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EAN : 9782021430806
256 pages
Seuil (14/08/2019)
3.74/5   268 notes
Résumé :
C'est un terrain vague, au milieu d'un lotissement de maisons pour l'essentiel réservées à des militaires. Au fil des ans, les enfants du quartier en ont fait leur fief. Ils y jouent au football, la tête pleine de leurs rêves de gloire.
Nous sommes en 2016, à Dely Brahim, une petite commune de l'ouest d'Alger, dans la cité dite du 11-Décembre. La vie est harmonieuse, malgré les jours de pluie qui transforment le terrain en surface boueuse, à peine praticable... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (92) Voir plus Ajouter une critique
3,74

sur 268 notes
Le roman débute en février 2016 à Alger où de fortes pluies sévissent, et nous amène à Dely Brahim, commune de la banlieue Ouest d'Alger où l'auteure nous présente la cité du 11 décembre 1960 qui existe depuis 1987 et dont les lots ont été vendus à des militaires. Un plan de cette Cité est présenté au début de l'ouvrage. Au milieu du lotissement, un terrain d'un hectare et demi est resté inoccupé. Il y a un peu moins de vingt ans, "un groupe d'enfants entreprit de le nettoyer, de bricoler des buts de fortune, de délimiter des zones et créer ainsi un terrain de football."
Depuis, sur ce terrain, resté terrain vague, des milliers de parties de foot ont été disputées par les enfants, les jeunes de la Cité et des environs. En ce 2 février 2016, comme souvent, trois enfants, une fille Inès et deux garçons Jamyl et Mahdi bravent la pluie et font une partie dans la boue.
Voilà que le lendemain, à 10 h, se présentent sur le terrain, escortés par leur chauffeur descendu précipitamment de la voiture avec deux parapluies, les généraux Saïd et Athmane, tous deux dans les soixante-dix ans, des plans à la main. L'ancienne moudjahida Adila qui a combattu les Français, les armes à la main et a continué à militer pendant les années de terrorisme s'approche d'eux. Ils lui déclarent qu'ils viennent voir "leur terrain" sur lequel ils vont construire leur villa et que les travaux débuteront dans quelques mois, la parcelle leur appartenant.
C'est sans compter sur l'innocence, la détermination, la conviction et la certitude qu'ont les enfants de leur bon droit. Nos trois jeunes amis footballeurs dont le domaine va être confisqué vont s'organiser et se mettre à récupérer et à stocker de la nourriture et à en parler aux autres enfants. En cachette et à l'insu des adultes, ils vont organiser la résistance. Et le vendredi 25 mars 2016, commencera alors la révolte des petits de décembre.
Ce que leurs parents, trop timorés et résignés, n'ont pas eu le courage de faire, les jeunes, eux, vont oser ; ils vont se révolter, s'insurger et refuser d'obéir. Ils veulent faire renoncer les généraux, pour qu'ils abandonnent leur projet immobilier.
Cette rébellion, Kaouther Adimi nous la fait vivre comme un conte dans lequel les généraux se ridiculisent, les militaires sont des lâches et les enfants des héros et où les femmes et les filles sont bien mises en avant. Mais, en fait, elle nous fait vivre et comprendre la violence du régime algérien, sa corruption, ses dysfonctionnements, les difficultés du système à se réformer après cette décennie noire et le combat contre les islamistes. L'auteure nous fait revivre de façon originale et fort instructive tout un pan de l'histoire algérienne depuis l'Indépendance, dans le carnet intime d'Adila.
Les petits de décembre est un roman qui sous une forme de légèreté dans l'écriture raconte la société algérienne des années 80 à nos jours, et se révèle d'une immense force. Il nous plonge dans une Algérie toujours corrompue où les abus de pouvoir et les brimades sont toujours de mise. Il nous permet de comprendre les enjeux politiques des révoltes actuelles. Et, avec cette révolte des enfants contre l'injustice, inspirée de faits réels, naît l'espoir d'une génération qui saurait réussir à s'affranchir de la peur et construire un avenir meilleur.
J'avais beaucoup apprécié Nos richesses (Renaudot des lycéens 2017) et j'ai été conquise par Les petits de décembre que je recommande chaleureusement.

