Citations de Louis Calaferte (722)
La peste est en moi. Et comme Dieu y est aussi, cela provoque un ravage continuel.
En aidant Adrien à transporter mes bagages, incidemment, le vers de Baudelaire m'était revenu, insistant en moi :
"Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste."
Quand peut-on rester ? Ou, aussi bien : quand peut-on partir ?
Cinq ans. Je suis de retour. Cinq ans. Rien n'a changé. Tout est prêt dans la maison.
Notes à la pièce Créon :
Il n'est pas, je crois, sans intérêt de remarquer que plusieurs siècles avant l'avènement du christianisme, la malédiction céleste qui va peser sur Laïos, sur ses descendants et sur ceux-là mêmes qui leur seront alliés par le hasard de l'union conjugale, a pour origine une faute charnelle ; puisqu'on ne saurait déjà la qualifier de péché, bien que l'interdit de l'Oracle ait, en définitive, le même sens que nous, chrétiens, lui attribuerions.
[...]
Ce perpétuel combat en soi, issu d'une exaspération des nerfs, et aussi la provoquant, ne va pas sans un certain éveil de l'intelligence, ce dont il faut se souvenir pour la compréhension du personnage de Créon.
(pp. 123-124)
Ce n'est pas la beauté en soi qui est troublante, quel que puisse être son degré de perfection, d'épanouissement. Ce qui est troublant, c'est le contenu de la beauté, réel ou imaginaire.
Les rues sont si inextricablement entrelacées qu'il ne peut être question, par exemple, de retrouver son domicile lorsqu’on a eu l'imprudence de s'en éloigner trop.
Cela explique la présence de ces foules errantes qui emplissent les places, les squares publics, compliquent la circulation jusqu'à la rendre presque impossible.
L'excitation collective n'a pas d'autre origine, qui occasionne périodiquement des massacres au cours desquels la barbarie de chacun s'exerce sans retenue.
Ensuite, épouvantés par leurs propres atrocité, ces foules fatiguées, s'asseyent, dorment à même les trottoirs, la chaussée.
On a renoncé à remédier à la situation ? La nuit tombe sur ce spectacle d'une multitude de créatures en quête d'un hypothétique foyer qui, cependant, existe quelque part.
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Passage de la frontière
Comment ne pas songer à cet instant d'extrême solitude où c'en sera fait pour nous des choses d'ici-bas, où rien ne sera plus à modifier, à réviser, à examiner à la lueur de quelque dialectique que ce soit, où nous ne serons que ce que nous avons su être au cours de notre vie; où tout regret, tout remords seront désormais vains; où nous ne pourrons invoquer que la vérité de nous-mêmes qui, seule, nous représentera face à un infini prêt à nous absorber sans qu'aucun des travestissements auxquels nous avons habituellement recours pour nous dissimuler nos manquements et nos faiblesses n'ait plus de vertu rassurante.
Terrible minute où nous devrons nous identifier afin de répondre de nous.
A quelle illimitée clémence ne ferons-nous pas appel, qui, peut-être, ne nous sera consentie qu,à proportion de celle que nous aurons su dispenser autour de nous ?
Ne s'agira-t-il pas alors davantage de nous reconnaître que de nous quitter p 10
Le salaire de notre malédiction, c'est que l'homme soit partout étranger à l'homme.
Entrer et me liquéfier au dedans d'elle. M'y égarer. M'y éteindre. Elle me couvre de ses bras, me calfeutre, large étreinte maternelle. Nous sommes boutés l'un à l'autre.
Encochés. Arme dans l'entaille. Je m'enfonce et elle s'enfonce dans mon corps, transfuge de vie, nous nous dissolvons, elle m'accouche ...
"Végétale, armée de tiges carnivores surmontées d'une infinité de petits dards aux aiguilles rétractiles, chaque nuit elle dort auprès de moi, me dévore doucement pendant mon sommeil."
Chez Calaferte, le sexe est cruauté, souillure, étrangeté. Jamais très loin de la mort, dont les images récurrentes hantent le récit..., comme si, d'évidence, le désir devait se nourrir de cette morbidité omniprésente.....
Court extrait de la très bonne critique parue ce mois-ci dans le Matricule des Anges à l'occasion de la réédition de ce livre que j'avais lu il y a 32 ans... Cela ne me rajeunit pas mais montre que Calaferte est et restera vivant
On ne supporte les infortunés qu'exemplaires.
- Comment fais-tu avec tous ces types ?
