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Critiques de Orhan Pamuk (541)
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Le Musée de l'Innocence

« La vie c'est du théâtre et des souvenirs

Et nous sommes opiniâtres à ne pas mourir », nous dit Alain Souchon dans sa chanson Rive gauche. Eh bien, c'est un peu le discours auquel nous convie également Orhan Pamuk dans le Musée de l'Innocence, mais pas uniquement.



Car, le Musée de l'Innocence, c'est bien sûr un roman mais c'est aussi et surtout un musée, créé par Orhan Pamuk à Istanbul — l'un étant intimement lié à l'autre. (Vous trouverez d'ailleurs un billet d'entrée pour le musée dans le livre.) Il est évidemment possible de visiter le musée sans lire le roman et de lire le roman sans visiter le musée, mais, en tant que projet culturel combiné, faire les deux présente à mes yeux un intérêt.



Et si, décidément, vous n'avez ni le temps, ni l'argent, ni le passe sanitaire, ni l'envie d'aller vous perdre dans les ruelles stambouliotes pour avoir un aperçu des objets que l'on rencontre dans ce musée et qu'en plus, vous n'aimez pas Erdoğan, eh bien, rassurez-vous, il vous reste la possibilité — très confortable mais nécessairement parcellaire — de vous reporter au livre L'Innocence des Objets publié par Gallimard et qui présente bon nombre d'entre-eux en suivant l'ordre des chapitres du roman.



Fin de la parenthèse concernant le musée et les objets, concentrons-nous maintenant sur le roman. L'auteur, par l'entremise d'une histoire d'amour un peu particulière, entend nous peindre, nous dépeindre, nous ressusciter un monde disparu : celui de l'Istanbul doré des années 1970-80. Ça a beau être un Istanbul récent, ça n'en est pas moins un Istanbul disparu : la ville n'est plus du tout comme ça à l'heure actuelle et même si l'on reconnaît les murs, la vie qui se déroule en leur sein a radicalement changé.



Chaque être humain, au cours de son vieillissement a l'occasion d'expérimenter cette transition douce, paisible, peu perceptible au départ et de plus en plus au fil des années qui fait que, peu à peu, ce que l'on a connu jeune n'existe plus que dans notre tête, avec les aléas de mémoire déformante qui s'y attachent.



Quiconque retourne sur les lieux de son enfance ne retrouve que des vestiges ; les personnes, les habitus, les préoccupations, les objets ont changé. Était-ce mieux, était-ce moins bien ? c'est à l'appréciation de chacun mais en tous les cas, c'était différent.



Et, au travers de ce roman, Orhan Pamuk nous invite à réfléchir à ce qui rendait vivant cet avant : les objets que nous côtoyions, les images et les sons que nous percevions, l'idiosyncrasie des personnes avec lesquelles nous vivions, etc.



Je suis d'un naturel nostalgique et j'aime les objets ; je m'attache à eux comme à de vieux compagnons, des amis presque, auxquels il m'est toujours douloureux de dire au revoir à jamais. Si vous saviez comme je suis triste à chaque fois que je dois abandonner un vieux stylo bic que j'ai siphonné jusqu'aux ultimes tréfonds, le brise-coeur de devoir me séparer d'un vêtement totalement élimé ou d'une voiture pétaradante définitivement hors d'usage. C'est un peu pour moi comme perdre un chien, c'est dix ans ou plus de votre vie qui s'évaporent d'un coup, dix ans de souvenirs bons ou mauvais qui nous constituaient, un lambeau de nous-même qui se détache, une petite mort avant la grande…



Donc, pour nous faire revivre " son " Istanbul, celui des jeunes bobos des années 1975-85, Orhan Pamuk utilise le subterfuge très malin d'une histoire d'amour qui peine à se concrétiser complètement, faite de longs, longs, longs atermoiements, faite d'impatiences et de frustrations, faite de minuscules instants du quotidien, rejoignant la vision aristotélicienne du temps comme un collier d'instants accolés les uns aux autres.



C'est donc l'histoire de Kemal, un riche héritier d'industriel, la bonne bourgeoisie stambouliote — vous voyez le genre —, promis à Sibel, une belle, bonne et brave fille du même milieu social. Les préparatifs de leurs fiançailles vont bon train : cela se fera en grandes pompes à l'hôtel Hilton. Il y aura un monde fou, le tout-Istanbul, et on n'y lésinera sur rien.



Kemal/Sibel, Sibel/Kemal, ces deux-là forment un beau couple, ils sont honnêtes et droits, beaux, cultivés, intelligents, richement dotés ; ils seront heureux ça ne fait aucun doute… à moins que… à moins que…



À moins qu'au détour d'une simple petite boutique, tandis qu'ils se baladent bras dessus, bras dessous, Sibel n'ait un coup de coeur pour un sac à main. À n'en pas douter, Kemal, en adorable prince charmant, se fera un devoir autant qu'un plaisir d'aller le lui acheter. Ce faisant, dans la boutique, il reconnaîtra la petite vendeuse pour être une cousine éloignée à lui, Füsun.



Füsun, dans sa tête, c'était encore une gamine, elle l'avait suivi quelquefois quand il était tout jeune homme. Quel âge pouvait-elle avoir à l'époque ? huit ans, dix ans peut-être ? Mais aujourd'hui, elle en a 18, et elle resplendit de beauté. Kemal en a la tête qui tourne. Quelle beauté ! bon sang, quelle beauté !



Sibel n'a rien remarqué et puis, en plus, ce n'est qu'une vulgaire contrefaçon ce sac : rien d'intéressant, donc, dans cette boutique… Dois-je vous apprendre pourtant que Kemal y retournera souvent à la boutique ? Dois-je vous apprendre qu'entre Kemal et Sibel, Füsun, la jolie petite vendeuse, s'est interposée ? Dois-je vous apprendre que dans le cadre des études qu'elle poursuit, Füsun a besoin de travailler ses maths ? Dois-je vous apprendre qui se proposera de lui donner des cours ? Dois-je vous apprendre ce que vont faire chaque jour Kemal et Füsun sur le vieux lit de l'immeuble Merhamet ?



C'est torride, c'est intense, c'est fulgurant ! Rien n'y résiste ! Et les fiançailles ?? Fiançaïe, aïe, aïe ! Elles ont pourtant lieu… Sibel ne se rend toujours compte de rien mais pour Kemal, le mécanisme de l'amour est cassé. Et puis, dès le lendemain des fiançailles — et fiançailles oblige — Füsun se volatilise. Et Kemal ? Et Kemal ! Et quel mal ! Oh que ça fait mal au coeur ces choses-là !



En être réduit à récolter les miettes d'un amour qui ne peut se faire : telle petite cuiller que Füsun aura mise dans sa bouche, telle boucle d'oreille qu'elle aura laissé tomber par inadvertance, tel mini, micro bout de ceci, parfum de cela, telle infinitésimale parcelle d'elle que Kemal arrive à collecter et qu'il vénère comme une relique.



Pièce par pièce, écaille par écaille, Kemal espère reconstituer les ailes de ce magnifique papillon qu'est Füsun en son coeur. On commence à s'inquiéter dans son entourage, et Sibel la première, car elle se rend compte à présent qu'on le lui a changé, son Kemal. Qu'a-t-il donc ? Quelle maladie ?



Et pour nous, les lecteurs, pièce à pièce, écaille par écaille, c'est tout un portrait fétichiste de l'Istanbul des années 1975-1985 qui se dessine petit à petit sous nos yeux. Les minuscules objets du quotidien, les boissons, les affiches de film, les coups de corne de brume des bateaux sur le Bosphore, les gamins des rues, les râpes à coing, les bibelots de chien posés sur la télé, les mégots de cigarette qu'on fumait alors et mille et un, mille et deux autres marqueurs du temps de ceux qui le vécurent à cet endroit-là.



Bref, pour moi, une belle expérience littéraire. Pas un coup de coeur absolu en raison principalement d'une facilité de scénario concernant Füsun vers la fin (et que je ne vous révèle pas pour ne pas tout vous gâcher, oui, j'ai encore quelques principes…) qui, selon moi, est dommage eu égard à la qualité et à la bonne tenue du reste et aussi, en raison d'un artifice narratif pas essentiel, selon moi, et qui consiste pour l'auteur à se mettre nominalement en scène dans le roman.



