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Critiques de Paul Morand (209)
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Fouquet ou Le Soleil offusqué

Paul Morand (1888-1976) qui s'est introduit dans les lettres par la poésie, est un écrivain diplomate réputé pour ses nouvelles. Il peut être intéressant de rencontrer un auteur là où on l'attend le moins. Cet essai historique écrit en 1961 et heureusement réédité par Gallimard dans la collection Folio/histoire en fournit l'occasion. "Fouquet ou le Soleil offusqué" est une plongée dans les eaux troubles du Grand Siècle. La narration très rythmée rassemble ici, pour le meilleur, histoire et littérature. La vie de Nicolas Fouquet (1618-1680) marquis de Belle-Isle et vice-roi d'Amérique est connue bien sûr et ne sera pas forcément une découverte pour nombre de lecteurs, mais la qualité d'un livre se révèle aussi par son style et là, comment ne pas être conquis par celui de Paul Morand ? Un moment d'histoire et un vrai bonheur de lecture.



Le portrait de Fouquet le dispendieux "ce roi de la finance galante" (p.47) est dressé avec brio dès les premières pages après une incursion dans sa généalogie familiale, adossé à celui de Mazarin son "génie du mal" (chapitre 3) dont il est inséparable ayant fait sa fortune, et de celui de Colbert, le commis besogneux, avaricieux, auquel il s'oppose en tout point. La figure emblématique du roi se profile en majesté au-dessus des trois. La vivacité de ton, l'esprit, les formules lapidaires, la férocité, s'agrègent aux témoignages ou aux mémoires des petits et des grands contemporains, à d'autres écrits ou citations d'auteurs, et non des moindres, Madame de Sévigné, Brienne, Madame de Lafayette, Voltaire, Goethe, Dumas, Sainte-Beuve, Paul Valery etc., qui loin de brouiller les cartes ou d'assécher le propos ne font que l'agrémenter ou le pimenter. C'est réjouissant.



"Fouquet est un personnage de Stendhal" et "Colbert est un héros De Balzac" (p.65).



Incroyable Fouquet, adoubé par Richelieu et très tôt parlementaire, puis mis au service de Mazarin, son ascension est fulgurante. C'est que l'écureuil bondissant - c'est l'emblème de son blason - est devenu encore plus leste pendant la Fronde, "alchimiste de la monnaie fiduciaire", il est nommé surintendant des finances en 1653. Dès lors, il prête, pensionne, signe, assigne et réassigne. Une signature qui vaut de l'or auprès des banquiers privés. Le seul tort de Fouquet, s'amuse Paul Morand, ne cachant pas ses sympathies, est d'avoir confondu les finances publiques avec les siennes... "Le grand livre de la dette publique" (chapitre 5) est à lui seul ébouriffant. Mais l'homme est aussi un lettré et un mécène qui lance son style à Vaux, cela fera sa renommée. Trente mille volumes ornent sa bibliothèque, il fréquente Mademoiselle de Scudery et Madame de Plessis Bélière ; fraye avec "l'intelligentsia" : Corneille, Scarron, Molière et La Fontaine, Lebrun, le Nôtre etc.



Coeur battant du livre, la fête du 17 août 1661 à Vaux, offerte à Louis XIV où Molière donne "Les Fâcheux" ; la fête qui a marqué les contemporains et dont l'écho nous parvient encore est rejouée là dans tous ses fastes (chapitre 12). Elle prend, sous la plume de Morand, l'allure d'une apothéose extravagante suscitant des images plus sûrement étonnantes et vivantes que la piètre figuration dansée et filmée offerte au visiteur d'aujourd'hui qui la découvre sur écran dans la salle à manger du château. Revanche de l'écriture sur une bien morne et plate projection.



Car cette féerie estivale qui précède de peu l'arrestation de Nicolas Fouquet (5 septembre 1661), sans être à l'origine de sa disgrâce, comme il est parfois suggéré, n'en constitue pas moins une étape décisive dans la chute du surintendant. De Fontainebleau ce jour là Louis XIV en personne et sa cour sont venus admirer, en toute proximité, ce que sa jeune et toute puissance royale va bientôt lui permettre d'accaparer. Le sort de Nicolas Fouquet s'était scellé quatre mois auparavant, à la mort du cardinal de Mazarin, lorsque Louis XIV avait décidé de prendre les rênes de son destin. La duchesse de Chevreuse et la reine-mère, Anne d'Autriche, n'étant pas étrangères, en première instance, au complot minutieusement ourdi par Colbert, l'ancien commis du cardinal, et le roi, pour éliminer l'encombrant ministre. L'auteur dévoile un à un les dessous de ce guet-apens historique si précisément ourdi en vue de l'arrestation de Fouquet et documente avec un soin d'archiviste les détails d'un procès encore plus soigneusement réglé.



Restent les questions. Pourquoi Fouquet n'a-t-il rien fait pour échapper à ce traquenard ? Désinvolte ? Trop confiant en sa bonne étoile ? Loyauté envers le roi ? Il a pourtant "senti" Colbert ("Du génie dans l'ordre et de l'ordre dans la méchanceté" p.62). Il aurait eu les moyens de le neutraliser. Rien. Il a aussi lâché sa charge de parlementaire qui aurait pu lui assurer l'immunité devant la Chambre de justice chargée de le juger. Malgré les avertissements de ses amis Fouquet se laisse cueillir à Nantes par D'Artagnan où le roi l'a devancé. Le mousquetaire lui offre même un bouillon avant son transfert en carrosse pour Angers... (dernière amabilité du roi). Le reste est connu : six prisons puis la relégation définitive à Pignerol.



