En avant la musique ! En avant l'Italie ! Voici trois nouvelles judicieusement regroupées par l'éditeur Gallimard pour sa collection Folio autour de certains dénominateurs communs :
La passion, tout d'abord, amoureuse certes, mais aussi la passion pour la musique ou le chant. L'Italie ensuite, où Honoré de Balzac laisse sourdre sa propre passion pour ce pays, summum selon lui du raffinement de l'art sous toutes ses formes.
L'auteur est également un féru de musique et d'opéra — qu'on dit aujourd'hui classiques mais qui à l'époque était contemporains — et il nous le fait bien sentir, parfois même un peu trop.
Selon moi, avec ces trois nouvelles, l'intérêt va decrescendo, partant d'un bon niveau de Balzac avec Sarrasine pour finir dans le quasi pire de ce que l'auteur a produit avec Massimilla Doni en passant par du très moyen avec Gambara.
1) SARRASINE : C'est une nouvelle très fluide, qui sera dévorée en quelques heures (voire moins si vous êtes rapide) et je pense avec plaisir (probablement d'autant plus que vous serez proche de l'âge du protagoniste principal, c'est-à-dire dans les 20-22 ans).
De prime abord, sans jamais avoir rien lu sur cette nouvelle, j'imaginais qu'il s'agissait d'une femme, probablement une demoiselle, nommée Sarrasine, et dont tonton Honoré allait nous conter les mésaventures (Balzac, c'est souvent des mésaventures !). Or, point de tout cela.
Sarrasine est un nom de famille, pas un prénom, et il désigne un homme et pas la fameuse demoiselle à laquelle on pouvait s'attendre. Notre Ernest-Jean Sarrasine est donc un jeune sculpteur bourré de talent mais quelque peu fougueux et indomptable à ses heures (on comprend pourquoi le grand Rodin a dédié un peu de son travail à Balzac à la lecture de cette nouvelle qui fait l'éloge de la profession).
Mais voilà, ce qui devait arriver arriva : Sarrasine tomba follement amoureux. La sublime déesse lui inspire moult dessins, études et sculptures, mais il y a un hic. Et quel hic ?... ça, je vous laisse le découvrir car si je vous en dis plus, vous saurez tout avant de l'avoir lue ce qui serait dommage. Mais, (ne l'oubliez surtout pas), ne vous fiez pas aux apparences...
2) GAMBARA : Quelle est la forme ultime de l'art ? Honoré de Balzac nous interpelle sur cette question dans Gambara, comme il l'avait fait dans Le Chef-D'Œuvre Inconnu. Si le thème est le même, la facture est différente. Ici, il n'est pas question de peinture, vous vous en doutez, mais de musique.
Ce thème, donc, c'est celui de la quête de l'art absolu pour les artistes. Dans le chef d'œuvre inconnu, le vieux maître Frenhofer, cherche à toujours s'approcher de la perfection en peinture, quête perdue d'avance et qui, malgré le talent indéniable du peintre, ne lui permet pas de produire quoi que ce soit de tangible.
Ici dans cette nouvelle, c'est Paolo Gambara, un musicien italien, qui souffre du même trouble. Tellement prodige, tellement en symbiose avec la musique qu'il va au delà de ce qui est compréhensible musicalement par le commun des mortels. Si bien que son opéra Mahomet est tout simplement inaudible.
À telle enseigne que tout le monde croit Gambara être un fort piètre musicien. Le message de Balzac semble être que pour les artistes, il ne convient pas de s'éloigner trop des formes d'art que l'intelligence commune est capable de déchiffrer, sous peine d'immobilisme et d'incompréhension généralisée.
En ce sens, l'auteur se rapprocherait de la définition que Kant donne en substance du beau dans Critique de la Faculté de Juger (citation de mémoire ne respectant pas la lettre) : est beau ce qui plait et ce qui donne une satisfaction sans qu'il soit besoin de posséder au préalable aucun concept.
Ceci nous entraine sur un sentier de réflexion passionnant, à savoir, le fait que l'art doit rester accessible au novice et donc, une affaire de " non-initiés ". Vaste question pouvant susciter de vastes débats... Voilà pourquoi cette nouvelle fut catégorisée par l'auteur comme une étude philosophique dans La Comédie Humaine.
Balzac greffe sur ce message une histoire d'amour, pas franchement nécessaire entre un riche comte milanais, Andrea Marcosini et l'épouse de Gambara, Marianna. Il dédouble le génie incompris de Gambara avec le personnage du cuisinier Giardini, également génial et incompris, qui sert d'entremetteur à Andrea pour la conquête de Marianna.
Mais surtout, cette nouvelle pèche, à mon sens, par le côté indigeste des explications musicales auxquelles se livre Gambara, tout d'abord sur son propre opéra Mahomet, puis, sur l'opéra (qui existe vraiment) Robert le diable de Giacomo Meyerbeer. Sur un texte aussi court, ces descriptions longues et fastidieuses sont préjudiciables.
