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Critiques de Joyce Carol Oates (3271)
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Blonde

Quel fascinant roman !

Hypnotique et magnétique comme l'était celle dont il relate la possible histoire, l'actrice américaine Marilyn Monroe (1926 - 1962). Quelle autre figure pop nous incite davantage à juger sur les apparences ? Et pourtant, paradoxalement, c'est sans doute cette femme, entre toutes, qu'on devrait se garder de juger sur les apparences. C'est ce que propose l'auteur avec "Blonde".



MARILYN ! MARILYN ! MARILYN !



Pur produit manufacturé par Hollywood, univers vicié et vicieux, dont l'éphémère et fulgurant âge d'or a été rapidement suivi d'une décadence crasse et corrompue où sexe, drogues, alcool, pornographie et magouilles règnent en maîtres, masqués aux yeux du public par des myriades d'étoiles et de paillettes. Réalité.



Poupée crémeuse, femme objet, blonde idiote, icône pop, égérie en caoutchouc, sex-symbol, actrice médiocre. Cheveux platine phosphorescents, lèvres sanglantes pulpeuses, grain de beauté aguicheur, seins mammouthesques, hanches et cul de rêve. Fiction.



"Ce que le Studio demandait très raisonnablement […], c'était un retour à des comédies sexy assurées du succès comme "Certains l'aiment chaud" et "Sept ans de réflexion", car pourquoi diable les Américains devraient-ils se séparer de dollars durement gagnés pour voir des films sinistres qui les dépriment ? Des films qui ressemblent à leurs propres vies foireuses ? Quelques gros rires gras n'ont jamais fait de mal à personne, hein ? Quelques scènes affriolantes ? Hein ? Une superbe blonde, des scènes où ses vêtements tombent, des courants d'air qui soulèvent sa jupe jusqu'en haut des cuisses".



Orpheline de père, fille d'une mère schizophrène internée, fillette apeurée ballottée de l'orphelinat en familles d'accueil, enfant discrète et incomprise, femme soumise, âme révoltée, en perpétuelle quête d'identité, elle qui en possédera plusieurs : Norma Jeane l'amie, Marilyn l'ennemie.



Illusoire exemple de cette ascension sociale "made in USA", du mythique "rêve américain" soigneusement entretenu pour leurrer des générations de moutons, la Carotte d'Or du "peuple de la liberté", le même qui ne craint pas d'emprisonner la femme-orpheline glamour dans des robes camisoles cousues sur elle l'empêchant de s'asseoir ou de respirer.



La femme-orpheline, abusée et exploitée, seule, s'élèvera bien à la "force du poignet", comme le lui promettait son tendre Oncle Sam, mais pas de la manière qu'on imagine. "Se coucher pour arriver", seule voie possible sous le vernis du puritanisme hypocrite. Starlette-marionnette violemment soumise aux appétits voraces des hommes-bites qui contrôlent le monde dans lequel elle a eu le hasard de naître. "Tu as eu le rôle en tournant les talons, mon chou".



La femme-orpheline aussi fragile qu'un colibri "plongeant son long bec aiguille dans les jasmins trompettes pour en sucer le suc... […] Ils doivent manger tout le temps ou s'épuiser et mourir... des ailes minuscules qui battent si vite qu'on ne les voit pas... un bruissement, une tache floue... et leur coeur qui bat si vite..." ; toute une vie en quête d'amour, de liens, de reconnaissance et de talent.



La femme-orpheline, assidue lectrice de Darwin, Tchekhov, Schopenhauer et Pascal. La blonde qui rêvait d'être une actrice.



1 110 pages pour témoigner de 30 ans d'une (sur)vie tout en grands écarts. Misères et splendeurs de l'actrice-courtisane, parcours de l'orphelinat à la couche présidentielle, passage de l'innocence à la violence, de l'obscurité aux lumières artificielles des flash aveuglants.



Joyce Carol Oates décline ici le genre de la biographie. "Blonde" n'est pas une biographie romancée, "Blonde" est une biographie fictive, nuance. Ce n'est pas l'historien ou le biographe qui est aux commandes mais bien l'écrivain, et quel écrivain ! Qui annonce franchement la couleur en préambule : "Ceci est un roman". Contrairement à un biographe, l'écrivain va au-delà des faits et ne s'éloigne jamais du narratif. Ses mains libres lui donnent des ailes, elle s'autorise à pénétrer les sentiments supposés de son personnage et offre ainsi au lecteur une connaissance de Norma Jeane Baker moins superficielle que si elle s'était attachée aux seuls faits, vite lus, vite oubliés. Avec "Blonde", le lecteur accède à une compréhension intime et ressent avec intensité et sincérité les craintes, les espoirs, les désespoirs, le besoin d'amour et de reconnaissance, la déraisonnable utopie de Norma Jeane.



Mais c'est bien l'essence même du mythe d'être sujet aux interprétations. Ainsi naissent les légendes. Invérifiables, mystérieuses et puissantes. Immortelles.



Depuis l'enfance j'ai toujours été instinctivement fascinée par Marilyn, sans vraiment savoir pourquoi, n'ayant même pas vu ses films. Désormais, grâce à Joyce Carol Oates qui m'a suggéré sa part d'humanité, je comprends... et compte bien voir ses films.



Enfin, 1 110 pages et pas une minute d'ennui, c'est ce que personnellement j'appelle une réussite.





Challenge PAVES 2016

Challenge ABC 2015 - 2016

Challenge Multi-Défis 2016

Challenge Joyce Carol OATES
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Blonde

Et Joyce Carol Oates créa Blonde... un roman, une fiction.



L'auteur écrit en préambule ce qui différencie son livre d'une biographie de Marilyn Monroe.

Alors qu'enfant, Norma Jeane a été placée dans de nombreux foyers, l'auteur a choisi de ne parler que d'un seul (fictif de surcroît)

Ses amants, problèmes médicaux, avortements, tentatives de suicide et rôles, sont réduits aux essentiels.



Vous l'aurez compris, Blonde n'est pas un récit historique, même s'il retrace les grandes lignes de la vie de Marilyn et que la plongée dans son esprit nous semble très réelle.



Je me suis lancée dans ce pavé de 1115 pages en lecture commune avec quelques amies, sans lesquelles je n'aurais probablement jamais ouvert ce livre.

D'une part à cause du nombre de pages, et d'autre part parce que je ne me suis jamais intéressée à Marilyn. Je dirais même plus, je saturais un chouia.

Donc, merci à ma Pépette, Anna-Choute et ma Caro,



Au début, Norma Jeane a 6 ans, et sa mère Gladys vient la chercher chez ses grands-parents, qui l'avaient élevée jusque là.

Quel déchirement de voir cette pauvre gamine sous le joug de cette mère déséquilibrée, qui vit dans un taudis à Hollywood.



Et puis l'orphelinat, le placement dans une famille d'accueil...

Mon coeur a saigné, et mon désintérêt pour la femme s'est envolé au fur et à mesure que je m'attachais à l'enfant.



Norma Jeane grandit. Elle est très belle, attachante, sexy... bon, vous la connaissez tous, au moins de nom et de vue.

Personne ne peut à échapper à Marilyn Monroe.



Norma Jeane en fera des choses pour devenir célèbre. Et dans un premier temps, pour tenir la tête hors de l'eau, parce qu'on ne peut pas dire qu'elle ait de quoi subvenir à ses besoins.



Une femme intelligente, gentille, charmante et charmeuse, qui "devra" se servir de ses atouts physiques et cacher sa culture, parce que ça ferait désordre.

Elle ne doit être qu'une ravissante idiote.



Et la façon dont les hommes l'ont traitée est juste innommable.



Mais elle a réussi à s'élever... Malheureusement plus on est haut plus on peut tomber très bas et la chute est douloureuse, voire dévastatrice.



Joyce Carol Oates a réussi à percer ma carapace, ce qui ne lui fut pas facile, en supposant qu'elle ait écrit ce livre pour moi.



