livre de l'intranquillité

Sorte d'introspection profonde teintée d'une honnêteté incroyable, peut être parce que l'auteur ne voulait jamais vraiment publier cette œuvre décousue d'une vie, différente, compilée dans une malle.

Fernando Pessoa, était portugais et à publié en ce début de XXIème siècle une littérature variée sous divers hétéronymes.

Comme s'il tordait son âme pour en extraire le moindre fluide de la plus grande noirceur, cette prose est profondément poétique, empreinte de nihilisme, misanthropique, autocentrée, métaphysique parfois jusqu'à l'absurde. Entrelacé de multiples changements de point de vue, on voyage dans les limbes où la rêverie est omniprésente avec comme toile de fond la banalité du quotidien.

Parti d'un port inconnu, la vie est un navire qui vogue vers un autre inconnu avec des passagers qui ne sont pas réels les uns pour les autres vu que la seule vérité est notre propre sensation. Le rêve est mis sur un piédestal, un véritable sacerdoce pour l'auteur qui en use et abuse au point d'en devenir étourdissant et redondant.

A la fin on tourne un peu en rond... Malgré qu'on quitte cette "Autobiographie sans événements" pour "Les Grands Textes" puis les "Annexes" on a l'impression de sombrer de plus en plus dans la folie.

"Je gis ma vie. Eternels passagers de nous-mêmes, il n'est pas d'autres paysages que ce que nous sommes. Nous ne possédons rien, car nous ne nous possédons pas nous mêmes. Nous n'avons rien parce que nous ne sommes rien."

Une œuvre "maladive" marquante bien qu'un peu longuette, peut être aurais-je du la déguster à petites doses.

"L'ouvrage avance donc, à son allure complexe et tortueuse - la confession faite en rêve de l'inutile, de la douloureuse et stérile fureur de rêver".

Un petit chef d'œuvre qui ne ressemble à rien d'autre, à éviter en cas de dépression !

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Bureau de tabac, autres poèmes

Toute une vie bien ratée de Pierre Autin-Grenier, dessine en épitaphe les premiers vers du poème Bureau de tabac de Fernando Pessoa, Je ne suis rien, je ne serai jamais rien …, je suis intrigué par ces mots, je recherche, j'arpente et déniche ce recueil, bilingue, traduit par Rémy Hourcade aux éditions Unes. Sous le nom de Alvaro de Campos, un des pseudonymes de l'auteur Portugais, écrit le 15 janvier 1928 à Lisbonne, ce poème navigue son écoulement pour être publié pour la première fois dans le numéro 39 de la revue Presença, en France, il aura deux parutions en 1955 et 1968, celles-ci sont épuisées, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Fernando Pessoa, une édition prestige de 1000 exemplaires sur Centaure ivoire fut tirée. Ce court poème est comme une désolation de l'instant, où respire Cioran et ces Syllogismes de l'amertume, et de l'inconvénient d'être né, la mélancolie maladive d'Arthur Schopenhauer savoure l'instant de ces vers, venez-vous perdre dans ces mots et laissez-vous transporter dans cette réflexion métaphysique.

De sa fenêtre, un homme regarde ce que la vue lui offre, une rue, un bureau de tabac, puis s'échappent des pensées sur l'existence, sur lui-même, comme un Sartre dans La nausée, dès les premiers mots , il n'est rien, mais il porte tous les rêves du monde, sa rue oscille dans le va-et-vient continuel, étant une impasse des pensées, puis cette déambulation qui promène le poète vers des chemins de vies où la mort est présente, elle moisit les murs et blanchit les cheveux, la vérité et la mort errent ensemble, comme Pierre Autin-Grenier, Fernando Pessoa par l'homme qui regarde par la fenêtre dit « J'ai tout raté », est-ce lui cet homme, avec ce « je » , je n'ai pas voulu interposer le « je » avec l'auteur, pour fuir ce poème vers les lecteurs, qui pourront s'y identifier, mais je sais pertinemment que le « je » est bien l'auteur, cet homme dans l'année de ces 40 ans, en proie avec son alcoolisme, qui le tuera 7 ans plus tard, il est de la génération montante des modernes, fuyant après l'instauration de la dictature civile, ces propos sur la dictature militaire, il est dans ce poème, cet homme qui est dans le désenchantement, face à ce Bureaux de tabac qui trône devant sa fenêtre, lui, posé dans l'immobilité de son être, isolé dans sa chambre, regardant le vie et son quotidien.