C'est la raison pour laquelle je considère cette nouvelle comme un peu moins " al dente " que d'autres du si génial et prolifique Honoré de Balzac.
3) MASSIMILLA DONI : Attention, écartez-vous, je vais cracher sur Balzac ! Je ne sais pas trop le faire méfiez-vous, je risque d’éclabousser. Effectivement, ce n’est pas souvent que vous me prendrez en flagrant délit de crachat sur mon Balzac adoré, mais Massimilla Doni (ça se prononce " ma semelle à dîner ", c'est vous dire si c'est savoureux) c’est un truc indigeste absolument pas comestible. C'est le moins bon de Gambara en trois fois pire.
En fait, je crois qu’en écrivant cette nouvelle, Honoré de Balzac a voulu se faire plaisir à lui, mais malheureusement pas à nous. Il nous y exprime de long en large son amour pour l’Italie en général et pour Venise en particulier. C’est long, c’est pléthorique, c’est ennuyeux, on se croirait dans Vingt Mille Lieues Sous Les Mers quand Jules Verne s’attaque à la description systématique de chaque tête de boulon du Nautilus.
Donc, après avoir subi la description de Venise sous toutes ses coutures, vous ne serez pas encore au bout de vos peines car, un peu à la façon de Gambara mais en pire, vous allez subir l’explication musicale mouvement par mouvement, instrument par instrument, note par note du Moïse de Rossini et franchement, sans la musique, c’est rébarbatif au possible. Balzac nous en met plein la vue, plein les oreilles, il veut nous montrer qu’il en connaît un rayon en matière d’art (que ce soit musical ou pictural) mais c’est d’un lourd, mes aïeux ! d’un lourd ! On prendrait Big Ben sur le pied qu’on n’y verrait pas trop de différence.
Et enfin, cerise sur le gâteau, v’la ti pas qu’il nous greffe là-dessus une mièvre histoire d’amour de duchesse marshmallow et de prince barbapapa croisée avec une jalousie de cantatrice à la gomme et de ténor casse-bonbon, je ne vous dis que ça. J’ai adoré !
Bref, c’est pédant, c’est mal senti, c’est d’un intérêt très limité, cent fois plus limité qu’à l’accoutumée avec cet auteur que je porte pourtant particulièrement dans mon cœur. Balzac y rebrode le canevas qu’il a déjà ourdi dans Le Chef-d’Œuvre Inconnu et dans Gambara, à savoir que lorsque l’on va trop loin dans son art, on en devient incompréhensible par le commun des mortels. Ici, c’est le ténor Genovese qui, lorsqu’il veut époustoufler la cantatrice Tinti devient grotesque alors qu’en temps normal, c’est le plus grand ténor de sa génération.
L’autre thème vaguement abordé dans Massimilla Doni, c’est celui de la perte de pureté en faisant basculer l’amour du platonique au charnel. Oui… bon…, tout ça pour ça… tournons la page et oublions ça très vite mon cher Honoré, vous qui ne vous êtes pas beaucoup honoré avec cette soupe vénitienne.
Pour ceux qui souhaiteraient tout de même tenter l’aventure, voici le synopsis en deux mots. Massimilla Doni, fille d’une illustre famille florentine a passé sa jeunesse au couvent puis, comme ça se faisait beaucoup à l’époque, s’est vue mariée à un inconnu de duc qu’elle n’a évidemment pas choisi et qui doit lui servir de mari pour le restant de ses jours. Coup de chance, le duc de mari n’est pas entreprenant et brille même par son absence tous les jours que Dieu fait, lui laissant une totale liberté où son angélique religiosité peut s’épanouir à plein.
Émilio Memmi, lui aussi prince de sang d’une très illustre famille, mais vénitienne quant à elle, souffre de l’indigence matérielle dans laquelle lui et les siens sont tombés. Sa demeure est en train de tomber en ruine et il n'a pas le sou pour la remonter. Toutefois, il rencontre Massimilla Doni, paf ! ils tombent amoureux comme des angelots, c’est beau, c’est platonique, ils ne demandent rien de plus, ils peuvent rester purs, faites grincer les violons, etc., etc. Jusqu’au jour où, sur un malentendu, Émilio se retrouve dans la chambre de la sublime cantatrice Tinti que tout le monde courtise et qui éconduit chacun.
D’abord surprise puis séduite, la Tinti va consommer avec notre brave Émilio ce que jamais d’ordinaire il ne consomme avec sa Massimilla adorée… Tatam ! Qu’en attendre ? Tatatatam ! Et bien là n’espérez rien. Qu’en attendre ? Un long et vaste ennui.
Mais bien évidemment, ceci n’est que mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie         603