Pas faciles les mots de
Tsvétaïéva. Féroces, sabrés, la griffe de sa douleur entre dans ses mots par la force de ses braises. Hamelin nous dit « la polonaise » comme elle a vécu l'éternité de Clamart.
Misère, hargne et colère. Acharnement d'une noceuse d'insomnie frappant son tambour au tympan de son insupportable conscience.
« En Russie, je suis un poète sans livres, ici –un poète sans lecteurs. Ce que je fais,
personne n'en a besoin. »
Folle, je n'en sais rien, folle de douleur peut être. Mais consciente ça j'en suis sûre. Marina c'est l'exil aussi- et surtout.
L'exil définitif, certain, reçu. « ici je suis inutile, là bas je suis impossible ». Mais irré-vocable refus. « Si seulement, il y avait un arbre à regarder à sentir, un grand arbre, qui ne soit pas le bouleau malingre nous narguant par la fenêtre, ou les pousses de platanes ridicules, empêchées sus le gras pavé du faubourg ; oui, s'il y avait un seul arbre, fort et protecteur, assurément, nous pourrions tous nous tenir un peu plus droit ». L'exigence est là. Sa force aussi « à quoi bon le nouveau si nous perdons le vrai ? »
L'exil d'une terre que l'on sait ne jamais pouvoir retrouver.
Elle était partie bien avant d'avoir quitté. « Évacuée » hors d'elle même. L'exode peut être plus cruel que l'exil. Hamelin nous le fait comprendre, il fallait que ce visage prenne un peu corps pour que nous puissions mieux entendre le bruit de sa chair entre ses maux. « Parce qu'il faut avoir vécu l'insupportable et entrevu la mort pour ressusciter la lumière. » écrit
Linda Lê en évoquant la vie de cette rugissante. Alors elle écrit, écrit, misérable en foyer, mais déesse en brasier. « je ne suis bonne à rien qu'aimer ou écrire, ce qui est parfaitement le même verbe » - « Si vous êtes vivant, je suis sauvée ». Je vois la
voix inconnue de
Kandinsky lorsque j'entends les tirets de son fouet, son vertige, cet incroyable vortex qu'elle met en mouvement par sa déchirure. Je lis cette
voix inconnue : « Je sais tout ce qui fut, tout ce qui sera, Je connais ce mystère sourd-muet que dans la langue menteuse et noire des humains- on appelle la vie ».
Extrait d'une lettre du 31 décembre 1929 à Meudon – à
Boris Pasternak
[…] Boris, avec toi je redoute chaque mot, voilà la raison de mon silence épistolaire. Car nous n'avons rien d'autre que les mots, nous y sommes condamnés. Car tout ce qui, avec d'autres, passe – sans mots, les mots sans
voix, sans rectification par la
voix. le peu de chose prononcé (l'air a tout mangé) – est affirmé, muettement hurlé. Boris, d'ordinaire, dans toute relation humaine, les mots sont juste une main-forte, une béquille, une dernière extrémité, et l'extrémité l'est toujours – dernière. On dit bien – en guise d'adieu. ... Chacune de nos lettres est la dernière. Tantôt – la dernière avant notre rencontre, tantôt – la dernière pour toujours. Peut-être est-ce d'écrire rarement que tout reprend à neuf – à chaque fois. L'âme se nourrit de la vie, ici l'âme se nourrit de l'âme, auto-dévoration, impasse. […]
« Prie, ami, pour la maison sans sommeil, pour la fenêtre éclairée-1916 » « le poète découvre dans ses rêves la formule de la fleur et la loi de l'étoile-1918 ». » Tu voudrais bien toi savoir pourquoi je suis ainsi punie. Regarde le ciel par la fenêtre, tout de moi y est dit-1920'.
« . Dedans – un mot. Et le bonheur. – C'est tout »
Quel était donc ce mot qui dans cette nuit lui aura si terriblement manqué ?
« toute mort de poète, même la plus naturelle est contre nature, c'est à dire un meurtre » 1926 extrait - lettre à
Rilke.
Astrid Shriqui Garain