Miracle
Je n’écris pas une histoire mais une langue, je n’écris pas une situation mais une forme, je n’écris pas des personnages mais des langages, je n’ai pas besoin de sentiments d’anecdotes d’amour, je veux des puissances, des mots ajustés, des possessions, des folies, des guérisons, je veux des volumes pas des décors, pas des déguisements, pas des costumes, je me fous de la narration, de la progression, je marche dans la boue, je tombe à genoux, je frappe au cœur, chaque mot est une découverte, une horreur, une solitude, deux mots sont un miracle, les recherches interrogent, soulèvent le sujet, l’écorchent, l’écriture est une anatomie, elle sort chaque organe, le pèse, soupèse, le dissèque, je passe des mois à remettre dans ce corps écartelé les organes étudiés, je referme, suture au fil de crin, au fil rouge, au fil noir la peau de mon support, ses poumons remplis d’eau et de pierres, tant qu’il ne respire pas je ne respire plus, nous supprimons l’air entre les mots, il n’y a rien de plaisant à me lire, rien de confortable, rien de réconfortant, la langue s’essuie au regard humide, luisante elle pénètre, s’insinue si bien aiguisée qu’elle scarifie, laisse trace, devient trace.
Le continent
Nous sommes
bientôt vous verrez
Nous avons traversé
plus de désert, plus de famines
plus de guerres, plus de dictatures
plus de violence, plus de mensonges
plus de promesses, plus de temps
Nous connaissons les âmes
les fous sont parmi nous
notre chair naît guerrière
Nous sommes
à quelques meurtres de vous.
À l’aveugle
J’ai cru que la montagne saignait, que les morts marchaient, que l’inconnu déferlait, que le bois saignait, que les hommes arrivaient, que la femme m’emportait, que le sol saignait, que les maisons se déplaçaient, que l’amour apparaissait, que les mots saignaient, que ma vie commençait, que les moutons chantaient. Au fond de moi luttent dieux et démons, à l’aveugle je vous guide, je me conduis.
Semblable
Habiter une maison semblable
devoir l’esprit semblable
jouer la vie semblable
et un jour d’infime désordre
achever en pleine tête
la famille d’à côté
Accompagnée par Nemo Vachez
Rencontre animée par Mélanie Leblanc
Qu'elle publie de la poésie, des romans ou des pamphlets, Perrine le Querrec écrit par chocs successifs, fait parler les silences, travaille l'espace de la page, entraînant ses lecteurs dans des univers d'une grande singularité.
Elle propose ce soir une lecture musicale portant sur des extraits de deux recueils publiés en ce début d'année. Dans Warglyphes, l'écrivaine tente de décoder le langage de la guerre. Elle analyse sa grammaire, scrute ses manifestations, inventorie ses formes, parcourt son atlas. Tout autre programme avec La fille du chien : « le chien pour guide, quitter la ville. Apprendre une vie lente, foisonnante. Chaque jour en inventer la langue. »
À lire –
Perrine le Querrec, Warglyphes, éditions Bruno Doucey, 2023 – La fille du chien, éditions Les lisières, 2023.
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