Auteur prolifique s'il en est, le britannique
Adrian Tchaikovsky s'est déjà taillé une sacrée réputation dans le milieu de l'imaginaire.
Après
Dans la Toile du Temps chez Denoël Lunes d'Encre,
Sur la route d'Aldébaran chez le Bélial' ou encore
le Jour de l'Ascension dans l'univers de Warhammer 40.000, voici qu'il retourne dans la collection Une Heure Lumière pour une novella des plus excitantes :
le Dernier des Aînés.
Et si vous ne savez que choisir entre science-fiction et fantasy, pas de problème,
Adrian Tchaikovsky a tout prévu !
Il était une fois…
Tout commence par la fin d'un périple, celui d'une princesse, Lynesse Quatrième Fille. Bien décidée à aider les peuples voisins à son Royaume, Lynesse, qui connaît par coeur les histoires et légendes de jadis, sait qu'il reste encore une personne qui peut contrecarrer la nouvelle et sinistre puissance qui s'étend dans l'Ordibois.
Cette personne, c'est Nyrgoth l'Aîné, dernier des sorciers.
En compagnie d'Esha Libre Marque, elle tente l'ascension de la montagne jusqu'à la tour mystérieuse de l'ancêtre.
Mais…
Hum.
Un sorcier, vous dites ?
Dès le deuxième chapitre, tout change.
Ce qui semblait être une énième histoire fantasy d'une jeune fille courageuse qui veut prouver sa valeur à sa famille et sauver son peuple, se transforme complètement.
Car Nyrgoth se réveille et il n'a rien d'un sorcier.
Nyr Illim Tevitch est anthropologue de deuxième classe du Service d'Exploration Terrien. Il a plusieurs siècles, des cornes augmentiques et un Système de Dissonance Cognitive (SDC) pour l'aider à prendre les meilleures décisions en toutes circonstances. du moins, sur le papier.
Ce qui renvoie inévitablement à la troisième loi de Clarke :
« Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. »
Pour Lynesse et son peuple, Nyr est un sorcier, un magicien, capable d'accomplir des choses extraordinaires comme dompter des bêtes métalliques qui rôdent encore dans la forêt.
La vérité, c'est que Nyr dispose d'une technologie extrêmement avancée et qu'il fait partie de ceux qui ont « ensemencé » Sophos 4, cette lointaine planète, pour la rendre habitable. Nous sommes dans le même univers que
Dans la Toile du Temps mais ici, point d'araignées intelligentes.
Ce qui intéresse l'auteur reste pourtant exactement la même chose au fond mais par une approche différente et rudement maligne.
Des hommes et des mythes
Le Dernier des Aînés se propose de nous raconter l'histoire d'une jeune femme consciente du passé de son peuple mais aussi de la souffrance de ses voisins. C'est une histoire de courage et d'héroïsme, une histoire qui pourrait être tout à fait fantasy s'il n'y avait ce second point de vue, complètement science-fictif cette fois, où Nyr nous donne une perception radicalement différente de la situation.
Celle d'un peuple qui ne comprend pas ce qu'il se passe, qui ne sait plus d'où il vient et qui a évolué de façon franchement fascinante.
Délicieux dans sa double-vision des évènements, le récit se concentre en réalité sur le thème favori d'
Adrian Tchaikovsky : la communication.
Et pour être plus précis, l'incommunicabilité.
Celle-ci n'est plus ici entre des races différentes mais entre des peuples/paradigmes différents. C'est le décalage technologique qui crée ici l'incommunicabilité entre Nyr et Lynesse.
Et pourtant.
Pourtant tout est affaire de traduction entre ces deux représentants de deux civilisations aux attentes différentes. Lors d'un excellent chapitre, vous aurez droit à la traduction directe entre ce qu'explique Nyr et ce que comprend Lynesse. le résultat est à la fois drôle et édifiant tant le fossé entre les deux montre à quel point le temps a fait son effet.
Au centre de tout ça se trouve aussi une plongée dans le rôle du conte et du mythe, dans ce que sa transmission a d'important historiquement et dans sa manière de consacrer l'adage que tout mythe contient une part de vérité.
S'il l'on peut tout à fait lire
le Dernier des Aînés comme une aventure sur une lointaine planète pour sauver des innocents des griffes d'une étrange créature (d'ailleurs elle aussi difficilement compréhensible, même pour Nyr), il faut admettre que ce qui fait tout l'intérêt de cette histoire, c'est de faire entrer en collision directe deux genres que tout sépare : la fantasy (et sa magie) d'un côté et la science-fiction (et sa rigueur) de l'autre.
Cette différence se ressent jusque dans la personnalité des deux personnages principaux, que ce soit Lynesse et son courage à toute épreuve ou Nyr et sa solitude glacée d'où suinte une tristesse matinée de rationalisme. En faisant se rejoindre ces deux êtres, Tchaikovsky ne fait pas qu'établir un pont entre les genres, il opère aussi une jonction entre deux humanités différentes qui en ressortent plus forte et plus durable.
Finissons sur une réflexion intéressante sur l'interventionnisme et sur ce que peut (doit) faire un observateur technologiquement plus avancée face à une civilisation pas forcément prête pour accueillir son savoir et ses conseils, et vous comprendrez définitivement que cette novella déborde de thématiques fascinantes et modernes.
Novella intelligente et passionnante,
le Dernier des Aînés compte assurément comme l'un des meilleurs textes de la collection Une Heure Lumière et comme l'un des meilleurs écrits d'
Adrian Tchaikovsky autour du thème de la communication entre les espèces, les peuples et… les genres littéraires !
Indispensable et réjouissant.
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