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EAN : 9782846822367
128 pages
P.O.L. (06/03/2008)
3.99/5   181 notes
Résumé :
« Des regrets ? Tu en eus pour la tristesse de ceux qui te pleureraient, pour l'amour qu'ils t'avaient porté, et que tu leur avais rendu. Tu en eus pour la solitude dans laquelle tu laissais ta femme, et pour le vide qu'éprouveraient tes proches. Mais ces regrets, tu ne les ressentais que par anticipation. Ils disparaîtraient avec toi-même : tes survivants seraient les seuls à porter la douleur de ta mort. Cet égoïsme de ton suicide te déplaisait. Mais dans la balan... >Voir plus
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« Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide » (Albert Camus).


Comment interpréter et pénétrer le récit d'un ouvrage, intitulé « Suicide » (P.O.L, 2008), remis par son auteur, Edouard Levé, à son éditeur quelques jours avant de se donner la mort ?


S'agit-il d'un roman, d'un récit ou encore d'un genre autobiographique ? Ou bien de la traduction littéraire du suicide comme mode de représentation artistique du photographe qu'était Edouard Levé ? Sur les réseaux sociaux littéraires, plus particulièrement, on se représente toujours un auteur qui s'appropria un sujet tabou pour le réduire à ses seules considérations sociales et sociétales. Si tel avait était le cas, le récit d'Edouard Levé aurait été un bien mauvais roman, un médiocre exposé où le narrateur se serait limité à dresser, avec paresse et facilité, un catalogue de faits et d'élucubrations désordonnés – méprise à mon sens, de la part de nombreux rédacteurs d'avis négatifs sur le livre.


« Suicide » n'est pas un roman, mais une réflexion philosophique léguée par l'auteur - avant de se donner la mort - à propos de l'existence qui cesse brutalement, accidentellement ou naturellement, et qui renferme toute l'absurdité de celle-ci de laquelle il se libère par la volonté.


On se remémore l'oeuvre d'Albert camus en lisant Edouard Levé, tout comme celle de Stefan Zweig dans leur conception propre de l'existentialisme, ou encore du pessimisme tragique de Schopenhauer.


Eh oui, on ne lit pas ce livre comme un roman, à la manière d'un simple divertissement. Si Edouard Levé a pris la plume dans la Galère de cet exercice, ce n'était pas pour « Cythère » (1), mais pour crier, tel Meursault, dans « l'Étranger », qu'il a pris conscience de sa propre vie en la confrontant avec sa propre mort, que si lui s'est toujours senti étranger au monde, c'est que le monde est tout aussi étranger.


Bonne lecture.

Michel.

1 – Cythère / S'y taire.

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«La scène s'arrête là » (p.9)

Edouard Levé s'est donné la mort le lundi 15 octobre 2007, à l'âge de quarante-deux ans. Trois jours avant, il avait déposé un manuscrit chez P.O.L., où il retraçait le parcours d'un ami d'enfance, ayant lui-même mis fin à ses jours. Dénué de pathos, l'ouvrage suscitera l'émoi de quelques critiques. Toutefois, Suicide ne constitue ni une autobiographie, ni un roman psychologique, et encore moins un quelconque testament. le lecteur soucieux de classification parlera éventuellement de portrait. Levé s'adresse à son ami décédé à la deuxième personne du singulier, et lui raconte son suicide par balles, puis sa propre vie, dépeint ses traits de caractère, ses singularités, dans un style à la fois sobre et classique, photographique[1]. le livre, qui commence par la description d'un acte pour le moins énigmatique, sinon incompréhensible, s'achève par une série de tercets, retrouvés dans le bureau du défunt par sa femme : « le bonheur me précède / La tristesse me suit / La mort m'attend » (p. 124).

« Savais-tu pourquoi tu voulais mourir ? » (p. 108)

Sur une centaine de pages, Levé évoque différents moments de la brève existence de son ami. Aucun jugement moral et/ou explication psychologique simpliste ne sont donnés. L'auteur-spectateur, se contente de narrer, de fixer des instants, de prendre des instantanés… Son absence de deuil, son objectivité, sont, à cet égard, significatives : « Je ne souffre pas en repensant à toi. Tu ne me manques pas » (p.108). Et à la fin l'énigme n'est pas dissipée : « Peut être as-tu voulu préserver le mystère autour de ta mort, en pensant que rien ne devait être expliqué » (id.).

