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EAN : 9782081408302
388 pages
Editions Arthaud (26/09/2018)
4/5   11 notes
Résumé :
"Les vainqueurs des guerres modernes ont la mémoire courte, pour ne pas dire ossifiée. Faite d'arcs de triomphe, d'ossuaires glacés, de levers du drapeau, de trompettes, tambours et commémorations. Les vaincus, souvent obligés par l'histoire de commémorer leurs morts dans un silence craintif ou de remâcher un sentiment de culpabilité, conservent au contraire un souvenir intime et tenace."

Parti sur les traces de son grand-père, officier triestin engag... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Paolo Rumiz est un écrivain voyageur, ancien reporter de guerre. Il se dit «  fils de la frontière », né à Trieste, ville aujourd'hui italienne, à la charnière du monde latin, germanique et slave.

Son livre se met en marche à la première personne dès le départ, lorsque l'auteur décide de partir sur les traces de son grand-père, officier de la Première guerre mondiale, engagé sous le drapeau de l'Empire austro-hongrois à l'époque où Trieste n'était pas encore italienne. Après l'armistice de 1918 et la réorganisation territoriale de l'Europe suite au démembrement de l'Autriche-Hongrie, ces soldats triestins tombent en disgrâce puisqu'ils n'ont pas combattu du bon côté, dans l'oubli, le sujet est tellement tabou que plus personne ne les évoque.

Paolo Rumiz veut sortir de l'ombre ces «  caduti » ( soldats tombés pendant la Grande guerre ), convoquant leur mémoire en un requiem de cette Europe défunte. Il est obnubilé par la volonté de créer une réelle armistice des peuples au delà des frontières nationales.

«  Je ne veux ni goulasch, ni amatriciana, ni bière, ni vin. Ou alors un banquet avec les quatre à la fois. Ici on voyage dans ce no man's land. Et les nations, on s'en fout éperdument. »

On le suit donc sur le terrible front de l'Est, en Galicie, territoire aux confins de la Pologne et de l'Ukraine.
Ce reportage road-movie est très érudit, parsemé de références à l'histoire géopolitique et culturelle de la Mitteleuropa ( Europe centrale ), une lecture très exigeante donc. Je m'y suis souvent perdue par manque de repères initiaux, j'ai trouvé parfois les pages longues, mais j'ai trouvé la réflexion passionnante sur notre Europe.
Il n'est pas uniquement question de la Première guerre mondiale, ce n'est qu'un point de départ pour évoquer les heures sombres de l'Europe : le génocide juif ashkénaze durant la Deuxième guerre mondiale, la guerre des Balkans en Yougoslavie à partir de 1991, la crise ukrainienne et de façon générale, la faillite de l'Union européenne aujourd'hui.

«  Maintenant je me vois comme dans un film. (...) Il sort à ciel ouvert, s'étend dans l'herbe. Il se dit in petto : mais enfin, c'est quoi, ce voyage que je fais ? Il s'est aperçu que plus il parle des morts, plus il s'enfance dans la compréhension du présent. Qu'il lui semble clair depuis ce bastion en décomposition, le destin malheureux de l'Ukraine. Comme il lit aisément le réveil dislocateur des nations et la balkanisation de l'Europe. Tout est déjà écrit. Il murmure : « Quels imbéciles nous faisons, nous qui n'avons pas d'anticorps de la mémoire, aplatis sur l'éphémère, farcis du néant , malmenés par une actualité anxiogène. Combien elle nous manque, L Histoire. Et plus il pénètre les raisons de la dissolution de son vieil empire, plus lui apparait fulgurante, à l'époque actuelle, la décadence de la fédération de peuples à laquelle il appartient. »