Mais pour le reste, je trouve ça drôlement bien vu d'avoir créé des personnages dont on suit avec intérêt les évolutions et auxquels on s'attache nécessairement, pour nous faire passer la pilule de ce qui est le véritable objectif, la motivation première de l'auteur : nous parler des objets (Zola avait déjà fait le coup dans Au Bonheur des dames), nous parler de cet Istanbul mort et enterré et que ce Musée de l'Innocence (tant le livre que le musée) essaie d'exhumer. Mais, de tout cela comme du reste, c'est à vous d'en juger, à présent, si le coeur vous en dit car ce n'est là qu'un innocent avis qu'on affichera jamais dans un musée, autant dire, pas grand-chose.
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Istanbul : Souvenirs d'une ville

D’Orhan Pamuk, Prix Nobel de Littérature 2006, je n’avais lu que La Femme aux cheveux roux, un roman que j’avais beaucoup apprécié. Mon expérience avec cet immense écrivain turc en restait là alors que le choix ne manque pas, quand je tombe sur un lot de livres « désherbés » par ma médiathèque.

Le nom de l’auteur fait tilt et je sauve aussitôt du pilon Istanbul Souvenirs d’une ville, un livre dense et illustré par de nombreuses photos dans lequel Orhan Pamuk confie ses souvenirs de jeunesse et communique surtout tout ce qu’il éprouve à propos de sa ville natale. En trente-sept chapitres denses, à l’écriture soignée, prenante, captivante – bravo aux trois traducteurs : Savas Semirel, Valérie Gay-Aksoy et Jean-François Pérouse ! – Orhan Pamuk partage son ressenti sur Istanbul et m’emmène dans quantité de rues, de quartiers qui se sont transformés, occidentalisés dans la seconde moitié du XXe siècle. L’auteur le précise bien : il écrit ce livre à la cinquantaine, en 2002-2003, à Istanbul.

Au début, c’est surtout sa famille qui tient le devant de la scène. Alors que j’ai l’impression que les Pamuk, mot qui, en turc, signifie coton, font partie des gens aisés, je constate peu à peu qu’ils sont plutôt dans la classe moyenne, une bourgeoisie qui se paie quand même domestiques, concierge, cuisinière et habite un immeuble tout entier, l’immeuble Pamuk. Au gré des fâcheries ou des aléas de la vie, la famille d’Orhan peut aller vivre dans un autre appartement puis revenir au bercail.

Orhan, né le 7 juin 1952, raconte sa petite enfance d’après ce que d’autres lui ont dit. Ce sont donc des souvenirs qui, comme tous les souvenirs, diffèrent de la réalité.

Dans cet immeuble de cinq étages, vivent plusieurs générations et Orhan ne se prive pas de se réfugier auprès de sa grand-mère paternelle. Le grand-père, disparu prématurément, avait amassé une immense fortune que le père et l’oncle d’Orhan ont dilapidée en partie dans plusieurs faillites.

Il faut lire tous ces démêlés familiaux qui m’emmènent jusqu’à la discussion, la dispute finale entre Orhan et sa mère au sujet de son avenir. Mêlé à tout cela, prenant de plus en plus d’importance, c’est la découverte d’Istanbul, le retour sur le passé avec ces konaks, palais en bois qui brûlent ou s’effondrent au fil les ans.

Orhan Pamuk livre ici des descriptions soignées, précises, pleines de nostalgie, toujours réalistes d’une ville qui grandit soudain trop vite et qu’il arpente de jour comme de nuit.

Bien sûr, le Bosphore – du turc Boğaz, la gorge – tient la vedette. Que ce soit depuis la ville, en barque, en vapur ou en motor (bateau privé de taille modeste), le Bosphore est le témoin d’une civilisation somptueuse disparue.

Débutent alors les références passionnantes de l’auteur avec des peintres comme Melling qui représente Constantinople en 1819. C’est dans ces quarante-huit gravures qu’Orhan Pamuk retrouve tous ses souvenirs d’enfance. Lorsque l’auteur sera dans sa période de peinture, il fera allusion à Utrillo, à Matisse, à Bonnard.

Dans ce tableau complet de la vie des Stambouliotes, Orhan Pamuk met en exergue ce fameux hüzün, sentiment à la fois négatif et positif, sorte de mélancolie, de tristesse proche de la dépression.

C’est le moment, pour l’auteur, de sortir de l’oubli quatre écrivains du hüzün : Abdüllak Şinasi Hisar (mémorialiste), Yahya Kemal (poète), Ahmet Hamdi Tanpınar (romancier) et Reşat Ekrem Koçu (journaliste et écrivain, auteur de la fameuse Encyclopédie d’Istanbul). Tous les quatre émerveillés par la littérature française, ils ont joué un rôle important mais sont morts seuls, jamais mariés, sans enfant. Orhan Pamuk leur ajoute Ahmet Rasim et les autres épistoliers urbains, pleins de joie de vivre, qui ont écrit sur la ville et la vie de ses habitants.

Avec les auteurs du cru, ce sont Gérard de Nerval et Théophile Gautier qui retiennent l’attention de l’auteur. Il réalise une belle et complète évocation de ces deux écrivains français qui ont séjourné dans sa ville. Il évoque aussi plus loin Pierre Loti et André Gide. Le premier regrette l’occidentalisation des Stambouliotes alors que le second n’est pas turcophile. Que de références littéraires ! C’est savoureux !

Quand il revient à lui, l’auteur se confie avec beaucoup de spontanéité et de franchise, détaillant ses sentiments à propos de la religion, parlant de son éveil au sexe et de son amour pour celle qu’il nomme Rose Noire.

Istanbul Souvenirs d’une ville est une introspection poussée, une visite passionnante de l’ancienne Byzance, visite que beaucoup aimeraient accomplir avec Orhan Pamuk comme guide parce que différente des circuits touristiques. C’est une lecture riche en enseignements, une lecture captivante de bout en bout.


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La femme aux cheveux roux

Orhan Pamuk est un grand conteur, c'est évident en lisant ce récit aux mille strates qui brasse des thèmes forts : la transmission, la filiation, la culpabilité, le libre arbitre face à un destin aveugle.



Tout commence dans les années 1980, le narrateur, ingénieur géologue devenu un prospère entrepreneur quadragénaire, se souvient de ces 16 ans, d'un été qui a tellement compté qu'il en est devenu le noeud du reste de sa vie, un moment qui l'a construit et qu'il a toujours cherché à fuir. Une père absent, un maître puisatier comme figure paternelle de substitution, une terrible erreur, un premier amour en la personne de la femme aux cheveux roux.



Et surtout, deux mythes qui résonnent incroyablement fort en lui, comme une fatalité qui pourrait s'abattre sur lui et en même temps l'obsède et l'apaise : le mythe grec d'Oedipe et son jumeau inversé, le mythe perse de Rostam et Sohrab ( le Livre des Rois du poète Ferdousi, Xème siècle ) où le père tue son fils sans savoir qui il était pour lui.



Tout cela peut sembler bric-à-brac à prime abord, mais la lecture n'est absolument pas décousue malgré certaines digressions ou ellipses. Au contraire, la femme aux cheveux roux est le fil conducteur, c'est par elle que la révélation ultime arrivera, une vérité forte. le propose est presque philosophique sur les choix que l'ont fait, les conséquences qu'ils entraînent et la façon que l'on a de les affronter ou pas, de les assumer ou pas.



C'est un roman initiatique très érudit, souvent rêveur qui au final, à travers le personnage du narrateur, dépeint la société stambouliote, déplorant sans jérémiades les transformations qui agitent la Turquie actuelle. Un roman que j'ai lu en me disant souvent combien il était intelligemment mené, peut-être trop cérébral pour totalement me séduire ou du moins parler autant à mon coeur qu'à ma tête.
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La femme aux cheveux roux

Dans La femme aux cheveux roux, que j'ai beaucoup apprécié, Cem, le narrateur raconte pourquoi, alors qu'il voulait être écrivain, il est devenu ingénieur géologue et entrepreneur en bâtiment.