Quelques hypothèses, ou éléments de réponse, se présentent néanmoins au fil du récit. le premier tient évidemment au mal être du personnage, voire à ses troubles mentaux. Hormis un étrange moment de joie pure, au cours d'un barbecue, Levé ne décrit que des phases de dépression, accompagnées d'un traitement psychiatrique inefficace. Après un véritable effondrement moral, le personnage connaît une bouffée délirante, confusionnelle. S'y ajoute un sentiment d'étrangeté au monde, et même un phénomène de dépersonnalisation : « Tu passais d'une pièce à l'autre. Tu croisas un miroir (…). Tu reconnus ta physionomie, mais elle te parut être celle de quelqu'un d'autre » (p. 88). le suicide apparaît ainsi comme un geste impulsif, incohérent, un coup de folie, ou de sang, si l'on préfère. L'acte fait d'ailleurs l'objet d'une mise en scène macabre, et pour le moins bizarre, puisque le héros se tire une balle dans la tête au-dessus d'une bande dessinée, ce qui suscite évidemment des interrogations de la part de ses parents. Coupé de lui-même, le jeune homme est également coupé du monde, et coupé d'une famille à laquelle il se sent une nouvelle fois « étranger » (p.96).

La source de cette inadaptation fondamentale n'est pas révélée. Plusieurs pistes nous sont toutefois données. le personnage ne semble pas, a priori, à plaindre, sur le plan professionnel et financier. Il s'agit d'un individu intégré : « Tu n'étais pas solitaire, pauvre, alcoolique, abandonné (…). Tu ne manquais pas d'argent » (p.77). Cela ne tient pas à une cause physique, physiologique, un problème cérébral, chimique. L'enfance, et les relations familiales pourraient en revanche expliquer quelque chose. L'agressivité du père est brièvement évoquée, lors de l'enterrement. Levé paraît ainsi penser que le suicide serait une sorte de violence héritée, mais dirigée contre soi même (ce qui constitue un phénomène psychologique connu et avéré) : « Tu t'es réservé une violence que tu n'eus pas pour les autres ». (p 64). de même, le jeune homme craint d'avoir déçu ses parents, déçu leurs attentes : « Tu te sentais un imposteur, car tu savais (…) tu n'aurais jamais ressemblé aux rêves qu'ils [tes parents] avaient faits » (p. 107).

On peut aussi imputer ce geste ultime à l'anomie, sentiment de non-appartenance au monde et de non-sens social, décrit par Durkheim[2], et qui ressurgit plusieurs fois dans le récit. le héros se demande parfois ce qu'il fait sur Terre, quel est son rôle exact, tout en « donnant le change » à ses proches, comme une sorte de « comédien » (p.43) tragique. A plusieurs reprises, Levé parle également de la peur de la décrépitude propre au personnage, notamment lorsqu'il croise un clochard dans le métro. Cette crainte de la déchéance, de la vieillesse, expliquerait ce désir de partir vite, et jeune. Effrayé et fasciné par la mort, le héros négatif va devancer la fin qui le guette, l'effraie et l'obsède. Levé parle ainsi de la visite nocturne d'un cimetière, ou encore de l'angoisse qui saisit son ami, au moment d'une interrogation orale d'entrée dans une grande école, et dont le thème est justement la mort, et le sens qu'elle prend dans le champ philosophique…

Ce faisant, ce départ prématuré apparaît chargé d'une portée artistique. La vie inaccomplie, absurdement achevée, devient une nouvelle source d'hypothèses, de construction, un singulier roman aux possibilités infinies: « Tu es un livre qui me parle quand je veux. Ta mort a écrit ta vie » (p. 14). Pour autant, Levé ne fait nullement l'apologie de cet acte douloureux. Il évoque ainsi la souffrance de la mère, à la fin du récit, et l'« égoïsme » du personnage (p.109).

Une oeuvre littéraire

Depuis la période romantique, nombre de poètes, parmi lesquels Goethe, ou Vigny, ont écrit sur le suicide. Certains, tel Nerval ou Maïakovski, sont, hélas, passés à l'acte. Peu d'écrivains ont, en revanche, évoqué leur propre décision, leur propre choix. Parmi eux, Stig Dagerman, romancier anarchiste suédois, a parlé de sa difficulté à vivre et à trouver un sens dans un texte très court, superbe, écrit deux ans avant sa disparition[3]. Citons également le métier de vivre, journal intime de Cesare Pavese[4]. de tels écrits font cependant figures d'exception: condamné par l'Eglise comme par la morale sociale, la mort volontaire, qui constitue actuellement l'une des premières causes de décès en France, fait encore l'objet d'un tabou, d'une réprobation morale, ou, à l'inverse, d'une sorte de fascination morbide. Sur ce plan précis comme sur tant d'autres, la littérature n'est pas détachée du monde réel. A ce titre, le livre d'Edouard Levé prend quasiment valeur d'étude. Il semble impossible de déterminer dans quelle mesure l'auteur s'est inspiré de sa propre existence, de ses propres difficultés et obsessions. Néanmoins il s'agit d'une sorte de témoignage, et, pour une part, d'une lettre d'adieu.

