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EAN : 9782848055060
280 pages
Sabine Wespieser (04/01/2024)
3.59/5   123 notes
Résumé :
Sa mère, ses amis, la médecin qu'elle consulte, personne ne la comprend : depuis cinq ans, Alice est enfermée dans la conviction qu'elle sauvera son compagnon de lui-même grâce à leur amour immense. Tout est dit dès le début de ce roman magistral : Alice vit sous emprise. Mené tambour battant, ponctué de trouées de lumière, même dans les scènes les plus sombres, ce livre nous conduit sur des chemins absolument inattendus : sommée de trouver du travail, Alice, qu'ent... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
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C'était une bonne idée, ce choix de lecture avant le week-end pascal.
J'ai ainsi pu faire connaissance avec toute une équipe de saints sympathiques (dont saint Expédit !) . Mais j'ai surtout découvert l'extraordinaire complexité de la canonisation et donc l'existence du promotorat des causes des saints !
Mais commençons par Alice, qui tient cette histoire de bout en bout, Alice imaginée par Tiffany Tavernier, la fille de Bertrand.
Alice est née au Guatemala et a vécu une enfance sauvage et radieuse grâce à Ida, une sorte de nounou chamane. À l'âge de dix ans, Alice, sa petite soeur et ses parents rentrent en France. Alice est percutée de plein fouet par des exigences sociales et scolaires qui la poussent vers une introversion et une timidité sévère.
Malgré l'effarement total de son entourage, Alice va tout lâcher pour vivre sous l'emprise d'un compagnon pervers qu'elle veut sauver malgré lui. La situation financière du couple est rapidement désastreuse et elle est sommée de trouver du travail. Cela tombe finalement assez bien : elle est recrutée par le diocèse de Paris pour aider l'évêque à la section « canonisation ». Elle va être entourée de collègues d'une bienveillance radieuse dont une certaine Anne-So, mariée à un militaire parti six mois de l'année, mère de sept enfants dont deux ayant la maladie de Charcot…
Grâce à cette fine équipe et à la découverte de la vie des aspirants saints, Alice ira au bout de son destin. le roman s'offre alors un petit décalage chronique pour une dernière partie tout à fait étonnante.

Il y a peut-être deux façons de lire ce livre étrange, d'une luminosité blafarde :
-Il s'agit d'un millefeuille narratif qui pour la énième fois remet sur le tapis la question de l'emprise. Beaucoup moins pédagogique que « La deuxième femme » de Louise Mey, il met l'accent sur le masochisme féminin dont la déconstruction passerait par la sororité et la spiritualité.
En parallèle on découvre donc tout le dispositif d'instruction des candidatures à la canonisation, d'une complexité sidérante. Morceau choisi:
«… ok, alors accrochez-vous parce que c'est loin d'être fini et je n'ai plus que cinq minutes. Une fois ces deux feux verts obtenus, l'archevêque publie, d'un côté, le décret d'ouverture de la cause, de l'autre, un édit dans le Journal officiel, soit, pour vous, à Paris, le journal Paris Notre-Dame, demandant au peuple d'apporter des témoignages en faveur de cette cause. Est-ce assez clair ?
Ça l'est.
Pendant ce temps, le postulateur ou la postulatrice se met en quête de trouver trois historiens prêts à enquêter de façon bénévole sur la vie de ce futur possible saint.
Une tâche bien difficile, sachant qu'aucun de ces historiens n'a le droit de publier le fruit de ses recherches.
Pourquoi trois historiens, pourquoi pas juste un seul ?
Parce qu'ainsi le veut la procédure : trois historiens, trois axes de recherche différents. le premier sur tout ce qui a trait à la vie familiale de notre serviteur, le deuxième, sur tout ce qui a trait à sa vie sociale, le troisième, sur tout ce qui touche à sa vie spirituelle. En parallèle, l'archevêque ou son représentant, le délégué épiscopal, aura nommé dans le plus grand secret deux censeurs théologiens. Ces deux-là devront vérifier si notre serviteur a bel et bien respecté, dans ses dires et dans ses ouvrages, le dogme catholique romain… »etc.
Enfin l'histoire d'Alice se déploie, émaillée de monologues numérotés et insérés dans le texte avec des bouts de haïkus, plus ou moins sibyllins, plus ou moins mystiques.