Cette déambulation introspective, celle d'un promeneur dans les dédales de sa pensée, le bureau de Tabac face à lui, cette façade bien réelle, mais l'intérieur le rêve si échappe, en laissant cette réalité tournoyer de l'intérieur, celle de la nature et là la multitude l'angoisse, le nombre le rend invisible, la génie que Rimbaud touchera par la main de Dieu, cette main sera-t-elle celle de notre poète, résistera-t-il à l'histoire, sera-t-il le sommet de la montagne, ce vertige d'être ce génie, au lieu de devenir ce fumier qui consomme notre chair à notre mort, inconnu des autres, du monde qui élève le génie et laisse les autres dans des asiles pour avoir gouté au vertige du savoir, celui de la conquête, comme peut-être crédule Don Quichotte dans l'illusion de sa folie. le rêve emporte la réalité pour sentir palpiter cet espoir qui anime les hommes et les femmes, cette conquête que l'on souhaite, Napoléon reste ce conquérant inutile face aux rêves de notre narrateur, il est perdu dans ces songes de conquête comme aspiré par le virtuel de son être, statique face à la réalité, il se perd dans ces chimères, ces rhizomes qui transpirent son cerveau, Kant, le Christ sont des apprentis face au savoir qu'il créé dans son imaginaire, restant dans la mansarde, cet héros s'englue dans l'illusion du virtuel, laissant le réel aux autres, tous lui échappe, est-il dans un délire, ce poème est-il un rêve qu'il consume, ou une saoulerie qui le grise, cet homme étendu dans son lit, conquérant de literie, cet homme s'éveille de sa conscience pour cette métaphore du monde chocolat, cette gourmandise puis cet homme s'enlise dans les couloirs de son âme , il est en quête d'une muse, comme ceux d'une autre époque, comme si, dans l'égarement de son être, il voulait être ailleurs, dans un temps qui était, mais son cœur est un seau vidé, et soudain la réalité le regarde dans ses yeux au-delà de cette fenêtre, l'existence anime la vie de la rue, les boutiques, les trottoirs, les voitures passent, la vie est là devant sa fenêtre, La nausée est là pas très loin, L'étranger le ronge, comme Meursault de Camus, la narrateur regarde son existence encore et encore, comme si il ne l'avait pas vécu, tel le lézard dont sa queue coupée continue de s'agiter au-delà de lui, ce masque adhère à son être, il veut être celui qu'il désire être sans être celui qu'il pense être, son être devient inoffensif…..

Le temps érode les souvenirs, les existences se meurent et vivent à travers les choses que l'on n'oublie pas comme ces vers ou l'enseigne du Bureau de tabac, puis tout deviendra poussière, le cycle de la vie se perpétue dans cet espace, ce monde, cette galaxie, les vers et les enseignes renaitront dans une autre réalité, cette farandole constelle la vue de Fernando Pessoa, l'incertitude, je suis le tout, je suis le rien comme Nietzsche. La vie d'en face du Bureau de tabac réveille notre homme perdu dans sa méditation exploratoire, la cigarette se consomme en lui, la fumée est la route qu'il doit suivre, tout s'arrête en lui, cette métaphysique intime n'est qu'une indisposition, une échappée belle, une excroissance de son être, il devient soudain le fumeur, il est dans la liberté d'inhaler ce tabac qui goudronne ces poumons, le Destin lui accorde cette faveur pour faire durer cet instant, la liberté de fumer, et la main tendu d'un client du Bureau de tabac le sort de son exile métaphysique, c'est un ami Estève (Estève-n'a-pas-de-métaphysique), et soudain la vie continue, notre fumeur salue cette connaissance, faisant sourire le patron du Tabac et l'idéal et l'espoir resteront muet, la connaissance du l'univers venant s'effacer pour vivre sa vie, comme celle de Fernando Pessoa.



