J'étais très ignorant de la poésie russe. Ce livre m'a permis de découvrir un vaste panorama, allant de Lomonossov à Evtouchenko, en passant par des poètes presque inconnus en Occident. J'ai laissé de côté quelques auteurs et, dans cette anthologie, tout ne m'a pas plu, bien sûr. Mais je suis très content de cette lecture. Certains poèmes sont très beaux. J'ai bien remarqué que le traducteur a réussi à produire une version française qui respecte les rimes, tout en étant agréable à lire, ce qui parait très difficile; j'espère que le traducteur est resté vraiment fidèle à la version originale. Pour finir, j'ai choisi de mettre sur Babelio quatre citations, tirés de poètes très différents, que j'aime beaucoup.
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LA FONTAINE DE BAKHTCHISARAÏ ( extrait )
( Бахчисарайский фонтан)
Les nuits de l'Orient sont faites
D'une aimable et sombre splendeur,
Les heures s'écoulant sans heurt
Pour les fidèles du Prophète.
Dans leurs maisons que de douceur,
Dans leurs jardins combien de charme,
Et dans leurs harems sans alarmes
Où règne un plaisir enchanteur,
Dans le ravissement lunaire,
Que de grâce, que de mystère
Et que de voluptés légères...
A. POUCHKINE 1824
Mon corps, cadeau reçu, mon corps tu m'appartiens ;
Que ferai-je de toi, corps uniquement mien ?
Pour le bonheur de respirer et d'être
Ma gratitude à qui la reconnaître ?
Dans la prison, parmi ses prisonniers,
Je suis la fleur, je suis le jardinier.
Éternité ! Sur ta vitre sereine
Se voient déjà ma chaleur, mon haleine.
L'empreinte est là, le dessin est présent,
Mystérieux encore et tout récent.
L'instant s'en va, s'enfuit dans le passé ;
Ce cher dessin ne peut plus s'effacer.
Joseph MANDELSTAM - 1909
Pareil au ciel ton regard brille…
Pareil au ciel ton regard brille
Comme un émail d’azur ;
Ainsi qu’un baiser fond le trille
De ton chant tendre et pur.
Et, pour un seul son de ta voix,
Un regard de tes yeux,
J’offre le sabre de Damas
Dont j’étais orgueilleux.
Et pourtant, son éclat m’excite ;
Il tinte avec douceur ;
À ses appels, l’âme palpite,
Le sang bout dans le coeur.
Mais je renonce à les entendre,
Je leur dit adieu,
Depuis que j’entends ta voix tendre
Et que je vois tes yeux.
1838
// Mikhaïl Iourievitch Lermontov (1814 – 1841)
/ Traduit du russe par Katia Granoff
ATTENDS-MOI !
Attends-moi, attends sans cesse,
Résistant au sort ;
Par la pluie et la tristesse,
Attends-moi encor !
Attends-moi par temps de neige
Et par les chaleurs ;
Lorsque les regrets s'allègent
Dans les autres coeurs,
Quand, des lointaines contrées,
Sans lettre longtemps,
Le silence et la durée
Lasseront les gens.
Attends-moi, attends sans cesse
Et sans te lasser ;
Sois pour ceux-là sans faiblesse
Qui diront "Assez!"
Quand mon fils, ma mère tendre
Acceptant le sort,
Quand mes amis, las d'attendre,
Disant "Il est mort",
Boiront le vin funéraire,
Assis près du feu,
Ne bois pas la coupe amère
Trop tôt avec eux !
Quand, fidèle à ma promesse,
Revenant un soir,
Je narguerai la mort, laisse
Dire "le veinard!"
Ceux qui sont las de l'attente
Ne sauront pas, va,
Que des flammes dévorantes
Ton coeur me sauva.
Nous deux, seuls, pourrons comprendre
De quelle façon
J'ai survécu pour me rendre
Dans notre maison.
1941, Constantin SIMONOV
Non, je n'ai pas besoin d'une chose à moitié,
Mais donnez-moi la terre et le ciel tout entiers,
Car les fleuves, les mers et les torrents sauvages
Sont à moi désormais, et cela sans partage...