Sous ce récit très intellectuel et cérébral, la chair palpite souvent , notamment lorsqu'il retrouve des écrits laissés par ces soldats triestins de 14-18, les lignes se muent en chant des morts. Comme si le fait de déambuler, de sentir la terre, le soleil, les champs de Galicie faisaient réapparaître la mémoire des morts, la rendant sensible. le style de Paolo Rumiz n'est pas du tout neutre et journalistique comme on pourrait l'atteindre, il est au contraire très travaillé, fait d'envolées lyriques très maitrisées. La fin est superbe, une lettre écrite à fils puis son grand-père, presque bouleversante dans cette intimité qu'il accepte de partager avec le lecteur.
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Nous tous, et Rumiz, auteur de Trieste le premier, sommes entourés (peut-être un peu « soûlés ») par les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale : en Europe, chacun le fait de son côté – Verdun et la Somme par ici, le Piave par là, les Dardanelles ailleurs... Mais il y a un front largement oublié : celui de l'Est, de cette région trans-carpatienne, aujourd'hui parcourue par la frontière entre la Pologne et l'Ukraine, où s'affrontèrent l'Empire austro-hongrois et l'Empire allemand contre la Russie, dès août 1914. Pourquoi oublié, par qui ? Par l'Allemagne, trop occupée à son mea culpa de la Seconde guerre pour se rappeler de Tannenberg, par la Russie (notamment soviétique) qui a passé des bulldozers sur ses propres cimetières militaires pré-révolutionnaires, par l'Autriche, sortie lilliputienne justement de l'affrontement avec la plus grosse armée du monde, et bien que celle-ci se soit retirée en 1917... et aussi par l'Italie. L'Italie est entrée en guerre contre la Triple-Alliance en 1915, mais les Italiens de Trieste, de Trente, de Vénétie-Julienne et d'Istrie, plus de cent mille hommes au total, sujets du Kaiser-König, avaient été envoyés sur ce front en 1914 – et 600 seulement, à l'instar de Scipio Slataper, avaient déserté pour se joindre aux troupes du Royaume tricolore. Parmi les autres, dont la plupart ne sont pas revenus, le grand-père maternel de Rumiz. Et il ne fait pas bon rappeler ces Italiens de loyauté douteuse, « Italiens à l'uniforme erroné », maltraités, humiliés, ridiculisés, envoyés au casse-pipe par la hiérarchie militaire magyare pendant le conflit, de même que les Croates, Slovènes, Bosniaques, etc., et priés de se faire oublier par le Royaume d'Italie, une fois la guerre terminée, lequel refusa même de recevoir de Vienne la liste des décédés au combat.
Depuis son sol karstique natal, depuis Redipuglia et autres hauts lieux des célébrations, Rumiz entend les voix des compagnons d'infortune de son grand-père, qui l'engagent à partir en voyage sur ce front oublié, pour leur rendre justice et mémoire. Un voyage, c'est ce que Rumiz sait faire ; en train, et à l'écoute des voix des tombés au champ d'honneur. Il en résultera trois déplacements : par Vienne jusqu'à Przemyśl, par Budapest jusqu'à Lvov-Lemberg, par Sarajevo jusqu'à Belgrade – toujours accompagné par quelques guides-historiens-connaisseurs, toujours attentif au milieu traversé, aux rencontres, à la bonne chair et bonnes boissons locales, et surtout alerte à dresser des passerelles avec l'actualité...
Je saute aux conclusions : l'historiographie (ici surtout italienne relative au Risorgimento, au nationalisme de l'Unité nationale) est souvent grossièrement mensongère ; il existe partout dans ces pays traversés une nostalgie d'empire, notamment nostalgie austro-hongroise, qui est souvent (mal) identifiée à l'Union Européenne ; la Guerre de 14, pulsion suicidaire de l'Europe, entièrement évitable, probablement inutile, aurait pu créer un esprit européen, unir les fronts dans la conscience d'une identité et d'un abus uniques, mais elle ne l'a pas fait ; la Guerre de 39-45 présente une continuité absolue avec celle de 14-18, et pas principalement par l'esprit revanchard d'un Hitler contre la France, mais surtout compte tenu du Front Est, justement, en particulier de l'impossibilité pour l'URSS de supporter le traité de Brest-Litovsk, laquelle se révèle dès février 1919 par la guerre soviéto-polonaise ; surtout, et c'est ma découverte la plus intéressante, la Grande Guerre a été une secousse sismique sur la faille de laquelle, très exactement, continuent d'éclater la plupart des conflits d'aujourd'hui : de ceux de l'ex-Yougoslavie (1991 et depuis), en passant par le Moyen-Orient (bien évidemment), mais aussi celui dont Rumiz est le témoin direct et instantané, les événements ukrainiens de 2014 (révoltes anti-Ianoukovitch sur la Place de Maïdan). L'Union Européenne semble ne rien vouloir comprendre, lorsqu'elle tisse des théorèmes géopolitiques compliqués, lorsqu'elle ferme un oeil ou les deux sur la corruption du pouvoir dans ces nouveaux États post-communistes, sur laquelle on transige pour faciliter les affaires. Lorsque les peuples concernés s'alertent, l'on acquiesce à, voire l'on promeut l'usage du faux levier de l'ethnicisation, selon une recette qui a fait ses preuves en Yougoslavie...
Sous le prétexte de cette rhétorique mensongère et criminelle du retour des identités, il y a moins d'Europe aujourd'hui qu'en 1914, et même qu'en 1918. Il suffit, pour cela, de mesurer les difficultés de Rumiz à se déplacer en train depuis Trieste. Cette UE qui déçoit, qui est la seule à ne pas acheminer d'aide humanitaire à la Serbie lors des inondations de juin 2014, provoque ou entretient une nostalgie d'empire qui, si elle est notoire à Trieste, est délétère lorsqu'elle se traduit en délitement du sens du collectif et de la citoyenneté : à Barcelone autant qu'en Belgique ou en Italie du Nord ou au Royaume-Uni, il ne s'agit pas que d'une soudaine arriération mentale des Hongrois, des Polonais, des Ukrainiens, ou de ces retors de Balkaniques ! Et de conclure que les hommes dans les tranchés, eux, au moins, savaient rire...