Que vous aimiez Marilyn ou pas, ou qu'elle vous soit indifférente, je ne peux que vous conseiller ce roman magnifiquement écrit, la plume de JCO n'est plus à vanter, et très réaliste.



Elle m'a marquée, cette enfant-femme qui ne voulait qu'être aimée.

L'absence de son père et son manque de lui l'a amenée à le rechercher dans chaque rencontre qu'elle faisait.

Une plaie à vif qui ne s'est jamais refermée, jusqu'à sa mort.

Accident , suicide... assisté ou pas ? le mystère reste entier et on ne le saura jamais..



En fait, elle voulait que le monde entier l'aime. Et elle a presque réussi ce pari. Ne lui manquait que son papa... et un bébé.

Un roman touchant et inoubliable.

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Nous étions les Mulvaney

C'est une maison bleue adossée à la colline,

On y vient à pied, on ne frappe pas,

Ceux qui vivent là ont jeté la clé…



Ce n'est pas San Francisco (Californie), c'est High Point Farm (état de New York). C'est là que vit, heureuse, la famille Mulvaney, père, mère, trois fils, une fille, des chevaux, des chats, des chiens, des chèvres, une basse-cour, dans cette maison un peu brinquebalante où chacun trouve sa place, répond aux codes familiaux et s'y tient, soudé par une étrange alchimie propre aux familles nombreuses.



L'icône de la famille s'appelle Marianne, unique fille de la tribu, jolie, sociable, douée pour les études et le sport. Parfaite en quelque sorte. Jusqu'à ce 14 février 1976…



A la page 47, le drame est consommé, si je peux dire. Il reste 660 pages. Qu'est-ce que l'auteure allait bien pouvoir écrire pour maintenir l'attention et l'intérêt de ses lecteurs ? Je trouvais son écriture précise et enlevée, simple et directe, bourrée de détails comme si elle écrivait pour les aveugles. Impressionnante. Mais que raconter de plus ?



Et puis, je me suis prise au jeu.



Il y a une certaine mélancolie à suivre les volutes d'une feuille morte ayant donné sa splendeur en toute modestie, qui vient tomber mollement sur le sol. Ici, la chute se fait en silence, dans une violence contenue, oppressante même. La fille parfaite, salie à présent, est exilée sans un mot de réconfort ; les parents s'abîment dans leur chagrin, sans réconfort mutuel ; les trois frères sont désemparés, démunis, privés de réconfort. Elle était donc si belle, si enviable cette famille Mulvaney pour se désolidariser au moment où, justement, la cohésion et la solidité familiale étaient mises à l'épreuve ?



Le pilier de la famille c'est Corinne, la mère un peu fantasque, jamais à court d'idées, rassembleuse, brocanteuse de charme, animée d'une foi religieuse un peu encombrante. Elle s'interroge beaucoup, prie beaucoup mais agit peu. Sous le choc.



Le père, Michaël, a réussi professionnellement à la force du poignet. Il fréquente les clubs huppés du comté. Il est fier de sa famille et des personnalités de chacun, jovial, ne manquant pour rien les exploits de ses enfants. le drame le change en un être mutique, alcoolique et agressif. Sous le choc.



Les trois frères quittent l'un après l'autre la maison couleur lavande qui a perdu tout attrait, toute joie, toute raison d'être. Même les animaux dépriment. Sous le choc.



Personne ne parle, n'émet de ressenti, de larmes. Les rêves sont brisés, la cellule éclatée, le rayonnement éteint. La honte et l'humiliation s'abattent sur cette famille unie comme un tsunami et chacun se retrouve seul, face à lui-même, hébété, handicapé, amputé d'une partie de lui-même. Est-il possible de faire de nouveaux projets, de continuer à vivre ? Chacun va devoir se reconstruire avec ses moyens, sa propre vision du futur. Une nouvelle espérance. Pas pour tous.



La destinée de ces six personnes frappées par la foudre est analysée de façon subtile ; leur psychologie est décortiquée à la loupe par une auteure maîtrisant parfaitement la situation politique et sociale de l'Amérique des années 1970 et 80, observant minutieusement les comportements de ses compatriotes. Joyce Carol Oates condense ses déductions dans chacun des membres de cette fresque familiale avec une maestria redoutable. L'intérêt peut passer de l'un à l'autre, de la compassion à la colère, de l'incompréhension totale à l'empathie la plus sincère. Le déclin et la désintégration sociale, morale et personnelle de chacun, la lâcheté aussi, sont finement disséqués, fouillés, scrutés.



Il est toujours plus facile de voir une situation avec recul, sans être partie prenante, comme dans un roman. Et si cela arrivait à ma fille, à celle de mes amis, quelle serait ma réaction, quel regard porterais-je sur la souffrance de mon enfant, sur la culpabilité, sur l'avenir ? Nous ne sommes plus dans les années 1970 et 80, ni aux Etats-Unis, mais les choses ont-elles tellement évolué, les mentalités ont-elles à ce point changé ? Pas sûr.



Premier livre de Joyce Carol Oates que je lis grâce à Latina et Mariech que je remercie beaucoup pour m'avoir fait découvrir cette lecture poignante, vibrante et profondément humaine.

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Les Chutes

Joyce Carol Oates vous plonge dans les profondeurs de l'âme humaine. Son style si particulier cisèle avec une précision inouïe l'intimité de ses personnages, qui à tour de rôle occupent le devant de la scène.



Après un début riche en événements étranges, mais qui ont du mal à converger, le scénario se consolide et trouve sa vitesse de croisière. Tout cela vous entraîne et vous attire. Au bout d'un certain temps, attention… danger ! le rythme s'accélère et vous ne résistez plus à l'appel des Chutes !



Il aura fallu ramer, pourtant, avant d'arriver à ce fameux "point de non retour", avant de parvenir au stade où il devient impossible de lâcher le livre. Et c'est précisément à la page 223, grâce à l'affaire dite de "Love canal", que le livre démarre enfin. Dès lors, il devient impossible de faire machine arrière. Ce qui précède (environ un bon tiers du livre) n'était donc qu'une très longue introduction, permettant au lecteur de s'habituer aux protagonistes et de prendre connaissance de leur histoire familiale.



Nous ne ressentons au cours des premiers chapitres aucune empathie particulière pour les acteurs du drame qui se joue pourtant sous nos yeux. Peut-être sont-ils trop "fils de riches", trop "fille de pasteur", trop étranges, trop éloignés de nos modes de fonctionnement. Pourquoi ce pauvre Gilbert se suicide-t-il le lendemain de sa nuit de noce ? Comment Dirk, futur héritier et play-boy, peut-il s'éprendre de la pâlichonne Ariah ? Celle-ci n'est pas de son milieu, elle n'est pas très jolie, visiblement névrosée, et n'a a priori rien d'autre à lui offrir que ses douloureux problèmes personnels (qui s'avèrent nombreux, assez consistants, et ce n'est encore qu'un début).



Le piège se referme. Car on est déjà dans les questions et les interrogations. le suspense, à défaut d'être dans l'intrigue, sera psychologique. le lecteur devra donc chercher des clés, mais la personnalité d'Ariah, personnage complexe, va s'avérer ardue à décoder. Tour à tour naïve, amoureuse, disjonctée, inconsistante, totalitaire, non concernée, roublarde, futile, révisionniste, possessive, manipulatrice, émouvante, fuyante… agaçante ! (Merci de rayer vous-même les mentions inutiles, selon votre propre perception du personnage), Ariah échappe au catalogage facile. Comment comprendre Ariah ? On ne lui pardonnera jamais d'avoir écarté son mari au pire moment (alors qu'il avait pourtant besoin de son soutien, et que son amour pour elle était intact), d'avoir nié son existence, et d'avoir, pendant des années, menti à ses enfants. Pourquoi ?



Le lecteur n'est pas au bout de ses peines, car d'autres zones d'ombre se profilent à l'horizon : Qui est le véritable père de Chandler ? Qui est la Femme en noir du cimetière ? Celle-ci est-elle réelle ou a-t-elle été rêvée ? Royall a-t-il fait usage de son arme ? Juliet est-elle la narratrice ?



