caroline Lennox Taft Sinclair dite Carrie raconte au fantôme de son fils Johnny mort dans l'incendie de la maison familiale dans le roman
Nous les menteurs, l'année de ses dix-sept ans et son été si particulier dans le domaine familial sur l'île de Beechwood. L'année précédente, sa petite soeur Rosemary s'est noyée, elle avait dix ans mais dans la famille Sinclair, personne ne doit se plaindre ni s'apitoyer. Les trois soeurs, Carrie, Penny et Bess suivent leurs études sur le campus de North Forest Academy et rentrent parfois chez leurs parents à Boston dans leur maison cossue. Leur père, Harris, a fait fortune dans l'édition et il s'est surtout marié avec Tipper issue d'une riche famille du Sud ayant exploité des esclaves. Cet été-là, le petit frère du patriarche, Dean Sinclair vient passer l'été à Beechwood avec ses enfants Yardley et Thomas. Yardley est accompagnée de son amoureux, George et deux de ses amis, Major et Lawrence Pfefferman dit Pfeff. Carrie est émoustillée par cette irruption de jeunes hommes et entame une relation avec Pfeff.
Nous retrouvons dans ce thriller haletant tout le talent de
E. Lockhart. Il y a tout d'abord le jeu machiavélique de la narration, l'histoire est racontée a posteriori par l'une des quatre soeurs, Carrie devenue adulte, nous savons qu'elle a grandi dans une famille dans laquelle les apparences sont essentielles et le mensonge une seconde nature ; néanmoins, nous nous laissons prendre par son récit et nous oublions trop vite qu'elle se souvient, que sa mémoire est partielle, partiale, qu'elle ment et qu'elle nous manipule. Ce jeu vertigineux rend les frontières du roman particulièrement floues.
E. Lockhart reprend par ailleurs tous les motifs du teen novel, l'adolescence, l'illusion de l'infaillibilité des parents, la découverte de l'amour et l'irruption des pulsions sexuelles. Ici, les scènes du désir amoureux sont admirablement décrites avec le vertige de la découverte du corps des garçons, le frisson des peaux qui se frôlent, se touchent et se caressent.
Au-delà,
E. Lockhart nous plonge à nouveau dans les tourments des
histoires familiales, de l'hypocrisie du monde adulte et des mensonges. le drame apparaît inévitable, la figure du jeune homme solaire cache nécessairement une part sombre ; il est égoïste, jouisseur, amoral et c'est cette tension qui crée tout le suspense du roman, l'héroïne est irrésistiblement attirée quand bien même elle se perd.
La publication de ce prequel intervient juste après le phénomène TikTok autour de
Nous les menteurs et l'explosion des ventes huit ans après sa sortie en librairie. Un phénomène passionnant à observer.
Emily Jenkins est née le 13 septembre 1967 à New York. Elle a grandi à Cambridge dans le Massachusetts et Seattle dans l'état de Washington ; elle est allée à l'université de Vassar et à l'école doctorale de Columbia : elle a en effet un doctorat de littérature anglaise et s'est particulièrement intéressée au roman britannique du dix-neuvième siècle. Elle utilise comme nom de plume,
E. Lockhart, E. signifiant Emily mais son père l'appelait E.. Elle vit actuellement dans la région de New York. À huit ans, elle a écrit deux ou trois romans mais elle s'est ensuite passionnée pour le théâtre et voulait être actrice puis elle a voulu devenir professeur de littérature. Elle a réellement commencé à écrire de manière créative à l'âge de 22 ans mais n'a été publiée que plusieurs années plus tard.
Aux Etats-Unis d'Amérique, elle a publié The Boyfriend List en 2005, Fly on the Wall en 2006, The Boy Book en 2006, Dramarama en 2007, The Disreputable History of Frankie Landau-Banks en 2008, How To Be Bad en 2008, The Treasure Map of Boys en 2009, Real Live Boyfriends en 2010, We Were Liars en 2014, Genuine Fraud en 2017, Again Again en 2020 et Whistle en 2021.
Avec Whistle,
E. Lockhart a été associée à DC Comics pour créer un super-héros de Gotham City. Avec Genuine Fraud,
E. Lockhart avait depuis longtemps l'idée de raconter une histoire à l'envers, elle a choisi l'histoire des origines d'un personnage anti-héros et ainsi remonter dans le temps pour comprendre comment une personne pourrait devenir un monstre. Genuine Fraud est un hommage au talentueux M. Ripley de
Patricia Highsmith et la scène dans le bateau est une sorte de citation faisant délibérément écho à la scène du roman de
Patricia Highsmith mais le roman est aussi un hommage aux comics de super-héros et notamment à L'Incroyable Hulk car Hulk est un personnage dont le pouvoir est inextricablement lié à sa rage, ce qui en fait un pouvoir honteux). Et évidemment aussi aux
histoires d'orphelins victoriens, et notamment à
Charles Dickens et à son roman Les grandes espérances.
Avec The Boyfriend List,
E. Lockhart en a eu l'idée quand elle triait une boîte de vieux annuaires de lycée pour lesquels elle était chargée de la colonne d'humour et administrait les sondages et elle a alors pensé : “Où est ce petit carnet où j'ai noté tous les garçons que j'ai embrassés ?”.
E. Lockhart pense que la littérature populaire et la littérature de divertissement deviennent souvent canonisées au fil du temps. Les films d'
Hitchcock sont désormais diffusés en classe d'histoire du cinéma. Les pièces de
Shakespeare sont enseignées à l'école. Les romans de Dickens, de même. Tous ces divertissements étaient légers à leur époque. Elle a la chance de s'être inscrite dans l'essor de la littérature pour jeunes adultes. Cette catégorie de fiction - YA - n'existait même pas avant les années 1950 et le récent boom des livres n'a commencé qu'au début des années 2000. Les adolescents ont plus à lire maintenant qu'ils n'en ont jamais eu auparavant - plus de livres écrits sur l'expérience des adolescents et avec un public adolescent à l'esprit. Maintenant, les adultes lisent aussi ces livres. le roman YA change et se développe sous nos yeux.
En France, Casterman publie successivement Journal d'une allumeuse puis
La fabuleuse histoire de la mouche dans le vestiaire des garçons en 2006, le grand livre des garçons en 2008. le Journal d'une allumeuse est réédité en 2010 en deux tomes sous les titres, Journal d'une allumeuse et le retour de l'allumeuse puis en 2012, la série démarre avec un premier tome, le journal de Ruby Oliver : pas très rond dans ma tête mais il faut attendre 2013 pour une réédition de trois tomes,
le journal de Ruby Oliver, volume 1 L'amour avec un grand Z, volume 2 L'art de perdre les pédales, volume 3 Un grand moment de solitude. Casterman tente une réédition également en 2017 avec
Un truc truc comme un biscuit craquant, volume 1 sans publier les tomes suivants. Gallimard jeunesse publie en 2015,
Nous, les menteurs, en 2018, Alabaster & moi, et
Trouble vérité.