L’apparence n’a aucune importance. Après des années, lorsque la trogne n’est plus qu’un bouquet de rides et que tu ressembles à une pomme reinette tombée de l’arbre, tu n’y penses même plus. Attention, fils, je n’ai pas dit trop moche ! Veille à ce qu’elle soit travailleuse, qu’elle ait des hanches larges pour te pondre de beaux fils, qu’elle sache coudre, te préparer la soupe, qu’elle réchauffe les draps avant que tu ne te couches, qu’elle soit disponible quand tu en ressens le besoin… L’amour, ce n’est pas plus compliqué. Mais reste toujours sur tes gardes, car une femme, si elle veut te faire tourner en bourrique, elle le fera que tu le veuilles ou non ! Quand tu t’y attendras le moins, qu’elle te semblera docile et soumise, elle te versera une goutte de poison dans la camomille !
Dans le monde de la goutte, il représentait l’image de la réussite, de celui qui défiait en permanence une administration déficiente qui ne s’attaquait qu’aux faibles. Il avait monté nombre d’habiles subterfuges : véhicules automobiles à double fond, sièges de carrioles truqués, camions-citernes à faux compartiments, mulets dressés, capables de se diriger sans meneur sur les sentes alpines… Il employait des passeurs aussi rusés que des fauvettes, des aigrefins sans foi, des niais endettés, et Émile Guigue était tombé dans le panneau. Les autorités désignaient ce secteur comme le triangle d’or de l’escroquerie, dont l’épicentre se trouvait à Saint-Cabraire. À présent qu’il pourrissait six pieds sous terre, la chance tournait dans le bon sens.
Le distingué fut honoré de poser son séant sur la prestigieuse chaise et de poursuivre les parties acharnées de contrée, de participer au jeu de boules à la provençale, de s’adonner des journées durant à l’oisiveté et la beuverie. N’était pas abruti qui le voulait ! Il fallait posséder une certaine dose d’ignorance, de désespoir et de dégoût de sa personne !
Ne recherche pas une jeunette au-dessus de ta condition ! À la sortie de la messe, tu trouveras chaussure à ton pied ! Les meilleures au bras de leur mère ! Du linge bien propret, des cheveux roulés en chignon, des bottines cirées, des robes plissées… Avec les communiantes, tu ne peux pas te tromper. Tu connais leurs parents. À Saint-Cabraire on est tous cousins. Tu n’auras aucune surprise ! On peut discuter tranquillement de la dot, éviter les menteries qui se glissent dans les paquetages. Tu la choisis, pas trop mignonne pour ne pas te la faire piquer
J’ignore ce qu’il va advenir de mon sort, mais je sais le poids de la misère des trimardeurs, de ceux qui tous les jours essaient de s’en sortir. Je connais la souffrance des petits, les abus et les injustices répétées de votre ministère. Je n’ai pas été à l’école républicaine mais j’ai le respect et l’honneur de mes semblables, même s’ils m’ont trahi !