Joyce Carol Oates prend un malin plaisir à "suggérer" (y compris avec les pensées de ses personnages, signalées par les passages en italique, avec toute la subjectivité qui en découle), à proposer des fausses pistes et à multiplier les points de vue, sans réellement trancher par des faits concrets, décrits ou démontrés. Au lecteur de faire ce travail. Les faits sont peut-être imaginés, ou peut-être réels, certains restent suspendus, sans explications, une fois le livre lu.



Cependant, ces "angles morts" du récit restent à la périphérie du propos principal, qui conserve ainsi une parfaite cohérence. Joyce Carol Oates brosse l'histoire d'une famille américaine, de 1950 à 1978, et montre comment des secrets soigneusement enfouis peuvent perturber l'équilibre d'une famille pendant plusieurs générations.

L'auteure évoque aussi l'industrialisation de l'Amérique des grands lacs, depuis l'âge d'or insouciant de l'après-guerre (quand le rêve américain semblait encore possible), jusqu'au réveil brutal, avec la prise de conscience d'un revers de la médaille. le progrès industriel ne peut exister sans son cortège habituel de calamités : le cynisme des nantis, l'exploitation des faibles, la pollution industrielle, le développement des maladies professionnelles, la corruption, la collusion entre notables et la justice bafouée. le scénario de l'affaire du "Love canal" n'est pas sans rappeler celui du film « Erin Brockovich, seule contre tous », de Steven Soderbergh et avec Julia Roberts. Mais Dirk Burnaby, le pendant masculin d'Erin/Julia, n'aura hélas pas la chance de voir son chevaleresque projet aboutir. La réhabilitation tardive du "héros", par la société américaine et par sa propre femme (mais Ariah est-elle encore crédible ?) termine le roman sur une lueur d'espoir et un optimisme bienvenu, grâce à un "happy end" que certains trouveront peut-être trop artificiel.



Alors chut ! N'en disons pas plus sur Les Chutes. Plongez dans le livre, vivez l'ivresse des grandes profondeurs (psychologiques), et laissez-vous emporter au delà du point de non retour… jusqu'à la chute !

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Un livre de martyrs américains

Avec Un Livre de martyrs américains, Joyce Carol Oates aborde le difficile sujet de l’avortement. Malgré ce droit considéré comme acquis depuis que la médecine a sécurisé les pratiques et la loi précisé les conditions, les choses ne sont pas aussi simples en pratique, et particulièrement aux Etats-Unis, où les groupes religieux sectaires refusent les règles établies par l’état pour s’en remettre à ce qu’ils considèrent comme les lois divines. Et cette opposition de principe se limite pas à des débats internes : manifestations, entrave à l’accueil des femmes dans les centres dédiés, voire meurtres qui visent les médecins « destructeurs de bébés ».



Mais avec Joyce Carol Oates, rien n’est tout blanc ou tout noir.



Le roman débute sur un fait divers : le meurtre d’un médecin gynécologue par un adepte d’une secte anti-avortement. Luther Dunphy abat d’un coup de fusil le Dr Vorhees ainsi que l’homme qui l’accompagnait dans la difficile tâche quotidienne qui consiste à se rendre sur son lieu de travail.



Loin d’opposer le méchant assassin et le vertueux médecin, l’auteure dissèque avec une grande précision l’histoire de ses personnages et tente d’expliquer, sans excuser, le cheminement qui a pu aboutir au drame. Et sans se limiter au couple tueur-victime, elle étend son analyse aux autres membres des deux familles, liées malgré elles par cette brusque rupture dans leur destin. Personne n’est innocent dans l’affaire. Au -delà des convictions, chaque personnage tisse sa propre toile d’araignée.



C’est passionnant, et malgré l’épaisseur du récit, on est captivé d’un bout à l’autre. Difficile de lâcher ce monument, qui allie romanesque et analyse pointue d’une société complexe.





Un excellent cru de l’américaine prolixe.
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La fille du fossoyeur

C'est avec appréhension que j'entame cette critique, comme quand j'ai ouvert ce roman pour la première fois. De Joyce Carol Oates je ne connaissais rien; ni son style ni son univers, juste une auteure américaine très prolixe.

La petite Rebecca Schwart née sur le bateau qui emmène sa famille au Etats-Unis. Le père, Jacob, la maman Anna et les deux frères Herschel et Gus ont fuit le nazisme.

Issu d'un milieu culturel plutôt élevé, lui professeur de mathématique citant Schopenhauer, la maman mélomane et pianiste vont se retrouver dans un lieu sordide, Milburn petite ville de l'état de New-York.

La petite Rebecca va devenir la fille du fossoyeur. Nous allons la suivre pas à pas sur ce chemin tortueux qu'est sa vie. Les parents sombrant peux à peux dans la folie, les enfants que l'on maltraitent. On continue on s'enfonce dans le gris puis dans le noir, de temps en temps, une petite éclaircie vient adoucir le récit comme cette sonate n°23 écouté à la radio. On ne sait pas où J.C.Oates nous emmène, pourtant je continue, les pages défilent :le premier travail de Rebecca, son mariage, son enfant; l'écriture est fluide, ces descriptions ces petits cailloux que la romancière laisse pour ne pas la perdre; des indices comme la sonate n°23 "appassionata".

Le personnage de Rebecca est magnifique, c'est une femme forte devant l'adversité.

Malgré la noirceur de ces parents j'ai eu de l'empathie pour eux. Seul Tignor, manipulateur, violent tout ce que je hais chez un homme m'a donné la nausée.

Nul besoin de dire que j'ai adoré ce livre, et madame Oates a rendu un lecteur de plus heureux. Pour les inconditionnels de musique je vous conseille la fameuse sonate n°23 de ce grand monsieur Beethoven.

Merci à Latina et aux lectrices qui se reconnaitront pour leurs conseils.
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Confessions d'un gang de filles

Once upon a time, non une princesse (encore que) mais une gentille babeliote nommée Sandrinette qui eut l'idée de lancer une lecture commune ayant pour thème un livre au choix de Joyce Carol Oates.

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Forcément, moi je vois de la lumière, j'entre. J'avais déjà entendu le nom de l'écrivain, mais ne m'étais jamais penchée sur aucun de ses romans.

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La LC étant prévue depuis plusieurs mois, j'ai lu d'autres ouvrages entretemps pour me faire une idée. Je les ai tous adorés.

Bref, novembre arriva et je me préparais à lire Les chutes avec les copines et Berni-Chou, quand je vis qu'un thriller était sorti tout récemment.

Donc, mon coeur s'est mis à pencher vers ce dernier, mais c'était compter sans ma Yaya qui m'a chopée au vol pour que nous lisions Confessions d'un gang de filles.

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J'ai lu le livre, allant d'émotion en émotion, je l'ai adoré et ai déclaré que je n'écrirais pas de retour.

C'est donc un non-retour que vous avez sous les yeux.

En effet, quand j'ai entre les mains un livre aussi riche, aussi finement ciselé, aussi passionnant, les mots pour en parler m'échappent.

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Je pourrais dire qu'il parle d'un gang de filles (sans blague...), qui a pris pour nom FOXFIRE.

La narratrice du livre est Maddy, meilleure amie de Legs, la leadeuse incontestable du groupe.

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Maddy avait juré, comme tous les autres membres, de ne jamais parler des actes du gang, mais elle tapait le récit de leurs aventures au jour le jour, page après page, sur une vieille Underwood... (lisez le livre pour savoir comment elles ont pu l'obtenir) et elle a éprouvé le désir ou la nécessité de partager ces récits.

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Nous sommes dans les années 50 et les filles ont décidé de venger toutes les vilenies infligées à leurs consoeurs comme à elles-mêmes.

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Legs et Maddie viennent de foyers dysfonctionnels, familles mono-parentales, dans lesquels la misère cotoie l'alcoolisme et les addictions.