Plus qu'un simple ouvrage documentaire, Suicide constitue également, et peut être d'abord, un texte littéraire, au sens fort du terme. Levé ne se perd pas effectivement en considérations psychologiques, sociologiques ou morales oiseuses, même s'il cherche à comprendre. Plusieurs pistes nous sont données. En ce sens, Suicide est bel et bien ce qu'Umberto Eco appelle une « oeuvre ouverte [5]», polysémique, et où le lecteur doit lui-même chercher un sens pluriel. En outre l'écriture de Levé n'a rien du style plat et ennuyeux propre aux essais de sciences humaines ou aux récits de vie. « En poésie, je n'aime pas le travail sur la langue (…). Je rêve d'une écriture blanche, mais elle n'existe pas » déclare-t-il dans Autoportrait[6]. Parfois lyrique, mais toujours sobre, la plume de l'auteur garde toujours ce « sens du classicisme » qu'évoque Jacques Morice, au lendemain de son enterrement[7]. de fait, l'écrivain exprime parfaitement le caractère cruel et angoissant du suicide, avec pudeur et lucidité.

[1] Edouard Levé a publié trois albums de photographie aux éditions Philéas Fogg et P.O.L.

[2] le Suicide, 1897.

[3] Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, 1952.

[4] Il mestiere de vivere, publié à titre posthume en 1952.

[5] L'oeuvre ouverte, 1963.

[6] p. 60, P.O.L., 2005.

[7] Télérama n°2888, 22 octobre 2007.

Un article d'Etienne Ruhaud paru dans "Diérèse" 46 (automne 2009)
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L'histoire se retrouve dans le titre court et efficace de ce roman Suicide d'Edouard Levé. le thème de la mort n'est pas toujours une thématique facile à aborder. L'auteur ici décide de servir une histoire tout en douceur pour parler d'un dernier voyage celui d'un ami et surement du sien.

Le roman commence de façon directe et sans fioriture. "Un samedi au mois d'août, tu sors de chez toi en tenue de tennis accompagné de ta femme. Au milieu du jardin, tu lui fais remarquer que tu as oublié ta raquette à la maison. Tu retournes la chercher, mais au lieu de te diriger vers le placard de l'entrée où tu la ranges d'habitude, tu descends à la cave. Ta femme ne s'en aperçoit pas, elle est restée dehors, il fait beau, elle profite du soleil. Quelques instants plus tard, elle entend la décharge d'une arme à feu. Elle accourt à l'intérieur de la maison, elle crie ton nom, remarque que la porte de l'escalier qui conduit vers la cave est ouverte, y descend et t'y trouve. Tu t'es tiré une balle dans la tête avec le fusil que tu avais soigneusement préparé." le ton et le sujet est donné.

L'ami de l'auteur s'est suicidé en ne laissant qu'une bande dessinée ouverte sur la table du salon avant de se tirer une balle dans la tête. Doucement, il parle de cet homme comme un proche puis doucement des détails très personnels sont donnés jusqu'au ressenti. Ne parlerait-il pas de lui? le sujet de la mort de son ami n'est-il pas une façon de laisser sa propre de lettre de suicide? Car dix jours après avoir déposé son manuscrit à son éditeur il décida de mettre fin à sa vie. Son mal-être ou celui de son ami devint trop difficile à gérer et seul la mort peut soulager.

