Une passion dans le désert est un très court roman
De Balzac, d'une vingtaine de pages, autant parler d'une nouvelle.
Ici on est loin du décor habituel de la Comédie humaine, l'écrivain abandonne pour un temps sa confrontation avec la société des hommes, pour nous entraîner à rebrousse-poil dans le désert, ses vertiges, ses affres, sa sensualité aussi, et mieux nous perdre ainsi.
C'est une histoire qui a pour toile de fond la campagne de Napoléon en Égypte.
Mais le roman commence en 1830 où un autre récit va bientôt s'enchâsser dans ce Paris où l'on découvre la ménagerie du célèbre Henri Martin, qui semble ne pas craindre ses bêtes, premier dompteur à affronter les fauves dans leur cage... C'est alors qu'un ancien grognard à l'air goguenard, amputé de la jambe droite, s'invite près du narrateur pour lui révéler une confidence...
Il était alors un jeune soldat provençal appartenant à une expédition entreprise dans la Haute-Égypte, lorsqu'il se retrouva prisonnier des Maugrabins, en plein désert. Au cours d'une nuit, il réussit cependant à s'échapper, profitant d'un relâchement dans sa surveillance. Mais peut-être que ses ravisseurs pensaient qu'il serait fou de quitter une prison dorée où il avait le gîte et le couvert pour se précipiter dans une autre prison bien plus redoutable et au destin presque scellé d'avance : j'ai nommé le désert...
J'ai cheminé dans ce désert avec ce jeune soldat en déroute, fuyant autant le soleil accablant et la pureté désespérante du ciel oriental que les Maugrabins qui ne manqueraient pas de lui faire payer cher ses rêves de fugue... Quel était le pire des sorts ? Mourir de soif ? de chaleur ? Ou bien mourir sous la lame d'un sabre ?
Avançant dans l'immensité, vers l'infini peut-être, un oasis qui n'est pas un mirage l'accueille, fait d'ombres, entouré de palmiers chargés de dattes... C'est alors qu'il découvre presque par hasard l'entrée d'une grotte taillée dans le granit. Il suffirait d'attendre là, tranquillement, qu'une caravane passe, ou bien une troupe de soldats de l'armée napoléonienne...
De cette grotte sombre, il en fait son abri. La nuit vient, avec " la bienfaisante fraîcheur des étoiles ". Mais l'obscurité soudain est vrillée par deux petites lueurs, deux yeux d'opale qui semblaient le fixer inexorablement. Quelle était cette présence ?
Elle venait de planter ses yeux dans les yeux du soldat et plus rien ne serait comme avant...
Captif il le sera, comme moi. Captif de ses respirations, de ses yeux, de ses élans... Mais toujours prisonnier comme on peut l'être d'une reine des sables, d'une sultane du désert, tout droit bondissant depuis les Contes des mille et une nuits...
Prisonnier comme s'il n'y avait pas d'autres issues à cet enfermement, cette détention improbable et le vertige qu'elle suscite... Une passion sensuelle, exclusive et dévorante, faites de caresses et de feulements... Alors il ne reste plus qu'à apprendre à se connaître, s'apprivoiser peut-être...
Captif je l'ai été aussi, de ce texte inouï...
Est-ce la magie du désert ou celle des mots
De Balzac, finement ciselés comme une dague ? J'ai été comme ensorcelé...
Un récit envoûtant et féroce !