Inédits

Jusque-là, l'oeuvre d'Édouard Levé était pour ainsi dire « finie ». Un roman, le magnifique Suicide, le bel exemple d'une autofiction réussie et originale avec Autoportrait, un Journal (thématique) et un volume d'Oeuvres (oeuvres imaginées par Levé mais qu'il n'a jamais réalisées). Moins bruyant que Céline, ces Inédits là questionnent eux aussi la finitude (ou pas) d'une entreprise artistique. Comme l'écrit dans son excellente préface Thomas Clerc, qui a bien connu Levé : « Les inédits que nous publions ici nuancent cette image trop nette (…) ». Oui, mais non. Après lecture (dans tous les sens, grapillant des textes selon l'attrait du titre ou de la thématique), je dirais pour ma part que ces inédits viennent consolider une radicalité bien spécifique, celle d'un artiste qui se transforme en écrivain, usant de la performance et de la contrainte – certes – mais à sauts et à gambades, avec une légèreté pourtant chargée de gravité qui est une forme de travail toute à lui. J'ai adoré certains passages de ce livre et mon seul regret c'est que certains textes soient inachevés ou trop courts, car j'ai retrouvé Édouard Levé - ce que j'aimais en lui, dans ses écrits. J'ai aussi découvert un nouveau Levé cela dit, écologiste jusqu'au-boutiste. Des inédits étonnants et à ne pas manquer pour sûr.

Edouard Levé répugnait la fiction, il s'affairait plutôt à utiliser la vie comme matériau brut de création. Cette hybridation de l'expérience littéraire à la quotidienneté est à mon sens le plus bel état poétique possible. À force de conceptualiser chaque parcelle du réel, il a modelé un oeuvre décousu, mais passionnant de liberté. Ces «Inédits» posthumes, sorte de fourre-tout un peu fou, sont à la fois nombre d'études sur la morphologie de la vie, entrées de dictionnaire personnalisées, guide de voyage unique et portrait de Paris expurgé de tout glamour. Entre ready-mades et délires oulipiens, le travail de Levé résonnera aussi chez les fans de Sophie Calle.

Edouard Levé s'est suicidé en 2007 laissant derrière lui de nombreux textes de tous genres : amorces de projet, textes autobiographiques, description de performances, poèmes, listes, etc. Thomas Clerc a entrepris d'en réunir certains dans cet ouvrage. Il introduit avec une préface touchante qui rappelle l'artiste libre et touche-à-tout qu'était Edouard Levé.
Très émouvant de retrouver l'humour et le regard décalé de cet artiste-écrivain (ou le contraire) sur notre monde.