Le roman débute en 1985, avec ce jeune turc Cem, 15 ans, qui vit à Besiktas, quartier d'Istanbul, et travaille l'été chez un libraire. Son père, marxiste, souvent absent à cause de ses activités politiques et amoureuses, tient une petite pharmacie. Celui-ci, un jour les quitte brutalement. Cem et sa mère doivent déménager à Gebze. Pour gagner un peu plus d'argent en vue de son entrée à l'université, Le jeune garçon va trouver un emploi sur un chantier à Ongören, bourgade située à plusieurs kilomètres d’Istanbul, auprès d'un maître puisatier, Maître Mahmut et devenir son apprenti. Vont commencer alors les travaux qui vont s'avérer vite, plus difficiles et plus longs que prévu. Leur journée finie, tous deux se rendent régulièrement au village où une troupe de théâtre vient d'installer son chapiteau. Cem va croiser une belle jeune femme, plus âgée que lui, à la chevelure rousse qui va profondément le troubler. Elle est comédienne au sein de la troupe.

Cet été-là, le jeune stambouliote va apprendre un métier, apprécier l'attitude paternelle de Mahmut à son égard, écouter avec attention les histoires et légendes racontées par celui-ci, mais aussi goûter à l'alcool et enfin découvrir l'amour.

Orhan Pamuk décrit particulièrement bien et de de façon très vivante le métier de puisatier. Maître Mahmut, en l'occurence, explique d'abord à Cem comment trouver l'eau tout en se moquant un peu au passage de ceux qui la trouvent en se fiant à leur baguette. C'est en observant la nature autour de soi, dit-il, "les anciens maîtres puisatiers qui s'employaient à repérer l'endroit où chercher l'eau se devaient de connaître le langage de la terre, des plantes, des insectes et même des oiseaux, de sentir en marchant la couche de roche ou d'argile qui reposait sous leurs pas". On assiste ensuite, pas à pas au forage, à la construction du puits, avec même un petit schéma à l'appui. Loin d'être ennuyeux, c'est une véritable aventure avec suspense, car, au final, vont-t-ils la trouver cette eau si attendue ?

Maître Mahmut sera un des derniers puisatiers, ceux-ci disparaîtront avec la modernité.

Les années s'écoulent, le roman se terminant en 2015, et nous assistons au développement d'Istanbul d'une façon irréversible, dans une Turquie en pleine mutation, Cem devenant lui-même acteur de cette transformation tout en étant confronté aux questions qui tiraillent son pays.

L’auteur s’intéresse aux mythes d’hier dans la Turquie d’aujourd’hui, inspiré par le mythe grec d’Œdipe, parricide, et l’épopée iranienne du « Livre des Rois », dont le plus grand héros tue son fils. Ce roman empreint de mélancolie, à la fois philosophique, politique où géographie et économie sont bien présentes, traite de l'affrontement entre pères et fils, de l'opposition entre tradition et modernité, entre démocratie et dictature, entre religion et laïcité, où passé et présent sont en permanente confrontation. Il est également un roman d'aventures et une sorte de tragédie moderne. Il est impossible de ne pas sentir au fil des pages une crainte grandissante pour notre héros stambouliote.

J'ai été très sensible à ce roman qui peut être qualifié de conte moderne. Roman fascinant et envoûtant grâce au talent de ce grand écrivain qu'est Orhan Pamuk, lauréat du prix Nobel de littérature en 2006.


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Cette chose étrange en moi

Après la plage, rien de tel qu'un bon pavé pour s'évader et se déstresser, avant la rentrée. Et celui-ci n'est pas en reste question évasion, son souffle romanesque m'a plongé dans l'ambiance turque dès les premières lignes. Ça tombe bien, je garde un souvenir impérissable de la Turquie (il y a 20 ans certes), et d'Istanbul, cette ville cosmopolite et grouillante, si folle et si charmante.



Roman épique et foisonnant où s'entremêlent tout à la fois culture, histoire, politique et évolution de la société turque, où l'on peut voir se bâtir des bidonvilles sur des collines d'Istanbul qui deviendront rivales, où l'on suit les déambulations de Mevlut aux multiples métiers, mais vendeur de boza dans l'âme : «Il sentait que le monde intérieur qui l'habitait et la rue qu'il arpentait la nuit en vendant de la boza formaient désormais un tout. Cette connaissance étonnante lui apparaissait parfois comme sa propre découverte ou bien comme une lueur, une lumière que Dieu lui avait accordée à lui seul.».

Un héros ordinaire au profil ancré dans la réalité, à la recherche simple de bonheur, attachant et empreint de naïveté. L'on fait sa connaissance lors du premier chapitre, surpris qu'il est de découvrir que la fille qu'il est en train d'enlever pour l'épouser n'est pas celle à qui il a cru envoyer tant de lettres enflammées, depuis des années. Une habitude dans ce pays, l'enlèvement d'une douce par son amoureux, quand celle-ci s'oppose aux désirs de son père, ou que la dot est trop importante pour le prétendant. La suite du récit remontera le cours de la vie de Mevlut depuis 1968, pour aller au delà, en 2012.

L'écriture au long cours et au rythme lent invite le lecteur à choisir un bon fauteuil, pour prendre son temps. La narration s'y singularise par une polyphonie aux tonalités parfois inédites: les différentes voix des protagonistes peuvent s'opposer, se contredire, ou enrichir le point de vue général et omniscient, attaché aux pas de Mevlut. Un peu comme si les différents personnages prenaient corps autour de la table de l'écrivain pour élever leur voix, et intervenaient dans le récit pour donner leur avis au lecteur. Cela rend le récit vivant, alerte et rythmé. Largement de quoi rendre le pavé plus léger.

Mais le vrai tour de force de cette saga à l'écriture simple, c'est qu'il nous plonge sans retenue dans la société turque (enfin le tour de force est relatif, il y a quand même un prix Nobel derrière). On ne la lit pas cette saga, on la respire et on la vit. J'ai été avec Melvut, sa famille, ses amis et ses emmerdes depuis le début. le genre de bouquin qui fait hésiter avec ses 6OO et quelques pages, mais on peut finir par regretter qu'il n'y en ait pas un peu plus.

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La femme aux cheveux roux

Avec La Femme aux Cheveux roux, Orhan Pamuk m’a emporté dans une histoire à la fois moderne et très ancienne - moderne parce que l’auteur livre un tableau complet et instructif sur la Turquie d’aujourd’hui - histoire très ancienne parce qu’il reprend les légendes d’Œdipe puis de Rostam et Sohrâb. Si la première est connue en Europe occidentale, la seconde, je l’ai apprise en lisant ce roman. Dans les deux cas, soit un père tue son fils, soit un fils supprime son père après de malheureux concours de circonstances.



Avant d’en arriver là, l’auteur m’a ramené en 1985, une époque où Istanbul ne comptait que cinq millions d’habitants alors que cette mégapole s’étalant sur deux continents dépasse aujourd’hui les quinze millions d’âmes.

Au début du livre, le jeune Cem qui a besoin d’argent pour financer ses études, son père ayant disparu, se fait embaucher par un puisatier, Maître Mahmut. Ils doivent trouver de l’eau près d’Öngören, sur un plateau, à quelques encablures d’Istanbul côté Europe. C’est dans cette bourgade que Cem rencontre par hasard la Femme aux Cheveux roux et en tombe instantanément amoureux. Elle fait partie d’une troupe de théâtre qui joue tous les soirs sous un chapiteau, dans le village. La journée, il faut travailler dur pour évacuer le remblai du puits en cours de creusement mais l’eau tant désirée ne vient pas.

Impossible d’en dire plus sans divulgâcher l’histoire intrigante, passionnante, malgré quelques longueurs dues aux recherches, aux voyages, aux visites effectuées par Cem et son épouse quelques années plus tard. L’ex-apprenti puisatier a réussi sa vie amoureuse et professionnelle. Cela permet à l’auteur de bien faire comprendre le boum de l’immobilier dans une capitale qui s’étend à l’extrême. Au passage, il souligne aussi le sort des opposants politiques…

Que l’on se rassure, la Femme aux Cheveux roux n’est pas oubliée et son rôle est même essentiel jusqu’au bout ! Malgré les quelques longueurs évoquées plus haut, j’ai aimé lire ce roman qui mêle à la fois théâtre, poésie, traditions, développement urbain et passion amoureuse débouchant sur la relation père-fils profondément décortiquée au cours d’une histoire peu banale, sans oublier une plongée dans la plus grande prison d’Europe, l’importance de la littérature étant toujours mise en avant.



J’ajoute une mention spéciale à Valérie Gay-Aksoy, la traductrice, qui a si bien su mettre en valeur la fluidité de l’écriture d’Orhan Pamuk, sa délicatesse et sa poésie.




