Une mise au pas… pensée, organisée, théorisée
Je commence par une hypothèse de l'autrice, « Mon hypothèse est que cette polémique est consécutive à la création des universités, et à l'accaparement des bienfaits qui en découlèrent (fonctions supérieures, richesse, pouvoir, prestige) par un seul des groupes qui auraient pu en bénéficier ». Une polémique, une querelle, un groupe dénommable « la clergie »…
L'apparition ou le développement de dogmes, de nouvelles « idéologies », d'écritures de la réalité, de régimes de vérité, a toujours quelque chose à voir avec, ce que nous nommons aujourd'hui, des rapports de pouvoir. Les spéculations ou les apostrophes sur les relations hommes/femmes ou ce que seraient les femmes en regard du savoir auto-institué des hommes a une longue histoire, qui ne débute pas avec la naissance du féminisme, qui lui-même n'apparaît pas au XIXème siècle.
Je n'ai pas de connaissances particulières sur ces moments et développements de « La querelle des femmes ». Je suis cependant sensible au fait qu'il ne faut pas effacer ces temps où des savants et des littérateurs construisaient et diffusaient l'idée de l'infériorité des femmes. Et si aujourd'hui les combats pour l'égalité sont loin d'être terminés, ce passé forme, à mes yeux, un des soubassements aux arguties anti-égalitaires.
« S'intéresser à la Querelle, au contraire, c'est comprendre comment cette culture s'est construite, qui l'a élaborée, consolidée, exportée, quels sont ses points d'ancrage et ses failles, qui l'a combattue et fait reculer, où nous en sommes de ce recul ».
En introduction,
Eliane Viennot aborde, entre autres, les polémiques « autour de la double question de l'égalité ou de l'inégalité des sexes, et de leur différence ou de leur similarité », les efforts de certains groupes pour empêcher les femmes d'accéder aux mêmes « positions » que les hommes, l'évitement à voir – y compris par des historiennes féministes – de cette histoire d'avant la révolution française, les productions et les contestations de « ce paysage disparu »…
Le livre est divisé en trois chapitre : Une historiographie significative ; Accords, désaccords, incertitudes. Les interprétations de la Querelle ; La question du pouvoir.
Sans entrer dans le détail des présentations, je souligne cependant les noms de Marguerite de Navarre,
Christine de Pizan, une liste impressionnante des propos misogynes tenus par des auteurs toujours aujourd'hui glorifiés, des thèmes analysés (le mariage et l'amour, l'éducation des filles, le commandement des peuples, le maniement des armes, les relations avec le ciel…). L'autrice détaille, entre autres, la chronologie de la querelle, les masques adoptés de l'égalitarisme, la littérature misogyne, les lieux toujours réfractaires à l'égalité à commencer par les Eglises (romaine, orthodoxe, évangélistes), le domaine de la langue, les questions de pouvoir, « Nous ne menaçons pas les hommes, mais leurs esprits ; pas leurs personnes, mais leurs plumes » (Mary Tattle-Well et Iona Hit-Hime-Home), l'étendue de la dispute, ses terrains de prédilection, la variété de ses protagonistes…
J'ai noté dès le début de cette note, l'hypothèse avancée par l'autrice. C'est bien la question du pouvoir des clercs qui est centrale, « Les clercs s'intéressaient à elles, ils voulaient avoir accès à leur corps » mais ils ne voulaient pas « d'égales ni à l'université, ni au bureau, ni dans leur lit ». L'autrice montre comment se construisit une certaine forme de solidarité masculine, s'éllaborèrent les pseudo-théorisations…
Elle discute de la situation d'aujourd'hui, les écarts entre les principes ou les textes d'avec les réalités, la centaine de féminicides chaque année et leurs classements en « fait divers »…
Eliane Viennot revient sur l'histoire longue du « droit de correction », du Code civil de 1804, du Code pénal de 1810, l'accord de genre, la négation de la domination, la focalisation sur l'incapacité des femmes, la dissimulation des coupables et des victimes, le faible enseignement de l'histoire des femmes, la mise au placard des autrices et la censure organisée, « Les laisser au placard, en revanche, c'est s'assurer que nul·le n'entendra leurs protestations face à la construction de ce monde sans femmes, ou plutôt de ce monde où les femmes n'interviennent que sporadiquement, à la marge, comme mères, épouses, maitresse, muses… tandis que les hommes s'occupent des choses sérieuses et importantes, la politique, la guerre, la littérature, la philosophie, l'art, la science… », les hommes et les femmes en colère, celleux qui marquèrent leur désaccord avec la mise sous tutelle des femmes…
Les hommes n'ont pas l'intention de renoncer à leur droit de dominer les femmes. Il importe toujours de mettre à jour « l'ampleur, l'origine, les architectes, les outils » de la domination, de faire ressortir « le matrimoine prouvant que l'histoire connue est un décor de théâtre », d'analyser « l'entreprise de domestication des femmes », d'exiger que cette histoire « soit enseignée, que cet héritage soit exhumé, nommé, partagé »…
Et comme l'indique l'autrice en conclusion : « Cela ne se fera pas sans heurts, et nous le sentons bien depuis que la contestation est repartie – depuis que nous avons appris à compter : les postes, les sous, les heures, les médailles, les mortes... »
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