Citations de Jacques Chardonne (429)
Ce n'est pas le côté tragique de notre temps qui me paraît le plus cruel ; c'est son côté ridicule.
Dans la chambre, il voit une blouse de Pauline sur le lit, ses souliers jetés au milieu de la pièce, son peigne avec quelques cheveux enroulés. On sent un parfum d'iris, la chaleur odorante du feu de bois dans le poêle de faïence et comme un silence animé, caressant, une présence féminine en suspens dans l'air. Il se dit: "J'habite chez une femme. Je ne suis pas chez moi, ici. Elle est toute la maison."
Je ne veux pas d'un Eden où l'on souffre de la chaleur, plein de maladies, de serpents, de moustiques et où les orages sont effrayants ; ni trop chargé de monuments et de souvenirs qui excitent la pensée. C'est une terre de l'oubli que je désire, une température modérée, égale toute l'année, et les beautés de la nature à foison.
Avec du jugement et de l'énergie on domine l'infortune.
Les hommes suivent leur pente. Le noble a été remplacé par le bourgeois, à qui succédera un homme sans nom, vague émanation du prolétaire et de l'agrégé. Nous serons gouvernés, ou plutôt supprimés par des gens entichés de technique..."
Le sentiment que nous avons de la douleur d’autrui dans une circonstance tragique se traduit souvent par une froideur qui est de la timidité. L’attitude réservée d’Angèle vient de son être même, politesse suprême où je la reconnais bien : nous ne devons troubler personne avec nos émotions intimes.
Vivre trop vieux, c'est perdre jusqu'à ses souvenirs.
Les optimistes sont redoutables ; ils entreprennent des guerres qui ne finissent pas ou s'achèvent par des victoires désastreuses ; ils prônent de gigantesques oeuvres de bienfaisance qui ruinent tout le monde ; ils ont un langage fier. Les pessimistes ne peuvent jamais dire ce qu'ils pensent : ils feraient moins de mal mais ils sont tristes ; c'est leur seul défaut. Je recommande un pessimisme gaillard, plein d'allant. Le principal est de voir au bon moment ce qui est possible et ce qui ne l'est pas.
Personne n'est exactement à sa place, une stricte justice serait insupportable
Il faut être modeste, mais avec discrétion.
Il arrive que le malheur bouleverse un être, ouvre en lui des portes secrètes, l'illumine. Mais le bonheur nous touche doucement, et nous le recevons tels que nous sommes avec notre passé et notre caractère. Il n'y a de paradis que pour les anges.
Etre critique, si l'on est aussi beaucoup d'autres choses, cela pare un homme, comme de posséder une voiture (quand on n'est pas chauffeur de taxi).
La vie nous corrompt insensiblement, quand on ne s'appuie à rien de ferme.
il y a dans le bonheur, justement, un péril qu'on touche.
Des tramways passent, presque sans bruit ; on entend à peine un doux cliquetis, une plaintive résonance de cristal frôlé, légères vibrations de la ville nocturne, pareille au remue-ménage étouffé d’un orchestre qui accorde ses instruments, tandis que des ombres humaines s’en vont au bord des maisons, sur des nappes de lumière.
Cintra surtout, où je reviens toujours avec la même surprise, Cintra, ses jardins et ses fontaines qui ont pour moi quelque chose de religieux, ses châteaux rococo, sublimes dans l’excès et la vétusté de leurs ornements, et les arbres autour qui participent à ce délire du tarabiscoté par leurs feuillages contournés, avec des fraîcheurs de sources, un silence auguste, qui est une voix comme un chant d’orgue.
Sur la route abrupte, incrustée de cailloux bruns, parfois un portail béant laisse voir, comme une grenade ouverte, le scintillement rose d’une profusion de bégonias qui ont ici de légères aigrettes corallines ; la masse floconneuse d’une glycine azurée ; quelque brasier velouté fait de roses, et bien d’autres vivantes illuminations ; ou encore, par une échappée sous le déploiement des sombres branches d’un cèdre, apparaît un pan de l’île, ses vallonnements, ses petits amas de toits rouges, sa frange d’océan bleu.
Il faut voir le vert Portugal venant de la sombre Castille ; le Portugal, ce pays de la poésie, du courage et de la plus douce humanité.
La vie est courte, c'est ce qu'elle avait de mieux à faire.
On ne peut justifier la déception que nous causent ceux qu'on aime ; on peut à peine l'expliquer.