Mais elles ont décidé de survivre, quitte à frayer un chouia avec l'illégalité.

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J'avais dit que je ne dirais rien, voici qui est fait.

Si le coeur vous en dit, rejoignez Legs, Goldie, Lana, Rita et Maddy, fondatrices de FOXFIRE.

Elles sont attachantes, touchantes, très inventives, et je suis passée par une tonne d'émotions en lisant ce roman.

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.La magnifique plume de Joyce Carol Oates ne peut laisser indifférent, même si cette fois on la reconnaît à peine, l'autrice s'étant adaptée à l'époque et à la situation. Et le résultat est tip top.

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L'écrivain aux mille facettes a encore frappé fort et j'espère vite trouver le temps de lire un autre de ses forfaits.

Je vous ai servi l'amuse-bouche, en attendant la "vraie" critique de ma Yaya qui ne saurait tarder.

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J'ai réussi à rester en vie

Il n’est pas plus tragique de survivre à la perte d’un être cher dans sa matière la plus inattendue. JCO nous confie dans ce récit, le départ soudain de son mari Ray après une pneumonie compliquée.



Elle raconte surtout avec une minutie d’orfèvre les moindres détails du deuil, de la souffrance, du vide. Elle passe les sentiments au peigne fin, son chagrin est gris et palpable face à moi petite lectrice.

Inévitablement arrive l’auto médication, ses réflexions sur cette camisole chimique, elle réfléchit au suicide, elle cite Sylvia Plath, donne la parole à Philipp Roth puis les souvenirs reviennent avec Ray. Les jours passent les uns après les autres. Ce n’est pour une fois -et bien appréciable- pas un de ces récits accident - deuil - renaissance. Il y a ici une réelle consistance palpable dans la peine et le vide.



J’ai pris le temps de lire ce récit dans cette période charnière. J’ai aimé trouver cet écho que l’être humain n’est pas infaillible, qu’il peut tomber, qu’on peut se dire « souffre, Ray /papa en valait la peine ». J’ai aimé me reconnaître dans ce récit où le chagrin est à sa place. Un peu partout. Dans un chat râleur, un arbre qui refleurit, des amis ou connaissances qui n’ont que faire du chagrin des autres, d’un médecin qui accuse, une tablette de médicaments,...



On peut souffrir parce que certaines personnes étaient si importantes et si belles que loin d’elles, le monde semble dépeuplé. L’espoir se joue bien plus tard quand on pourra se dire des mois plus tard comme Joyce, j’ai réussi à rester en vie.
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Blonde

Monumental.



C'est le premier mot qui me vient à l'esprit après la lecture de cet ouvrage.



La rencontre de deux monstres sacrés. Joyce Carol Oates raconte Marilyn Monroe.



Kaléidoscope captivant, émouvant et passionnant, ce livre est d'une richesse incroyable. D'une profondeur terrible. Il pénètre en son héroïne et tente d'en livrer la substance. C'est parfois chaotique, souvent enivrant, terriblement prenant.



Véritable roman qui invente la vérité et raconte cette blonde pas tout à fait comme les autres. A travers une construction fascinante et hypnotique, Joyce Carol Oates décortique le rêve américain et dévoile les choses étranges qui se meuvent derrière les tapis et le rouge sang appliqué sur les lèvres des starlettes hollywoodiennes.



Ne nous méprenons pas, il ne s'agit pas d'une biographie. C'est bel et bien un roman qui tente de pénétrer un mythe, une icône et d'en faire une femme. Oates construit le roman autour d'une chronologie qui éclate et se tord pour mieux pénétrer la tête blonde de son héroïne. On peut se perdre, parfois, dans les méandres de ce roman immense, mais sans déplaisir.



L'auteur, comme à son habitude, peut nous mener où elle veut. Je l'ai suivie. Sans hésiter.



J'ai lu ce livre en plusieurs fois, sur plusieurs mois. Comme imprégné. Comme si les images devaient s'imprimer sur ma pellicule intime. Raisonner pour pouvoir continuer. S'imprégner sur mes rétines.



C'est l'histoire d'un mythe. Un conte défait de fées absentes ou trop présentes. Les petites filles sont parfois terriblement solitaires. Elles gardent dans le coeur les douleurs de l'abandon et cherchent, une existence entière, à ce qu'on les aime un jour vraiment.



Ce livre est un monument. Ces femmes, des oeuvres d'art et de vie. Et pourtant humaines. Follement libres. Réellement inspirantes.


Lien : https://labibliothequedejuju..
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Poursuite

Abby, diminutif de Gabriella. C'est ainsi qu'elle a dit qu'elle s'appelait à Willem quand ils se sont rencontrés.

Son acte de naissance indique Myriam Frances Hayman. Même qu'avant on l'appelait Mir-mie !



Les voix dans ses cauchemars l'appellent comme ça.

Ces horribles cauchemars où elle voit des os éparpillés, des squelettes. Même qu'il y a des crânes. Un grand et un plus petit, dans les hautes herbes qui bordent le petit ruisseau.

Depuis son enfance, ces rêves la hantent. Puis, ils se sont effacés, pour revenir en force la nuit dernière, veille de son mariage, alors qu'elle a 20 ans.



Quand elle avait 8 ans, ses parents, Nicola, et Lew qui revenait d'Irak, ont disparu.

La famille l'a recueillie, un peu par-ci, un peu par-là, avec son sempiternel sac de nuit, comme on l'appelait.

Et puis elle a vécu avec sa tante Traci...



Maintenant, il y a Willem, qui l'aime à la folie. Existe-t-il seulement ? Sont-ils mariés ? Elle le sait, elle ne mérite pas qu'on l'aime.



Tout est flou, tout se bouscule.

Il faut dire qu'elle se réveille à peine, à l'hôpital, parce que le lendemain de la cérémonie, elle a pris le bus et puis est descendue à la mauvaise station... a voulu traverser la rue, juste devant le même bus qui l'a renversée...



Joyce Carol Oates nous fait habilement naviguer entre passé et présent, d'Abby, de Willem, de leur entourage.

Le récit semble se disperser dans tous les sens au départ, mais on connaît l'autrice, on sait que tout va se rejoindre très rapidement.



Ce roman est court pour l'autrice, qui nous a plutôt habitués aux pavés conséquents.

Court mais intense. On ne présente plus Joyce Carol Oates et sa plume efficace, incisive, en un mot : magnifique.

Je me suis attachée aux personnages, surtout à Abby et à Nicola, bien évidemment...



Si j'ai aimé ? Oui, j'ai aimé. J'ai adoré, même.

Et je remercie ma Cricri pour son récent retour qui m'a incitée à sortir ce roman de mon pense-nouille, où il attendait sagement.



Un récit bien sombre, comme je les aime. Parfait pour cette période de l'année. Je le conseille vivement.



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Mudwoman

Coup de cœur pour la boue ! ( Mud en anglais )



Avril 1965. Imaginez...une petite fille d'à peine cinq ans, une toute petite fille accrochée à sa poupée en caoutchouc, précipitée par sa propre mère, marginale à moitié folle, dans la boue froide des marais de la Blake Snake River dans les Adirondacks pour se débarrasser d'elle. L'histoire tragique de Mudgirl commence ainsi, aspirée par cette boue qui pénètre dans sa bouche, ses yeux, ses oreilles, l'étouffe, promise à une mort certaine si un homme ne l'avait pas découverte in extremis et sortie de ce cloaque.

Mais...elle a été un rebut sans identité dont même sa mère ne voulait plus. Finalement recueillie par un couple de quakers qui reporte sur elle l'affection qu'ils n'ont pu donner à leur propre fille morte prématurément, elle poursuit des études brillantes et devient la première femme présidente d'une prestigieuse université de l'Ivy League, la désormais célèbre Meredith Neukirchen, dite M.R., professionnelle irréprochable aux idées progressistes, bourreau de travail, qui ne s'accorde que de rares parenthèses dans les bras de son amant astronome peu présent - l'amant ( secret ), facétie de l'auteur qui ne le mentionne que de cette manière, façon originale de le mettre réellement " entre parenthèses ".



