Maman s'en fout, ses yeux brûlent la nuit, la nuit brûle ses yeux. Elle tourne, sourire aux lèvres, me voyant à peine, ouverte à n'importe quel quidam pourvu que ce ne soit pas moi. Encore une fois, elle rentrera saoule de musique et d'alcool, à condition de pouvoir donner son adresse à un chauffeur de taxi. La vie est une équation trop dure. Impuissant, je la vois affreusement gaie, mascotte pochetronnée au fond des rades.
La rumeur enfle et me brûle jusqu'en province, je n'ai pas encore trouvé l'arme qui fera ravaler leurs quolibets aux bouches méchantes. Je n'ai plus de passé. J'aime les heures chaudes, les nuits syncopées, la boule au plafond et la vibration du sang dans mes veines.
Tourner, c'est chanter, se changer, et tuer le temps. Faire la foire. Un musicien a besoin de joie plus que n'importe qui, impossible de l'arrêter s'il fait la fête.
Il faut que j'apprenne à recevoir cette douceur, à ne pas la laisser suspendue
devant moi, prête à se fracasser sur le sol comme du cristal. Mais si les rêves se réalisent, le pire peut bien se produire aussi.
C'est parti, on s'aime, on roucoule, de face, de profil, en vitesse, le regard lointain, près de la cheminée, on s'aime, main dans la main, sur le canapé à fleurs, parfois d'un geste suggestif, je voudrais provoquer un trouble, rendre vrai, j'arrive à tisser quelques liens.
Champs Elysées, émission du 14 mai 1983