L'organisation et le déroulement du procès qui va durer près de trois ans font apparaître les figures indissociables de cette affaire (Mazarin et Colbert) et révèlent le caractère de Louis XIV. La charge contre Colbert et Mazarin a beau être virulente, l'essai n'est pas un plaidoyer en faveur de Nicolas Fouquet, qui n'en a nul besoin d'ailleurs. C'est plutôt la détestation de l'arbitraire et de l'impitoyable absolutisme royal qui auraient animé Paul Morand. Ayant très vite assuré sa défense par lui-même - c'était un bon juriste - Fouquet réussit, rebondissant avec une énergie surprenante, pendant trois années de procédures douteuses et frauduleuses orchestrées contre lui, à retourner l'opinion en sa faveur et à fragiliser l'ensemble de l'accusation. Il n'échappe pas pour autant à son destin tragique que le lecteur peut s'empresser d'aller découvrir sur mes très vives recommandations.



Passionnant.



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Apprendre à se reposer

1936 : après d’âpres grèves paralysant le pays, les ouvriers obtiennent du Front populaire l’octroi de congés payés.

1937, Paul Morand publie chez Flammarion cette petite plaquette de cinquante pages : « Apprendre à se reposer », agrémenté d’une couverture et d’une quatrième très « congés payés » de l’époque.



Une plaquette sous forme d’un petit essai ou d’une grosse chronique où l’auteur, dans un premier chapitre s’attache à démontrer l’inégalité des peuples à supporter l’oisiveté et à démontrer plus ou moins efficacement dans un deuxième que « les richesses ne donnent pas le repos ».

Suivent deux chapitres où il est question de voyages et de sport en tant que bon moyen d’occuper ses loisirs.

Enfin, une lourde charge contre la vitesse dans un chapitre intitulé « La vie intérieure, maîtresse de notre vrai repos » annonciatrice de l’homme pressé, paru en 1941.



Au final, un petit essai pas forcement indispensable et qui distille quelques à-priori et clichés un peu douteux du genre « Il y a des gens merveilleusement doués pour ne rien faire : les nègres, par exemple ; véritables flâneurs honoraires… » ; mais pas forcément stupide (hors ces clichés douteux) et qui aurait aurait pu être écrit de nos jours par certains cotés : « Nous sommes un peuple chagrin, un peuple en noir, un peuple misanthrope et pessimiste. »



Bref, pas indispensable… mais nécessaire à l’inconditionnel de l’auteur : il reste quelques passages admirables où le talent de Paul Morand se laisse apprécier, notamment là où il est question de « comprendre la forêt ».
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Tais-toi

Morand, dans une lettre à Jacques Chardonne, raconte avoir eu l’idée de « Tais toi » en référence à Louis XIIII, mort l’index sur la bouche en signe de silence définitif. Car le mutisme et le non-dit constituent la matière de ce petit roman (ou longue nouvelle), écrit au mitan des années 60, qui n’ajoutera rien à la gloire de l’auteur de l’Homme pressé. On en termine la lecture en se disant « et alors ? ». Un bien curieux texte, somme toute assez vain, s’il n’y avait le style flamboyant et coloré d’un écrivain qui, malgré tout, jettera ses dernier feux avec le crépusculaire « Venises », quelques années plus tard.
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Milady - Monsieur Zéro

Une relation passionnelle entre un commandant à la retraite et sa jument Milady qui se termine tragiquement, un banquier ruiné en fuite rattrapé par son destin, ces deux nouvelles dramatiques de Paul Morand ont un thème commun : l'argent. Car c'est l'argent qui est le maître du destin de ces deux hommes, et qui, au delà de la passion, aura le dernier mot. L'argent qui entraine irrémédiablement leur destruction.



L'un à Saumur, attaché au passé, à l'art équestre, a trouvé à la fin de sa carrière le cheval fait pour lui. Mais il a fait l'erreur autrefois d'épouser une femme. Qui ne comprenait rien aux chevaux. L'autre à New York, au cœur du monde nouveau, de la frénésie des affaires, a bâti un empire financier. Mais il se trouve à 64 ans en pleine banqueroute.



Deux hommes qui finalement se heurteront à la finitude de leurs destinées : l'impossibilité d'aller plus loin.



Deux textes puissants, offrant une réflexion sur l'instabilité des possessions humaines, l'angoisse de l'homme privé de sa raison de vivre dans le cas de Milady, la fuite en avant de la fortune au néant pour monsieur Zéro, poursuivi pour être extradé, réfugié dans le plus petit pays du monde, réduit à n'être Personne...A la fois nostalgie d'un monde qui disparaît, un peu désuet, et absurdité de la vie moderne où tout va trop vite, où l'on ne perdrait pas "une minute de son temps à regarder flotter une plume de mouette"...Perte de soi dans les deux cas.



Deux textes sur le pouvoir de l'argent, à méditer, même si l'on n'est pas particulièrement amateur de chevaux...
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Hécate et ses chiens

Un tout petit roman ou une nouvelle d'une centaine de pages. Texte écrit en 1954, et à mon humble avis qui ne pourrait l'être en ces temps de "pureté".

Hécate dans la mythologie est une déesse qui représente la lune noire, dans l'Enéide d'ailleurs, la sybille qui emmène Enée aux Enfers est une prêtresse d'Hécate.