Il est toujours difficile de pouvoir critiquer un poème, j'ai plutôt navigué dans les émotions qui ont animées ma lecture, les sensations qui ont suées ma chair, le poème anime l'instant du poète mais aussi celui du lecteur qui souvent se l'approprie et le digère, il marque au fer rouge le lecteur de son empreinte et le poème comme le poéte sont aspirés dans le tube digestif du lecteur pour y être dissout dans l'essence même que le lecteur voudra bien se l'approprier. Fernando Pessoa a su me prendre la main pour voyager dans son univers, j'aime me perdre ainsi dans les mots d'un autre pour nager dans le contre-courant de ces vers, pour y sentir la saveur et la coucher dans mes mots plus humbles et maladroits.

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Le gardeur de troupeaux

Un curieux recueil de poésie, célébrant la nature dans son plus simple appareil, prônant un "laisser faire" et une conception très taoïste des choses, qui se lit et se savoure en ces temps de confinement où l'on souhaiterait plus que tout retrouver ces fleurs et ce soleil dont Pessoa nous parle !
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Le livre de l'intranquillité

Ce livre est un compagnon de vie...

Un peu comme un livre de poésie.

Parfois quand la vie bascule...

Des mots pour panser les maux.



Fernando Pessoa a écrit un livre intemporel qui nous fait du bien... quand notre vie intérieure se sent isolée ... et a besoin de compagnie silencieuse...
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Poètes de Lisbonne

Belle découverte que se petit recueil de poésies !

J’ai trouvé ce livre dans une boutique de LX Factory, à Lisbonne (lieu hautement inspirant).

La préface est très intéressante et nous présente les 5 auteurs réunis dans le recueil.

Les auteurs sont présenté de façon chronologique, se qui nous permet de voir l’ev De la poésie au fil du temps.

En plus des beaux textes, ce recueil est très bien illustré. J’aime le style de l’illustrateu André Carrilho.

L’édition bilingue est le petit plus qui rend cette édition un peu plus « exotique « .

Belle découverte poétique pour moi.
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Lettres à la fiancée

En portugais, Pessoa signifie personne, du latin persona, «masque» à travers (per) lequel sonne (sona) la voix du «personnage». Et ces personnages, chez lui sont multiples. L’existence de ses 72 hétéronymes (voir mes autres critiques sur Pessoa et ses hétéronymes) n’empêche cependant pas Fernando Pessoa d’écrire aussi sous son vrai nom des poèmes tantôt néo-classiques, tantôt ésotériques et mystiques, où il se montre cynique, sarcastique, parfois infantile, et en tous cas moins audacieux que son hétéronyme Álvaro de Campos. Il n’écrit sous son nom que des vers courts, et pas de prose.

Derrière tous ces hétéronymes où il cache son besoin de «tout être», qui est-il ? Une petite partie de la réponse – mais ce n’est qu’une pièce du puzzle - nous est livrée dans des textes non littéraires, à savoir sa correspondance, notamment sa correspondance avec Ophelia Soares Queiroz qu’on appelle parfois sa «fiancée», et qui est la seule femme qu’il ait approchée dans sa vie. C’est une amitié secrète, chaste et puérile, ridicule et sublime, scindée en deux épisodes (mars-novembre 1920 et fin 1929-fin 1930). Ophelia est employée dans l’une des maisons de commerce pour lesquelles il gagne sa vie comme traducteur. Elle a 19 ans quand il la rencontre et il en a 31, douze ans de différence, de quoi tempérer sa crainte des femmes dominatrices. Il ne s’adresse pas à elle comme à une femme mais comme à un enfant:

«Mon bébé, mon petit ange, mon amour, vilain petit bébé».