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Voici un petit livre ( 200 pages) qui ne manque ni de gravité ni d'originalité. Nous sommes à Alger , en 2016 , Cité du 11 Décembre, dans un lotissement dont la plupart des maisons sont occupées par des familles de militaires.
Au milieu du lotissement se trouve un terrain vague où les enfants disputent d'interminables parties de foot sous les regards amusés de leurs familles. Parmi eux , deux garçons et une fille, Ines, Jamyl et Mahdi rêvent de gloire, au nom de la patrie, de l'amour du maillot.....Des enfants comme tous les enfants du monde .
Un jour , deux généraux , plans en mains , arpentent le terrain où, disent - ils , seront édifiées leurs maisons. L'incident éclate. Mais si les enfants se révoltent contre ce qu'ils considèrent comme une injustice , comment pourront-ils résister à ce pouvoir militaire implacable qui maintient le pays sous sa botte , qui a tous les droits ?...Et quelle sera la réaction de leurs parents , peu enclins à se lancer dans un combat incertain et bien décidés à faire " rentrer leur progéniture au bercail " ?
C'est , à travers ce récit, le cheminement cahotique de l'Algérie de l'indépendance à nos jours .C'est une belle lecture épurée , un joli conte qui montre que la machine est sur les rails et se lance à petits pas , lentement mais sûrement , vers une liberté toujours espérée mais bien incertaine .
Kaouther Adimi écrit bien, très bien et la " douceur "des mots lui permet de délivrer son message avec poésie et efficacité.
Les personnages , notamment ceux des enfants , nous ramènent à notre propre tendre jeunesse où , dans un contexte certes bien différent, " le monde " nous appartenait et rien n'était impossible. Qui d'entre nous n'avait pas, dans son village ou son quartier, un petit terrain vague, un théâtre d'aventures interdites aux "grands , parents , ou, plus généralement , adultes ", un territoire qui voyait se succéder des générations de gamins , jusqu'au jour où ....l'urbanisation ...
C'est un très beau livre , fin , intelligent , subtil , qui montre que le monde change et va changer sous la détermination d'une jeunesse bien décidée à vivre une vie libre , une vie différente , une vie de bonheur et non plus de soumission.....
Les dernières pages sont d'une grande beauté . L'Espoir est là, à portée de main .
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Les petits de Décembre est une histoire émouvante, impressionnante, éloquente qui apprend beaucoup de choses sur la société algérienne.
Kaouther Adimi plonge son lecteur dans le quotidien de la cité du 11 Décembre 1960, à Dely Brahim, commune faisant partie de la wilaya d'Alger. le nom de ce quartier rappelle la date du début des manifestations, d'une révolte contre le colonialisme français, pour l'indépendance. Cela dura plus d'une semaine et fut, hélas durement réprimé.
Elle n'oublie pas, au passage, de nous expliquer pourquoi cette cité a été destinée à loger les familles des militaires retraités ou actifs. Elle précise aussi régulièrement les étapes souvent très douloureuses vécues par ce pays qui a conquis son indépendance au prix d'une guerre qui a laissé beaucoup de traces en France, comme là-bas.
Le 2 février 2016, tout part de la volonté de deux généraux, Athman et Saïd, de se faire construire chacun une belle villa au milieu du quartier, sur un terrain d'un hectare et demi où les enfants jouent au foot.
Inès, Jamyl et Mahdi sont les trois héros qui vont mener la révolte, mobiliser des centaines d'enfants avec l'aide d'Adila, une moudjahida qui a combattu les Français pour obtenir l'indépendance de son pays. Elle est la seule adulte suffisamment courageuse, les autres se défilant ou restant neutres…
Au travers de ce roman écrit sans concession, avec une lucidité impressionnante, j'ai beaucoup aimé tous les moments intimes de vie familiale chez les trois héros, même lorsque l'auteure nous emmène chez les généraux lorsqu'ils reçoivent Mohamed et Chérif, deux colonels à la retraite soupçonnés de soutenir les enfants.
Courageusement, Kaouther Adimi qui vit en France mais dont la famille réside en Algérie, n'hésite pas à souligner incohérences, compromissions, menaces, corruption, chantage, tous les maux qui gangrènent ce pays. Fille de militaire, elle connaît bien le milieu dont elle parle et ses privilèges.
Avec Les petits de décembre, l'auteure publie son quatrième roman, réussissant à apporter un éclairage à la fois intimiste et politique sur l'Algérie. Elle s'est appuyée sur un fait réel, ses frères ayant joué sur ce fameux terrain, comme elle nous l'a confié à Manosque, lors des Correspondances. Cela m'a beaucoup intéressé, intrigué, ému et j'ai aimé découvrir une autre facette d'un pays qui voit sa jeunesse lutter actuellement pour renverser l'ordre établi.
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"Les petits de décembre" aurait pu s'appeler les grands petits de décembre.
Comme nous les aimons ces 3 enfants Inés, Jamyl et Mahdi. Nous les aimons car ils sont purs, ils croient en leurs idéaux ils défendent leurs convictions avec force, naïveté et une grande solidarité. Quel contraste avec la lâcheté des adultes, leur fourberie. L'auteur kaouther Adimi décrit avec humour la couardise des généraux qui est renforcée par la mise en parallèle des enfants qui eux, font preuve de ténacité et d'héroïsme. On sent à travers ce roman l'espoir que cette jeune écrivain met dans cette jeunesse à lutter contre les injustices et pour une plus grande liberté. A travers Adila, la grand mère d'Inès, célèbre moudjahida, l'auteur rend hommage à toutes ces femmes qui se battent pour une plus grande indépendance. C'est un beau livre qui m'a fait rencontrer de beaux personnages.
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Après le succès de son dernier et épatant roman Nos Richesses, paru chez Seuil en 2017, récompensé par le Prix Renaudot des lycées,. Kaouther Adimi nous livre à nouveau un récit poignant qui s'est fait remarquer sur la liste des prix Littéraires ( il fait partie des 15 finalistes du Renaudot) .