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Neige

Neige, c’est le genre de roman qui fait travailler le cerveau. Même une fois la lecture terminée (si on n’abandonne pas en route), on ne peut s’empêcher d’y penser à nouveau, d’interpréter autrement les actions des personnages, d’en découvrir des sens cachés, etc. Chacun peut en retirer quelque chose de différent. J’irais jusqu’à dire qu’il peut hanter. On ne peut s’en sortir indemne. C’est que le roman est complexe. D’ailleurs, pour cette même raison, il est ardu de le résumer et, s’y atteler ne peut mener qu’à une tentative incomplète. C’est pourquoi je vais me limiter et essayer de la réduire à trois éléments, pour l’instant.



Le premier est Ka. Il s’agit d’un jeune poète turc ayant grandi à Istanbul et vivant en exil en Allemagne depuis plusieurs années. C’est maintenant un étranger, il ne suit pas tous les préceptes islamique (par exemple, il boit de l’alcool) et pense comme un Occidental, un laïc. Le deuxième est Kars, une petite ville pauvre (presque arriérée) du nord-est de l’Anatolie, au pied des montagnes. Là-bas, après de sluttes ethniques, un radicalisme religieux, un islamisme fanatique semble prendre le dessus. Des jeunes filles ont préféré se suicider plutôt que retirer leur foulard pour pouvoir fréquenter l’école alors même que des élections municipales se préparent. Le troisième est la neige qui tombe et qui tombe sur Kars pendant trois jours et l’inspiration qu’elle procure à Ka. C’est un élément ambigû car, si elle est source de poésie pour le jeune homme, elle semble embourber, endormir, figer toute la ville dans sa situation explosive.



Même si le roman aborde des thèmes très sérieux (identité, laïcité, radicalisation religieuse, etc.) et encore d’actualité, le grand auteur Orhan Pamuk ratisse plus large, dresse un portrait (une critique ?) de sa société. Même s’il semble prendre mille détours pour y arriver… C’est que Kars représente les provinces et la Turquie elle-même, en plein bouleversement. Cette idée d’une ville ensevelie sous la neige qui tombe, et qui tombe sans arrêt… d’abord je trouvais cela plaisant. Il faut dire que ce n’est pas une tempête qui s’abat sur la ville mais de jolis flocons en continue. Puis je me suis demandé : pourquoi cette neige ? L’auteur aurait pu trouver autre chose pour intégrer des poèmes à son roman. (Petite déception : Pamuk mentionne à plusieurs endroits les 40 poèmes que la neige inspire à Ka mais j’aurais bien aimé qu’il les intègre au roman.) Plus j’y pensais, plus cet élément me semblait incongru. D’autant plus que j’y associe l’immaculée. Or, la ville et les personnages sont tout sauf innocents… Sert-elle à rendre tolérable l'intolérable?



En effet, un drôle de climat règne sur la ville. Les fanatiques religieux sont prêts à tout pour faire avancer leur cause (outre ces jeunes filles qui se suicident pour leur voile et leurs convictions, un fou tire à bout portant sur le directeur d’école, un imam déconnecté et le chef terroriste Lazuli n’est pas en reste), les kémalistes et les républicains laïcs provoquent (l’acteur Sunay cherche les coups d’éclats) alors que les militaires profitent des débordements pour fomenter un putsch qui tourne au carnage. Et Ka dans tout ça ? Il est tiraillé de tous côtés. Chacun veut le rallier à sa cause et je me demandais bien pourquoi. Il est tellement différent d’eux, presque indifférent. Et le seul appui qu’il peut leur donner est la vague promesse d’un article dans un journal occidental. Pour tous ces malheureux, il est un étranger qui ne les comprend pas, encore plus malheureux qu’eux. Même son amour pour la belle Ipek semble compromis.



Ce climat et cette ribambelle de personnage, c’était original mais pas nécessairement captivant. En plein milieu du roman de 486 pages, l’ennui commençait à me menacer. L’intrige elle-même semblait tourner en rond, tellement que j’avais l’impression qu’elle s’étirait sur plusieurs semaines même si je savais qu’elle ne se déroulait que sur quelques jours. C’est probablement dû au rythme lent, au style de narration. Mais, évidemment, j’ai poursuivi ma lecture. Ce qui entretenait ce désir, c’est entre autres le sort réservé à Ka. Parler de suspense serait un peu exagéré mais la curiosité était bel et bien là. Dès le début, le narrateur (Orhan Pamuk lui-même ?) nous informe que le personnage mourra. Il le mentionne, presque négligemment, mais on ne sait ni où ni comment cela se produit et, moi, j’ai essayé de suivre cette piste tout au long de ma lecture. Qui allait le commettre et pourquoi ? En vain…



Bien sur, le sujet lui-même intrigue. Le fanatisme religieux et la radicalisation islamique sont des phénomènes que l’Occidental laïc en moi souhaiterait mieux comprendre. Triste constat, ce propos est encore d’actualité, il suffit de lire les journaux et d’écouter les nouvelles pour s’en rendre compte. Mais tout n'est pas sombre ou nostalgique, et l'écriture est empreinte de poésie (paysage, neige, rencontres inspirantes) qui reste gravée dans la tête. Dans tous les cas, on y retrouve quelque chose d'irréel, de surréel, quelque chose d'un rêve inachevé auquel on souhaite se rattacher.



Enfin, d’un point de vue plus littéraire, d’autres raisons m’ont poussé à continuer ma lecture. J’ai trouvé au roman Neige des qualités kafkaïennes. D’abord, ce malaise qui ne me quittait pas. Ensuite, ce personnage, Ka, qui erre au gré des rencontres, déambule dans une ville enneigée et cauchemardesque, sans but précis (son reportage semble bidon car il rempli son carnet de poèmes plutôt que d’informations pertinentes), presque opprimé, troublé. Il y a toujours cette distance entre lui et les habitants de Kars. Et tous ces dialogues de sourds, ces gens qui bien souvent ne se répondent pas et font écho au son de leurs voix. Un univers terrible et fascinant qu'on peut difficilement mettre de côté.
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Mon nom est Rouge

Ce polar oriental d'un Prix Nobel est presque aussi différent des polars occidentaux classiques que les miniatures d'Istanbul l'étaient des dessins italiens du XVIè siècle... comme je l'ai appris dans ce pavé dense, touffu, étrange, étouffant mais malgré tout intéressant.



C'est un polar en cela que le récit commence par un meurtre et s'achève par la découverte du coupable. Pourtant, ça ne ressemble pas du tout à un polar, ne serait-ce que parce qu'on change sans arrêt de narrateur, de la victime assassinée à la commère du quartier en passant par les sujets des tableaux, les différents peintres du sultan ou l'intrigante femme fatale Shékuré.



Les digressions sont incessantes et les paragraphes érudits et interminables, nous plongeant dans l'atmosphère moite et chahutée d'Istanbul en 1591. Chacun des personnages a son caractère, sa façon de s'exprimer et ses marottes. Cela ajoute de l'intérêt au livre mais aussi de la difficulté au lecteur, car l'intrigue n'avance pas vraiment !



C'est donc un livre ardu, qui se mérite, qui demande de la persévérance. Pour autant, j'ai eu du plaisir à la lecture, notamment en découvrant les subtilités et impératifs de la peinture à l'ottomane ou les romances improbables de Shékuré.
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Cette chose étrange en moi

Dans cette saga familiale aux accents de conte initiatique, notre héros est le veilleur de nuit qui aime la solitude de petites heures et la mélancolie plaisante du silence.



Il est le dépositaire de la résilience, de l'honneur, de la détermination de s'accrocher à certaines valeurs essentielles malgré tous les changements auxquels il sera mené à s'adapter.



Peuplée de personnages étonnants et ponctuée de descriptions somptueuses sur la Turquie des années 50 aux années 80, cette fresque aux accents magiques réussit à créer une réalité oubliée avec une précision et un sens de l'incarnation hors norme.



Avec une émouvante délicatesse, Orhan Pamuk pénètre pas à pas l'épaisseur du temps qui passe, faisant au passage se frotter quelques secrets, éveillant la question : avons-nous les moyens de vivre sans interroger l'univers, sans inquiéter les coeurs, sans chercher à contrarier la vérité ni l'ajuster ?



Ce récit permet de savourer les multiples facettes de l'écriture foisonnante d'Orhan Pamuk, de la poésie, de l'humour noir à l'ironie, en passant par l'allégresse du roman d'initiation.





