Voilà un bon petit livre bien réactionnaire .
Christian Combaz est un écrivain-journaliste- voyageur -sculpteur-peintre-aviateur-amoureux du parapente et de la Hongrie. Il écrit dans
Le Figaro et dans
Valeurs Actuelles ; autant dire qu'il ne penche pas à gauche. Même si la droite actuelle ne trouve guère grâce à ses yeux . Ce qu'il honni le plus c'est l'air du temps. Ce consensus (qui ne peut être que mou...) , qui inonde le politiquement correct d'humanisme gnan gnan (un terme que ne renierai pas
Frédéric Schiffter) , de beaux et nobles sentiments, mais dont l'application dans la réalité "vraie" se heurte "aux gens". Aux
gens de Campagnol plus précisément, puisque
Christian Combaz a pris pour exemple les gens d'une commune imaginaire de l'Aveyron qui n'est que le double du vrai village où il réside mais dont il taira le nom , ce que l'on comprendra très bien.
Contrairement à ce que pourrait laisser envisager ce qui précède,
Christian Combaz est un humaniste. Il faut simplement s'accorder sur la définition du mot. L'humanisme de Combaz c'est avant tout l'attention aux proches ; l' empathie aux bonheurs comme aux malheurs des gens qui l'entourent. Non qu'il exècre le reste de l'humanité , mais , en bon connaisseur de l'histoire , il sait que tout sépare un Papou d'un Français, pour parler comme
Montesquieu . C'est bien une césure radicale entre deux humanismes : l'humanisme des Lumières qui a fait de l'Homme le nouveau Dieu , la mesure de toutes choses , qui voit dans son prochain un frère , et l'humanisme pragmatique des "gens de peu" qui ne se soucient pas du Papou , mais qui vont se mettre en quatre pour aider leur voisin dont la ferme est mise en vente.
A Campagnol , reflet de cette France "périphérique" très bien mise en avant par le géographe
Christophe Guilluy , les "gens" ne sont pas tous, loin de là , des parangons de vertus. Il y a du Clochemerle dans tout ça ! L'auteur nous brosse des portraits hauts en couleur du conseiller général-maire-de-gauche, de la "moderniste" aux dents longues abonnée à Canal+ , ( Canal , une tête de turc de Combaz ! ), de l'écologiste Mounir , harki et nationaliste , poivrot invétéré et cependant avisé homme d'affaires , du coiffeur homosexuel dont tout le village connait les orientations sexuelles mais qui n'a jamais eu à affronter l'opprobe de ses concitoyens . Il y a aussi ce vieux médecin pied-noir , votant le Pen, revenu de tout , ami de Combaz , n'hésitant pas à accoucher " à l'ancienne" , c'est à dire "à la maison" , Paula, la compagne de Mounir.
Ces
gens de Campagnol , Combaz s'incluant dedans, ont un ennemi commun : la France des Elites : autrement dit : Paris ! c'est un peu court. Certes. Il y a toujours une part d'exagération dans un pamphlet (car c'en est un ). Mais les faits sont têtus et comment ne pas abonder dans la méfiance envers la technocratie d'état quand on analyse , à ce jour, les projets concoctés dans les arcanes du pouvoir : qu'il soit macronien ou autre.....
Seul remède à cette emprise : la solidarité. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que de voir Combaz (qu'on imagine bien misanthrope réac, catho, un tantinet nationaliste, conservateur invétéré -ce qu'il est :-) , trimbaler dans sa camionnette ( à Campagnol beaucoup ont perdu leur permis pour cause de beuverie...) les laissés pour compte de la mondialisation. Il n'est pas avare de son temps non plus, lorsqu'il passe chez les "vieux" du village pour les brancher sur internet. Et que dire de son rôle de "Mme Soleil" au bistrot du village !
J'habite en province , dans une petite ville de quatre mille habitants , et j'ai retrouvé dans les
Gens de Campagnol mon "Clochemerle" de tous les jours. Avec une réalité augmentée dans le sens où ici l'entraide est gravée dans l'histoire du pays. Ici les "assos" sont légion : pour tout et n'importe quoi d'ailleurs ! et comme à Campagnol , chez le boulanger chaque matin, on peste contre . Comme
Flaubert : " Tonner contre". Contre "Paris" bien sûr :-).
Jean Paul Kauffmann , écrivain que j'adore, avait dans "
Remonter la Marne", pointé le fait que dans la France "profonde" , les gens , "le peuple" avaient insensiblement largué les amarres du Continent Etat. Ils s'étaient inventé une autre vie en marge du Moloch. C'est ce que j'ai retrouvé dans Les
gens de Campagnol. Christophe Guilly a bien théorisé le concept . Mais cette césure est , me semble t-il , ancienne . Elle date de loin ; accentuée à la Révolution de 89. On ne va pas entamer une nouvelle discussion (polémique sûrement ! ) , juste insister sur le fait que les
Gens de Campagnol , au delà d'un état des lieux dressé par un oeil réactionnaire , et néanmoins talentueux, est quand même formidablement représentatif de cette France des années 2000 . Une France coupée en deux. Les inclus et les exclus. On aimerait (j'aimerai ! ) , que ces deux facettes se réunissent en un unanimisme volontariste , quelque chose de transcendant...hélas les Dieux et les Idées sont morts ; ne restent que les livres de comptes....