«Ma bouche est toute drôle, tu sais, depuis le temps qu’elle manque de baisers... Mon bébé à prendre sur les genoux ! Mon bébé à mordiller... Je t’ai nommée « petit corps de toutes les tentations». Tu le seras toujours, mais loin de moi... Viens près de ton Nininho. Viens dans les bras de ton Nininho. Pose ta petite bouche sur les lèvres de ton Nininho ».

Pessoa lui écrit 51 lettres dont la publication – incomplète pourtant – a déclenché une polémique à cause de cette sensibilité infantile que certains ont trouvée ridicule dans leur sentimentalisme naïf et émouvant, et ne voulaient pas publier.

Les contacts des «amoureux» sont platoniques et se limitent à ces lettres et à des conversations lors de promenades dans la rue ou en tram, ainsi qu’à quelques baisers sur la bouche, probablement plus chastes et furtifs que vraiment sensuels. Pessoa semble avec elle d’une grande tendresse, mais peut-être le genre de tendresse qu’on a envers un enfant. Difficile à dire. Pessoa fait jurer le secret à Ophélia. Il n’est jamais allé chez elle ni elle chez lui, et elle n’a pas le droit de parler de lui à ses parents. On ne sait pas la raison de ce secret, dû peut-être à un sentiment de culpabilité ou d’angoisse devant la sexualité. Certains poèmes et des lettres à un ami poète semblent vaguement montrer une composante homosexuelle non vécue et refoulée.

Pessoa admirait Shakespeare et connaissait la puissance des mots. Aurait-il pu tomber amoureux d’une autre femme que celle que le destin lui apportait sous le prénom d’Ophélia, prénom porteur de sens et faisant de lui un nouvel Hamlet, porteur de doute? Freud, dans la description de son complexe d’Œdipe, passe sans cesse d’Œdipe à Hamlet. Quand commence l’action de la tragédie de Shakespeare, action décrite d’ailleurs par Ophélia, Hamlet – comme Pessoa – rentre de l’étranger où il a étudié. D’une certaine façon, la mère de Pessoa (veuve) «trahit» aussi en se remariant avec un homme qui supplante le père. Comme Hamlet, Pessoa montre sa peur des femmes, ses doutes, son incapacité à aimer (Hamlet déclare à Ophélie qu’il ne l’aime pas). Comme lui, il semble vivre dans un monde irréel, spectral, fait d’ombres hétéronymiques et de gris.

«Être ou ne pas être» aurait pu être une phrase de Pessoa qui «est» (à travers tant d’hétéronymes) à la fois lui-même et étrangers à lui-même, mais Shakespeare fait aussi dire une phrase digne de Pessoa à Polonius, le père d’Ophélie : «C’est quand on ne sait pas où on va qu’on va le plus loin».

On peut aussi penser à Louis II de Bavière, homosexuel comme Shakespeare, qui se débarrasse de sa fiancée Sophie dont il ne s’autorise que la tendresse d’un frère pour une sœur et qu’il transpose l’appelant Elsa et signant Lohengrin. Pessoa vit un amour «comme si», un amour-idée, une expérience dont il se tire avec ses hétéronymes bien commodes. Il écrit d’abord à Ophélia que son ami (imaginaire) A. A. Crosse, un hétéronyme censé participer à un concours de charade du Times, lui a promis, s’il gagnait, de lui donner de quoi s’acheter des meubles pour se marier. Comme Crosse n’existe pas, il ne prend aucun risque. Quand Pessoa sent Ophélia s’approcher dangereusement, il appelle un autre hétéronyme à la rescousse, Álvaro de Campos, qui arrive au rendez-vous en disant «Ce n’est pas moi, c’est Álvaro de Campos», et c’est encore lui qui est chargé d’écrire à Ophélia la lettre de rupture qui conseille la jeune fille de ne plus penser à Pessoa. Au dire de ses amis, il changeait même de voix et d’allure quand il se présentait comme Álvaro de Campos.