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Mon nom est Rouge

Après avoir terminé ce roman j’avais la tête lourde, non que je me suis acharné à lire ses dernières pages avidement, que j’étais fatigué ou assailli par la densité de ce que je lisais mais parce que les voix des personnages raisonnaient toujours dans ma tête. J’étais heureux comme Pamuk après l’avoir terminé après des années de travail sur ce livre où il avait mis beaucoup de lui-même.



C’est mon deuxième livre de Pamuk et j’ai de nouveau ce constat : l’histoire n’est qu’un prétexte, l’essentiel c’est l’acte artistique (ou littéraire) ; comment s’accomplit l’œuvre artistique ? pourquoi, aussi ? on aura le plaisir de lire de longs passages où des miniaturistes nous livrent leurs points de vue sur la peinture, le style, la signature, la cécité.



Dans ce roman, on voit un événement raconté derechef par un autre personnage qui le poursuit ou le relate ou l’éclaircit, c’est comme une variation du même thème musical avec d’autres instruments ou avec un autre musicien. On a l’impression de lire une volumineuse pièce de théâtre où chaque personnage s’exprime en tirade. D’ailleurs, le personnage d’Esther n’est-il pas un vrai personnage de comédie ?



Certaines phrases pouvaient déclencher une réflexion profonde sur un sujet assez simple, et je me voyais en train de divaguer en pleine lecture. On a envie de voyager dans le sens de cette phrase, de mûrir ce sens. En parlant de phrases, Pamuk a subi la double influence de Flaubert (son exigence dans la construction de la phrase), et Proust (les longues phrases enchevêtrées).



Par ailleurs, j’aimerai bien faire un petit rapprochement entre, "Mon nom est Rouge" et "Le Nom de la rose". Deux romans historiques avec trame policière, des crimes violents, des querelles religieuses (le rire et la peinture comme hérésies), un livre secret dans les deux romans et qui est la cause de tous ces crimes (dans "Mon nom est Rouge", le livre secret rend aveugle, comme le dit Hassan en plaisantant avec Esther (chapitre 25), alors que dans "Le Nom de la rose", le livre est empoisonné). Les deux auteurs font preuves d’une grande érudition concernant les thèmes qu’ils abordent (les sciences naturelles, la peinture, la multitude des références).



Comme dans "Eloge de la marâtre" de Vargas Llosa, Pamuk fait parler les tableaux (lui par la bouche du conteur et satiriste du café).



Pour finir, je me demande si Pamuk grand admirateur de Stendhal n’aurait pas fait un petit clin d’œil à son maître par ce choix du Rouge dans le titre et du Noir pour le nom du personnage ?

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Cette chose étrange en moi

Voici une vaste fresque foisonnante que l'auteur nous livre aussi bien documentaire que sociale, familiale et politique, à travers les apprentissages, la vie, les amours, les rêves, les modestes ambitions d'un humble vendeur de rues à Istanbul : Melvut Karakas , ce qui donne un côté plaisant , frais et romanesque au récit !



L'auteur se penche avec talent et une bonne dose de travail sur l'histoire, le paysage, le souffle d'Istanbul, un portrait tout en mouvement où le temps s'écoule de 1968 à 2012 et la mégapole qu'elle est devenue ! Une Turquie moderne et contemporaine !

Attention: existent et accompagnent le roman, ajouté à la somme des pages et l'épaisseur , un arbre généalogique, un index, une chronologie qui pourraient rebuter nombre de lecteurs.......

Malgré tout, dès que nous faisons la connaissance de Melvut, un personnage sympathique, gai , naïf, transformé en portefaix, chargé de yaourt et de riz pilaf, friandise chère aux stambouliotes, et de boza, boisson fermentée , vendeur de rues avec son père, après un rapide passage au lycée , nous sommes conquis par son optimisme, sa capacité après une enfance rurale (il est arrivé à 12 ans à Istanbul ) , à connaître sur le bout des doigts la géographie de la ville , ses odeurs, son atmosphère , sa peur viscérale des chiens .



Beaucoup d'anecdotes familiales et des personnages multiples truffent le récit de détails domestiques qui dessinent le portrait de la ville et de ceux qui y vivent .



Au début du roman, Melvut enlève la jeune fille qu'il désire épouser mais.........je n'en dirai pas plus .



On découvre au fil du récit le nouveau visage d'Istanbul, nouveaux quartiers, nouvelles mœurs, irruption de l'Islamisme .......

Au final, un livre, genre grand roman d'apprentissage, dense, peuplé de personnages aux mille vies qui donnent corps et âme , avec beaucoup de fraîcheur romanesque, à l'évolution de la Turquie depuis quarante ans, les mutations et les métamorphoses d'Istanbul, à travers les tribulations d'un humble vendeur de boza , dont le trait le plus caractéristique est de voir la vie du bon côté même dans ses plus mauvais jours , un optimisme que certains taxeraient de naïveté !



Un récit choral, épique et talentueux, chaleureux !

Ce n'est que mon humble avis, bien sûr ..



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La femme aux cheveux roux



"J'aurais voulu être écrivain." Drôle de première phrase pour un Prix Nobel Littérature ! Mais soyez sans crainte, écrivain il est, Orhan Pamuk et dans ce roman de parricide et filicide, il en raconte, en fait 3. Il y a "Oedipe roi" de Sophocle, revu et corrigé par Sigmund Freud et lui ; la tragédie iranienne de Rostam et Sohrâb du "Livre des Rois" ou "Shâhnâmeh" par le poète persan, Ferdowsi, du XIe siècle et l'histoire stambouliote de Cem Çelik, du jeune comptable Enver et de la belle femme aux cheveux roux, Gülcihan, des créations du grand maître littéraire turc.



J'ai eu beau me creuser la tête pour vous présenter cet ouvrage sans en dire trop de l'histoire, mais cela me paraît virtuellement exclu. Il s'agit d'un roman riche où tous les fragments et épisodes sont superbement liés. Un récit à plusieurs strates et niveaux, qui constituent un édifice grandiose que l'on découvre au fur et à mesure.



Pour être tout à fait honnête, j'ai trouvé le début légèrement long. Les cours du maître puisatier Mahmut à son jeune apprenti, notre héros Cem Çelik, m'ont un peu ennuyé, n'ayant personnellement, bien entendu, aucune ambition dans cet art. Nous sommes en 1985 dans un bled appelé Öngöden (= prévoyance en Français), aujourd'hui incorporé dans l'énorme métropole d'Istanbul avec ses 15 millions d'habitants.



Le père de Cem, Akim Çelik, a été mis en taule (et torturé) par le régime pour ses idées gauchistes et sa pauvre mère, Asuman Hamm, commence à manquer de tout. Cem, qui a 17 ans et voudrait entreprendre des études universitaires, décide, en attendant, d'apprendre le dur métier de puisatier pour ne plus être à la charge de sa mère.



Se rendant le soir au centre du bourg d'Öngöden, il tombe sur la plus belle femme qu'il n'ait jamais vue : de grande taille, gracieuse, attirante et séduisante, à "la jolie bouche et au regard triste et mystérieux" et pour couronner le tout cette beauté rare a des superbes cheveux roux. Que Gülcihan ait à peu près le double de son âge (33 ans), n'empêche évidemment pas un coup de foudre faramineux. Du coup Cem, en dépit du dur labeur avec pelle et seau, en perd le sommeil.



Gülcihan fait partie d'une troupe d'artistes qui veulent renouveler le théâtre populaire de rue et qui donnent, le soir, un spectacle basé sur d'anciens contes, tel celui de Rostam et Sohrâb, ou des histoires bibliques comme celle du patriarche Abraham et le sacrifice d'Isaac. Plus tard lorsque la troupe sera disloquée et dispersée, notre belle rousse survivra en faisant des doublures de séries télévisées américaines.



Chaque soir, après le boulot, Cem essaie de voir Gülcihan, le plus souvent, hélas, sans succès. Pourtant, un soir elle l'invite à leur spectacle et après le spectacle chez elle... où ils font l'amour.



Cet événement, ensemble avec un accident terrible dans le trou que Mahmut et Cem sont en train de creuser aura de sérieuses conséquences sur la suite de ce récit que je vous invite de découvrir.



Outre la narration principale, Orhan Pamuk nous fait rencontrer divers personnages, comme l'auteur et cinéaste italien, Pier Paolo Pasolini (1922-1975) et son film Oedipe roi de 1969 et le peintre anglais, d'origine italienne, Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) et le tableau de sa maîtresse, Fanny Cornforth, ... aux cheveux roux.



