Citations de Éric Fottorino (684)
À vouloir combler le vide, à chercher Marie partout, à l’inventer comme j’aurais inventé la poudre, le risque était grand de ne laisser après nous que des cendres. Ces souvenirs ont pris toute la place sur le canapé. J’ai eu tort de défier le malheur en lui accordant l’hospitalité. Il en profite.
Et pourtant, me réveillant en sursaut et me répétant soudain que tu es mort, j'ai cette sensation terrible de ne plus exister, que toutes ces années sont tombées en poussière et qu'il ne reste plus rien d'important à vivre d'autre que le souvenir de nous.
Les éoliennes, c'est la dernière arme qu'ils ont trouvée pour nous éliminer, nous les paysans. Quand le béton aura éventré nos terres, quand nos paysages seront devenus des usines en mouvement, nous aurons disparu à jamais.
Suzanne est partie en paix, avec le sentiment du travail accompli. Son existence a surtout manqué de superflu. Elle n'a pas seulement appris à Mo qu'on dit un cheval, des chevaux. Ou qu'un cheval n'a pas de pattes mais des jambes. Elle lui a laissé le goût du bonheur qu'on trouve dans la contemplation des choses simples qui ne font pas de bruit.
Leur rupture avait pris du temps, comme la dérive des continents. Ils s'étaient détachés dans un mouvement inexorable et lent.
Autrefois, ma grand-mère me désignait comme un enfant débrouillard et moi, roi du malentendu, je croyais être un enfant des brouillards, perdu au milieu de ses origines. Voilà que le voile se déchire, pas besoin de couteau. Grâce à toi, je comprends qui je suis. Si comprendre c'est aimer alors l'amour s'approche avant que tu t'éloignes.
la mémoire m'est revenue.
Une mémoire à pleurer.
On était deux enfants, petite Lina.
Toi à peine plus grande que moi.
Tu n'étais pas ma mère.
Il n'y avait pas de maman qui tienne.
Mamie régnait sans partage, décidait de tout.
Vos prises de bec, finissaient en cris. Je me bouchais les oreilles.
Tu t'enfermais dans ta chambre qui était notre chambre.
Je frappais doucement, laisse entrer.
Je te consolais.
Laisse ta sœur tranquille, lançait mamie les dents serrées. Ma sœur.
P 130
Pourquoi le second fut-il mon père et pas le premier ?
Michel, je l'appelais papa.
Moshé je ne l'appelais pas.
On n'appelle pas un inconnu.
p 48
J’ai surpris le regard affolé de Lina. Elle a toujours manqué de confiance en elle. La confiance, ça vient avec l’amour qu’on a reçu.
Comme je devais faire place nette pour ces arrivages de souvenirs tout neufs, j’ai voulu jeter mes tristesses d’enfant qui encombraient ma mémoire, sans imaginer qu’elles me tenaient pour la vie.
Chapireau fit le récit de ses brèves années avec Laura. Il mentit par omission. Automne ne s'intéressait qu'à une chose : comment sa mère avait-elle disparu du jour au lendemain ?
Ecoutant sa réponse, elle eut cette sensation poisseuse que son père lui mentait.
A-t-on jamais entendu dire : ma mère, ce héros ?
En 1960, le virus de l'amour est une sale maladie quand on n'a pas la bague au doigt. Dix-sept ans. Je continue à chercher tes dix-sept ans, le sillon qu'ils ont laissé dans les ruelles étroites, dans les reflets des vitrines des marchands d'art et de souliers cambrés où glissent tes rêves inaccessibles.
Les souvenirs sont tissés d’imagination, voilà tout. Et plus nous racontons nos souvenirs rêvés, plus ils deviennent vrais, y compris pour les autres. Ils ne naissent plus du réel mais de l’image déformée que nous en avons tirée. C’est probablement ainsi que naissent les romans.
p 90
Tu m’aimais si bas, sans effusion, comme on murmure pour ne pas troubler l’ordre des choses. Tu m’aimais tout bas, sans le dire, sans éprouver le besoin d’élever la voix .C’était si fort- la force de l’évidence- que tu ne l’aurais pas crié sur les toîts.
Un trou de mémoire, c'est une folle envie de tomber.
"le soir j'entends le pas de maman
sa voix
jusque tard dans le salon
pourquoi s'en irait-elle
mes inquiétudes évanouies
je m'endors sans crainte
depuis que je suis petit jamais
je ne l'ai vue aussi sereine
elle se sent aimée
pour ce qu'elle est
elle s'aime enfin
un peu"
Je revois cette scène qui ne figure dans aucun de mes livres. Michel et maman se connaissent depuis peu. Nous cheminons un soir de printemps le long de la Garonne. Nous avons dîné dans une guinguette et maintenant ils marchent devant moi, maman a passé son bras gauche à la taille de Michel, qui lui tient l'épaule. Soudain je les laisse s'éloigner jusqu'à ce qu'ils deviennent plus petits, serrés l'un contre l'autre. Leurs deux ombres ne font plus qu'une, penchée sur le miroir du fleuve. Alors je tends le bras et par le jeu de la distance ils marchent dans le creux de ma main. C'est ma vie que je tiens là, notre vie heureuse qui commence. J'aurai bientôt neuf ans et je viens de naître. Bientôt je m'appellerai Éric Fottorino, je suis le gamin du Grand-Parc qu'il vient chercher pour l'emmener au foot dans sa Simca bleue, celle qu'il gare le soir sous nos fenêtres et dont je vérifie avant de trouver le sommeil qu'elle ne part pas, qu'elle reste là, qu'il reste avec nous.
C’est une tache. Une tache sur ce début de XXIème siècle à peine majeur. Cette tâche, ce ne sont pas les hommes, les femmes, les enfants -en bas âge parfois- que nous envoient les guerres les violences et les dictatures en tous genres. Cette tâche, c’est notre incapacité à traiter humainement des êtres humains qui ont surmonté l insurmontable, la maltraitance des bourreaux ordinaires, des trafiquants de misère, le cynisme intéressé des passeurs qu' on appellerait bien "trépasseurs" si le mot existait. Face à l’afflux de réfugiés, nos États opposent une défense qu’ils croient légitime puisque, selon le vieil adage érigé en slogan, "on ne peut pas accueillir toute la misère du monde". Pour autant la tâche s’étend sur notre pays, jadis pays des droits de l’homme. Cette tâche, c’est un déni d’hospitalité, un mépris de l’autre qui arrive certes illégalement et sans papiers, mais plus mort que vif."
Eric Fottorino le 1 du 7 février 2018
Le papier nous permet de se réapproprier ce temps que nous volent les machines.