Le narrateur , Spitzgarner, revient à Tanger 30 ans après une période de sa vie de jeune inspecteur des finances passée dans la société coloniale de cet endroit.

Il y avait rencontré Clotilde, femme mariée, époux absent. Une liaison s'établit entre eux, elle est brûlante de passion jusqu'à ce que le narrateur se surprenne à penser que Clotilde puisse être une autre femme. Il pense à Hécate qui dévorait ses chiens et la compare à la moderne Clotilde qui dévorerait des chiots, des petits enfants peut-être...

Le narrateur pense résoudre cette question en se vautrant lui-même dans la fange. Autant dire qu'il en sortira laminé, déshonoré et mettre des années à se reconstruire, sans avoir exploré complètement l'âme humaine.

Le style classique est concis avec de nombreux non-dits qui en font un texte froid et surtout inquiétant, mais superbe.

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L'homme pressé

Pierre Niox est un homme pressé. On pourrait même dire qu’il cristallise en lui cette urgence et mérite amplement de remplacer l’article indéfini par son alter-ego défini. Antiquaire parisien, il parcourt le monde à la recherche de minuscules objets datant de l’antiquité ou au plus du haut Moyen-Age. Mais il ne lambine pas, il court, court et ne sait pas s’arrêter … En visite, il est bien souvent au milieu de la pièce alors que la sonnette d’entrée vient tout juste de retentir. Pour s’habiller, il se chronomètre pour améliorer son temps dans des gesticulations et une célérité qui n’auraient rien à envier au célèbre artiste Arturo Brachetti… En tout, il faut donc gagner du temps : il faut donc conduire vite, manger tous les plats en même temps au restaurant et ne pas perdre de temps dans des tâches aussi dispendieuses que la lessive, le rangement. Comme vous pouvez l’imaginer, cet empressement déborde sur sa vie sociale et amoureuse. Comme par hasard, son entourage se révèle être lent ou au mieux posé, ce qui suscite un ouragan d’impatience et d’exaspération de la part de Pierre Niox. La plupart n’y résiste pas : Niox agit comme une force centrifuge qui rejette loin tout ceux qui pourrait ou souhaiteraient interagir avec lui …. Et sa vie sentimentale ne fait pas exception, bien au contraire ! Ainsi il demande la main de sa future femme dès le premier soir et ne reprend contact avant des semaines. Une fois mariée, sa femme en attente des joies promises de l’alcôve se réveille quelque peu désenchantée par le trop grand empressement de son mari. Une fois enceinte, Pierre souhaite à tout prix connaître le sexe de l’enfant et même déclencher l’accouchement car il trouve que cet enfant ne vient pas assez vite.

Proche de la caricature, ce portrait de l’homme pressé se révèle au final assez amusant avec un style riche comme toute œuvre littéraire se le devait à l’époque. J’ai tout de même ressenti un léger fléchissement an milieu de ma lecture : le cycle des situations où l’homme pressé passait comme un ouragan déjà bien établi, j’ai apprécié lorsque le récit s’est infléchi sur sa vie maritale et surtout ses réactions de futur père.

La fin en soi est assez prévisible et se donne au final des allures de conte philosophique

Morand a été l’un de ceux qui a exercé une certaine influence sur le groupe des Hussards. Ayant lu dernièrement Les enfants tristes de Roger Nimier, figure de proue du mouvement et émule de Morand, on ne peut s’empêcher de comparer les deux ouvrages. Chacun porte des thèmes comme la vitesse, la vie bourgeoise, l’attractivité de l’Amérique, le cynisme … Morand a écrit son roman en 41 et Nimier en 51. Si Morand donne à son roman des allures quasi comiques et ironiques, Nimier, comme le titre de roman le laisse imaginer, ne joue pas du tout dans ce registre et a produit une œuvre bien plus cynique. Au final, les deux auteurs arrivent au même constat, démontrant qu’une vie où obtenir plus, aller plus vite, plus loin, plus haut ne mène qu’à l’échec, à la déception : … Si le héros de Morand s’éteint comme une chandelle qu’on aurait oublié d’éteindre, d’avoir trop consommé, celui de Nimier finit sa trajectoire en pleine vitesse dans un accident de voiture… Nimier pousse le propos plus loin : cette vie trépidante vous consume de l’intérieur comme chez Morand mais elle n’est aussi et surtout qu’une illusion dévastatrice. Chez Morand, la vitesse semble intimement reliée à Niox qui ne peut ni ne veut y échapper alors que chez Nimier, on cherche à s’y perdre et à repousser ses limites …

Pour compléter la filiation, il me faudra lire Chardonne … Et comme Sagan (du moins Françoise, pour Carl, c’est déjà dans la PAL) explore des thèmes proches à ces deux auteurs, il serait intéressant d’y voir cette expression sous la plume d’une femme.

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Fin de siècle

Quatre nouvelles signées Paul Morand, plume incisive et franchement talentueuse en un exercice réputé difficile ; publiées dans diverses revues avant d'être regroupées par lui en recueil sous cette bannière "Fin de siècle" (1957). Qu'il fasse appel aux méandres de l'Histoire et place le cadre du premier récit dans la capitale décadente de la dynastie des derniers Habsbourg puis à Pékin au temps de la guerre des Boxers, qu'il transporte le décor chez un vieux tocard "fin de race" ("Feu Monsieur le Duc") ou alors outre atlantique en compagnie d'une parvenue qui cherche la sienne ("La Présidente"), le plaisir de lecture est immense. L'imagination furieuse, le style qui fait mouche, la composition impeccable des morceaux où se diffusent le goût du clin d'oeil littéraire, du pastiche, celui de l'Histoire et des voyages, un art de mettre en scène d'irrésistibles personnages et surtout celui de conter, rendent cette lecture jouissive et totalement divertissante pour au moins deux d'entre eux.