Octobre 2002. Meredith a 41 ans et revient dans la région de son enfance pour prononcer un discours à un congrès. Mais on n'échappe pas aisément à son passé surtout s'il est aussi tragique que celui de Mudwoman. Ses souvenirs profondément refoulés l'assaillent, elle commence à perdre imperceptiblement ses repères, fait des cauchemars, tombe...À l'université, elle doit lutter contre la misogynie et l'immobilisme conservateur de ses collègues et souvent adversaires. Elle lutte courageusement comme elle a toujours su le faire depuis son enfance, mais lassitude insidieuse et/ou solitude dévorante, elle commence à perdre pied.



Comment survivre à un tel traumatisme, une telle absence d'amour finalement ?



C'est véritablement le propos de ce roman de Joyce Carol OATES centré sur M.R., Meredith Neukirchen. Un beau portrait de femme, complexe, dont l'analyse psychologique est très aboutie, subtile. J'ai trouvé particulièrement intéressante la descente aux enfers de M.R., l'engrenage des événements et de ses réflexions intimes, comment elle frôle la folie et flirte avec la perte de contrôle : du OATES au top de son art. Une aventure prenante finalement ce roman, un peu à la manière d'un thriller.

Pour mieux appréhender la psychologie de l'héroïne, et ne pas lasser le lecteur avec une trâme linéaire classique, les chapitres consacrés à Mudgirl et à Mudwoman alternent, scandés par des titres sybillins teintés d'humour grinçant " Mudgirl a un nouveau foyer ", " Mudwoman précipitée sur terre ", " Mudgirl accouplée ", " Mudwoman in extremis ". Presque un sommaire de livre pour enfants ! Un comble ! Bien sûr, il ne s'agit pas d'un roman léger, mais OATES, selon moi, dédramatise ainsi ce roman sombre par touches, s'amuse à sa façon. Jusqu'aux citations d'ouverture de roman : Nietzsche, Whitman et un certain André Litovik qui énonce : " Le temps terrestre est une façon d'empêcher que tout n'arrive en même temps. " Tiens donc, qui est ce Litovik, me suis-je dis en ouvrant le bouquin, jusqu'à ce que je réalise bien plus tard qu'il s'agit de l'amant ( secret ). Astucieux clin d'œil pour se citer soi-même Madame OATES !



N'ayant plus rien à prouver, elle brouille les pistes et se permet des facéties de présentation pour le plaisir de ses aficionados.

Je persiste : à quand le prix Nobel de littérature pour cette grande dame de la littérature américaine ?
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Blonde

Qui est véritablement Norma Jeane Baker?

Joyce Carol Oates, dont toute l’oeuvre s’appuie sur un solide travail de documentation et qui use ici d’une palette variée de modes d’expression, n’hésitant pas à entrecouper son récit d’extraits tirés du vrai-faux journal de Marilyn Monroe, ou de vrais fausses déclarations de ceux, maris, amants, amis, professionnels du cinéma l’ayant bien connue, ne prétend pas répondre à cette question, nul ne le peut. Mais il est fort possible, et même probable, que son roman se soit approché au plus près, bien plus près qu’une biographie rigoureuse et exhaustive, de la véritable Norma Jeane.



Qui est Norma Jeane Baker? Et qui cela intéresse-t-il au fond?

Parce que le monde, lui, ce qui l’a captivé, ce qui l’a fasciné et le captive encore aujourd’hui, c’est Marilyn, pas Norma Jeane. C’est l’être imaginaire, l’être fabriqué, l’être de fiction, c’est l’être de pellicule, pas l’être de chair, d’humeurs et de sang.

« Pourquoi le monde voulait-il baiser Marilyn ? Pourquoi le monde voulait-il baiser baiser baiser Marilyn ? Pourquoi le monde voulait-il s’enfoncer jusqu’à la garde sanglante comme une grande épée tumescente dans Marilyn ? »

Pourquoi le monde se soucierait-il de la femme derrière le masque de poupée blond platine ? De son âme et de son coeur meurtris? De ses réflexions et de ses inflexions, de ses désirs et de ses peurs? De ses lectures, de son goût pour la poésie, un goût directement hérité de sa mère qui composait des poèmes — d’ailleurs elle aussi compose, mais qui cela intéresse-t-il? Qui s’est jamais demandé ce qui se cachait derrière son sens de l’humour caustique et dissonant, ou derrière son obsession pour la perfection qui la poussait à refaire, éternellement, la même prise — « S’il vous plaît. Je peux faire mieux, je le sais » ? Et son jeu, qui cela intéresse-t-il au fond? Elle est fascinante à contempler, ça, c’est sûr. Enfin, son cul monté sur ressorts, ses seins, sa bouche sont fascinants… Mais elle? Du reste, elle ne joue pas, regardez-là, elle n’a aucune technique. Elle est intense, incandescente, une allumette que l’on frotte, une flamme qui jaillit soudain… une actrice-née, un génie. Mais elle ne sait pas jouer. À l’instar du chorégraphe et danseur Vaslav Nijinski dont la figure charismatique et blessée parcourt le livre tel un fil rouge, elle joue juste sa vie à chacun de ses films, à chacune de ses prises inlassablement recommencées, mais elle ne joue pas au sens où un acteur joue. Le génie n’a pas besoin de technique. Or la « technique », n’est-ce pas justement ce qui autorise une distance entre l’acteur et son rôle, n’est-ce pas le meilleur garant de sa santé mentale?



« Certains jours, elle brûlait de talent. Il y avait en elle une fièvre qui faisait rage et cherchait à s’exprimer. On voyait que c’était du génie et peut-être que le génie tourne à la maladie s’il ne réussit pas à s’exprimer. »



Alors, qui s’intéresse à Norma Jeane? Joyce Carol Oates, indubitablement, sinon elle ne lui aurait pas consacré un bouquin de près de mille pages. Et moi, qui ai lu le bouquin. Et aussi les copines qui ont lu le bouquin avec moi, Chrystèle, Nico-Choute et Marie-Caro. Et aussi les millions de lecteurs qui ont lu le bouquin avant moi. Et pourquoi? Qu’est-ce qui a poussé l’autrice prolifique JCO à mener sa double enquête? Sur Norma Jeane d’abord puis, à mesure que celle-ci disparaissait, insidieusement phagocytée par la créature qu’elle contribua à créer, sur Marilyn. Pourquoi?

Parce que la folie?

La folie d’une femme à la beauté incandescente qui, de film en film, d’amant en amant, aux prises avec l’alcool et les médicaments, finit par s’effondrer, par perdre son âme puis sa vie alors qu’elle est au faîte de sa gloire? Une folie puisant aux sources mêmes de la vie, mère schizophrène paranoïaque ayant manqué de peu la brûler vive ? Parce qu’arrachée à sa mère malade mentale, placée dans un orphelinat à l’âge de huit ans? Parce que les larmes de honte et de douleur jamais étanchées? Est-cela qui a fasciné Joyce Carol Oates? La douleur, la honte, la rage d’une petite fille mal aimée?



« Elle avait assez de maturité pour exprimer ce souhait : J’ai tellement honte, personne ne veut de moi, j’ai envie de mourir. Elle n’en avait pas assez pour comprendre la rage contenue dans un tel souhait. Ni les transports de folie que cette rage alimenterait un jour, l’ambition démente de se venger du monde en le conquérant. »



Parce que la rage?

La rage comme moteur d’une ambition démente, conquérir le monde? Mais la célébrité est un leurre, c’est bien connu. Chercher le bonheur en elle, c’est comme attendre le soleil dans une grotte orientée au Nord… Ce n’est pas elle qui comblera le désir éperdu, inassouvissable d’être aimé. Est-ce cela le drame de Norma Jeane?

Le désir d’être aimée toujours, mais jamais, jamais véritablement aimée?