-Il s'agit d'un livre sur l'avénement de sainte Alice.
Et c'est une toute autre grille de lecture ! Ce qui nous est proposé n'est ni plus ni moins qu'un manuel de sainteté car Alice finira par cocher toutes les cases. On vous propose donc une lecture chrétienne, voir orthodoxe dont le titre, EN VÉRITÉ ALICE, annonce la couleur !

À vous de voir, bien sûr…
Allez, je vais conclure sur deux histoires de saints , relatées par Tiffany Tavernier:

VIE DU SERVITEUR DE DIEU TAÏSSIR TATIOS - 1943-1956
Dès son plus jeune âge, Taïssir, dit « Toussi », atteint de myopathie, endure de grandes souffrances. Incapable de marcher, il passe le plus clair de ses journées en chaise roulante sur son balcon, au Caire, en profite pour discuter avec les enfants pauvres du quartier et leur venir en aide. Aux nombreuses personnes de toute religion avec lesquelles il aimait parler de sa foi, il disait : « La meilleure preuve de l'existence de Dieu, c'est ma joie. » Il meurt à l'âge de treize ans.

VIE ET MIRACLE DE SAINT DOMINIQUE SALVIO - 1842-1857
Dès l'âge de cinq ans, il sert la messe et, tout au long de sa courte vie, il confiera souvent que Dieu le veut saint.
À l'âge de quinze ans, il meurt d'un mal de poitrine en prononçant ces mots : « Oh ! comme c'est beau, ce que je vois ! » Il est le patron des adolescents.

Avant Pâques, avouez que c'était le livre idéal.


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Merci beaucoup à Version Fémina et aux Éditions Sabine Wespieser de m'avoir permis de découvrir ce livre et cette auteure.
J'avais déjà entendu parler des deux premiers romans de Tiffany Tavernier et lorsque j'ai reçu son troisième roman En vérité Alice, j'avais hâte de le lire.
C'est l'histoire d'Alice, une femme complètement aveuglée et perdue qui ne perçoit pas la maltraitance de son mari. Heureuse quand elle vivait au Guatemala, elle l'est moins depuis qu'elle est arrivée en France. Mariée à un homme qui ne la considère pas, la surveille et la manipule. Celui-ci l'isole de sa famille et de ses amis. Il va perdre son travail et déménager à Paris. Là, il va la sommer de trouver un travail. On ne connaîtra jamais le prénom du mari.
Alice, par le biais de ce travail, où l'on instruit les candidatures à la canonisation, lui offrira peut-être une porte de sortie ?
Dès la première scène du livre, on connaît le sujet de l'histoire et ce qu'est un couple toxique. A savoir, comment Alice va pouvoir se sortir de ce guêpier ? Et là le hasard des rencontres entrouvre des portes.
L'auteure s'est bien documentée sur la façon dont les Saints peuvent être canonisé. Ce qui rend intéressant le procédé et m'interpelle car j'aime quand j'apprends des choses, en lisant un roman.
Mené tambour battant, ce livre nous mène sur des chemins inattendus, ponctué de trouées de lumière.
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Difficile de me prononcer sur le dernier roman de Tiffany Tavernier. J'ai adoré Roissy et l'Ami, ses précédents textes, que je conseille volontiers ; celui-ci me laisse plus mitigée. Pourtant, j'ai trouvé le mécanisme de l'emprise parfaitement décrit dans la relation de l'héroïne avec son compagnon. de même, toute la partie religieuse sur le processus de canonisation et la vie des saints m'a plutôt intéressée. Et J'ai tourné les pages avec avidité tant j'avais envie de savoir si Alice allait enfin s'extirper de cette relation mortifère.
Par contre, la fin m'a laissée dubitative, notamment la partie concernant les enfants endormis. J'ai compris l'enjeu, ce qui était suggéré, mais cela m'a complètement déconcertée. Et j'ai moins adhéré.
Mais cela n'engage que moi, à vous de vous faire une idée 😉
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Une sainte femme, ou presque

Dans son nouveau roman Tiffany Tavernier imagine une femme sous emprise être embauchée comme assistante auprès d'un évêque pour trier des dossiers de canonisation. Um emploi qui va lui permettre de s'ouvrir à la spiritualité et s'émanciper.