"Fleur-du-Ciel", construit en deux parties très distinctes se faisant écho évoque sans doute le mieux l'atmosphère crépusculaire fin de règne auquel le titre couronnant l'ensemble renvoie. C'est une "fin de partie" navrante à laquelle se livrent trois jeunes et beaux officiers européens. Insouciants et désinvoltes dans une Vienne hivernale et glacée. Entre exercices équestres et collations chez "Sacher", Wolfram l'autrichien, Egon l'allemand et Jean le français se lancent bride abattue dans un défi de conquête amoureux à peine plus absurde que l'épisode guerrier historique dans l'Empire du Milieu où ils se retrouvent plus tard et où se joue l'épilogue... Un beau texte digne de figurer sous l'étiquette "années viennoises et siècle finissant" parmi d'autres que la littérature européenne a pu immortaliser.



Grandeur et décadence assurée avec "La Présidente". Autre registre où pointe la plus parfaite causticité. A Newport, en un temps où les fortunes se mesurent à coups d'oeuvres de bienfaisances celle, colossale, de Madge Ferrymore lui permet de régner sans partage sur son mari qui la fuit, ses deux enfants qui la craignent et sur le reste de l'Amérique qui est à ses pieds ! Ne manque à sa prétentieuse munificence que l'assurance d'un pedigree aristocratique. La dame dépêche à Londres un ami de son fils, irlandais fraîchement sorti de Harvard et féru d'épigraphie pour en rechercher les traces tangibles et en établir la royale authenticité - autant dire un plouc, même pas admis à sa table, mais qui est amoureux de sa fille et se prend à ce jeu de piste généalogique à travers les plus anciennes archives ...



Les catastrophes fins de siècles hantent souvent les esprits et les mémoires. C'est l'incendie du Bazar de la Charité, à Paris en 1887, qui offre ici et parfaitement documenté sa toile de fond et ses accents de tragédie au récit d'une troisième nouvelle éponyme. Surprenante et originale malgré son trio de personnages convenus très belle époque : vieux mari, jeune femme frivole, amant intéressé, pour un adultère attendu mais avec une intensité du récit et une chute qui le sont beaucoup moins... Avec "Feu Monsieur le Duc" la cocasserie est à son comble : Hercule d'Orgon vieux célibataire endurci, avare et misanthrope, après avoir mis cinquante ans à se fâcher avec presque tout le genre humain et principalement sa famille (ses neveux, les enfants de son quartier et ceux qui passent sous ses fenêtres échappent à sa haine et sont l'objet de ses bontés dispendieuses) décide in fine d'emmerder ses héritiers jusqu'à la gauche et par-delà sa tombe. Et il y réussit le vieil infâme !
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Milady - Monsieur Zéro

«Sept heures du matin c’est tôt pour un rendez-vous d’amour»

Au cours du chapitre qui suit cette première phrase, Paul Morand nous fait découvrir par approches successives la personnalité et le cadre de vie du commandant Gardefort, ancien écuyer du Cadre noir de saumur. Il distille avec art, les réflexions que suscite toute la préparation fébrile et soignée de sa personne. L’examen lucide qu’il fait de lui-même laisserait penser qu’il va à la rencontre d’une femme.
Gardefort se prépare à accueillir Milady.

«...Une flamme de bonheur passe dans ses yeux bleus ; d’une intonation très douce et très mâle, comme s’il s’efforçait de tempérer un reproche, Gardefort lance un appel à haute voix...
A peine a-t-il parlé que la sonnette retentit.... 
...est-ce une farce de gamin rentrant de l’école ? Non, car le commandant Gardefort a souri ; il rit même ; il éclate de rire en sautant à bas de l’escalier qui conduit à la rue. La porte, il l’ouvre brusquement. Dans le grand cadre clair de la Loire, libéré par les deux batants ouverts, une fine et haute silhouette se découpe sur le ciel maintenant sans nuages.


--- Milady !


Comme chaque matin, elle est là. Mais chaque matin il l’attend comme si elle ne devait jamais revenir...


--- Sept heures, disent les habitants du voisinage. Voilà la jument Milady qui tire la sonnette du commandant»



C’est à une relation passionnelle et fusionnelle, une joute amoureuse entre le cavalier et l’animal où chacun se mesure à l’autre, que nous sommes conviés. 


«C’était d’abord un combat, où la jument savait qu’elle succomberait, où elle désirait d’ailleurs succomber, une lutte qui commençaient dans l’espièglerie, dans la ruse et se continuait dans la rage, pour se terminer dans une sorte de pâmoison soumise, de détente complète où l’un et l’autre trouvaient leur plaisir.»