Neuf ans après cette rupture, il y a un bref retour de flammes. Ses lettres montrent beaucoup de tendresse, mais finalement, c’est à nouveau la rupture sous prétexte que: «Ma vie tourne autour de mon œuvre littéraire... tout le reste n’a qu’un intérêt secondaire».

Quelques poèmes y font écho :

«Personne n’aime autrui, sinon c’est qu’il aime la part de lui qui est dans l’autre, ou qu’il suppose» (Poèmes païens).

«I love my love more than I love thee» (Sonnets, XIII).

Pessoa fut le premier poète étranger à avoir une statue à Bruxelles (Place Flagey). Hormis Camões, c’est l’écrivain portugais le plus important. Une salle d’audience de la Cour de Justice de Luxembourg porte son nom. Il est enterré à Belém (Lisbonne) à côté de Vasco de Gama et de Camões.

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Poèmes païens

Ce livre contient des poèmes des hétéronymes Alberto Caeiro et Ricardo Reis. Je me limiterai ici à parler de ce dernier, ayant déjà évoqué Caeiro dans Le Gardeur de troupeaux.



L’hétéronyme principal de Pessoa, Álvaro de Campos, est un homme du Sud, Caeiro est un homme de la campagne, du Ribatejo, Pessoa lui-même et Soares sont des citadins, chantres de Lisbonne, et voici Ricardo Reis (prononcez Ricardou Réïch), né à Porto, au centre-nord du Portugal, mais qui semble sans attaches géographiques poussés. Comme Pessoa à sept ans, Ricardo Reins va s’exiler, mais lui, ce sera à l’âge adulte, exil volontaire au Brésil à cause de ses idées monarchistes au moment de la proclamation de la république. Reis était cependant un monarchiste sans programme et... sans idées monarchistes. Son monarchisme semble n’être qu’un prétexte pour le faire sortir de scène. Pessoa parle peu de politique mais dira quand même en 1910 «Quand nous avons fait une révolution, c’est pour mettre en place la même chose qui était déjà là». C’est donc un exil sans signification politique.



Pessoa attribue à Reis «toute ma capacité de discipline mentale». Reis est féru de culture latine et grecque. Lors de ses études à Durban, le latin était la meilleure branche de Pessoa.



C’est l’occasion de faire une parenthèse sur ses années de scolarité passées en Afrique. C’est là qu’il a trouvé un père de substitution en la personne d’un enseignant, le headmaster Nicholas, professeur de latin et directeur du collège de 1886 à 1909, qui l’initia à la poésie. C’est un fort substitut paternel, une personnalité rayonnante, une béquille décisive qui lui apporta ce qu’il ne trouvait pas dans sa famille et qui maintiendra un lien entre Pessoa et le social. Son enseignement était celui d’un maitre, c’est-à-dire quelqu’un qui forme des disciples. Il était d’ascendance hispano-irlandaise, étranger lui aussi,... et célibataire lui aussi. Pessoa choisira de devenir poète comme lui, plutôt que d’opter pour la profession de son père, mort quand il avait cinq ans, ou de son beau-père. Mais curieusement, dans ses 72 hétéronymes et sa vaste production littéraire, on ne trouve rien, absolument rien, qui rappelle ce séjour africain.



L’hétéronyme Ricarco Reis étudia la médecine et fut professeur dans un grand collège américain. Il s’opposa à Álvaro de Campos dans une polémique sur l’art, et à Caeiro pour son style trop simple. Quand à Pessoa, il déclare «[Reis] écrit mieux que moi, mais avec un purisme qui me paraît excessif». Chaque hétéronyme a ainsi ses particularités. Cela n’empêche pas, dans ce petit théâtre des hétéronymes, que Ricardo Reis soit choisi comme préfacier des poèmes des autres.