Et bien sûr, très présente dans cette oeuvre, est la fascinante ville d'Istanbul sur laquelle Orhan Pamuk a publié de mémorables livres, et où il lui est impossible de résider actuellement, vu son désaccord avec le gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan, entre autres pour la négation par ce génie du génocide arménien.



Pour résumer : un ouvrage riche et puissant qui m'a presque plu autant que son "Neige" ("Kar") de 2002, qui figure sur ma liste des top best-sellers.



°°°°°

PS : J'ai ajouté à la bibliothèque virtuelle de Babelio une photo d'Orhan Pamuk avec une jeune beauté "aux cheveux roux". J'ignore si c'est sa fille, Rüya, qui a inspiré le titre de ce roman, mais il s'agit bel et bien de sa fille sur la photo, qui est née en 1991, et dont le prénom signifie "rêve" en Français.

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Cette chose étrange en moi

J'ai bien cru que je ne viendrais jamais à bout de ce pavé, et pourtant je m'en serais voulu de passer à côté. Quelle somme de travail, quelle fresque, monsieur Pamuk !



L'auteur justifie pleinement son prix Nobel de littérature avec ce nouveau roman (paru en 2014 mais traduit en Français cette année, merci Gallimard). Un roman qui va bien au-delà du simple récit pour tendre à la fois vers la chronique, le roman historique et la biographie d'un genre nouveau, celle d'une ville, d'une capitale, d'un centre névralgique : Istanbul.



Pour s'en convaincre, et avant même de débuter la lecture, il suffit de lire attentivement le titre complet du roman : "Cette chose étrange en moi. La vie, les aventures, les rêves du marchand de boza* Mevlut Karatas et l'histoire de ses amis, et tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012, vue par les yeux de nombreux personnages". Rien que ça. Donc, vous êtes prévenus, il s'agit d'un roman choral où pas moins d'une dizaine de narrateurs se succèdent, parfois en l'espace de quelques phrases. Voici mon seul vrai "reproche" : bien que n'ayant pas de problème particulier avec le narration polyphonique, le fait que seule celle de Mevlut, le personnage principal, soit impersonnelle alors que toutes les autres utilisent le "je narratif" m'a perturbée et n'a pas facilité mon immersion dans un univers pourtant fascinant. Ajoutez à cela une chronologie des événements qui tarde à se mettre en place, et des noms propres turcs difficiles à prononcer ou à retenir pour qui ne parle pas turc, je dois avouer que j'ai "galéré" avec les 250 premières pages, soit à peu près un tiers du roman.



Mais j'ai très bien fait de m'accrocher car une fois totalement immergée dans le bouillonnement d'Istanbul, une fois mes repères géographiques posés, une fois mon intérêt et mon affection attachés aux personnages des familles Aktas et Karatas, c'est allé comme sur des roulettes et je n'ai plus goûté que la beauté de la langue (chapeau à la traductrice), la magie des ambiances et l'authenticité du voyage intime proposé par l'auteur.



Bien plus qu'un roman, disais-je, "Cette chose étrange en moi" est un témoignage politique, sociologique, culturel et ethnologique d'une grande puissance. Ce n'est sans doute pas un hasard si Orhan Pamuk a défendu en 2013 le mouvement protestataire turc puis a écrit ce roman mettant à l'honneur un simple marchand ambulant de yaourt et de boza*, une figure tutélaire d'Istanbul (sa ville natale). Une façon, à mon avis, d'adresser un message fort à chaque Turc, humble ou puissant, pour lui révéler par un regard à la fois objectif et tendre les bouleversements profonds qui ont construit ou déconstruit la Turquie, et de lui montrer d'où il vient, de le questionner sur où il va. Orhan Pamuk, s'il avait été essayiste plutôt qu'écrivain, aurait pu intitulé son oeuvre "De l'importance des conséquences des flux migratoires", un sujet d'actualité, n'est-ce pas ?



Mais l'auteur ne se contente pas de décrire les situations du quotidien pendant presque quarante ans, le style n'est pas du tout journalistique mais bien romanesque. A partir de deux familles étroitement liées par les mariages et les cousinages, l'auteur déploie toute une gamme de sujets anodins ou graves, des petits boulots et des cancans de cuisine aux mariages des adolescentes, en passant par l'urbanisation, les mafias, les conflits d'intérêts, les guerres, l'occidentalisation... C'est véritablement le pouls d'Istanbul que renferment les nombreuses pages de son roman. J'ai eu la sensation de replonger dans l'atmosphère tendue de l'excellent film de Deniz Gamze Ergüven, "Mustang", qui mettait le doigt sur l'écartèlement de la Turquie entre émancipation et traditions.



Un grand roman, un précieux témoignage.





*Boisson fermentée faiblement alcoolisée



Challenge Nobel

Challenge Petit Bac 2017 / 2018

Challenge PAVES 2017

Challenge ATOUT PRIX 2017

Challenge AUTOUR DU MONDE
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Mon nom est Rouge

En cinquante neuf chapitres, exposant le point de vue des uns et des autres, Orhan Pamuk fait en premier s'exprimer un mort au fond du puits, puis un chien, puis un arbre, puis l'assassin, puis des amoureux contrariés, puis un grand nombre de participants, dont un travesti qui revêt les culottes de sa mère et « a la trique », tous faisant allusion aux peintres de miniatures, dans cette ville d' Istanbul de la fin du XVI · siècle.

Et la raison du meurtre est liée à ces miniatures persanes, confrontées, perverties ou enrichies par les peintures de l'Occident.



Malheureusement, la lecture de ce thriller artistique, qui aurait tout pour me plaire, avec cadre Istanbul, Ispahan, et Boukhara, enfin la splendeur de Samarkand, toutes ces villes que j'ai eu la chance de visiter, avec thème les miniatures persanes, représentant toutes des hommes et des femmes se prenant amoureusement dans les bras, des chevaux, des jardins -puisque les premiers jardins appelés Paradis, ont été conçus à Bagdad- m'a laissé perplexe quant à ma capacité à entrer dans une culture qui m'est étrangère.



Orhan Pamuk a certes voulu à bon droit faire connaître son monde, et a reçu le prix Nobel en 2006 pour cet ouvrage compliqué mais à mon avis ( juste mon humble avis, ne m'envoyez pas d'injures cette fois-ci ) il a non pas écrit « une subtile réflexion sur la confrontation entre Occident et Orient, » mais nous a noyés dans les noms des peintres, les intrigues de cour, l'histoire si complexe qu'il n'explique à aucun moment, comme si nous devions connaître l'histoire de Tamerlan, qui extermine toute la population et fait déporter femmes , enfants et artistes à Samarkand, l'influence des artistes chinois apportée par les Mongols au XIII· siècle, Soliman le Magnifique arrêté à Vienne, représentant de l'Age d'or de la culture ottomane, Akbar qui crée un atelier de miniaturistes à Agra, les civilisations timourides et ottomanes. (Une chronologie est jointe au livre, bien utile mais un peu fausse : le peintre qui dresse de Mehmet un des premiers portraits n'est pas Giacoppo, mais bien Gentile Bellini , son fils)



Qu'ai-je compris de ce fouillis de noms de peintres, de sultans, de Livre des Rois, Trésor des secrets et autres calligraphies persanes?



J'avoue, rien, car il aurait fallu à chaque page que je m'informe de ces trésors bien connus de l'auteur. Et lorsqu'une lecture devient pesante, faisant appel à des connaissances pas connues sans les expliquer, le plaisir n'est plus là.



Est-il question de l'influence de l'art occidental sur l'Orient, -et prenez cette intervention pour ce qu'elle est : une vengeance de ma part, puisque j'ai rien compris au livre je dis ce que je sais- S'il s'agit de Gentile Bellini qui s'embarque depuis Venise jusqu'à Constantinople en 1479, qui peint le sultan Mehmet , dit le Victorieux , cet homme ouvert à la Renaissance italienne, et (Bellini)qui fait partie de la cour ottomane un an et demi ? Venise constituait le verrou entre Orient et Occident, en particulier pur les impôts à payer, et les multiples visites vers l'Est des jeunes vénitiens sont connues, aussi sa visite n'est –elle ni exceptionnelle, ni dénuée d'arrières pensées de la part des doges qui l'envoient.