- Je m'arrange.
- Je sais ce que tu penses des hommes.
- Je n'en pense rien. Ils me baisent quand j'en ai envie, c'est tout.
- Si ce n'est que ça, alors pourquoi mens-tu ? Pourquoi es-tu toujours en train de mentir ?
- Tu veux le savoir ? Parce qu'ils s'attendent tous à ce qu'une fille comme moi leur mente.
- Pourquoi qu’on les appelle les Boches ?
- Parce que c’est comme ça qu’ils s’appellent.
(Je comprends subitement que les Boches ce sont les Allemands)
(...)
- Peut-être que quand on sera grands faudra qu’on y aille aussi.
(C’est où la guerre ?)
- Mon père dit que si tout le monde s’entendait il n’y aurait plus de guerre.
(Qui est-ce qui dit que ça doit être la guerre ?)
- Est-ce qu’ils ont seulement reçu les affiches à la mairie ?
- Quelles affiches ?
- Les affiches de la mobilisation générale. C’est obligé qu’ils les mettent.
- Où ?
- A la porte de la mairie et à la porte de la gendarmerie. C’est les affiches de la mobilisation générale. C’est obligé.
- Qu’est-ce que ça peut faire puisque maintenant on le sait ?
- C’est comme ça. C’est obligé.
On eût dit qu’il savait tout de nos lourdes peines d’enfants, et peut-être, vraiment, savait-il tout de ce long désespoir, de cette plainte venue de loin, cramponnée en nous comme une affreuse petite bête noire. Comme un cancer. On eût dit qu’il avait, avant nous, éprouvé cette patiente morsure de l’incurable cancer de la mauvaise chance.
Ce genre d'hommes n'est qu'épisodiquement supportable.
Pendant une douloureuse fessée qu'en présence de plusieurs femmes égayées un homme m'inflige après m'avoir déculotté et plié en deux sur son bras, en larmes, me débattant de toutes mes forces, il me semble que j'adoucis la punition en hurlant de sans discontinuer le mot chi qui, ainsi produit sous forme de litanies, évoque en moi l'idée de pousser mes entrailles.
Dans un irrépressible mouvement de répulsion, l'homme me laisse choir sur le sol que je heurte du nez d'où tombent quelques gouttes de sang marbrant sous mes yeux la blancheur grisâtre d'un carrelage.
Encore étourdi, j'entends l'homme scandalisé prendre à témoin les spectatrices autour de lui :
-Ah ! Le petit salaud ! Vous voyez ça ? Il m'a chié dessus !
L'odeur excrémentielle se répand en nappe flottante dont j'ai l'impression qu'elle a le velouté d'un tissus laineux et qu'elle est en même temps celle de mon sang s'égouttant de mes narines.
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Le plus dur est de faire le saut. De s'insérer à nouveau chaque matin dans le tumulte. Autrement dit, de renoncer à soi. Ce qui est l'affaire de quelques minutes
ou de toute une existence.
Le ciel s'épluche. Pureté du jour. Les bruits éclatent. Tintamarre. Moteurs. Ferraille. La talonnade de la foule broie la croûte de silence. Rues en folie. Les gares dégorgent. Alerte au travail. L'usure commence.
LONDONNIENNES
De ces matins à pommeaux d'or
au ciel de vernis pâlissant
où la ville n'est qu'un décor
un ballon à souffler dedans
Je te regarde à ta toilette et m'interroge
qui sommes-nous ici et à quelles horloges
s'ajustent alors nos destins
de ces matins de fruit de ces frêles matins
dont les bises clartés murmurent ton éloge
rallumant ce qui fut éteint
Cet éperon
du genou rond
qu'une ombre forge
Un bras levé
et cet Ave
pur de ta gorge
De ces matins adolescents
qui semblent vivre de leurs rentes
Londres cette vieille élégante
nous sourit de toutes ses dents
Dans l'embrouillamini de tes cheveux bouffants
tu avais des blondeurs d'enfant
p.149-150
LONDONIENNES
À tous tes jeux de devinettes
quelquefois je perds mon latin
hier tu étais alouette
et aujourd'hui petit lapin
Tu es dragon ou tu es reine
au pays des vieux continents
et je ne te suis qu'à grand-peine
si tu te fais prêtre anglican
Mais moi aussi je te devine
quand tu mets tes bras à mon cou
que tu deviens fauve et câline
de la houle dans tes yeux fous
Et nous nous enfouissons dans des comas de laine
p.137