Reis est une sorte de chantre du néo-paganisme, un poète de la nature, héritier des sagesses antiques, l’ami d’Épicure, mais comme Pessoa les contradictions, l’ami également des stoïciens. Reis est parfois l’hétéronyme de la renonciation, du Nirvâna, le double négatif de Campos, le poète de toutes les audaces. Mais aussi le double négatif de Caeiro qui n’a pas d’éthique. Dans plusieurs poèmes, Reis s’adresse aux dieux, aux dieux antiques comme à Dieu-le-Père, lui qui a perdu son père.



Aos deuses peço só que me concedam / O nada lhes pedir



Aux dieux, je demande seulement qu’ils m’accordent de ne rien leur demander.



Le style de Reich est différent des autres hétéronymes, précis, perfectionniste, artificiel, recherché, truffé d’archaïsmes (vedar pour proibir, per pour por, refusar pour recusar, curar pour tratar de,...). Il utilise de manière transitive des verbes intransitifs (decorrer, chiar, dormir, morrer,...) et inversement (animar). Les îles vierges, à explorer sont des «îles inexplicites» et les paysages du nord des «explicites de neige». Tout cela est évidemment difficile à rendre en traduction.



Parmi ses œuvres traduites en français, citons Poèmes, Odes et Livre premier.



On trouve aussi chez lui, comme chez Pessoa, le refus de la relation affective.



«Aimons-nous tranquillement, en pensant que nous pourrions si nous le voulions, nous embrasser, nous enlacer, nous caresser, mais qu’il vaut mieux s’asseoir l’un près de l’autre, voir et écouter le bruit de l’eau, cueillons des fleurs... ».



Reis a un cousin, Frederico Reis, critique et homme de lettres, auquel Pessoa fait dire que la poésie de son cousin est d’un épicurisme triste. Chez Pessoa qui a perdu son jeune frère quand il avait 5 ans, la plupart des hétéronymes ont un frère ou ici, un cousin : Alexander et Charles Search, les deux frères Guedes, Merrick, Soares, Otto,... Les frères Wyatt et les frères Crosse sont même trois, mais il n’y a jamais de sœur.



Voici quelques vers de lui.



Stylite inébranlable sur la ferme colonne

Des vers où je demeure,

Je ne crains pas le futur innombrable flux

Des temps et de l’oubli...

Dès lors que nous irons, abolis par les Parques,

Vagues formes solennelles subitement surannées,

Et de plus en plus ombres,

Au rendez-vous fatal,

La ténébreuse barque sur le fleuve lugubre,

Les neuf enlacements de la stygienne horreur,

Et l’étreinte insatiable

De la patrie de Pluton.

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Le livre de l'intranquillité



N°624– Février 2013.

LE LIVRE DE L'INTRANQUILLITE – Fernando Pessoa - Christian Bourgois Editeur



Il s'agit d'une œuvre posthume de l'écrivain portugais Fernando Pessoa [1888-1935], attribuée par lui-même à Bernardo Soares un « semi-hétéronyme », c'est à dire un des nombreux doubles de l'auteur qui incarnent autant de facettes de sa personnalité. Pessoa n'a en effet presque jamais signé ses œuvres de son vrai nom mais il est cependant reconnu comme un des plus grands écrivains portugais alors même que son nom signifie « personne ».



C'est un recueil de réflexions, de pensées, de poèmes en prose écrits de 1913 à 1935, de manière anarchique, sur des feuilles éparses, suivant son habitude et enfouies dans une malle. Il est considéré comme le chef-d’œuvre de son auteur. Il met en scène Bernardo Soares qui est un modeste employé de bureau dans un magasin de tissus, sans la moindre ambition et qui fait ce qu'il peut pour ne pas se faire remarquer. Il n'a ni famille ni attache, vit petitement et se fonde humblement dans le décor de son quotidien. C'est une véritable« Autobiographie sans événements ». Comme Pessoa, il a mal à sa vie, la refuse ou fait au moins ce qu'il peut pour ne pas s'adapter. L'écriture étant une formidable manière de s'en évader, il en fait une chronique ce qui donne un texte à la fois lucide et désespéré. Pourtant il note avec un certain paradoxe « J'ai toujours évité, avec horreur, d'être compris ».



