Citations de Jacques Chardonne (429)
Il aime Pauline, il le sait, à présent. Une seule maison existe dans la ville, une seule jeune fille, parmi les vivants. Cette mémoire qu'il a de son visage, l'importance qu'il donne à ses moindres mots, ce dialogue avec lui-même, où toujours elle est présente, ces soupirs, c'est bien l'amour, et pourtant on dirait un sentiment à peine perceptible, sur quoi on pouvait se méprendre, qu'il a ignoré longtemps, écarté de sa pensée, jusqu'au jour où il s'est décidé à rappeler Nathalie.
Il y a des sentiments qui ne parviennent pas à la conscience, faute d'une occasion de les exprimer.
Tout ce qui est vraiment humain s'évapore vite.
On a toujours bonne conscience. Chacun s'embrouille dans sa bonne conscience.
La liberté, c'est le droit au soupir.
Je suis né dans une petite ville de marchands. On vendait du cognac chez les riches, des sabots ou des étoffes dans les boutiques. Depuis des siècles on n’avait d’autre ambition que de gagner un peu d’argent.
tout ce qui est vraiment humain s'évapore vite.
Il faut se garder d’un penchant au scepticisme, vieille manie de la plume, quand on écrit sur ce grave sujet de l’amour.
Sur l'Amérique:
En Amérique les pionniers ont une vie pénible; aussi le bien-être était leur idéal. L'émigrant n'a d'autre but qu'un rapide enrichissement.
Une poignée d'hommes riches très habiles, et qui n'étaient pas très scrupuleux, équipa l'Amérique. On connaît leur histoire. Elle n'est pas très belle. C'est ainsi que l'on obtient du pétrole et que l'on construit des chemins de fer.
Pour certains hommes, l'existence n'a de prix que dans l'excitation du jeu et la réussite positive. Lorsque tout un peuple inclut l'homme, corps et âme, dans la production et la consommation, et n'a pour ouverture sur l'esprit qu'une douzaine de sectes religieuses saugrenues, c'est grave."p.37
On plaint une femme qui et sans mari et sans enfant...Les gens sont si bien disciplinés qu'ils ont peur de tout ce qui est libre. Ils n'aiment vraiment que leur fonction sociale. Ils mettent leur bonheur dans ce qui est utile : la famille, un métier, la propriété...Ils ont perdu leur véritable instinct...la faculté de jouir de la vie dans un monde perpétuellement jeune.
Un auteur est original, ou bien il passera vite. Il est un créateur, ou il n'est rien. Comment définir un créateur? C'est un auteur qui existe.
"Le solitaire est un dieu", se dit Jean qui tâtait ses poches, craignant d'avoir laissé comme la veille un de ses paquets chez Ségur.
Par sa nature l'homme est abstrait. Il est à son aise dans la métaphysique et dans l'absolu. Il est fait pour produire des lois, annoncer l'avenir, créer des paradis; mais il n'a pas conscience de ses propres gestes, il ne voit pas les formes et les couleurs, l'endroit où il se trouve, les gens qu'il rencontre; il vit parmi de fantômes et ses sensations mêmes sont incertaines, car la plupart viennent de la mode.
Ces réflexions voulaient dire : "une femme que l'on aime et qui partage votre maison introduit le réel dans l'existence. Pauline s'impose à moi comme une individualité indépendante que je ne puis ignorer. Elle m'a révélé la complexité du vivant".
Il voit toujours en Pauline, comme par transparence, la jeune fille de Barbazac, qu'il repoussait de son cœur et n'osait pas regarder, l'image proscrite, à jamais insérée en lui, émouvante et gracieuse. Cependant, celle qu'il nomme Pauline lui paraît aujourd'hui bien différente de cette première vision qui reste à la fois trompeuse et vraie, vague, démentie, persistante. Il n'a pas prévu cette Pauline actuelle, un peu silencieuse, parfois inquiète. Mais les traits nouveaux ne forment pas un être précis, ils changent suivant l'éclairage intérieur et composent la réalité indéterminée, la perpétuelle création de la vie et de l'amour.
Et, sur la route, tandis qu'il se hâte vers la maison, vers l'instant prochain si nécessaire, vers la femme qu'il veut toujours revoir, il s'aperçoit de cette presse et il admire le but limité, fragile, jamais atteint, l'audace de l'homme qui a fait son idole d'une créature imparfaite.
Les gestes de la tendresse ne sont pas libres, le cœur a sa franchise irrésistible, certaines feintes blessent dans la chair une sorte de conscience morale très obscure et farouche.
Les hommes seraient plus heureux si on leur parlait moins du bonheur.
On n'oublie jamais une femme qui a été votre femme.
L'amour nous perd toujours.
Malheureux, il dévaste ; satisfait, il nous dépossède davantage.
L'homme n'a pas une grande capacité de jouissance: il est content de peu et goûte mieux son plaisir quand il est rare. C'est dans la pauvreté que je suis devenu épicurien.
Je me méfie des remèdes prompts. Les voies de la vie sont lentes, rudes et injustes. L'action de l'homme est humble, presque sans espoir. J'admire cette humilité de l'action, la seule qui soit vraie, car dès que l'homme pense, il se vante
Dans l’Île-de-France, tous les ans, le printemps revient avec les mêmes fleurs, à leur date, un ciel doucement lumineux, dans les bleus pâles ou les gris mouvants, une jeune verdure d’un ton argenté. Tout cela est connu ; pourtant, chaque année, le printemps est nouveau.
La Sologne, presque inhabitée, est une réserve de silence : terres sablonneuses, taillis ajourés que font les bouleaux et les aulnes ; parfois un groupe sombre et déchiqueté de pins dans les branchages légers ; une nappe d'eau, au ras du sol, concentré de paix, vive clairière de recueillement ; et l'air grave de ces choses presque immatérielles.