« --- Comme elle est belle au passage ; elle semble repousser le sol et mépriser la terre qui la porte ! se disait Gardefort avec orgueil
Ils se promenèrent ainsi longtemps, presque sur place, sans parler, comme un homme et une femme enlacés se tiennent par la main, elle, protégée, soutenue, lui, la jambe près, la main délicate et comme à l’écoute de la bouche. Ce dialogue se prolongea. Il la respirait, il sentait monter son odeur échauffée et il savait qu’elle n’était pas moins sensible à la sienne ; quand il s’absentait, il lui laissait toujours dans sa mangeoire un vieux pyjama de pilou dans lequel il transpirait les jours d’attaque paludéenne, pour qu’elle ne se déshabituât pas de lui.»





Cette union de Gardefort et de Milady est inoubliable. L’écuyer, au caractère entier, intransigeant dans son respect de la tradition équestre, aime Milady comme un femme, plus qu’une femme, puisqu’il divorce de la sienne exaspéré par son incapacité à monter correctement en suivant ses conseils. Seule compte pour lui Milady dont il a su découvrir et mettre en valeur les qualités et qui est à la hauteur de son exigence.


«Qui eût reconnu dans cette jument puissante, au dos soutenu, au flanc bien relié, aux pieds de bonne nature, l’animal terne et mal gauchi dont le comité d’achat n’avait pas voulu ?»

Comment dans ses conditions, Gardefort pourrait-il accepter d’en être séparé ? 
Il va y être contraint par un besoin cruel d’argent, pressé par le temps, personne ne voulant lui prêter les cinquante mille francs qui lui sont réclamés par Maître Hareng, notaire chargé de régler son divorce. 
Il sera amené à vendre Milady et il ne pourra se le pardonner.
Ne supportant pas qu’elle appartienne désormais à un autre que lui, un autre indigne de la monter, il l’entraînera avec lui dans la mort.



Gardefort a été incarné de manière magistrale par Jacques dufilho dans un téléfilm d’une qualité qu’on ne connait plus actuellement, diffusé pour la première fois le 21 juillet 1976, deux jours avant le décès de Paul Morand ; ce qui peut sembler troublant car cette nouvelle, écrite au cours de l’été 1935, donne l’impression que Paul Morand s’est rassemblé pour donner dans un jaillissement, le meilleur de lui-même.

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Tais-toi

Quand Frédéric meurt, son cousin Silvère, son héritier, décide de lui consacrer une biographie, pour lui rendre hommage, tenter de comprendre qui il était. Mais dès le début de son enquête il va se heurter à une énigme : qui était Frédéric, cet homme dont la réussite sociale contraste avec le mutisme absolu dans lequel il s'est enfermé toute sa vie ?



A travers la rencontre d'anciennes connaissances, d'une amoureuse désabusée qu'il ira visiter jusqu'en Suisse, Silvère essaye de percer le mystère de cet homme, cet enfant à qui l'on a intimé l'ordre de se taire, et qui traumatisé ? écœuré par l'hypocrisie des relations humaines ? étouffé par une mère indifférente, l'absence d'un père ? a décidé de murer ses sentiments à jamais.



Et du "tais-toi" retentissant que lui a lancé sa mère à l'apprentissage du double langage journalistique et politique, il a bâtît sa réussite sur le silence qui comme un poison, le dévorant au fil des ans, a fini par le tuer.



Un très beau roman sur l'impossibilité de s'exprimer, de communiquer, qui si elle n'empêche pas d'afficher les apparences d'une vie comblée, dissimule en fait une impossibilité d'exister pleinement.

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L'homme pressé

Il y a peu j'ai eu envie de relire l'Homme pressé de Paul Morand que j'avais beaucoup aimé plus jeune. C'est vrai le style, le brillant etc...Et puis après avoir lu quelques dizaines de pages je tombe sur l'horrible description d'un juif. Cela m'a interpelé. Je ne suis pas adepte de la censure du passé, je sais qu'il faut séparer l'homme et l'oeuvre. Mais bon j'ai regardé la date de parution, 1941...Et là je me suis dit que je n'avais plus vraiment envie de continuer. J'y reviendrai peut-être un jour, mais je vais attendre un peu. Se dire que le livre est contemporain de mesures antijuives, de la Shoah par balle...Se moquer des juifs alors que dans la France de l'époque, ils étaient persécutés, et que l' on était au bord du drame absolu...C'est quand même bien dégueulasse. Non je ne veux pas mettre ses livres au pilori (d'ailleurs c'était pas des potes à Morand ça pendant la guerre ?), mais je vais laisser passer un bon moment !
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L'homme pressé

Quelle drôle d'histoire!!

J'ai été tentée d'abandonner au début puis ,petit à petit ,je suis entrée dans l'écriture stylée , bondissante ,et aussi rapide que le héros de ce roman.

Drôle de type que ce Pierre Nioxe qui ne vit pas sa vie il la court! Ne tient pas en place ,n'a plus d'amis,ne dort pratiquement jamais car c'est une perte de temps!

Il va toujours plus vite plus vite jusqu'au jour où il va rencontrer une femme:Hedwige de Boisrosė ,créole ,qui elle ,est toute indolente ,et toute sagesse.

Pierre va consentir à ralentir quelque peu son rythme de vie.Apprenant qu'il va être papa,il " ronge son frein " 9 mois c'est long à attendre! Il ira jusqu'à demander à Hedwige de se faire accoucher deux mois avant terme par un médecin de sa connaissance qui est d' accord!! Horrifiée Hedwidge s'enfuit rejoindre sa " tribu" ( sa mère et ses deux soeurs qui vivent ensemble) ,Pierre quant à lui ,part pour les Etats-Unis

Il va se surpasser dans la vitesse et c'est à un rythme effréné qu'il visite de nombreux sites,tout en vendant ses antiquités car j'ai oublié de vous dire que Pierre est antiquaire et qu'il en vit même très bien et puis , de retour à Paris mais chut ,je ne vous dévoile pas la fin......