Bernardo Soares est sans doute le personnage qui se rapproche le plus de Pessoa parmi ses nombreux « doubles » puisque la vie de l'auteur se résume à presque rien. Il est, quant à lui, un poète introverti, anxieux et discret, écrivant à la fois en portugais et en anglais, qui a passé la presque totalité de sa vie à Lisbonne comme rédacteur et traducteur chez différents transitaires maritimes. Pourtant d'autres hétéronymes de Pessoa tels Alberto Careiro, le sage-païen, son exact contraire, Ricardo Reis, un épicurien stoïcien et le sensationiste et moderniste Alvaro de Campo se différencient largement de lui. Masques ou miroirs, la question mérite d'être posée puisque Pessoa vit en fait une autre existence qui lui convient mieux. C'est à la fois un rêveur et un idéaliste

Le mot lui-même d' « intranquillité » qui pourrait être assimilé à l'inquiétude ou plus précisément à la difficulté d'être, est un néologisme, même s'il a été auparavant employé par le poète Henri Michaux.



Il s'agit ici de textes qui dénoncent le désenchantement du monde et une affirmation que la vie n'est rien sans l'art qui ainsi lui donne un sens. J'y ai lu une profonde tristesse, une sensation aiguë de solitude qu'il combat grâce au sommeil, à l'idée du voyage, mais d'un voyage immobile, au rêve ["Je ne suis pas seulement un rêveur, je suis exclusivement une rêveur"] et aussi à l'alcool, une impression de temps suspendu tant sa vie est banale et sans relief, comme lui- même [ "C'est une saoulerie de n'être rien et la volonté est un seau qu'on a renversé au passage dans la cour, d'un geste indolent du pied"].tant son quotidien qui se résume à la fenêtre de sa chambre, à ce bureau de la rue des Douradores, à ce quartier et à cette ville, est monotone, banal, sans relief.

C'est aussi un journal intime au quotidien, avec de nombreuses réminiscences d'enfance, tenu tout au long de sa vie où l'auteur analyse les nombreuses facettes de cet « hétéronyme », cette « prolifération de soi-même » qui existe en chacun de nous. Cela donne, sous la forme de pensées décousues mais dans une prose somptueuse et poétique, une analyse de l'existence quotidienne au bureau, douloureuse et parfois étonnamment douce. Cette somme de réflexions, de remarques, de prise de conscience de soi-même et parfois d'élans lyriques est presque une biographie de Pessoa écrite par Soares. Pourtant on peut aussi le considérer comme un récit, mais qui aurait la particularité d'être impossible à raconter ! De cette relation du quotidien sourd un ennui, la saudade, tout à fait caractéristique de l'âme lusitanienne. De plus, dans cet ouvrage, Pessoa entretient avec la ville de Lisbonne une relation toute particulière un peu comme le fait James Joyce avec Dublin.



Certains commentateurs ont parlé à propos de cet ouvrage de "littérature de limbes". J'ai vraiment eu l'impression que Pessoa a vécu sa vie comme un calvaire et anticipe son entrée dans le néant sans pour autant le craindre. Pour lui, il me semble que la vie elle-même était un lieu de souffrance où elle s’apparentait à une mort lente. Les limbes sont un espace assez confus et flou qui nous est proposé par les catholiques. Ils se situent après la mort, aux marges de l'enfer pour des âmes qui en seront libérées pour finalement entrer au Paradis, une sorte de purgatoire en quelque sorte. C'est aussi un endroit où séjournent les enfants non baptisés qui ne peuvent accéder au Paradis mais ne méritent pas pour autant l'enfer. C'est là un débat théologique qui devait échapper à Pessoa. L'auteur, conscient de lui-même n'est ni vraiment vivant ni complètement mort, juste de passage ici-bas, mais semble indifférent à son existence, à sa promotion professionnelle en se concentrant sur ses propres aspirations dont il est une sorte de contemplatif ironique. Il sait ce qu'il souhaiterait en ce monde pour lui-même mais, dans le même temps, a conscience qu'il ne parviendra pas à l'obtenir. Ce narcissisme enfante une certaine jouissance intime d'explorer son propre labyrinthe, d'analyser les arcanes de son "Moi", tout en ayant une parfaite conscience de soi et d'être l'illustration consciente de la parole de Rimbaud "Je est un autre". Paradoxalement peut-être, dans ce processus, l’humilité le dispute à la désespérance et Pessoa-Soares choisit une vie grise et sans relief. Il y a aussi de la lucidité dans tout cela et s'il choisit la solitude, le célibat, comme une sorte de sacerdoce, c'est pour mieux y développer sa réflexion sur le monde tout en en restant en retrait. C'est quand même l'ouvrage d'un philosophe, d'un penseur mais aussi et surtout d'un érudit.



