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« Elle est où Maman ? »
Quatre mots. Quatre tout petits mots. Et une vie qui part à vau-l'eau. Celle de Betty qui n'a eu de cesse, depuis l'âge de 10 ans, de tourner autour d'eux. Quatre mots auxquels son père répond tout simplement qu'elle est partie. Alors Betty a grandi, tant bien que mal, choyée par son père et ses grands-parents, les étés en colonie de vacances à Saint-Malo jusqu'à celui de ses 13 ans où elle tombe sous le charme du moniteur, Simon, sans l'intéresser pour autant…
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Simon qu'elle retrouve pourtant à 25 ans. Vont s'en suivre dix années d'amour partagé et de bonheur quotidien, un mariage, une maison et un petit Raphaël, jusqu'au drame, un nouveau pour Betty qui perd cette fois-ci l'homme de sa vie dans un accident de la route. «
Et boire ma vie jusqu'à l'oubli » débute cinq ans après, alors que Betty sombre totalement.
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Si la journée elle parvient à donner le change et à s'occuper de son petit garçon, la nuit, Betty boit. Beaucoup. Trop. Suffisamment pour lui permettre d'endurer l'absence de ceux qui lui sont chers : « je ne trouve l'apaisement que dans mes nuits d'ivresse ». Et paradoxalement, pour se souvenir d'eux aussi : « Je bois pour me souvenir du goût du bonheur qui m'a été arraché un matin d'hiver sur une plaque de verglas ». L'alcool pour endormir ou stimuler une mémoire défaillante, construite sur des non-dits. Car Betty sent pertinemment que quelque chose de tragique lui échappe en dépit de séances chez une psychologue qui ne semblent pas l'aider. La situation aurait pu durer des années encore puisque son entourage ignorait son addiction mais, un matin, son père débarque chez elle à l'improviste et ne peut que constater, impuissant, l'état de délabrement qu'est celui de sa fille. Sorte d'électrochoc pour Betty, le sentiment de honte qui l'envahit alors lui donne le courage de trouver la réponse à sa question : « Elle est où Maman ? ».
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Dire que j'ai aimé ce livre est bien faible au regard de toutes les émotions ressenties à sa lecture ! Rarement je ne me suis autant identifiée aux personnages d'un roman sans pour autant que l'alcool soit ma tasse de thé ! En revanche, le sentiment de manque viscéral ressenti par Betty, son enfance auprès de grands-parents aimants, la recherche de ce qui la construite, et même l'attitude protectrice du petit garçon envers sa mère… autant de thèmes qui me touchent directement. Et pour les aborder, une écriture magistrale et bouleversante, celle de
Cathy Galliègue qui confirme, après «
La Nuit, je mens », son grand talent d'écrivain.
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Rares sont les romans qui abordent avec autant de pertinence ce drame vécu par beaucoup : celui de l'addiction à l'alcool. L'un des mérites de ce livre est de mettre en lumière de manière audacieuse ces femmes totalement dépendantes, qui mènent une vie sobre jusqu'au jour où un événement les fait basculer sans qu'une issue n'apparaisse possible, des personnes qui s'évertuent à cacher à leurs proches leur maladie. Et elles sont nombreuses.
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« Pendant quelques heures, je n'avais plus de passé, pas d'avenir, et c'est ainsi qu'enfin je respirais ». Ainsi s'exprime Betty. La dépendance à l'alcool ici, comme souvent, n'est que le résultat d'un mal-être profond, lié chez Betty au fait qu'une pièce maîtresse manque au puzzle de sa vie : abandonnée par sa mère à l'âge de 10 ans sans aucune explication, elle n'a jamais pu faire le deuil de cette absence. Alors, quand l'homme qu'elle s'est autorisée à aimer malgré la peur d'être à nouveau abandonnée disparaît, c'est l'implosion. Comment en aurait-il pu être autrement ?
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Si un enfant orphelin de l'un de ses parents peut néanmoins parvenir à se construire, il en est toutefois incapable lorsque la vérité lui est tue, lorsque l'imagination prend le pas sur une mémoire traumatisée. Et c'est justement le thème de la mémoire traumatique et de ses rapports avec l'imagination qui est extrêmement bien saisi par la fine écriture de
Cathy Galliègue. le lecteur avance pas à pas dans l'histoire de Betty, au rythme où elle recouvre sa mémoire et sort des vapeurs embuées de l'alcool.
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« La mémoire est aussi menteuse que l'imagination, et bien plus dangereuse avec ses petits airs studieux ». Cette citation de
Françoise Sagan, placée fort à propos en exergue de l'un chapitre du livre, se révèle particulièrement vraie : ce dont on ne se souvient pas, on l'imagine et bien plus encore, notre esprit façonne souvent ce dont on se rappelle, nous permettant de composer et d'avancer au mieux dans nos vies. Betty en fait douloureusement l'expérience, comblant autant que faire se peut les trous de son histoire, s'inventant des images, cherchant à évoquer des souvenirs grâce à des lieux, des odeurs, et des souliers rouges…
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Personne n'est programmé – j'en suis persuadée –, pour encaisser les coups du sort. Chacun d'entre nous se coltine à la vie de manière plus ou moins brutale, plus ou moins jeune... et avance. La vie est ainsi faite. Mais se construire sur des non-dits ou sur l'absence d'amour est tout simplement impossible et conduit nécessairement à une impasse. Comment Betty aurait-elle pu échapper à cette autodestruction honteuse alors que celle qui lui a donné la vie l'a abandonnée sans qu'elle en sache la raison, après avoir pu lui dire des atrocités telles « heureusement que t'es intelligente parce que t'es pas belle »… ?
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Pourquoi faut-il absolument lire cette pépite littéraire ? Parce qu'il nous secoue véritablement, et c'est assez rare. Parce que les thèmes qu'il aborde sont universels : le deuil, la mémoire, la filiation, la résilience. Et l'addiction. Il en est une à laquelle il vous sera difficile de résister après la lecture de «
Et boire ma vie jusqu'à l'oubli », celle au style si fort et si juste de
Cathy Galliègue qui me séduit tant, elle qui fait dire à son héroïne « Je veux de l'écriture balancée comme Fanny Ardant dans son trench couleur sable, ceinturée serrée, la voix si grave que sa féminité fait sauter les braguettes. de l'allure folle, du défi dans le menton au perché, et la détermination du talon aiguille qui écrase le pavé. Ça, j'en veux ! ».
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