Alice Fogère, vingt-neuf ans. Elle vit en couple depuis cinq ans auprès d'un homme qui a très vite trouvé le moyen de la contraindre à ses désirs en jouant avec elle un jeu particulièrement pervers. Après chaque accès de colère et de violence, il vient demander pardon, expliquant qu'il est victime de son lourd passé, ayant lui-même été maltraité. Il promet alors de s'amender avant de recommencer de plus belle. Alice continue à espérer et à prendre des coups. C'est alors qu'il lui explique qu'il ne peut plus assumer seul la charge du ménage et qu'elle doit trouver un plus vite un emploi.
La chance va lui sourire lorsqu'elle découvre dans un bulletin paroissial un annonce pour un poste d'assistante auprès de l'évêque.
Malgré son inexpérience, elle est engagée afin de mettre de l'ordre dans une pile de dossiers de canonisation.
Alors qu'elle tâtonne et subit les premiers quolibets de son mari, elle va découvrir auprès de ses collègues l'envie de l'aider et de la soutenir. En se plongeant dans la vie des saints, elle va voir son horizon s'éclaircir.
Tiffany Tavernier a construit son roman comme un cheminement intérieur. Outre la vie d'Alice dans son quotidien fait de violences psychologiques et physiques, elle nous dévoile – sans prosélytisme – la vie des saints et des candidats à la canonisation. Ces deux récits sont entrecoupés de monologues intérieurs qui nous permettent de mieux cerner l'état d'esprit d'Alice, au fur et à mesure que le doute s'installe dans son esprit. Car après sa prise de fonction, elle va chercher les signes propres à la conforter dans sa position. Et les trouver, car elle se dévoue à son homme et pourrait même s'identifier à ces femmes qui donnent tout. Mais au fil des jours, à la fois en creusant ses dossiers et en donnant du crédit aux réflexions de ses collègues et notamment de son amie Anne-So, elle va voir ses certitudes s'ébranler. Au fur et à mesure que ses dossiers se structurent, qu'elle comprend la différence entre les différentes catégories, du serviteur de Dieu au vénérable, du bienheureux au saint, elle avance vers la lumière. Avec elle, on se nourrit des témoignages recueillis.
Solidement documenté, ce roman nous offre aussi de découvrir la complexité des enquêtes menées pour le promotorat de la cause des saints et de comprendre qu'elles sont toujours en cours. Il y a toujours un saint auquel on peut se vouer...
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Alice vit depuis 5 ans sous l'emprise d'un compagnon exigeant, peu compréhensif et manipulateur. Elle perd peu à peu sa confiance en elle et n'a de cesse que de lui obéir, s'oubliant totalement. Après avoir essayé de répondre à ses injonctions parfois contradictoires en ce qui concerne un travail, elle finit par trouver par hasard un emploi dans une association diocésaine à Paris : l'étude des candidatures à la canonisation. Je me suis pris d'empathie face à cette jeune femme attachante qui fait toujours de son mieux dans sa vie quitte à se perdre. Un très bon roman.
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critiques presse (1)
LeFigaro
22 février 2024
En vérité, Alice, de Tiffany Tavernier: la pesanteur et la grâce.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
LEXIQUE
SERVITEUR OÙ SERVANTE DE DIEU: fidèle catholique décédé(e), ayant fait preuve, tout au long de sa vie, d’une piété remarquable. (Première étape de la canonisation.)
VÉNÉRABLE : serviteur ou servante de Dieu, décédé(e), dont l’héroïcité des vertus a été reconnue par l’Église. Aucun culte ne peut leur être rendu. (Deuxième étape de la canonisation.)
BIENHEUREUX(SES) : serviteur ou servante de Dieu, décédé(e), ayant fait montre, tout au long de sa vie, d’une piété exemplaire et auquel (à laquelle) on peut attribuer, post mortem, au moins un miracle ou qui est mort(e) en martyre. Un culte local peut leur être rendu. (Troisième étape de la canonisation.)
SAINTS(ES) : serviteur ou servante de Dieu, décédé(e), ayant fait montre, tout au long de sa vie, d’une piété exemplaire et auquel (à laquelle) on peut attribuer au moins deux miracles ou qui, ayant déjà un miracle à son actif, est mort(e) en martyre. Un culte public peut leur être rendu. (Quatrième et ultime étape de la canonisation.) p. 55
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(Les premières pages du livre)
MONOLOGUE 1
Qu’est ce qui m’a pris, aussi, de reculer dans la cuisine? Qui ne sait pas ça? Mouillés, les carreaux, ça glisse! Pourquoi n’avoir pas choisi le salon? Sur le tapis, jamais je ne serais tombée, mais non, il a fallu, une fois de plus, que je fasse le mauvais choix, et maintenant, cette médecin, à l’hôpital, en train de palper mon bras après six heures passées dans ce foutu couloir des urgences.
« Alice Fogère, oui, vingt-neuf ans. En couple, depuis cinq ans. »
Cette médecin, le flot ininterrompu de ses questions alors que je voudrais lui demander des nouvelles de la petite vieille arrivée en sang tout à l’heure, celle que le mec a poussée dans les escaliers du métro – pour rire à ce qu’il paraît ! –, de ses hurlements qui cognent encore dans ma tête, de ma faute, ça aussi, je veux dire, de m’être retrouvée là, dans ce couloir, au milieu de toute cette douleur. Le salon, juste sur ma droite pourtant, mais non, il a fallu que j’opte pour la cuisine et sur le carrelage tout juste lavé, paf, bien évidemment !
« Aucun enfant, non. »
Juste au moment où il a le plus besoin de moi. Cette attelle, à présent, que cette médecin me désigne en me parlant de luxation au coude et de trois semaines « au minimum » d’immobilisation. Je la regarde anéantie. Trois semaines ?! Mais qui va les faire, les cartons ? Parce qu’on part s’installer à Paris, nous. Voilà plus d’un mois que mon compagnon ne dort plus. Tout ça à cause de son boss, de ses collègues aussi… Cette médecin, sa voix très douce :
« Vous dites que vous avez reculé, mais devant qui, devant quoi ? »
N’est-elle pas là pour mon coude ? Pourquoi cette question alors, cette question lancinante à laquelle, à force, je n’ai plus envie de répondre, il m’aime si fort, nous nous aimons si fort.
« Moins une, c’était la tête qui prenait, non ? Et là, qu’est-ce qui… »
« Madame, je vous ai posé une question. »
Mais comment parler de ce saccage en lui, ce saccage qui, par moments, le rend fou et qu’au lieu de fuir j’aurais dû embrasser.
« Madame… »
Ne devrait-elle pas plutôt courir au chevet de cette petite vieille ? Tout est si simple pourtant. Mais elle est comme eux tous. Même mes amis ont refusé de me comprendre, tous mes amis avec lesquels j’ai fini par rompre. À quoi bon fréquenter des gens méchants ? Et maintenant, elle, cette médecin, hochant la tête sans croire un traître mot de ce que je lui raconte, comme si une telle qualité d’union ne pouvait pas exister entre deux êtres, comme si elle tenait de l’impensable, jusqu’à ma mère, l’autre jour, persuadée qu’il finirait par me tuer. Il a raison là encore, elle est toxique, je vais devoir très vite me couper d’elle. Nous nous aimons si fort, pourquoi cet acharnement à démolir notre union, n’y a-t-il pas assez de désespoir dans le monde ? Pourquoi ai-je reculé aussi ? Et maintenant, mon coude qui a triplé de volume. Pour une fois que je pouvais me rendre utile. Qu’est-ce qu’il va dire pour les cartons ?