Cette jeune romancière de 33 ans est vraiment très talentueuse, et n'en finit plus d'approfondir son univers tour à tour sensible et érudit entre la France et les pays du Maghreb.

Son nouveau roman se déroule en février 2016, dans une cité proche de la banlieue d'Alger, appelée "la cité du 11 décembre."

Là bas, un terrain vague utilisé par les gosses des environs pour jouer au foot est annexé par des généraux qui veulent en faire un lotissement avec des superbes villas et déclarent papier officiels à l'appui que ce terrain est à eux!

Une révolte va alors survenir, mené d'abord ( timidement) menée par les anciens, notamment une ancienne moudjahid et figure du quartier, puis par trois gamins de onze ans, Mahdi, Jamyl et Inès qui vont lancer une mutinerie aussi incroyable que étonnante qui va provoquer un dérèglement d'un système corrompu qui ne demandait qu'un petit grain de sable pour faire craquer l'édifice.

"Si un seul adulte dans ce pays imaginait trois secondes qu'un petit pouvait échafauder des plans, se battre contre un ordre établi ou quoi que ce soit dans le genre sans être manipulé ou poussé par un grand, voire un gouvernement étranger, les enfants seraient sur écoute, ils seraient suivis, ils seraient arrêtés."

Ce qui est épatant dans le roman de Kaouther Adimi c'est ce qu'il dit, sous la forme d'un conte mi tendre mi tragique, sur cette Algérie que l'auteur connait si bien.

On peut ainsi voir à quel point ces gamins irréductibles, habités de leurs espoirs et de leurs rêves, peuvent faire face aux abus de pouvoir du régime militaire.

Ce combat de David contre Goliath, matinée d'une petite pincée de guerre des boutons est d'autant plus intéressant qu'il nous livre un aperçu de la nouvelle génération algérienne , celle qui a su s'opposer au cinquième mandat de Boutelfikha.