D'une façon décousue, il délivre ces pensées comme elles lui viennent de l'esprit. Il nous fait de la passion pour la lecture : "Tu lisais debout dans les librairies plutôt qu'assis dans les bibliothèques. Tu voulais découvrir la littérature d'aujourd'hui, pas celle d'hier. Aux bibliothèques le passé, aux librairies le présent. Pourtant, tu t'intéressais plus aux morts qu'aux contemporains. Tu lisais surtout ceux que tu appelais "les morts vivants" : des auteurs défunts que l'on continue de publier. Tu faisais confiance aux éditeurs pour actualiser aujourd'hui le savoir d'hier. Tu croyais peu aux découvertes miraculeuses d'écrivains oubliés. Tu pensais que le temps trie, et qu'à ce titre, il valait mieux lire des auteurs du passé publiés aujourd'hui que des auteurs d'aujourd'hui qui seront oubliés demain." le voyage ou le non-voyage, car il aimait imaginer ce qu'il pouvait découvrir que le voir de ces yeux : "Tu aimais les lieux ouverts au public où personne ne s'étonne que l'on s'attarde, immobile au milieu du flux citadin. La foule garantissait ton anonymat". Où avant quand il partait à l'étranger, il s'invitait chez des gens pour s'imprégner d'une autre culture : "Loin de chez toi, tu goûtais au plaisir d'être fou sans être aliéné, d'être imbécile sans renoncer à ton intelligence, d'être un imposteur sans culpabilité."

Mais un je ne sais quoi altérait son humeur, le poussait à voir la noirceur sans qu'il y ait forcement une raison. "Rien ne justifiait pourtant ta crainte. Tu n'étais pas solitaire, pauvre, alcoolique, abandonnée. Tu avais une famille, une femme, des amis, une maison. Tu ne manquais pas d'argent. Mais les clochards étaient comme des spectres annonciateurs d'une de tes fins possibles. Tu ne t'identifiais pas aux gens heureux, et dans ta démesure, tu te projetais dans ceux qui avaient tout raté, ou rien réussi. Les clochards incarnaient le stade ultime d'un déclin vers lequel ta vie pouvait tendre." Il est bien difficile de comprendre l'être humain. Grâce à ce livre, l'auteur a voulu laisser une trace pour ces proches.

Un livre qui ne peut pas laisser indifférent aussi bien dans la forme que dans le fond. Les pages se tournent bien grâce au style léger et authentique que l'auteur utilise. Malgré les idées noires et quelques loufoqueries, je me suis attachée aux personnages de ce roman, bouleversant d'authenticité. On croirait qu'au vu du titre, on va tomber sur une histoire où le paquet de mouchoirs soit indispensable. Toutefois, il ne sert à rien. Ici pas de sentiments trop exubérants ou larmoyants et cela ne servirait en rien l'histoire. Un récit terre à terre, touchant par un vocable riche et imagé tout en étant très réaliste.