CHAPITRE 1
DIEU.
Dans sa minuscule cellule de bois, Martin voudrait ne plus bouger, rester jour après nuit, agenouillé dans cette union, sans plus manger ni boire, jusqu’à la fin. Partout ailleurs, le monde est si blessé. Pourquoi s’y frotter quand tout, ici, le comble de silence et de lumière ?
Dieu.
Se tenir là, debout, des jours entiers en prière, comme sur sa petite île de Gallinara. Souverainement seul. Parfaitement relié.
Il tremble. Il rit. Des larmes d’amour ruissellent le long de ses joues et, à le voir si irradiant, on pourrait le croire fou. Il est si large de présence. Si vaste de sérénité.
Il flotte à présent. Il flotte à l’intérieur de la minuscule cellule de bois qui, sous ses pieds, devient le ciel. Du fin fond de son être, Martin ne voudrait plus connaître que cela : ce seul à seul où, brisé, le cœur de l’homme s’élève jusqu’à l’ultime cercle. Mais Dieu a voulu que, par ruse, les hommes l’élèvent au rang d’évêque, lui qui, depuis sa prime enfance, ne rêve qu’à être un moinillon.
Dieu.
Lors, sortant de sa cellule, il va. Et, à sa vue, tous l’acclament, certains allant jusqu’à baiser ses mains. Il a déjà guéri un si grand nombre.
Fendant leur foule, Martin baisse les yeux pour ne pas montrer ses larmes. Leur désespoir est si grand. Marcher parmi eux, c’est comme marcher à travers un champ d’aiguilles rougies par le feu. Comme tout eût été plus simple, se faire oublier d’eux, disparaître dans les profondeurs d’une grotte ou sur le sommet de quelque haute montagne. Mais Dieu, dans sa prière, lui a demandé de les rejoindre et Martin, entrant en lui-même, a consenti. Oui, il les initiera au mystère de la triple lumière et à celui du monde séraphique qui, avec une ardeur bouillonnante, Le contemple, Lui, l’Ineffable, l’Indescriptible, l’Inconnaissable, l’Inaccessible. Oui, il sera leur évêque.
*
Au sixième étage de leur nouveau petit deux-pièces, Alice ne sait rien de cette histoire. Tout au plus que Martin aurait embrassé un lépreux il y a mille sept cents ans. Mais qu’est-ce qu’un lépreux pour une fille du XXIe siècle ? Cela n’a pas de représentation. Non, Martin ne fait pas partie de son existence ou alors pour faire rire le postier du petit bourg de M. Quelle drôle de coïncidence tout de même : partir de la rue Saint-Martin de M. pour se retrouver rue Saint-Martin à Paris ! À coup sûr, ceux du « bureau » y verraient un signe. Quel signe ? Alice ne le sait pas. À l’heure qu’il est, elle ne connaît même pas l’existence du bureau.
Dans sa réalité, l’univers est un vide où, faute de frottements, les plumes et les pierres tombent à la même vitesse. Un vide qui ne fait jamais signe et auquel Alice, devant la dernière pile de cartons à descendre, ne pense pas. Pas plus à ce drôle de hasard qui, sur le coup, l’avait fait sourire. Elle doit s’occuper de tant de choses depuis son emménagement : poncer, lisser, repeindre les murs, poser les carreaux, choisir un frigo, installer le wi-fi… Par chance, son coude a retrouvé toute sa mobilité. Elle doit faire attention toutefois. Hier, la douleur l’a lancée si fort qu’elle a dû s’arrêter pour aller s’acheter des glaçons.
Dans la rue, il y avait tant de monde qu’elle a failli rebrousser chemin. Pour lui, bien sûr, c’est plus facile : Paris, il y est né. Alice, non, et, après ces cinq années de vie à M. avec lui, la moindre agitation la perturbe.
Dans leur maison, là-bas, il n’y avait qu’eux deux. Chaque jour, après son départ, elle partait marcher en forêt, puis elle faisait les courses et, jusqu’à son retour, elle bricolait et préparait le repas. Tout était concentré. Silencieux. Fluide. Au fil des mois, ses crises avaient diminué, il avait même repris du poids et arrêté l’alcool. Bien sûr, il y avait parfois encore des moments difficiles, particulièrement ces dernières semaines, à cause de l’arrivée de ce nouveau boss, mais, là encore, elle était parvenue à l’apaiser. Dans la casserole, le lait, soudain, déborde. D’un geste rapide, Alice éteint le feu. Avant, elle aimait la présence des gens, pourtant. Mais c’était du temps de Geoffrey. Elle est tellement plus heureuse aujourd’hui.
Malgré tout, elle appréhende le moment où les travaux seront terminés. L’appartement est si petit, qu’est-ce qu’elle va faire de ses journées ? Alice se mord la lèvre. Après tout ce qu’il a fait pour elle, comment ose-t-elle se laisser aller à de telles pensées ? Certes, ce deux-pièces n’est pas bien grand, mais il est si bien situé. Le flair qu’il avait eu de garder le contact avec cette Émilie, une ancienne de sa promo, parce que s’il avait dû compter sur elle…
« Même pas foutue de gagner ta vie.
– Mais, c’est toi qui…
– Merde, Alice, je ne te demande pas grand-chose, un simple merci, mais non, c’est trop pour toi. Comme si, avec ce nouveau job, je n’avais pas une pression maximale sur les épaules. »
Alice sait qu’il a raison. Ce soir, pour la peine, elle lui concoctera son repas préféré. Quant à la suite, elle finira bien par trouver ses marques.