Est-ce ce désir ardent, désespéré qui consumera Marilyn, fragile, fascinante et hypnotique « flamme dansante »? Est-ce que JCO s’est reconnue dans ce besoin éperdu, jamais comblé ?A-t-elle été touchée, bouleversée par l’abîme entre les aspirations de l’actrice, ce à quoi son talent, sa sensibilité, son génie pouvaient prétendre et ce à quoi le monde l’a cantonnée : un objet de fantasmes? A-t-elle voulu dénoncer l’iniquité, la violence d’un système de domination, celui des hommes sur les femmes, de l’industrie du cinéma sur les acteurs, des puissants sur les faibles ? A-t-elle voulu montrer que Marilyn était également et avant tout sa propre victime, prête à vendre son corps, et aussi son âme, pour être désirée, aimée, admirée?



« Je n’étais ni une poule ni une pute. Mais il y avait le désir de me percevoir de cette façon. Parce qu’on ne pouvait pas me vendre autrement je crois. Et je comprenais que je devais être vendue. Car alors je serais désirée, et je serais aimée. »



Parce que la beauté sans l’amour est un piège effroyable, une véritable malédiction?

C’est toute l’ambivalence et la fragilité du personnage imaginé par Joyce Carol Oates. Norma Jeane effrayée par sa beauté, blessée à l’idée que l’on puisse la confondre avec elle, et pourtant soignant son apparence avec une attention maniaque, consacrant des milliers d’heures à faire renaître, sous les doigts agiles de son maquilleur, l’icône « Marilyn ».

Condamnée à chercher dans les yeux des autres la confirmation de sa propre existence. Condamnée à contempler éternellement son reflet dans les miroirs ou dans l’oeil de la caméra au risque, tel Narcisse, de s’y perdre.

Parce que la mort si souvent appelée, enfin, est venue la délivrer.



« La mort est venue à l’improviste parce que je le voulais. »

Vaslav Nijinski







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Un livre de martyrs américains

Je me demande si mon enthousiasme pour Joyce Carol Oates n'a pas quelque chose d'un tantinet masochiste - franchement, se retrouver dans la tête d'un ultra «pro-life» «soldat de l'Armée de Dieu», assassin d'un médecin pratiquant l'avortement, pour moi, ce n'est pas ce qu'il y a de plus confortable. Mais j'adore cette façon dont Oates sait nous plonger, par-delà nos jugements, en profondeur, dans des intériorités radicalement autres,

faisant s'entrechoquer ou s'entrelacer les visions contrastées et parfois convergentes des membres de ces deux familles américaines, celle du meurtrier et celle de sa victime. Celle du fanatique Luther Dunphy, proche d'organisations chrétiennes d'extrême-droite, contre les aides sociales, contre l'athéisme, l'homosexualité, et surtout bien sûr en guerre contre les «meurtriers avorteurs». Celle du médecin, Gus Voorhees, homme de gauche, humaniste, «champion infatigable» des droits des femmes, «héros féministe» pour les uns, mais pour d'autres «homme profondément malfaisant et amoral», «coupable de massacres de masse à l'égal d'un criminel de guerre nazi ».



Ce qui m'impressionne surtout une fois de plus chez Joyce Carol Oates, c'est cette écriture surpuissante qui s'attaque aussi bien au psychologique qu'au social, au politique, et nous offre une impressionnante peinture de l'Amérique contemporaine avec sa violence, ses clivages, et de l'humanité dans toute sa complexité.
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Mudwoman

Dans les méandres boueux de la Black Snake River, perdue au milieu de l'immensité sauvage des Adirondacks, une petite fille, de la boue dans la bouche, de la boue dans les oreilles, jusqu'à de la boue dans les yeux, gît là, abandonnée avec sa poupée comme morte. Recueillie par une famille dite d'accueil, puis par des « parents » aimants, dans le genre couple de quakers, Mudgirl grandit, s'affranchit, et devient Mudwoman, une femme reconnue mais qui reste solitaire, pas vraiment par choix. Elle devient la première femme présidente d'une université de prestige, reniant pratiquement tout son environnement, sa famille, son passé, son histoire. Même son amant « secret » se fait extrêmement discret. Un corbeau noir dans le jardin l'observe à travers les persiennes de son manoir de fonction. Un cri perçant dans la nuit, un nuage dérive sur la lune, les ombres s'effacent dans le noir de jais d'un ciel sans étoiles.



Meredith Ruth doit lutter contre les préjugés, la misogynie de ses paires, la méfiance du conseil de gouvernance, l'hésitation des généreux donateurs. Fière de ses idées progressistes, voulant remettre en question le conservatisme de cet immense paquebot universitaire pour lequel on lui a octroyé la barre, M.R. ne ménage pas son travail, telle un bourreau, ne flanchant jamais devant la tâche et les obligations. Un congrès la ramène dans sa région d'enfance, ces routes isolées qui serpentent au milieu des Adirondacks, les souvenirs remontent à la surface, le goût de boue en bouche resurgit de sa mémoire. Le cri des corbeaux devient menaçant.



Un nouveau portrait de femme, Mudgirl devenu Mudwoman, sous la plume de la prolifique Joyce Carol Oates. Grandeur de la femme, socialement parlant, avant la décadence, la chute irrémédiable tourmentée par les fantômes de son passé. Il a suffi d’une conférence sur les lieux de son enfance pour que l’histoire vire au « thriller » névrosé. Les pages ne se comptent plus. Certaines sont en trop mais elles apportent une ambiance, l’atmosphère des lieux, le cri perçant du corbeau, le roi des corbeaux. Les pages défilent, comme les feuilles mortes sur un campus universitaire livrées au vent. Le temps passe, les années circulent, les yeux plongent dans ce roman, dans cet univers qui flirte avec – comme souvent – des instants gothiques.



Toujours aussi noire, cette plume de corbeau.

Toujours aussi sombre, cette histoire glaçante.

Toujours aussi froide, cette boue sombre et noire.
Lien : http://memoiresdebison.blogs..
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Délicieuses pourritures

On est chez Oates et déjà, le titre (de l'édition française) de cet ouvrage donne le ton.



Nous sommes en 1975, Gillian Brauer, entichée de son professeur de littérature, se prend de passion pour les cours qu'il anime au détriment de tout le reste.



On est chez Oates donc c'est vénéneux, parfois gênant, souvent non dit mais terriblement là. le lecteur est mal à l'aise. Autant par ce qu'elle raconte que par tout ce qu'elle nous laisse deviner.



Les étudiantes ici semblent manipulées pour dévoiler leur intimité, exciter un professeur et son épouse aux moeurs particulières. de leur fantasme à la réalité, on ne sait parfois où situer le récit.



On est chez Oates donc c'est terriblement bien écrit. Ce qui d'ailleurs me fascine chez elle, cette manière unique de raconter une histoire, un sentiment, un égarement.



Ici, il s'agit bien de « pourritures » mais elles n'ont rien de délicieuses. Pourtant, on se surprend à tourner les pages et à voir arriver cette fin attendue. Cet embrasement.



Ma découverte de la bizarre, de la géniale, de l'affolante Joyce Carol Oates continue …


Lien : https://labibliothequedejuju..
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Les Chutes

ça y'est !! Je viens ENFIN de terminer The Falls ( Les Chutes ). Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il aura squatté ma table de nuit pendant un bon moment ...



Dans ce roman, j'ai trouvé l'écriture de Joyce Carol Oates vraiment très belle, et riche. Les 100 premières pages en témoignent. Ce n'est pourtant pas le premier livre de l'auteure que je lis, loin de là, et avec The Falls, j'ai vraiment eu la sensation de lire une symphonie de mots tant l'écriture est harmonieuse : chaque mot est à sa place !



La psychologie des personnages est très fine, pas seulement celle du personnage principal, Ariah, complètement névrosée, et véritable antihéroïne et antiglamour. Tous les personnages sont torturés et l'auteure n'a pas son pareil pour aller au fond de leurs tourments. Elle décrit leur désespoir, leurs incompréhensions et leur déchéance... Dans cette atmosphère, Oates fait progressivement monter une tension et un sentiment de malaise chez le lecteur.