Aurait-il par son portrait du sultan, peint pourtant de façon byzantine ( draperie ornée de pierres précieuses, tulipes, dont on sait qu'elles viennent d'Orient et qu'elles ont fait la fortune de beaucoup en Hollande) choqué Constantinople par sa manière justement de dresser un portrait individuel, représenté, identifiable , porteur des valeurs de la Renaissance , où l'Homme est au centre de l'univers et non plus Dieu? Les miniatures représentaient- contrairement à l'art musulman qui considère l'art comme une attitude blasphématoire vis-vis de Dieu -elles n'étaient pas abstraites, cependant ce ne sont pas des portraits personnels, mais stéréotypés, sans avant et arrière plans, sans perspective, sans le jeu entre l'ombre et la lumière.

Influences…

LC Thématique août : lire en couleurs

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Les Nuits de la peste

Prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk est né et vit à Istanbul, point de rencontre de l’Orient et de l’Occident, carrefour d’influences culturelles qui ne sont pas vraiment compatibles et dont il est un observateur critique avisé. Pour Les nuits de la peste, son dernier roman, il a imaginé une épidémie de peste en 1901 à Mingher, une île fictive de la Méditerranée orientale, au sein de l’Empire ottoman.



Un gros pavé de sept cents pages, tellement riche et foisonnant qu’il est difficile de le définir ! Essayons d’y voir clair et commençons par le cœur du sujet.



Sur l’île de Mingher, les références spirituelles sont partagées entre l’islam et le christianisme orthodoxe. Une partie des habitants est tentée par la modernité et la libre entreprise, l’autre partie est attachée aux traditions et à la soumission. Le Gouverneur, nommé par le Sultan, n’a pas la tâche facile pour répondre en même temps à la raison et aux croyances, pour accompagner les initiatives des uns et respecter le fatalisme des autres. Quand toutefois apparaissent les premiers indices d’une épidémie de peste, la dénégation est unanime : « il n’y a pas de peste chez nous ». Le clivage ne se manifeste qu’ensuite ; dans la frange la moins éduquée de la population, on se demande si les médecins, formés en Occident, n’ont pas importé eux-mêmes le bacille ! La suspicion s’étend lors de la mise en place de mesures sanitaires – quarantaine, isolement des malades, destruction d’effets contaminés, fermetures –, chaque groupe y voyant une stratégie complotiste d’un groupe adverse. Contestations, rebellions, violences ; la répression se veut implacable, la tension devient extrême.



Mais à la surprise des observateurs, l’épidémie joue un rôle déclencheur dans la destinée de Mingher. L’auteur a imaginé que face à l’incapacité de l’Empire à endiguer l’épidémie, les institutions basculent : un militaire laïque prend le pouvoir, déclare l’indépendance de Mingher, mais ne parvient pas à améliorer la situation sanitaire ; le théologien islamique qui prend sa place fait encore pire. Puis, dans l’île qu’un blocus isole du reste du monde, s’installe peu à peu un sentiment national autour d’une légende mythologique « minghérienne », dans laquelle finissent par se reconnaître tous les corps sociaux… Un sentiment national assez puissant pour devenir un jour absurde et excessif…



La fiction s’accompagne d’un aperçu documentaire sur un Empire ottoman en déclin, proche de sa chute : bureaucratie ubuesque, pouvoir absolu d’un sultan à bout de souffle, insignifiance d’une famille de princes trop gâtés pour être capables de quoi que ce soit et vanités de princesses plus subtiles qu’il n’y parait, mais recluses dans leurs palais.



Une exception : par la justesse d’observations transcrites dans sa vaste correspondance, la princesse Pakizê, nièce du sultan au pouvoir, marque les événements et leur récit de son empreinte. Élevée à Istanbul, intronisée à Arkaz (capitale de Mingher), puis réfugiée à Hong Kong avant de finir ses jours à Genève, elle mène avec son mari, le docteur Nuri, une longue histoire d’amour, dont l’harmonie tranche avec d’autres, brisées tragiquement.



Réunir dans un même livre le récit des aventures surprenantes d’une princesse-sultane, une spectaculaire fresque sociopolitique et une saga historique authentique constitue une véritable prouesse littéraire. Ajoutons que les péripéties racontées sont l’occasion pour le lecteur de contempler les beautés naturelles de l’île, de respirer l’atmosphère des avenues élégantes et des faubourgs populaires d’Arkaz ; la profusion de détails est telle qu’on en oublie que Mingher n’existe pas. Ajoutons encore que Pamuk fait mine de céder ses talents de conteur et la fluidité de sa plume à une narratrice qui réserve quelques surprises dans le dernier chapitre.



Ma critique, écrite après avoir refermé le livre, pourrait sembler dithyrambique. Je n’oublie pourtant pas l’ennui parfois ressenti au cours de ma lecture, la difficulté à lire plus de dix pages à la suite, l’impression d’errer péniblement sans savoir où j’en étais ni où j’allais. Comment l’expliquer ? Peut-être ai-je été anémié par l’extrême chaleur de ce mois d’août… Et si, tout simplement, lire Les nuits de la peste méritait de prendre tout son temps. Orhan Pamuk lui-même a bien mis cinq ans à l’écrire !


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Cette chose étrange en moi

Ce roman est intense, haut en couleurs, et très bien écrit dans lequel on fait la connaissance de toute une famille et d’une ville : Istambul.



L’histoire démarre par une action en 1982 : Melvut enlève dans des conditions rocambolesques une fille dont il est tombé amoureux après avoir croisé son regard lors d’un mariage, et à laquelle il a écrit de nombreuses lettres avec la complicité d’un cousin. A -t-il enlevé la bonne personne ?



La famille est intéressante : Mustafa, le père de notre héros Mevlut a quitté son village d’Anatolie en même temps que son frère Hasan, et chacun aura un destin et des conditions de vie différents, la femme et les enfants resteront au village alors que toute la famille de Hasan viendra vivre avec lui, ce qui modifiera leur évolution dans cette immense métropole qu’est Istamboul.



Orhan Pamuk rend un vibrant hommage à Istambul, en restant toujours lucide. J’ai adoré me promener dans cette ville, dans les pas de Mevlut, la voir évoluer, sur plus de trente ans. Ce héros qui reste pur, parfois naïf, alors que règne la corruption, la roublardise est touchant même si on l’aimerait parfois plus énergique, mais il reste fidèle à ses valeurs.



L’auteur découpe son histoire en plusieurs périodes, entre 1969 et 2012, et il entrecoupe son récit pour donner l’avis des différents protagonistes, ce qui est original et affine les différents ressentis. De plus, il s’adresse souvent au lecteur, et l’emporte, le fait participer.



On imagine sans peine cet enfant qui arpente les rues avec sa perche, ses plateaux de yaourts ou de Boza en équilibre, bien trop lourd pour lui, criant « Boo Zaa », dans les pas de son père, vendeur ambulant. Le cœur de Mevlut bat au rythme de celui d’Istambul, dont il connaît le moindre recoin et il y a une telle osmose entre eux qu’ils ne font plus qu’un.



La ville a changé durant toutes ces années, les collines se sont recouvertes de maisons construites sommairement, sans permis : on borne la nuit, on rajoute des étages de manière à rendre la destruction difficile et obtenir un permis de la mairie. On retrouve les mêmes « arrangements » avec l’électricité, les lignes sauvages…



Le statut de la femme est bien abordé : les mariages arrangés, les fugues pour pouvoir y échapper, les enfants pas toujours désirés, les difficultés de la vie de tous les jours… les personnages féminins sont très différents et ma préférence va à Rayiha qui s’épuise dans la préparation du pilaf que Mevlut va vendre dans les rues, tout en s’occupant de la maison, des filles, et dont la sagesse, le sens des réalités et la lucidité viennent contrebalancer la « naïveté » de son époux…



Orhan Pamuk décrit les coups d’état, la montée de l’intégrisme, le tremblement de terre mais ne cite et ne juge personne, c’est au lecteur de se forger son opinion. Il évoque les communautés qui ont dû fuir : les Grecs chassés de la ville en une seule nuit, ou le sort réservé au Kurdes, Alevis qu’on accuse d’avoir placé une bombe à la mosquée pour se livrer à des expéditions punitives…



Il m’a fallu une cinquantaine de pages pour bien entrer dans l’histoire et me familiariser avec les noms turcs : noms de famille mais aussi noms des quartiers d’Istambul, de certaines spécialités… et ensuite, l’immersion a été totale, je n’avais plus envie de le lâcher et je tournais les pages au ralenti pour faire durer le plaisir.