Les premiers jours, dans les rues, à Paris, elle gardait si obstinément les yeux baissés qu’il lui fallut près d’une semaine pour s’apercevoir qu’il y avait une église dans le renfoncement. Ce jour-là, le stress d’Alice était au maximum. Partout autour d’elle, les voitures klaxonnaient, les vélos fonçaient. Pourquoi ne pas y entrer quelques minutes pour souffler ?
À l’intérieur, l’épaisseur du silence l’avait aussitôt conquise. Alice s’était assise au dernier rang et, pendant un long moment, elle avait fermé les yeux. Ici, c’était comme de se retrouver à M. avec lui. Quand ils vivaient collés. En suspension presque. Hors d’atteinte du monde. Parfaitement reliés.
Le chant des anges, elle ne le connaît pas,
mais la splendeur du monde, elle la réclame.
Avant lui, sa vie était comme floue. Dans ses rêves, elle errait à travers d’interminables paysages de toundra où seuls de rares oiseaux captaient son regard. L’herbe, sous ses pieds, était d’un vert puissant. Tout le reste était gris. Il n’y avait pas d’humains, pas de villages. Juste elle et des oiseaux perdus comme elle.
Grâce à lui, elle avait su mettre fin à cette errance aveugle, mais après combien de mois de caresses et d’encerclement ?