Une très jolie peinture d'une résistance salvatrice et inattendue
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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critiques presse (2)
Actualitte
04 décembre 2019
Même si l'on aurait aimé que Kaouther Adimi aille plus loin dans son propos, qu'elle fouille plus, Les petits de Décembre mérite respect et intérêt pour une chose essentielle : son courage. Les petits de Décembre c'est la petite étincelle qui annonce le feu du changement, une génération que tout oppose à celle des pères.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Culturebox
20 août 2019
Kaouther Adimi nous raconte cette histoire comme un conte, dessinant ses personnages comme dans une farce, des généraux et leurs femmes se ridiculisant, des militaires lâches et des enfants héroïques. Mais derrière l'apparente légèreté du récit, c'est la violence du régime algérien [...] que décrit la romancière.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (89) Voir plus Ajouter une citation
Comment ça s’est passé? demanderont les jeunes du quartier qui n’étaient pas présents au moment des faits. Youcef, âgé d’une vingtaine d’années, racontera alors dans les moindres détails la matinée du mercredi 3 février 2016.
C’était à nouveau un jour pluvieux, il était environ 10 heures du matin. Une grande voiture noire aux vitres teintées s’est arrêtée devant le terrain vague de la cité du 11-Décembre à Dely Brahim. La pluie tombait depuis l’aube et formait comme un grillage. Le chauffeur descendit rapidement, deux parapluies ouverts à la main, et les tendit aux occupants qui sortirent du véhicule.
Le premier, le général Saïd, était un homme de petite taille, avec une moustache bien taillée, il portait des lunettes à monture carrée et aux verres fumés. Il avait des cheveux raides, noirs, quoique déjà grisonnants par endroits, coiffés en arrière avec une raie sur le côté. Youcef ajoutera qu’il dégageait quelque chose de froid, de difficile à décrire. Il bredouillera :
– Vous savez, comme quand on voit un serpent, pas un gros, pas un boa ou un truc comme ça, mais un tout petit qui vous fixe d’une telle manière que vous êtes paralysé de peur et que vous avez la chair de poule.
Les autres jeunes présents ce matin-là approuvent vivement de la tête.
– Un homme effrayant, ajoutera un jeune.
Le deuxième, le général Athmane, était immense, avec un crâne dégarni et des sourcils broussailleux. Il était rasé de très près.
C’était le premier militaire sans moustache que Youcef voyait. Il affichait un petit sourire narquois et même au milieu de la bagarre, il continuait de sourire. Youcef terminera sa description en ajoutant que les généraux devaient avoir presque soixante-dix ans, qu’ils étaient dans une sacrée forme malgré leur âge et qu’ils portaient tous les deux un costume sombre et un pardessus en laine noire.
Après leur avoir tendu les parapluies, le chauffeur se remit derrière son volant sans plus bouger. Les deux hommes allèrent sur le terrain. Ils marchèrent dessus, sans se presser, comme s’ils faisaient une balade. Au bout de quelques pas, ils s’arrêtèrent et sortirent des plans de leurs poches. p. 29-30
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Foule de blouses bleues, roses, blanches, jaunes, à carreaux, à rayures, de couleur unie avec un petit détail, courtes, longues. les écoliers rejoignent leur maison, sautent à pieds joints dans les flaques, éclatent de rire, se poursuivent. Ils font comme tous les enfants du monde : profiter du plaisir d'être libérés de l'école le temps de la pause-déjeuner, courir derrière les chiens errants, se poursuivre, le cartable sur le dos.
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Sa mère était capable de sentir un mauvais coup à des kilomètres à la ronde. Il se demandait parfois si elle ne lui avait pas mis une puce dans le corps, capable de le géolocaliser, d'analyser la moindre de ses émotions et de lire dans ses pensées. Cette manière qu'elle avait de toujours tout savoir et de connaître chaque détail de sa vie était insupportable.
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Si un seul adulte dans ce pays imaginait trois secondes qu'un petit pouvait échafauder des plans, se battre contre un ordre établi ou quoi que ce soit dans le genre sans être manipulé ou poussé par un grand, voire un gouvernement étranger, les enfants seraient sur écoute, ils seraient suivis, ils seraient arrêtés. On créerait des camps spécialement pour eux.
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INCIPIT
Alger en février. Ses bourrasques de vent, sa pluie fine, ses températures qui chutent. La ville se noie et noie avec elle ses habitants. On peine à marcher à cause de la boue. On hésite avant de sortir, on n’est jamais assez couvert. Les bus sont gelés, les portes des salles de classe claquent à cause des fenêtres brisées, les draps étendus sur les terrasses sont imbibés l’eau.
Le ciel aux nuages gris et lourds, gorgés de pluie qui bientôt inondera certaines villes du pays. Les arbres aux branches qui craquent, tant et tant qu’ils effraient les passants. Les oiseaux qu’on n’entend plus. Les enfants rentrent trempés de l’école, leurs petites chaussures maculées de boue.