A la lecture de ce texte, j'ai l'impression qu'il y a aussi du regret dans ces lignes ["Je gis ma vie"], une extrême conscience de l'échec [« Je suis l'enfant douloureux malmené par la vie »] au point de confier au papier puis à sa malle, autant dire au néant, toutes les réflexions que lui inspire ce quotidien sans joie ["Et je contemple avec dégoût, à travers les grilles qui masquent les fenêtres de l'arrière-boutique, les ordures de tout un chacun qui s'entassent, sous la pluie, dans cette cour minable qu'est ma vie"]. Pourtant il y révèle un curieux rapport à l'écriture qui n'est pas dénué d'un sens de l'esthétisme ["J'écris parce que c'est là le but ultime, le raffinement suprême, le raffinement viscéralement illogique de mon art de cultiver les états d'âme"]. Manifestement, il compense ce manque avec le rêve et l'imaginaire.



Il est vrai que l'analyse de cette œuvre de Pessoa ne peut se faire valablement dans ce court article.



©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

































































































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Poèmes païens

Les voix diverses de Pessoa, "personne", se font entendre dans ce volume, chacune étant nommée et se développant selon sa logique propre, dans un recueil de poèmes qui les rassemble sans qu'elles dissonnent..
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Le Banquier anarchiste

Un joli moment de foutage de gueule en ce qui concerne les idées dites anarchistes. Mais attention, c'est réalisé de manière très intelligente ! Si bien que Pessoa, par l'entremise de son personnage du banquier, peut donner des indications très intéressantes en ce qui concerne les points d'achoppements ou les contradictions qui ont secoué - et secouent toujours - les différentes théories anarchistes. Savoureux, quoiqu'un peu plat.
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Quaresma, déchiffreur

Voilà un recueil de nouvelles policières fort singulier.

Tout d'abord ces écrits ont été retrouvés après la mort de Pessoa. de son vivant, Fernando Pessoa n'avait jamais publié de romans policiers. De plus, la plupart de ses écrits sont inachevés.

Quaresma, le héros de ces nouvelles est un personnage hors du commun. Dans la vie de tous les jours, le docteur Abilio Quaresma, qui n'exerce plus, est un homme terne, qui ne distingue par aucun signe particulier - au contraire, c'est un homme terriblement banal.

il vit dans une petite chambre, il passe son temps à fumer, boire et lire et à réfléchir. Son activité favorite : les charades mais rien ne vaut les problèmes de la vie réelle.

Mais dès qu'on lui soumet la moindre énigme ; son génie apparait et le transfigure. Le raisonnement de Quaresma lui,permet de résoudre tous mystères.

Ce n'est pas l'action qui est privilégiée dans ce recueil mais la façon d'aboutir à la vérité et l'on suit les étapes de la pensée de Quaresma pas à pas et l'on est toujours surpris par la richesse de son esprit de déduction.

Malgré le fait que la plupart de ces récits soient incomplets, on suit avec plaisir les méandres de la réflexion de notre héros. Et l'on reste admiratif devant tant de talent.
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