C'est un conte , une fable ou plutôt une satire de l'époque où le dieu s'appelait vitesse: que dirait Paul Morand à l'ère d'aujourd'hui ??

J'ai aimé car cette histoire sur fond de morale est originale et si le début manque un peu de saveur j'ai été prise à vitesse grand V par la vie vécue au grand galop de ce Pierre Nioxe. A conseiller.⭐⭐⭐⭐

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Lewis et Irène

"A l'occasion du centenaire de Pascal, Lewis avait lu dans son journal quelques pensées de cet auteur trop peu connu. Il avait retenu celle-ci : "Le premier effet de l'amour est d'inspirer un grand respect." Cela le fit rire, puis lui donna à réfléchir." p.70



En effet, Lewis, jeune financier d'origine française, qui a pris le contrôle de la société dans laquelle il était employé, et à qui rien ne résiste _tant les vieux administrateurs qu'il nargue par ses coups de bourse osés et son irrespect des convenances et des procédures, _que les femmes, qu'il comptabilise et classe dans ses notes comme des valeurs boursières, se trouve bien démuni quand les affaires le mettent en contact avec Irène, financière également, d'origine grecque.



Une idylle naitra. "Irène resta sans force, la tête sur les genoux de Lewis, comme une petite cité grecque ivre de son tyran."



Ils sont si différents, lui n'ayant pas connu les joies (et les contraintes) de la vie en famille, il a dû gravir les marches sociales seul et garde un profond goût pour la liberté. Irène, élevée dans une famille de banquiers, est une femme indépendante, intelligente, pleine de rigueur et responsable (de son travail au sein de la société familiale, de la situation politique et économique de la Grèce).



Ils ont déjà en commun l'amour des affaires, pourront-ils dépasser leurs autres différences ? A lire...



Ayant découvert Paul Morand avec "East India and Company", je voulais le lire dans sa langue maternelle. J'ai été ravie de cette lecture. Alors que cette romance se déroule dans le monde de la finance, Paul Morand, joue sur les mots, faisant ainsi ressortir l'essentiel qui constitue la vie de cet homme et de cette femme, les affaires et la finance :



- "Le plus souvent il ne pensait à Irène que comme une société concurrente."



- "Pour la première fois, il eut l'impression d'avoir en face de lui une personne sûre, n'émettant que des sentiments garantis pas une encaisse."



- "Une dernière fois... Vous n'admettez pas que nous soyons un couple, une raison sociale ?"



- "Je regardais cette mer sans hausse ni baisse (cette femme d'affaires voulait dire sans marée)"
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East India and company

Dix nouvelles, dix pages chacune. Je pensais lire ces nouvelles, vite. Et bien pas du tout ! J'ai pris le temps du voyage.



J'ai vu des contrées lointaines avec les mots de Morand, traversé des mers et mis les pieds sur des îles paradisiaques. Au détour, des revenants me sont même apparus. Je me suis aussi amusée des tours joués par des escrocs chinois à des Occidentaux pédants. Et j'ai été touchée par l'histoire de "L'enfant de cent ans" et la description veloutée des femmes, ainsi que celle des danseuses de la cour du roi d'Indrapura.



"On pouvait suivre toutes les ondulations, à travers chacun de ces corps, jusqu'au bout des orteils. Les doigts eux-mêmes y participaient - et c'était peut-être ce qu'il y avait de plus beau dans toute la représentation -, pouce et index pressés l'un contre l'autre, les autres doigts fléchis jusqu'à toucher le poignet. Appuyant contre leur taille ces doigts retournés comme des pétales de jasmin, elles imitèrent la forme d'une araignée." (p.82)



Bien sûr, ces nouvelles doivent être restituées dans leur temps, écrites en 1927, cela précise le regard de l'auteur, diplomate français en mission en Asie et en Océanie. Reste que l'écriture est précise, quand bien même il a été traduit en français (en 1987) puisque l'auteur avait choisi l'anglais pour les rédiger afin de les présenter à des éditeurs de New-York.

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Rien que la terre

« Rien que la terre », Grasset 1926…

A cette époque, Paul Morand collabore au Figaro à travers une activité journalistique alimentée par ses nombreux voyages. On le suit ici dans un « tour du monde à quatre-vingt francs » , comme il se plait à décrire son voyage dans sa démonstration de la petitesse de la terre.



On part alors en bateau de New-York à travers le Pacifique ; destination le Japon : Yokohama, Kyoto, Osaka… La Chine : Pékin, Shanghaï… Hong-Kong également… puis Manille, Bornéo… viennent Bangkok , le Cambodge, Sumatra, Ceylan… Aden, Djibouti, le canal de Suez… enfin la Crète et pour terme du voyage : Toulon.



On connait tous l’engagement de Paul Morand quelques années plus tard alors que la France est occupée… Nous n’en sommes pas là en 1926 et l’auteur se fait ethnologue dans ce tour du monde ; particulièrement dans le Sud-Est asiatique (Siam) qu’il semble tout particulièrement apprécier… De beaux textes maritimes également…



Mon exemplaire daté de 1926 comporte un envoi de l’auteur « à Raymond Poussard, du quai au quai après quelques détours très fidèlement Morand avril 39 ».