Mais que se passe-t-il dans cette petite ville où tout le monde semble cacher des secrets plus inavouables les uns que les autres ?



Ce que j'ai beaucoup aimé aussi dans ce roman, c'est que certaines scènes sont décrites de telle manière qu'on s'imagine regarder un vieux film américain - avec les plans et la musique qui va avec.



Bien sûr, on a quand même les petits "délires" de l'auteure... Plus je lis ses romans et plus je me dis qu'elle a une vision des corps humains et de la sexualité très particulière...



Par contre, je termine ma lecture sur un goût plus amer à cause de toutes les digressions, flashbacks et changements de focalisations pas toujours évidents à suivre. Sur les 480pages , je pense qu'il y en a bien 140 qui n'aident pas à faire avancer le récit et lui apportent bien peu....



Malgré ces petites contrariétés je relirai cette auteure sans hésiter car ce roman m'a vraiment réconciliée avec son oeuvre. Après l'avoir lu, personne ne peut douter que sa place parmi les grands écrivains contemporains des Etats-Unis est méritée.

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Carthage

Ce qui se passe à Carthage …



Une certaine vision de l’Amérique.



Une famille bien sous tous rapports. Sous la surface ondulent ses sentiments contradictoires qui font de Oates une grande observatrice du genre humain. Prêtresse des sentiments les mieux dissimulés.



On a Papa, fier de bien tenir la barque, Maman, plutôt insignifiante (quoi que …), et leurs deux filles, la Jolie et l’Intelligente.



Lorsque l’Intelligente disparaît au moment même ou la Jolie rompt ses fiançailles avec l’Ancien Soldat , le vernis se craquelle de toutes parts.



J’ai aimé ce petit pavé. J’ai aimé la cruauté qui pullule entre ces pages. Ces histoires dans l’histoire. L’humanité est souvent moche et Oates sait si bien la décrire. Virtuose, elle nous fait pénétrer l’intimité d’une famille de notables, nous propose même une visite guidée à l’intérieur d’une prison américaine et nous fait plonger dans le mystère d’une disparition étrange.



Ce qui se passe à Carthage, ici, ne restera pas à Carthage … Grâce au talent de Joyce Carol. On lui dit merci et on en redemande!

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Blonde

Attention, livre dangereux. Bombe à bord.

Pas celle que vous croyez, pas juste cette bombe-bombasse blonde dont l'éclat saisissant abasourdit pourtant encore, mais une bombe à fragmentation qui continue d'exploser dans la profondeur de l'être longtemps après avoir tourné chacune des pages de ce roman terrible.

Je ne sais pas pourquoi l'écriture de Joyce Carol Oates m'évoque toujours l'univers de l'eau, mais le fait est que « Blonde » n'échappe pas à la règle : la lecture de « Blonde » est une immersion, presque une noyade, dans les méandres de l'esprit complexe, multiple et extraordinairement sensible de Norma Jean Baker.

Il faut tout le talent de JCO, dont la plume souvent un peu trop… vagabonde dirons-nous, colle cette fois-ci parfaitement à son sujet, et réussit à chaque ligne de ce gros pavé (1100 pages mais pas une de trop, une gageure !) à nous ancrer dans une profonde empathie pour cette lumineuse pauvre fille et nous faire entrer à l'intérieur même de ses fêlures. Et ce grâce aux deux plans de lecture qui s'entrecroisent pour nous ferrer comme des insectes dans une toile.

Il y a le plan linéaire déroulant les étapes de la tragédie : les pages terribles sur l'enfance et la mère toxique, les pages douloureuses sur l'orphelinat, les pages sordides sur Hollywood, les pages incandescentes sur la naissance de « Marylin », les pages belles à pleurer sur l'amour véritable et protecteur d'Arthur Miller…

Et puis il y a le plan syncopé, brouillé dans lequel JCO superpose et entremêle plusieurs faces de Norma Jean, assez confusément pour que l'on ne sache pas parfois à laquelle l'on a affaire, assez inexorablement aussi pour que l'on comprenne que les plus noires finiront par définitivement polluer les plus pures, jusqu'à l'issue fatale.

Je ne suis pas à proprement parler une fan de Monroe, mais ce livre m'a profondément émue et troublée, et donné envie de voir ou revoir certains films de Marylin pour tenter de percevoir la profondeur quasi-monstrueuse de ces décalages de personnalités que JCO donne à voir dans le livre (si délicieuse dans « Certains l'aiment chaud », si dévastée sur le plateau ; si cavalière dans « Bus stop », si terrifiée dans la vraie vie ; si vénale dans « Niagara », si infantile entre deux prises)…

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Nous étions les Mulvaney

« Les familles sont comme ça, parfois. Quelque chose se détraque et personne ne sait quoi faire et les années passent...et personne ne sait quoi faire. »

Eh oui...Mais il n’y a que Joyce Carol Oates pour nous raconter une histoire pareille avec toute la délicatesse, toute la psychologie fouillée du monde. Cette auteure qui est pleine d’attention pour les gens, je l’admire ! Chaque fois que je me plonge dans son univers, les personnages de papier prennent de la consistance pour devenir des êtres à part entière, et pour lesquels on éprouve de la compassion, sur lesquels on s’énerve ou on s’apitoie, mais qu’on croit, qu’on comprend avant tout.



Et c’est encore le cas ici, alors que nous arrivons dans la vallée du Chautauqua (état de New- York), dans cette ferme des Mulvaney où le bonheur règne. 4 enfants pleins de vie, des parents dynamiques, des animaux dorlotés, que demander de plus ?

Mais le malheur dans toute sa splendeur sombre pénètrera dans les moindres recoins pour gangrener chaque membre.

Comment est-ce possible ? C’est par la belle, la fraîche, la pure Marianne, la seule fille de la famille, qu’il se fraye un chemin d’épines. En effet, cette jeune fille encore naïve sera violée par un garçon de son lycée, mais contrairement à la volonté de ses parents, elle refusera de porter plainte. Son père Michael n’arrive pas à encaisser l’horreur, et les 3 frères supportent avec de plus en plus de difficultés les errements du père de famille. La maman, Corinne, veut tant bien que mal rétablir l’équilibre des jours heureux, quitte à éloigner Marianne. Mais quand le destin est en marche, il est difficile de le contrer,... sauf si la volonté immense de croire à la vie revient au galop.



« Rien de ce qui se passe entre des êtres humains n’est simple. Il est impossible de parler d’êtres humains sans les simplifier ou en donner une image déformée. »

Je laisse donc Joyce Carol Oates vous en parler elle-même, elle en est infiniment plus douée que moi. Laissez-vous emporter par cette conteuse, et partez aux USA dans ces années 70 et 80, à la découverte d’échantillons choisis de la nature humaine.

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Blonde

Sous la plume boulimique de Joyce Carol Oates, Marylin Monroe n'est pas seulement une star mythique, un canon de beauté à la plastique hallucinante, un sex-symbol wharholisée, elle n'est plus une vulgaire poupée peroxydée, plus une fragile grue camée, nymphomane, suicidaire et schizo, c'est une vraie femme, enfin ! Une femme tout simplement emblématique de son époque et de son temps.



Ce pavé de près de 1000 pages est tout bonnement stupéfiant. le génie de Joyce Carol Oates est indéniable. Elle réussit à nous fasciner, page après page, que nous aimions ou que nous soyons totalement indifférent à la mythique Marylin Monroe, comme c'était le cas pour moi je dois bien l'avouer. Et sans doute, grâce à ce livre, je vois désormais au-delà du mythe. En cela, JCO a réussi un vrai tour de force. La plume est fluide et le livre un véritable page-turner.

