« Rome : Si je le revois, je le tue ». Ainsi s'ouvre la première page de cette biographie qui est à la fois, une leçon de vie et un hommage au courage d'un grand nageur qui repose en paix dans le cimetière de Sète !
Comment ne pas être fasciné par le destin de ce nageur exceptionnel, Alfred Nakache.
Né dans une famille juive de Constantine en Algérie, en 1915, cet adolescent, contrairement à tous ses camarades, a une peur bleue de l'eau. Il guérit de cette phobie a treize ans, chez les scouts, lorsqu'après une partie de foot, ses camarades jettent sa paire de chaussures au fond de la piscine. Motivé par la peur d'une correction s'il rentre en chaussettes, il va plonger à plusieurs reprises, prenant ainsi conscience qu'il peut immerger sa tête hors de l'eau sans risque de se noyer.
Avec l'un de ses camarades, il assiste à un championnat de natation à Constantine où deux militaires y font l'admiration pour leurs performances. Enthousiasmé par l'ambiance qui règne autour de ces deux nageurs, Alfred Nakache plonge dans « le grand bain » du sport et choisit la natation. « Artem » est né. Il nage comme un sac mais son entraîneur à la Jeunesse nautique constantinoise remarque chez ce nageur foutraque « « un je ne sais quoi » de subtil, d'invincible. La légende est en marche !
Avec la rigueur d'un biographe, la curiosité du journaliste, la créativité, le style d'un écrivain accompli, des mots justes,
Pierre Assouline rend un vibrant hommage à ce sportif de haut niveau, Alfred Nakache. Il s'intéresse à la destinée hors du commun de ce nageur plusieurs fois champion de natation dans les années de l'entre deux guerres. Ce récit passionnant met à la fois en exergue le talent d'Artem, son tempérament méditerranéen, sa jovialité, mais aussi cette période de l'entre deux guerres tant en Algérie qu'en France. Très tôt, devenu champion de France et d'Europe, recordman du monde du 200 mètres nage libre, il va participer aux Jeux Olympiques de 1936 à Berlin, dans un climat d'antisémitisme, pour terminer sa carrière à Londres en 1948.
A Berlin, avec l'équipe de France, il termine quatrième du relais 4 x 100 m nage libre, devant l'équipe allemande. Pour signifier son opposition à Hitler, sur le podium, il baisse la tête pendant que les autres font le salut nazi. Fidèle à ses principes, en 1942, il refusera de porter l'étoile jaune.
Devant ses performances et l'admiration qu'il suscite, Artem ne sent pas le danger arriver. Professeur d'éducation physique, c'est en zone libre qu'il prend ses quartiers avec sa femme et sa fille, à Toulouse où il s'entraîne avec les Dauphins du TOEC. Son entraîneur, Alban Minville, devant sa puissance musculaire, le persuade de pratiquer la brasse papillon.
« Tu resteras une savate en nage libre avec ton battement de pieds toujours défectueux ! Par contre en papillon, tu seras recordman du monde ».
Jacques Cartonnet qui pratique la brasse papillon, prend ombrage des performances d'Artem. La rivalité s'installe entre les deux nageurs. Cartonnet, collaborateur en herbe, dénonce Alfred en tant que Juif et résistant. Arrêté par la Gestapo, il est déporté avec son épouse Paule et sa petite fille Annie dans le camp d'Auschwitz. La notoriété d'Artem dépasse les frontières. Reconnu par ses tortionnaires, il va subir leur sadisme tout au long de sa captivité. Doté d'un instinct de survie, forgé dans le métal du dépassement de soi, auquel vient s'ajouter l'espoir de retrouver celles dont il n'a plus aucune nouvelle, son matricule gravé sur son avant bras « 172763 », il n'aura de cesse de lutter contre sa mort. Transféré à Buchenwald, il sera libéré par les américains. Terriblement diminué, il ne pèsera plus que 40 kg.
Seul un entraîneur tel qu'Alban Minville peut l'aider à se reconstruire. Pour un nageur, la sensation de l'eau peut l'amener à ressentir de nouveau son corps, ses cinq sens vont petit à petit renaître à la vie et c'est cette endurance, cette volonté, ce combat prodigieux qui suscite l'admiration. La nage va lui permettre de se reconnecter à son propre moi intime, loin du bruit, de l'agitation du monde. Evidemment, ses
fantômes vont l'accompagner, se cristalliser au fond de lui, il réapprend à vivre, il résiste à la mort, domine ses pulsions, le récit est intense sous la plume de
Pierre Assouline.
J'ai beaucoup aimé ce livre qui permet, à la fois de découvrir cet homme exceptionnel de courage mais aussi d'en apprendre encore un peu plus sur cette période. J'y ai découvert Constantine et les manipulations politiques, pénétré les coulisses de l'assemblée Nationale avec les débats où seule la voix de Pierre Mendes France s'opposera à la participation de la France au Jeux Olympiques de Berlin, observé l'attitude des sportifs devant la montée du nazisme, assisté aux discriminations dans les clubs sportifs, les rivalités mais aussi la solidarité.
Je pratique la natation depuis toujours même si aujourd'hui, je suis beaucoup moins assidue,
Pierre Assouline m'a parlé. En suscitant ma sensibilité, il a provoqué un lien à travers son oeuvre par sa manière de décrire parfaitement la volonté et la force du travail qu'il faut pour parvenir à un objectif. J'y ai retrouvé les sensations de la natation et de l'entrainement. Ses profondes connaissances de l'histoire de l'
occupation et du sport ont abouti à un récit passionnant de bout en bout. de nombreuses piscines portent aujourd'hui le nom d'Alfred Nakache et d'Alban Minville, nous leur devons bien cet hommage.
Pierre Assouline est un auteur que j'apprécie tout particulièrement. En séance de dédicace dans la librairie de mon quartier, je me suis offert ce livre sans hésitation et sans connaître le sujet de ce livre. Ce fut une très belle surprise !
Une autre surprise m'attendait. Un hommage à Léon Lehrer qui a été le compagnon d'infortune d'Alfred Nakache à Auschwitz mais qui est aussi le papa d'un ami très proche et dont j'ai le livre dans ma bibliothèque « Un poulbot à Pitchipoï ». Beaucoup d'émotions dans ce livre.
«
le nageur est capable d'avancer dans la direction de son choix, si nécessaire à contre courant. Un nageur est maître de son destin ».