Un coup de coeur de lecture qui surprend et qui marque par sa vraisemblance. Il va se diriger dans ma bibliothèque pour y trouver sa vraie place parmi les bons romans. Une envie forte se fait à découvrir les précédentes écritures de cet auteur étonnant.
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S'il est bien un sujet encore tabou de nos jours, c'est le suicide. On en parle peu, en Belgique, il y a une journée "contre le suicide", le chiffre des personnes se suicidant est interpellant par le nombre. Qu'est-ce qui pousse quelqu'un à accomplir ce geste d'une brutalité sans pareille, quel que soit le moyen utilisé?
Parfois, il y a une lettre qui explique l'inexplicable pour l'entourage. Parfois il n'y a rien. Dans ce livre, toute la recherche d'une "explication" au geste d'Edouard Levé.
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Livre simple et beau. Il y est question du suicide d'un homme jeune (25 ans) dont la vie a été rétrospectivement "avalée" aux yeux de ses proches par cet acte ultime. Le point de vue est, non celui du suicidé lui-même, qui n'a laissé aucune lettre, aucune explication, mais celui de ses proches. Ses proches qui ont gardé de lui l'image d'un être un peu austère, silencieux, musicien, qui se serait suicidé, non par désespoir, mais pour "explorer en tant que vivant l'expérience de la mort". Ce qui est naturellement impossible.
J'ai ressenti de la fulgurance dans ce témoignage (c'en est un puisque l'auteur a mis fin à ses jours dès qu'il eût terminé cet écrit) mise en valeur par des phrases courtes et musclées, réduites au seul nécessaire.
Ce livre peut avoir des détracteurs, des "amis de la vie" un peu moralisateurs. Je préfère saluer sa force singulière et déclarer avec l'auteur :
"Naître m'advint
Vivre m'occupe
Mourir m'achève"
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Citations et extraits (57) Voir plus Ajouter une citation
" Tu as écrit un recueil de tercets, brefs et condensés comme ta vie. Tu n'en parlas à personne. Ta femme les découvrit après ta mort dans le tiroir de ton bureau:
[...]
Le jour m'éblouit, Le soir m'apaise, La nuit m'enveloppe.
Dominer m'oppresse, Subir m'asservit, Etre seul me libère.
La chaleur me gêne, La pluie m'enferme, Le froid m'éveille.
Le tabac m'irrite, L'alcool m'endort, La drogue m'isole.
Le mal me surprend, L'oubli me manque, Le rire me sauve.
L'envie me porte, Le plaisir me déçoit, Le désir me reprend.
[...]
L'équilibre me tient, La chute me révèle, Le rétablissement me coûte.
[...]
Le temps me manque, L'espace me suffit, Le vide m'attire.
[...]
Le bord me tente, Le trou m'aspire, Le fond m'effraie.
Le vrai m'émeut, L'incertain me gêne, Le faux me fascine.
Le bavardage m'égare, La polémique m'enflamme, Le silence me rachète.
L'obstacle m'élève, L'échec m'endurcit, Le succès m'adoucit.
[...]
L'offense me surprend, La répartie me tarde, L'affection me rédime.
[...]
Le sermon m'irrite, L'exemple me persuade, L'acte me prouve.
Nettoyer m'ennuie, Ranger m'apaise, Jeter me délivre.
[...]
Savoir me grandit, Ignorer me nuit, Oublier me libère.
Perdre m'énerve, Gagner m'indiffère, Jouer me déçoit.
Nier me tente, Affirmer m'exalte, Suggérer me contente.
[...]
Dire m'engage, Ecouter m'apprend, Taire me tempère.
Naître m'advient, Vivre m'occupe, Mourir m'achève.
Monter m'est difficile, Descendre m'est facile, Stationner m'est inutile.
[...]
La menace me trompe, L'angoisse me meut, La peur m'exalte.
[...]
La fatigue me calme, La lassitude me décourage, L'épuisement m'arrête.
Construire m'obsède, Conserver m'apaise, Détruire m'allège.
[...]
Le groupe m'oppresse, La solitude me tient, La folie me guette.
Plaire me plaît, Déplaire me déplaît, Indifférer m'indiffère.
L'âge me gagne, La jeunesse me quitte, La mémoire me reste.
Le bonheur me précède, La tristesse me suit, La mort m'attend.
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Tu avais rarement tort puisque tu parlais peu.
Tu parlais peu parce que tu sortais peu. Si tu sortais, tu écoutais et regardais. Tu seras toujours juste, puisque tu ne parles plus. À vrai dire tu parles encore, par ceux qui, comme moi, te font revivre et te questionnent. Nous entendons tes réponses, dont nous admirons la sagesse. Mais si les faits donnent tort à tes conseils, nous nous accusons de les avoir mal interprétés. À toi les vérités, à nous les erreurs
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Ton suicide rend plus intense la vie de ceux qui t'ont survécu. Si l'ennui les menace, ou si l'absurdité de leur vie jaillit au détour d'un miroir cruel, qu'ils se souviennent de toi, et la douleur d'exister leur semble préférable à l'inquiétude de ne plus être. Ce que tu ne vois plus, ils le regardent. Ce que tu n'entends plus, ils l'écoutent. Et ce que tu ne chantes plus, ils l'entonnent. La joie des choses simples leur apparaît à la lumière de ton triste souvenir. Tu es cette lumière noire mais intense qui, depuis ta nuit, éclaire à nouveau le jour qu'ils ne voyaient plus.
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Dans la décomposition des événements, commencement, réalisation et achèvement, tu préférais le commencement, parce que le désir l'y emportait sur le plaisir. Au commencement, les événements concervent le potentiel que l'achèvement leur fait perdre. Le désir se prolonge tant qu'il ne s'est pas accompli. Quant au plaisir, il signe la mort du désir, et bientôt celle du plaisir même. Il est curieux qu'aimant les débuts, tu te sois supprimé : le suicide est une fin. Jugais-tu qu'il soit un commencement ?
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Un samedi au mois d'août, tu sors de chez toi en tenue de tennis accompagné de ta femme. Au milieu du jardin, tu lui fais remarquer que tu as oublié ta raquette à la maison. Tu retournes la chercher, mais au lieu de te diriger vers le placard de l'entrée où tu la ranges d'habitude, tu descends à la cave. Ta femme ne s'en aperçoit pas, elle est restée dehors, il fait beau, elle profite du soleil. Quelques instants plus tard, elle entend la décharge d'une arme à feu. Elle accourt à l'intérieur de la maison, elle crie ton nom, remarque que la porte de l'escalier qui conduit vers la cave est ouverte, y descend et t'y trouve. Tu t'es tiré une balle dans la tête avec le fusil que tu avais soigneusement préparé.
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