S’agit-il de Raymond Poussard qui fut nommé le 07 février 1969 Directeur Général Adjoint de l’ORTF ? Il est difficile de l’affirmer, mais bon… c’est plausible.

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L'allure de Chanel

Paul Morand a rédigé ce livre d'après les souvenirs égrenés par Chanel au cours des conversations qu'ils ont eues en 1946 lors de leur séjour (plus ou moins forcé) en Suisse, à Saint-Moritz.

Plus qu'une biographie, cet ouvrage est à considérer comme des instantanés de vie de Mademoiselle Chanel de sa jeunesse à l'immédiat après-guerre.



Celle-ci glisse très rapidement sur une enfance malheureuse, passée chez des tantes, car, après le décès prématuré de sa mère, son père l'y a conduite et abandonnée.

"C'est la solitude qui m'a trempé le caractère, que j'ai mauvais, bronzé l'âme, que j'ai fière, et le corps, que j'ai solide."

Pour elle, la vie commence à seize ans, grâce à son premier amant, puis surtout, quelques années plus tard, à Boy Capel qui lui met le pied à l'étrier en finançant son installation comme modiste, ne fabriquant au départ que des chapeaux.



Mené sur un rythme allègre, étincelant de verve souvent vacharde, cet ouvrage vaut surtout pour l'évocation du tout Paris de la Belle Epoque, puis des Années Folles mettant en scène avec les potins parisiens les noms prestigieux de Picasso, Cocteau, Satie, Diaghilev et bien d'autres... qu'elle a connus grâce à son amie Misia Sert, surnommée "la reine de Paris" dans les années vingt.



On reste toutefois sur sa faim en ce qui concerne sa créativité qu'elle évoque fort peu, ce qui est grand dommage ! Car c'est bien elle, Coco Chanel, qui a inventé la mode du vingtième siècle en laissant au vestiaire les fanfreluches de la Belle Epoque ! et c'est grâce à cela et rien d'autre qu'elle a acquis son prestige.

Non, on s'arrête à la personnalité privée de la femme qui, âpre, dure, virulente, donne d'elle l'image d'une personne détestant l'humanité entière, prête à tout pour arriver à ses fins.

"Or, je veux être de ce qui va arriver. J'irai pour cela où il faudra. Je suis prête à crever sous moi des sociétés entières, comme on crève un cheval." dit-elle.



Pour conclure, un ouvrage qui se feuillette agréablement, car alerte et bien écrit, mais beaucoup trop anecdotique, pour intéresser véritablement le lecteur, d'autant plus que, s'interrompant avec la seconde guerre mondiale, il laisse dans l'ombre tout un pan, et non des moindres, de l'existence de Mademoiselle.
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Venises

L’auteur livre par écrit ses impressions sur la 1ere partie du 20 ème siècle. Il apporte un témoignage sur un monde en mutation, tout en jetant un regard lucide sur ses contemporains, ainsi que sur une ville, Venise, qu’il découvre adolescent.

Morand éprouvera une véritable fascination, voire même un profond amour pour Venise. Il lui restera fidèle jusqu’à son décès en 1976. A chaque séjour, Paul Morand jette un regard neuf sur Venise, et, c’est l’occasion pour lui, d’aborder la ville d’une manière différente. De nombreuses rencontres (célèbres ou non) ponctuent ses visites.

C’est un récit tout en poésie, mais, surtout d’une très grande tristesse car l’auteur voit le monde qu’il connaissait basculer, petit à petit, vers la folie. C’est aussi écrit dans une langue pure, dans un style tout en finesse.

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L'Europe galante

Ce recueil contient quatorze nouvelles écrites par Paul Morand en 1925. Il avait, dans les deux années précédentes sillonné l’Europe, et surtout ses capitales, au cours de brèves missions diplomatiques. C’est aussi le premier volet, européen, de sa Chronique du XXème : il dépeint l’Europe de l'entre-deux-guerres avec une certaine gravité malgré une apparente légèreté en passant par Moscou, Paris, Londres ou Lisbonne, ... C’est l’Europe des années Folles de l’après première guerre mondiale, dans toutes les capitales la société se grise de plaisirs réprouvés avant cette époque (homosexualité, échangisme…). C’est piquant sans être grivois. Et écrit d’une plume élégante, somptueuse, raffinée. On y trouve de jolies formules comme "C'était une jeune fille d'aujourd'hui, c'est-à-dire à peu près un jeune homme d'hier". Il n’y a pas à dire, Paul Morand est un maître de l’art de la nouvelle.
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Hécate et ses chiens

Ce court roman très ambigu s’avère assez complexe et pour cette raison propice aux commentaires.



Il est construit comme un récit de souvenir. Dans le prologue, Spitzgartner, le narrateur, dont le nom n’est dévoilé qu’une fois aux 9/10e du récit, annonce qu’il revient dans la ville africaine (plusieurs indices disséminés dans le livre laissent penser qu’il s’agit de Tanger) où 30 ans auparavant il a laissé sa jeunesse et a souffert les pires années de sa vie. Le roman est le récit des évènements vécus à cette époque. Soit dit en passant, il est intéressant de retrouver dans ce court prologue le penchant de Morand pour les symboles de la modernité : la vitesse , l’avion, les gratte-ciels, l’asphalte.