Oui, un livre véritablement captivant malgré tout ce que nous connaissons déjà de cette artiste emblématique, depuis l'enfance chahutée marquée par l'absence du père, une mère névrosée et le placement dans de nombreuses familles d'accueil, en passant par son ascension de simple pin-up à icône suprême, ou encore de ses multiples amants jusqu'à la relation adultérine avec JF Kennedy, jusqu'à sa mort encore aujourd'hui mystérieuse à l'âge de 36 ans seulement…





Et pourtant, il y a un côté « poil à gratter » dans ce livre…tout au long de ma lecture, j'ai éprouvé une sorte de malaise car nous naviguons tout du long entre réalité et fiction, l'auteure ayant voulu faire un roman se basant sur quelques éléments vrais, sans tous les mentionner, et surtout en en romançant une bonne partie, c'est donc une sorte de biographie mais pas tout à fait non plus. Une « biofiction » sur le principe de la synecdoque, une partie seulement est révélée, censée représenter le tout. le tout étant plus que la somme de ses parties, les parties dévoilées sont ainsi hautement allégoriques. Pas de révélation de la vie entière donc et part belle faite aux sentiments de Marylin, aux sensations, aux affects comme se les représente en tout cas Joyce Carol Oates, au point parfois de se demander si finalement l'auteure ne révèle pas des choses d'elle-même, la frêle brune se cachant derrière la pulpeuse blonde…

L'auteure, en reprenant et en renouvelant quelques éléments du parcours de Marylin, donne ainsi vie à la fille derrière la star, à Norma Jean, fille pleine de failles que le produit marketing et iconique Marylin Monroe allait ensuite venir boucher, colmater…



N'empêche, j'ai ressenti cet entre-deux, ne m'abandonnant jamais tout à fait car dès que je commençais à lâcher prise, je m'interrogeais aussitôt sur la véracité des faits, j'essayais de percevoir à quoi correspondant tel ou tel événement. Ma lecture a été sans cesse ponctuée d'aller-retour sur Internet pour chercher, voir, comprendre…Oui, j'étais troublée par cette façon de faire de JCO, celle de s'approprier la vie de Marylin pour finalement nous avertir que non, c'est un roman, ne vous méprenez pas. Où est la frontière entre le vrai et le faux, quelle place donnée à la mémoire de la personne, voire à son respect, l'auteure pouvant finalement inventer ce qu'elle veut et nous la rendre soit attachante, soit détestable ?



Parfois, en parlant avec mes proches, j'évoquais un fait de la vie de Marylin (il faut dire que lorsque nous lisons ce livre, celui-ci ne cesse alors de nous hanter), parfois de simples petites anecdotes (comme les 5h de maquillage nécessaires avant un événement public) et aussitôt, j'étais troublée, m'arrêtant de parler…ah oui, c'est vrai, ce n'est pas-être, sans doute, pas vrai…Finalement qu'ai-je vraiment appris de sa vie ? Je ne sais pas. Mais n'est-ce pas cette façon même de faire qui m'a tant fait aimer ce livre ? En supplantant les biographies innombrables qui existent sur Marylin Monroe ?



Bref, vous percevez comme je suis troublée et partagée sur cette notion de bio-fiction…

Je veux bien admettre surtout qu'avec ce procédé l'auteure permet d'atteindre l'universelle : celle de toute belle femme, à la fois victime, proie, incarnation de tous les fantasmes masculins, dans les années 50, aux Etats-Unis. Celle de la condition féminine qui prévalait alors où les viols, les intimidations, les avortements, les mariages précoces, les violences conjugales, les humiliations, la condescendance, le fait de devoir passer à la casserole pour atteindre ses objectifs sur le plan professionnel, étaient légion. Rien n'aura été épargné à la star, elle semble condenser tous les maux de ce qu'on pouvait faire aux femmes à cette époque. En ce sens, pour narrer l'épopée de la condition féminine, partir de Marylin est un matériau de choix pour l'auteure.

Après soulignons cependant que l'auteure ne dénonce pas vraiment, ce n'est pas son objectif ici, au contraire elle ne fait que constater et enfoncer tout en nous faisant entrevoir des pans insoupçonnés de la personnalité de la jeune femme, nous la rendant complexe, touchante, mystérieuse, comme peuvent l'être toutes les femmes réifiées qui, au-delà de l'objet manipulé et abusé qu'elles deviennent au sein d'une société patriarcale, cachent des pans entiers de personnalité et de singularité. Tel est à mon sens le véritable sens de ce livre.





Près de 1000 pages donc, en cinq actes telle une tragédie, dans lesquelles Joyce Carol Oates jongle avec virtuosité avec tous les styles littéraires, tous les tons, tous les angles de vue. Nous y trouvons les pensées intimes de Marylin, comme si nous étions réellement dans cette tête aux boucles blondes, des extraits de son journal, des discours, les témoignages – vrais, faux, mystère - de toutes les personnes ayant côtoyé de près ou de loin la fille puis la femme, voix multiples secondaires donnant de la profondeur au personnage, des lettres, des cauchemars…permettant de multiplier les points de vue, de faire le tour des différentes facettes du personnage et du mythe.



« Comme la mer, cette beauté changeait constamment. Comme sous l'effet de la lumière, des gradations de lumière. Ou de la gravitation lunaire. Son âme, mystérieuse et effrayante à ses yeux, ressemblait à une sphère en équilibre précaire au sommet d'un jet d'eau : frémissante, toujours en mouvement, tantôt montant, tantôt descendant… ».



Quelques scènes marquantes et archétypales, supposées ou réelles d'ailleurs, sont décrites de façon éminemment romanesque pour bien mettre en valeur cette incarnation du rêve américain et de ses failles. L'agression sexuelle de son agent juste avant l'audition qui lancera sa carrière, la fausse couche lors de son mariage avec le dramaturge (Henri Miller), ses souffrances incroyables chaque mois lors de ses menstruations qui sont doublées en réalité d'endométriose, maladie à cause de laquelle elle commence à prendre des cachets puissants, sa rencontre et sa relation avec le Président JF Kennedy, le fameux Happy Birthday chanté dans cette robe moulante brillante de mille feux, et la fin de sa vie nimbée de mystère, autant de scènes revisitées avec talent par l'auteure américaine. Sans oublier les différents films, les conditions de tournage, comment Marylin Monroe s'approprie à chaque fois les personnages, ses exigences pour refaire sans cesse chaque scène, sont décrits avec sensibilité et empathie.



Des scènes marquantes donc et un personnage ô combien touchant…Derrière ces cheveux blonds barbe-à-papa si peroxydés qu'ils en paraissaient blancs et exhalaient une odeur de produit chimique, derrière les épaisses couches de maquillage, derrière ces robes chatoyantes quasi-transparentes mettant en valeur ses seins « mammouthesques » et les « deux fesses jumelles de son cul fantastique », robes parfois décolletées dans le dos quasiment jusqu'au coccyx, derrière cette sensualité incandescente telle qu'aucun homme ne pouvait résister - alors qu'elle-même ne savait pas comment avoir des rapports autres que sexuels tout en éprouvant si peu de désir et de plaisir - il y a une femme terrifiée, il y a une femme qui vit une tragédie, qui recherche son père dans tous les hommes aimés, une femme abusée, méprisée, une femme bien plus intelligente que sa timidité le laisse entrevoir, une femme effrayée par sa propre beauté, une femme poète, sensible, délicate…Une enfant fourrée à l'intérieur d'un mannequin voluptueux…Une femme bouleversante et drôle à la fois ingénue et tentatrice. Une mendiante d'amour et de reconnaissance…

Cette femme-là, grâce au talent de JCO, m'a touchée en plein coeur !





« Nous courons sans souci vers le précipice, après que nous avons mis quelque chose devant nous pour empêcher de le voir » - Journal d'écolière de Norma Jean.



Un livre ainsi inoubliable, mais aussi perturbant pour moi, que j'ai eu bonheur de partager avec Anna, Nico, Marie-Caroline et que je n'aurais sans doute pas lu sans cette lecture commune. Merci mes amies blondes et brunes, la « blande » que je suis a aimé ce partage riche en sororité !

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