Ce livre est une tentative de dialogue avec les morts. Il est compréhensible que le dialogue soit moins factuel et plus proche d'un monologue que dans d'autres ouvrages de l'auteur ; le lecteur le paye par beaucoup, beaucoup de redites, par un style « rumizien » poussé plus loin que jamais dans la prose poétique – les hendécasyllabes sont presque constants, pas seulement dans le titre de l'ouvrage et de nombreux de ses chapitres, ils sont assumés par la typographie, surtout en début des phrases « restituées » aux morts : l'auteur en a « plein la bouche », car la poésie, c'est notoire, est le moyen de communiquer avec les trépassés... Les descriptions géographiques rendent l'ouvrage décidément un journal de route et non un essai d'Histoire ; pourtant l'auteur a la tentation de n'exprimer ses pensées propres que sur elle et sur la politique actuelle... Une certaine familiarité avec l'historiographie italienne ainsi que la capacité avérée à lire le dialecte de Trieste, qui est très abondamment utilisé, sont des prérequis pour affronter cette lecture.
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A bord de trains interminables, Paolo Rumiz part pour de nouveaux voyages, une fois de plus aux frontières de l'Europe, dans une vaste réflexion tout autant intime que géopolitique,

Cette fois-ci c'est sur les traces de son grand-père, soldat de la guerre de 14. Italien de Trieste, il vivait dans cette zone de l'Italie qui était en territoire austro-hongrois. Il est donc parti avec l'armée du Kaiser, dans les rangs de laquelle il fut méprisé et bafoué. Quand lui et ses congénères sont rentrés après le conflit, ils ont été considérés comme traîtres par les locaux, et gommés des récits et des livres d'histoire.

Paolo visite ce silence, cette douleur. Il traverse des lieux qui stimulent l'imaginaire, entre rêverie, poésie et souffrance. Chaque anfractuosité du terrain évoque une tranchée, chaque poste suggère un corps enfoui, où les myrtilles et les bouleaux plongent leurs racines dans la chair des soldats tombés au combat. Il va de cimetière en cimetière : là les corps sont honrés, les ennemis réunis, ailleurs c'est l'abandon le plus complet…