Dans le centre-ville, les voitures circulent difficilement. Des policiers habillés de bleu ont revêtu des cirés transparents. Ils tentent de mettre un peu d’ordre dans la circulation. Servent-ils réellement à quelque chose? Sont-ils plus utiles qu’un vulgaire feu tricolore? La réponse est sans appel et cent pour cent des Algériens considèrent qu’ils sont bien plus souvent à l’origine de l’atroce circulation qui règne dans la ville blanche que de sa régulation. Les policiers eux-mêmes le savent, ce qui les rend facilement agressifs. Être muté à la circulation est perçu comme une punition, voire une humiliation. Tout petit chef à la moindre contrariété peut imposer à son subalterne d’aller passer plusieurs semaines posté à un rond-point en plein hiver ou sous un soleil de plomb au cœur de l’été.
Un immense bouchon s’est formé à côté du ravin de la femme sauvage. Les automobilistes enragent. Des insultes fusent. On avance millimètre par millimètre. Sur les sièges arrière, les enfants tentent d’apercevoir à travers les vitres embuées cette fameuse femme sauvage qui les fascine. Il paraît qu’au XIXe siècle, elle vivait dans le coin, avec ses deux enfants qu’elle élevait seule depuis le décès de son mari. Un jour où il faisait particulièrement beau, la petite famille alla pique-niquer dans les bois jouxtant Oued Kniss. Les enfants adoraient s’y balader. Ils savaient qu’ils n’avaient pas le droit de s’approcher du ravin très dangereux mais c’étaient des enfants peu obéissants qui aimaient courir et se chamailler. La mère, épuisée, fit une petite sieste sous un arbre. À son réveil, plus d’enfants!
Les voisins, les amis, les gendarmes fouillèrent les environs. À la nuit tombée, on suspendit les recherches. La mère refusa de rentrer chez elle, continua de hurler les prénoms de ses chers petits. Elle devint folle. On ne put jamais la convaincre de quitter la forêt.
On raconte que certains soirs, on peut encore l’apercevoir, aux abords du ravin. Ceux qui l’ont déjà vue jurent qu’elle erre vêtue de haillons dans le quartier du Ruisseau. Il faut bien regarder et ne s’approcher qu’à pas furtifs, car si elle vous aperçoit, ou si elle entend le moindre bruit, elle court se réfugier derrière de touffus buissons.
Les gouttes de pluie qui font la course sur les vitres des voitures brouillent la vue et même en écarquillant les yeux, les enfants n’arrivent pas à distinguer la silhouette de la femme sauvage. Les routes sont un cauchemar. Les klaxons résonnent dans l’indifférence générale. Les voitures circulent difficilement, et les conducteurs, agacés, tendus, fatigués, finissent par rouler sur les trottoirs ou par emprunter les voies de secours.
De temps en temps, un policier utilise son sifflet en faisant de grands gestes avec ses bras, «passez! passez! allez!», ou s’il est mal luné, si la tête du conducteur ou de son passager ne lui revient pas, il fait un seul et bref signe du bras, invitant le malheureux à se garer sur le bas-côté, ce qui crée encore plus d’embouteillages. Débute alors un long marchandage entre le conducteur et le policier qui bien souvent se termine par le retrait du permis de conduire. Si le pauvre diable a un membre de sa famille dans la police, la gendarmerie, l’armée ou qui simplement travaille à la mairie, il peut espérer le récupérer rapidement. Dans le cas contraire, sa vie devient un enfer car il est difficile de se déplacer dans Alger sans voiture.
En ce mois de février 2016, dans tout le pays, on espère qu’il n’y aura pas d’inondations dévastatrices, pas de morts. Que les récoltes ne vont pas finir noyées. La pluie est une bénédiction de Dieu, nul ne l’ignore et tout le monde est d’accord avec cela mais au fil des jours, cette bénédiction se fait de plus en plus longue, lourde et gênante.
Dans certaines régions, la pluie a inondé des villages entiers. Les rues sont jonchées de branches, ferrailles, tôles, déchets. Les bus qui relient habituellement les hameaux isolés aux villes les plus proches sont forcés de stopper leur liaison pour un temps indéterminé, privant les adultes de leur travail et les enfants de leur école. Dans le centre du pays, la télévision a filmé et retransmis des images de voitures emportées par des torrents d’eau et de boue. Les gens se plaignent que l’État n’envoie pas de secours et que si peu de pluie puisse paralyser l’ensemble d’un pays, mais personne n’ose critiquer trop vivement la pluie. Elle est l’œuvre de Dieu.
On a quand même un peu peur. On n’oublie pas qu’en 2001, des inondations ont détruit le quartier de Bab el-Oued, causé près de mille morts et coûté des millions de dinars. Certains corps n’ont jamais été retrouvés et des enfants devenus de jeunes adultes continuent d’espérer que leur mère ou leur père finira par rentrer, même, après autant d’années.
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Vidéo de Kaouther Adimi
Le cinquième roman de Kaouther Adimi, « Au vent mauvais », publié aux Éditions du Seuil, nous raconte l'histoire de Tarek, Saïd et Leïla, 3 algériens qui grandissent dans le même village, le hameau d'El Zahara, jusqu'au jour où la guerre, la Deuxième Guerre mondiale, les sépare brutalement. Tarek servira sa patrie du mieux qu'il peut, en faisant face aux injustices en Allemagne, en France, à l'incompréhension, et trouvant miraculeusement refuge dans une villa hors du temps à Rome, avant de rejoindre Leïla son amour de jeunesse, en Algérie. Saïd choisira l'écriture, il deviendra écrivain et se servira de son passé, de ses amis, pour conter une autre forme de réalité, quitte à trahir, blessé dans son amour-propre dans ce triangle amoureux, un prétexte en somme pour asseoir son art.
Kaouther Adimi a reçu le Prix du roman des étudiants France Culture – Telerama, en partenariat avec le CNL.
#SonLivre : un podcast réalisé par Pauline Carayon du CNL et Romuald Boivin. Illustrations par l'artiste plasticienne Fanny Michaëlis.
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