« Lecteur, ne t'y trompe pas ! Ce livre ne pointe personne du doigt. Il dénonce un danger majeur : l'extinction progressive de notre goût de la découverte, de notre volonté de questionnement, de notre désir de comprendre et d'apprendre. »
Alain Bentolila dresse un constat accablant de la misère langagière des français.
Mon billet n'est pas une critique mais une note de lecture sur un sujet qui m'intéresse « le langage ». Je ne vous parlerai pas « des années d'errance éducatives » qui constituent la deuxième partie de
Comment sommes-nous devenus si cons ?Alain Bentolila est un linguiste, professeur d'université, spécialisé dans l'illettrisme.
Comment sommes-nous devenus si cons ? décortique bien les mécanismes qui conduisent vers « le degré zéro de la compréhension. »
Le premier chapitre « La télévision : la grande anesthésiste » a comme corollaires :
« La douceur sirupeuse du prévisible ! »
« Et votre cerveau affaibli est vendu aux annonceurs ! »
« Dire n'importe quoi n'importe comment ! »
« En le renvoyant devant la télé, vous lui demandez d'éteindre la lumière dans sa tête et de se contenter de contempler les ombres qui défilent sur l'écran placé au fond de la caverne. Et
Platon verserait une larme… » p. 18.
Le décor est planté. Les français (ne le prenez pas pour une attaque personnelle !) veulent du tout cuit. Ils délaissent la lecture parce qu'ils ont peur de ne pas comprendre et se vautrent dans les séries télévisées qui sont prévisibles et dénués de sens cachés. Ils privilégient l'image à l'écrit, pour rester dans les affirmations, éviter les contradictions. Par voie de conséquence, leur cerveau se ramollit et leur langage s'appauvrit. On ne sait plus faire la différence entre ce qui est publicité et ce qui ne l'est pas, et on parle mal. À ce propos
Alain Bentolila énumère une trentaine d'occurrences fausses qu'il aurait relevé en deux heures d'écoute de la télévision publique comme « C'est absolument dénudé de sens » ou « Vous parlez par éclipses ! »
C'est clair que, dans un tel contexte, les français ont été formatés pour devenir des proies facilement manipulables, qui vont être noyés dans les filets d'internet et de ses avatars. C'est l'objet du deuxième chapitre : « Internet et réseaux sociaux : peu importent les contenus, seuls comptent les tuyaux ».
« Il y a dans tout acte d'apprentissage une pudeur indispensable qui contient l'irruption brutale de nos émotions et le déballage de notre vécu » p.38 – contre les réseaux sociaux.
« Wikipedia, c'est un savoir édulcoré de seconde main, prêt à être servi tiède lors du prochain dîner en ville » p. 41.
« Économie linguistique » : utiliser des abréviations et un langage basique communication SMS » p. 44.
Nous arrivons tout naturellement au troisième chapitre : « Les politiques, à force de nous prendre pour des cons, nous avons fini par les croire ».
[…] « Les responsables politiques utilisent certains mécanismes de la grammaire pour interdire tout questionnement et toute réfutation, bafouant ainsi la langue dans ce qu'elle a de plus noble : l'appel au dialogue exigeant » p. 52
Parmi ces « mécanismes »,
Alain Bentolila souligne :
- La nominalisation et la voix passive qui permettent d'éluder le coupable : « La construction de ce barrage fut sans doute une erreur ».
- La suppression de compléments circonstanciels : « On ne peut nier la collusion entre certains élus et certains groupes ».
- Les « Ectoplasmes sémantiques » : « comme tout le monde le sait », « comme vous le voyez ».
Parmi les autres stratagèmes dont sont friands les politiciens, l'auteur cite « la parodie d'une démocratie participative » ou « reconnaître l'ennemi comme digne de sa parole ».
Le quatrième chapitre « le temps des confusions : le grand maquillage » - comme vous pouvez le constater
Alain Bentolila affectionne les formules chocs -, anticipe le volet éducation nationale qui ne m'a pas intéressée. Il est question de problèmes sociétaux.
Je retiens « La fausse bataille pour l'égalité des genres » p.80.
Alain Bentolila souligne le caractère arbitraire de la langue : « verrou » est masculin, tandis que « porte » féminin. Ainsi quand on dit, Madame le Ministre, ce « le » n'a rien avoir avec le sexe féminin ou masculin.
J'ai suivi le précepte d'
Alain Bentolila de : « reconnaître l'ennemi comme digne de sa parole ». J'ai tiré quelque enseignement de
Comment sommes-nous devenus si cons ? mais que pensez-vous de ces extraits tirés du paragraphe « L'inculture comme marque de virilité » (p.76-7) :
[L'institutrice] « Elle donna trois exemples assez pertinents d'exquisité et demanda à ses élèves de proposer des phrases utilisant le mot « exquis ». de l'indifférence agitée, une voix s'éleva. C'était celle d'un petit garçon blond, assez costaud et plutôt sûr de lui. J'ai su ensuite qu'il appartenait à une famille de cadres moyens (mère infirmière, père agent commercial). Ce petit Français, bien sous tous rapports, répondit donc à la maîtresse d'une voix pleine d'assurance et teintée d'un léger défi :
« Mais dis-moi, maîtresse, "exquis", ça, c'est un mot pour les filles. »
[…]
« Un lieu enclavé où « grav bon » prendrait tout à coup le pas sur « exquis » et « succulent », où la proximité et la connivence compenseraient l'imprécision des mots. Un territoire, enfin, étranger à l'écrit et bien à l'abri de ses « préciosités ridicules ».
[…]
« Un livre, tu rigoles, c'est un truc de meufs, c'est pas pour nous [...] Tu les vois, ces gonzesses, à se la jouer avec des livres ; des livres, pas des zines : genre j'ai besoin de personne, je suis pas là, limite si c'est pas nous manquer de respect quoi! »
« Un livre, c'est pour les pédés, ça ! »