Contrairement aux critiques littéraires, qui la comparent à
Georges Sand ou
Rimbaud, je ne comparerais Isabelle à personne. Personnage unique en son genre, par son caractère, son histoire et sa quête. Elle fut la première femme reporter de guerre.
J'avais lu Ecrits sur le sable, et j'avais été bouleversée par ce journal méticuleux, bien écrit et extrêmement documenté permettant de découvrir l'Algérie au début du 20ème siècle. Les allers-retours d'Isabelle entre la France, la Suisse et l'Afrique du nord, sa profonde connaissance de la politique locale, de l'Islam et sa quête incessante d'un absolu m'avait familiarisé avec ce personnage intrépide, rebelle et surtout libre de tout carcan ou préjugé.
Avec
Tiffany Tavernier, on redécouvre Isabelle de l'extérieur, avec ses failles et sa merveilleuse audace. J'ai vraiment compris alors son engagement spirituel, sa façon de traiter les hommes en égaux et non en maîtres, son non –conformisme absolu. Qu'elle s'engage dans le soufisme, qu'elle prenne partie dans l'affaire Dreyfus, qu'elle revendique sa place dans une assemblée d'homme, qu'elle publie des articles visionnaires ou des témoignages, tout en elle est respectable. Rejetée, bafouée, misérable, expulsée, certes mais, tel le phoenix elle renait de ses cendres avec une foi qui l'emporte sur la médisance humaine et sur la misère de sa condition. Croire, c'est perpétuellement chercher, douter, et c'est ce qui lui arrive. Elle est une héroïne fascinante, comme il y en a peu.
Son amour absolu pour son frère (le seul qui la comprenne vraiment ? ) Tous ces hommes qu'elle aimera passionnément tout en refusant de se laisser enfermer, sauf avec l'élu de son coeur, le beau Slimène, sa façon galante de les rejeter d'une pirouette est tout à son honneur. Elle ne se ment pas à elle-même, ni aux autres. Certes, elle les fait payer parfois mais elle donne (et se donne) en retour. Elle scandalise plus les ennuyeux et puritains colonisateurs que les hommes du désert, qui respectent son titre : Si Mahmoud, et son honneur, parce que c'est un cavalier du désert, érudit.
Pour avoir séjourné 3 mois dans le sud marocain dans les années 1970, j'ai retrouvé dans ce récit la même atmosphère dans les douars : le temps qui s'arrête, les hommes en gandoura sous les arbres qui fument le kif et palabrent, la caravane qui arrive avec lenteur, de très loin, l'appel du muezzin et la folie des nuits blanches à boire, chanter et passer le sepsi.
Je comprends sa fascination pour ce monde dont elle connait les clés, par la langue et le travestissement –là-bas, elle a obtenu la respectabilité de son rang, en tant qu'homme religieux. Chaque tribu a son code, sa place et pour un manque de respect, pour une intrigue louche, c'est la guerre. Cela n'a pas changé aujourd'hui et ceux que l'on nomme les terroristes sont les guerriers d'hier, un peu plus armés certes et encore plus radicaux. La colonisation a tenté d'apporter le progrès sans prendre en compte les traditions, le sens de l'honneur et les hiérarchies établies, avec un mépris des hommes qu'elle a bien compris. le récit dans le récit est celui d'une journaliste, elle y met de la distance, rapporte les faits et dérange par son obstination à dire la vérité. Elle connait le remède à son désarroi : Dieu et l'écriture. Sa fin précoce nous donne l'impression par son court passage sur terre, intense, aventureux et passionné que le romanesque l'a emporté sur la tragédie. Les nombreux écrits publiés après sa mort témoignent de la forte impression qu'elle a laissée en son temps et au-delà.