L'existence précaire des héros de papier

Et si Dieu était romancier? En tous cas, le romancier peut facilement se prendre pour Dieu. Tout lui est permis. La preuve en est faite dans ce petit opuscule, où se multiplient les assassinats, pour des raisons qui ne nous seront pas dévoilées. Les voies de Dieu sont impénétrables...

Comme dans le jeu "cadavres exquis", Jean-Pierre Enard nous balade au fil d'un feuilleton qui tourne au jeu de massacre. le plaisir de la lecture vient du contraste entre l'invraisemblance de l'histoire, et le réalisme quasi photographique des descriptions.

Les personnages font dans le dérisoire pathétique, mais attachant. François Pommier surveille les caméras d'un grand magasin pour détecter les vols à la tire. La petite Jeanne essaie de deviner ce qui se passe dans les vespasiennes. Haji est un mollah athée. Sonia pille des tombes, lit le dernier Delarue, et regarde le Muppet show. Ismael joue aux échecs. Il déplace son cavalier de c3 en e5, puis son fou de b3 en f6. Deux déplacements impossibles si l'on suit les règles. Mais le romancier peut tout. La main de Dieu, vous dis-je!

Sauf que le romancier, lui, est mortel, comme nous l'apprendra un dernier chapitre particulièrement touchant.

Là, sous la forme d'un court roman-feuilleton qui contournerait les règles du genre, il prend un malin plaisir à malmener ses personnages et à les laisser en mauvaise posture d'un épisode sur l'autre. Je me demande même si ce n'était pas là le véritable objectif d'une série de textes qui sent bon l'exercice d'écriture et la contrainte stylistique. Je crois que Jean-Pierre Enard s'est fait plaisir, au détriment de la cohérence narrative mais pour l'entière satisfaction du lecteur.

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