Le narrateur rencontre Clotilde, femme dont le mari est absent et qui devient sa maîtresse. Alors que le couple s’enfonce dans une passion sexuelle fort agréable quoiqu’ envahissante, le narrateur est intrigué par les secrets qui entourent Clotilde. Elle exprime de curieux murmures pendant son sommeil et semble trouver un plaisir plus intense devant des images d’enfants que dans les bras de Spitzgartner. Le goût de Clotilde pour les enfants finit par s’exprimer ouvertement et exerce une véritable fascination sur son amant. Par désir de lui plaire, il emprunte le chemin de la pédophilie mais quitte précipitamment le pays et sa maîtresse à la demande des autorités. Le narrateur poursuit sa carrière en Asie et il y rencontre par hasard un colonel qui s’avère être le mari de Clotilde. Le livre se finit par un dernier souvenir, celui d’une réception mondaine à New York où ont lieu de glaciales retrouvailles avec Clotilde.



Dès la première description de Clotilde s’annoncent l’ambigüité et le mystère qui entourent le personnage : cette femme est à la fois laide et belle. Qui est-elle vraiment ? Morand livre deux clés de compréhension de son récit : l’épigraphe liminaire tiré du Faust 2 de Goethe (‘simple j’ai troublé le monde, double bien davantage’) et évidemment le titre du roman qui invité à se pencher sur la déesse Hécate. Celle-ci est elle-même une déesse ambigüe : dans les temps anciens, une déesse aux larges pouvoirs mais plutôt bienfaisante, qui a laissé peu à peu la place à une représentation plus sombre, plus lunaire, d‘une déesse des ténèbres, accompagnée de chiens affamés, dont il fallait se méfier. Je pense que l’Hécate à laquelle il faut penser est celle du Macbeth de Shakespeare, pièce sur le Mal, à laquelle fait écho le mythe de Faust, qui vend son âme au diable. Clotilde est une Hécate qui est source de désordre et d’illusion pour ceux qui la rencontrent, une étincelle qui au bout d’une mèche lente va déclencher le vice et des forces obscures qui perturbent la paix intérieure. Peu importe qu’elle soit elle-même auteur des actes dont la soupçonne son amant.



Le court dialogue entre Spitzgartner et le mari de Clotilde à la fin du livre illustre cette lecture que je fais du roman. Le mari vit en Extrême-Orient dans une sorte d’exil dont il attend le terme. Cet exil est pour lui le prix à payer pour ses mauvaises actions, ses ‘souillures du corps et de l’âme’. Sorti de l’illusion, le seul chemin qui s’offre à lui est celui de la Connaissance.

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Hécate et ses chiens

Un livre court mais que j’ai lu en une demie heure tant je fus happé par le récit.

L’histoire d’amour d’un homme qui n’est pas aimé en retour, qui est consumé par une relation toxique vis-à-vis d’une personne instable.

Une histoire, d’une personne jusque là vide de sens et qui trouva une signification existentielle au sein d’une personne qui lui fera toucher le fond et se noyer petit à petit.

Une histoire banale semble t-il mais qui perd de son commun à chaque prise de connaissance de l’instabilité de cette femme prédatrice tant aimée et si peu aimante.

Et puis il y a Morand. Un écrivain qui peut écrire n’importe quoi pour en faire du grandiose, de l’impressionnant, du fulgurant. C’est génialement douloureux. Un style simple mais limpide comme du cristal et coupant comme du verre. Des phrases qu’on pourrait retrouver chez Cioran tant elles se suffisent à elles-mêmes.

Malgré la chaleur, cet ouvrage me fit frissonner. Je ne suis pas prêt de laisser tomber cet auteur.
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Le Portugal que j'aime

Un trio de choc : Déon, Morand, Chardonne ... et qui aime le Portugal, et tout particulièrement Lisbonne et ses alentours. Bien sur, l'Alfama et le fado...

Pour ma part, j'aime aussi beaucoup le Portugal. Petit-fils de portugais, j'y vais régulièrement me ressourcer dans la montagne à l'est de Porto... où je rejoins la "Casa da Juana" qui est la maison de mon arrière-grand-mère.

Qui ne s'est jamais trouvé enveloppé des senteurs d'eucalyptus sous le soleil de plomb d'un début d'après-midi à Penafiel, "Portella do monte" ou à Amarante, la belle, où la fraicheur monte du Rio Tamega, qui coule en contrebas... Ou Guimaraes... Et Porto... Non pas le Porto... Enfin... si, le Porto... Mais je m'égare...

"Le Portugal que j'aime" : trois grands amateurs du Portugal, même si on a souvent parlé de Déon pour son attachement à la Grèce ou à l'Irlande ; ses pages sur Nazaré montrent un goût pour ce pays, et, plus, un goût pour les gens qui l'habitent, et Chardonne, et Morand.

"Le Portugal Que j'aime", un recueil de photos commentées qui date de 1963... Il serait judicieux de changer le titre en "La Lusitanie que j'aime", tant le pays à bien changé depuis ces temps pas si anciens...

Certes , la bacalhau est la même, o vinho verde e munto bom con presunto y aceitonas... Mais je m'égare encore...
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Paysage : Villes

Tolède. Ce peintre né en Grèce l'a quittée à vingt-cinq ans puis a travaillé près du Titien à Venise pour ensuite gagner l'Espagne et rejoindre Tolède où il réalise cette extraordinaire "Vue de Tolède" une des première représentation urbaine se réclamant comme telle (1597/99) :

B. E. Murillo
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