L’auteur nous facilite la tâche en nous proposant d’entrée un arbre généalogique des familles de même qu’un glossaire comprenant leurs noms et les pages les plus importantes qui leur sont consacrées ainsi qu’un récapitulatif chronologique mêlant l’histoire d’Istamboul à celle de la famille.



Je suis sortie subjuguée de cette lecture, littéralement envoûtée, tant l’écriture est belle, musicale, pleine de poésie. J’ai adoré ce roman et je pourrais en parler pendant des heures, tant les thèmes abordés sont riches et multiples. Conquise par cet écrivain, qui a reçu le Nobel en 2006, je vais continuer à explorer son œuvre. Un seul regret, avoir attendu si longtemps…
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Neige

Avec Pamuk, je voyage en Turquie pour la première fois. Un voyage que j’ai failli abandonner en cours de route, un voyage difficile avec des filles qui se suicident, des policiers qui tirent dans la foule et un journaliste qui décrit les événements avant qu’ils n’arrivent!



On y trouve un poète dont on ne peut pas lire la poésie, un poète qui a peur du bonheur parce que selon lui, chaque bonheur apporte une part égale de malheur. Un poète exilé qui retourne dans un village isolé de Turquie pour trouver l’inspiration et l’amour.



Mais le plus dramatique dans ce roman ce n’est pas la souffrance individuelle, mais le malheur d’une société divisée où on peut tout autant être flingué par les islamistes que fusillé par les militaires ou « dispersé » par les bombes d’un autre groupe extrémiste. Et que dire du sort des femmes, qu’on veut voiler ou dévoiler, mais qui sont surtout des objets à posséder!



J’ai du mal aussi avec toute la dimension mystique, avec l’importance que la foi prend dans le roman, mais aussi avec la récupération religieuse, la zizanie entre les groupes qui sert peut-être les intérêts d’un autre. Je m’interroge aussi sur ces croyants fanatiques qui s’informent du signe astrologique de leur visiteur…



Malgré la beauté de la Neige, je n’ai pas eu le goût de rester plus longtemps en Turquie… J’espère qu’il existe des itinéraires plus faciles pour aborder le pays et surtout des Turcs plus heureux que les personnages de ce roman.

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Mon nom est Rouge

J'ai lu Mon nom et Rouge et ses 59 chapitres en 2002, au lendemain de sa parution en français et de sa reconnaissance comme Prix du meilleur livre étranger.



Je fus immédiatement conquis par la recette équilibrée de grand roman. A mi-chemin entre Dan Brown et Umberto Eco, Orhan Pamuk déploie sa trame policière en un temps et un lieu bien spécifiques. Il nous transporte à Istanbul, dans l'empire ottoman du XVIème siècle, et dans un quasi huis clos, celui des enlumineurs et miniaturistes du Nakkash-Hane, , l'atelier du sultan. Après avoir lu ce livre, avec quel plaisir me suis-je, 10 ans plus tard, replongé dans le climat de raffinement et d'intrigue du palais Topkapi lors de ma visite à Istanbul !



Ce fut aussi une découverte du talent narratif d'Orhan Pamuk, l'un des plus célèbres écrivains turcs, qui a reçu après ma lecture le prix nobel. Ce passionné de peinture, marié à une historienne, nous fait découvrir dans ce roman polyphonique la culture de son pays. Musulman engagé dans la défense des droits de l'homme en Turquie et ailleurs, dans un style à la fois dense et complexe, il tisse son roman de différents points de vue. Il expérimente aussi la rencontre, féconde, de la quête inquiète de sens du roman à l'occidentale -on pense à la mort à Venise ou à l'Amour au temps du Choléra- et du conte oriental -Neh Manzer, lu récemment-.



Orhan Pamuk n'est pourtant pas d'une lecture facile, et j'ai pour ma part dû renoncer à achever La Vie Nouvelle, entamé après Mon Nom est Rouge. L'avantage de ce dernier réside dans sa construction baroque : l'amateur de roman policier, celui d'Histoire, l'explorateur des palais ottomans ou le curieux de découvrir l'art des miniaturistes s'y retrouveront tout autant. L'intrigue amoureuse se déploie aussi à l'ombre de la Sublime Porte. L'art des miniaturistes entre d'ailleurs en résonance avec sa manière de conter, pleine de détails du quotidien, et donc très documentée.



Pour toutes ces raisons, bien que déçu depuis par l'auteur, je recommande sans hésiter ce roman comme son chef d'oeuvre. On referme le livre en ayant appris -et ressenti- une foultitude de choses sur ces lieux et cette époque de rencontre et de confrontation entre orient et occident -encore une fois, quelle magnifique introduction à la visite d'Instanbul !- ; et cela sans s'ennuyer : l'intrigue m'a tenu en haleine de bout en bout.





















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La femme aux cheveux roux

Rythme et genre semblent fluctuer dans ce roman. Si l'ambiance de conte moderne prend le temps de s'installer dans la première partie, où Cem le narrateur s'initie au métier de puisatier avec un père de substitution dans une allégorie de recherche identitaire, les seconde et dernière parties prennent l'allure plus dynamique d'une intrigue aux contours meurtriers et à l'incertitude planante, sur fond de mythes parricide d'Oedipe ou filicide de Rostam & Sorhâb. La femme aux Cheveux roux lie le tout en traversant les chapitres comme les fantasmes générationnels, en prenant même la parole sur le final.

Pas totalement emballé, j'ai mis du temps à me plonger dans la première partie avant de la regretter dans les autres tant le talent de conteur d'Orahn Pamuk y a finalement fait merveille, les deux autres parties m'ont paru patiner par moments quand à d'autres elles m'ont fait palpiter. J'y ai quand même retrouvé par moments les ambiances Stambouliotes que j'avais tant aimées dans « Cette chose étrange en moi », pavé de 600 pages qui m'aura paru au final moins long que celui-ci avec ses 300. Comme quoi...

Allez, j'y attribue quand même 3, 25000001 étoiles qui font pencher de très peu vers le 3,5. C'est important les étoiles :

« Une étoile filante glissa dans le ciel. Je sentais de toutes mes fibres que le monde que je percevais avec mes yeux coïncidait parfaitement avec celui que j'avais dans ma tête, et je concentrai toute mon attention sur le ciel de juillet. Si je parvenais à déchiffrer le langage des étoiles, leur agencement me livrerait tous les secrets de ma vie. Toute chose d'ailleurs était empreinte d'une beauté stellaire. »

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Neige

Quelle idée de lire un roman de 600 pages en plein été, au camping, alors qu'il fait 35 degrés et que le roman s'appelle Neige ! Pas les meilleurs conditions pour une immersion dans l'atmosphère !



Est-ce ce qui a fait que le début de ma lecture a été si poussif ? Ou plutôt la volonté de l'auteur d'instaurer un climat non seulement glacial mais surtout figé par la neige et par l'immobilisme de cette petite ville que le narrateur vient bouleverser par ses questions.



J'ai d'abord pensé que l'auteur était lui même journaliste car le début est vraiment une suite d'"entretiens" avec les différentes figures fortes de la ville. L'auteur s'était en effet destiné dans un premier temps au journalisme mais tourné ensuite vers la littérature où il cherche les formes les plus adaptées pour retranscrire la société turque où il a grandi, coincé entre la religion, le nationalisme et l'aspiration à la modernité. le microcosme de la petite ville de Kars utilisé dans Neige permet d'observer au plus près les tensions de la société.



Si le rythme est un peu lent, avec des chapitres qui se ressemblent au début, l'évènement qui survient dans le milieu du livre permet de mieux comprendre le tout. Les multiples strates du récit avec la réflexion sur l'inspiration poétique, la confusion entre le premier narrateur et l'auteur qui devient ensuite narrateur, l'histoire d'amour bancale dont on ne comprend qu'ensuite les raisons de cette fragilité, tout cela contribue à rendre le livre de plus en plus intéressant. Le travail notamment autour de ces poèmes dont on découvre la genèse sans jamais les lire est vraiment impressionnant de maîtrise.



L'auteur s'évertue en plus à prendre parfois le lecteur à contrepied de ce qu'il attend, ce que j'apprécie toujours. Il en rend d'autant mieux les ambiguïtés et certaines incohérences du peuple turc, et permet ainsi de mieux comprendre ce qui, au delà de sa position géographique, fait de ce pays un carrefour essentiel de notre monde moderne, tellement impliqué dans les enjeux de notre époque.

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