L'émotion d'aujourd'hui rappelle les drames de jadis. Elle n'empêche pasune réflexion sur cette Grand Guerre, et plus généralement l'histoire d'un siècle où sont en préparation toutes les dérives nationalistes d'aujourd'hui.
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A l'occasion en 2014 des commémorations du début de la guerre de 14 , l'auteur ne constate avec indignation l'oubli des soldats de sa terre natale Trieste qui portèrent l'uniforme austro-hongrois et plus généralement de l'ignorance sur les combats qui se déroulèrent sur les marches de l'Empire contre les Russes. Il part à la recherche des tombes de ces « Caduti » oubliés à travers l'Autriche , l'Ukraine, la Pologne guidé par les témoignages oraux et écrits des combattants. C'est l'occasion pour lui de splendides envolées poétiques sur la beauté de ces paysages ensemencés de morts oubliés et également sur le devenir actuel de l'Europe née des deux conflits mondiaux (il assiste aux évènements en Ukraine sur la place Maydan . Un livre d'une lucidité inquiète , chargé d'émotion et empreint d'un humanisme intransigeant.
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critiques presse (1)
LeMonde
09 novembre 2018
Ancien reporter de guerre, l’écrivain voyageur triestin a exploré les confins de la Galicie, sur les traces de son grand-père, engagé en 1914 sous le drapeau austro-hongrois.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Qu'est-ce que je lui dis au type qui est en face de moi ? Que quand nous disons "nos soldats", nous ne savons même pas nous-même de qui nous parlons : s'agit-il des garçons en uniforme autrichien ou des bersagliers arrivés pour nous "libérer" en 1918 ? Comment lui faire comprendre que nous nous reconnaissons dans les deux ? Et comment lui expliquer que moi, Paolo Rumiz, je sais me mettre dans la peau de ceux qui voyaient l'empire une cage répressive et cléricale, mais que j'ai aussi la conscience claire et nette du fait qu'après l'empire, il ne nous est tombé dessus que du mauvais : le fascisme, l'impérialisme, le communisme, la négation des langues des autres, l'esthétique de la mort ? Autant abandonner.

p. 70
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« Come sarebbe più semplice vivere in un mondo che conferma i pregiudizi. Un mondo fatto di francesi supponenti, italiani corrotti, polacchi antisemiti, tedeschi filonazisti, serbi violenti eccetera. Ma il mondo è complesso, ti smentisce regolarmente, e c'è chi non lo tollera. Così c'è sempre qualcuno che vuole banalizzarti perché non regge la tua complessità. Qualcuno che ha bisogno di un nemico per esistere. Ed ecco quell'accusa "etnica" [...] » (p. 52)
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« E poi c'era mia nonna. In quanto triestina, non prendeva mai sul serio le cose del mondo. Aveva della Storia una visione farsesca, alla soldato Švejk. Cercava il comico. Del resto, il suo uomo era passato in leggerezza dal grigio-azzurro della divisa austroungarica al nero della camicia fascista, e probabilmente aveva partecipato alle sfilate avanguardiste con lo stesso senso dell'assurdo con cui aveva marciato contro i russi. » (p. 27)
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Dans ma ville, les fortes pensées ne règnent pas dans les salons et encore moins dans les académies, mais dans les derniers endroits où l'on se sert de ses mains, parce que les mains vous tiennent éloigné de ce grand anesthésique qu'est l'internet. Entre trois et six heures du matin, tout en pétrissant le pain, Marco - qui donne volontier dans le millénarisme apocalyptique - fait une chose que personne ne fait plus. Il médite. Et comme il lit beaucoup, il médite beaucoup. Depuis que j'ai commencé à m'occuper de la guerre mondiale, il médite encore plus. Et quand je vais acheter du pain, le matin, il me lâche ses conclusions à bout portant.

Il insiste : "la guerre a été de la faute de tout le monde, c'est clair. Mais s'il n'y avait pas eu la guerre, va savoir combien de temps encore ces pouilleux d'aristocrates auraient duré, grâce aux empires".

p. 62-63
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Me stesso,in cerca delle piste carovaniere tracciate su pergamena dal figlio di questa terra illimitata ,madre di tutte le battagle e di tutte le visioni ,morto suicida con une palla d'argento alla tempia dopo una vita d'avventure.
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Vidéo de Paolo Rumiz
Rencontre animée par Jean-Claude Perrier
Festival Italissimo
Auteur d'une douzaine de livres traduits dans le monde entier, éditorialiste à La Repubblica, Paolo Rumiz est avant tout un écrivain voyageur. Reporter de guerre, investigateur de zones frontalières et de lieux oubliés, il a parcouru des itinéraires merveilleux, inconnus du tourisme de masse. Dans son dernier ouvrage, le Fil sans fin, il poursuit son errance en suivant les disciples de Benoît de Nursie, le saint patron de l'Europe : de l'Atlantique aux rives du Danube, un voyage spirituel à travers l'Europe des monastères, à la redécouverte de nos valeurs fondatrices.
Plus d'informations sur le festival
À lire – Paolo Rumiz, le fil sans fin, voyage jusqu'aux racines de l'Europe, trad. par Béatrice Vierne, Arthaud, 2022.
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