Dans l’église, Alice se lève. Demain, elle reviendra. Il fait si bon, ici. Ce soir, pour autant, elle ne le lui dira pas. Ce sera son secret. Elle en rit tout à coup. Pas plus qu’elle, il ne croit en Dieu. Il ne comprendrait pas.
Elle longe les alcôves de plusieurs saints dont elle découvre les noms : saint Nicolas des Champs, sainte Geneviève, sainte Cécile, sainte Louise de Marillac, saint Vincent de Paul, saint Martin, puis, face au chœur, elle se retourne et découvre l’orgue. Elle regrette, tout à coup, de n’avoir pas appris à en jouer, s’imagine, là-haut, en train de faire exploser les notes. Cette chance qu’elle a de vivre une aussi belle histoire. Tout ne peut que bien se passer, comment a-t-elle pu en douter ? Bientôt, elle sera aussi heureuse qu’à M.
Elle pousse la lourde p
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"Au fil des mois, ses crises avaient diminué, il avait même repris du poids et arrêté l’alcool.Bien sûr, il y avait parfois encore des moments difficiles, particulièrement ces dernières semaines, à cause de l’arrivée de ce nouveau boss, mais, là encore, elle était parvenue à l’apaiser. Dans la casserole, le lait, soudain, déborde. D’un geste rapide, Alice éteint le feu. Avant, elle aimait la présence des gens, pourtant. Mais c’était du temps de Geoffrey. Elle est tellement plus heureuse aujourd’hui.
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« Puiser au fond d’elle cette douceur infinie qui lui a tant manqué et que, à travers ses cris, il lui réclame. » (p. 34)
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"Les justes, les saints sont là brèche par laquelle la force de l'Esprit restaure tout. Ils sont là vision claire par laquelle l'oeil voir, d'un côté, le travail de sape des ténèbres, mais de l'autre, celui, colossal, dela lumiere" p. 225.
P. 219:" Le pire ennemi de l'Amour, c'est l'Amour lui-même. Alice"
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Vidéo de Tiffany Tavernier
Rencontre avec Tiffany Tavernier à l'occasion de la parution de En vérité, Alice chez Sabine Wespieser éditeur.


Tiffany Tavernier est romancière et scénariste. Elle rejoint le catalogue de Sabine Wespieser éditeur en 2018 avec Roissy, portrait d'une «indécelable», L'Ami, paru en janvier2021, saisissant portrait d'un homme dont le voisin et unique ami se révèle être un tueur en série, a été finaliste des prix RTL-Lire, des Libraires et du Livre Inter.


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03/02/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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