Le bonheur je le veux, mais non pas sa moitié,
Et même le malheur, je le veux tout entier.
D'une part de la vie, allons ! je n'en ai cure,
Je veux sa plénitude, elle est à ma mesure.
Je ne veux la moitié que de cet oreiller
Où, tendrement blottis, je vois ensommeillés,
Ton visage et ta main dans sa grâce troublante,
Dont l'anneau luit pareil à l'étoile filante...
Eugène EVTOUCHENKO
« Une anthologie de femmes-poètes ! - Eh oui, pourquoi pas ?
[…]
On a dit du XIXe siècle que ce fut le siècle de la vapeur. le XXe siècle sera le siècle de la femme. - Dans les sciences, dans les arts, dans les affaires et jusque dans la politique, la femme jouera un rôle de plus en plus important. Mais c'est dans les lettres surtout, - et particulièrement dans la poésie, - qu'elle est appelée à tenir une place considérable. En nos temps d'émancipation féminine, alors que, pour conquérir sa liberté, la femme accepte résolument de travailler, - quel travail saurait mieux lui convenir que le travail littéraire ?! […] Poète par essence, elle s'exprimera aussi facilement en vers qu'en prose. Plus facilement même, car elle n'aura point à se préoccuper d'inventer des intrigues, de se créer un genre, de se faire le champion d'une idée quelconque ; - non, il lui suffira d'aimer, de souffrir, de vivre. Sa sensibilité, voilà le meilleur de son imagination. Elle chantera ses joies et ses peines, elle écoutera battre son coeur, et tout ce qu'elle sentira, elle saura le dire avec facilité qui est bien une des caractéristiques du talent féminin.
[…]
Et puis, au moment où la femme va devenir, dans les lettres comme dans la vie sociale, la rivale de l'homme, ne convient-il pas de dresser le bilan, d'inventorier - si l'on peut dire, - son trésor poétique. Les temps sont arrivés où chacun va réclamer le bénéfice de son apport personnel. […] » (Alphonse Séché [1876-1964])
« Il n'y a pas de poésie féminine. Il y a la poésie. Certains et certaines y excellent, d'autres non. On ne peut donc parler d'un avenir spécial de telle poésie, masculine ou féminine. La poésie a toujours tout l'avenir. Il naîtra toujours de grands poètes, hommes ou femmes […]. Où ? Quand ? Cela gît sur les genoux des dieux, et nul ne peut prophétiser là-dessus.
[…]. » (Fernand Gregh [1873-1960])
0:00 - Jeanne Neis Nabert
0:53 - Jeanne Galzy
1:24 - Anie Perrey
2:06 - Katia Granoff
2:45 - Louise de Vilmorin
3:32 - Yanette Delétang-Tardif
4:31 - Anne Hébert
5:13 - Générique
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Références bibliographiques :
Alphonse Séché, Les muses françaises, anthologie des femmes-poètes (1200 à 1891), Paris, Louis-Michaud, 1908.
Françoise Chandernagor, Quand les femmes parlent d'amour, Paris, Cherche midi, 2016.
Jeanne Galzy, J'écris pour dire ce que je fus…, poèmes 1910-1921, Parthenay, Inclinaison, 2013.
Katia Granoff, La colonne et la rose, Paris, Seghers, 1966.
Images d'illustration :
Jeanne Galzy : https://pierresvives.herault.fr/1377-jeanne-galzy.htm
Anie Perrey : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d2/Btv1b8596953w-p060.jpg
Katia Granoff : https://www.antikeo.com/catalogue/peinture/peintures-portraits/katia-granoff-1895-1989-19219#gallery-1
Louise de Vilmorin : https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/louise-de-vilmorin-en-1962-supprimons-la-circulation-automobile-20191225
Yanette Delétang-Tardif : https://www.memoiresdeguerre.com/2019/03/deletang-tardif-yanette.html
Anne Hébert : https://artus.ca/anne-hebert/
Bande sonore originale : Arthur Vyncke - Uncertainty
Uncertainty by Arthur Vynck
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