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EAN : 9782251700014
144 pages
Les Belles Lettres (21/10/2013)
3.75/5   2 notes
Résumé :
Traduit depuis longtemps dans de nombreuses langues, Misère et splendeur de la traduction de José Ortega y Gasset n'avait encore jamais été publié en France. Ce célèbre essai fut pourtant rédigé en 1937 à Paris où le philosophe espagnol, fuyant la guerre civile, avait trouvé refuge. C’est une contribution majeure à la pensée de la traduction, due à un grand intellectuel polyglotte qui, en tant que directeur de la Revista de Occidente de 1923 à 1936, avait puissammen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Cet essai publié en 1937 dans le journal argentin La Nación, rédigé par José Ortega y Gasset, est parmi ceux qu'il aurait écrits sur une table de cuisine. C'est un texte important, comme l'écrit Jean-Yves Masson dans la postface, car «il a gardé sa valeur intacte précisément dans la mesure où il nous montre à l'état naissant certaines idées sur la traduction qui ont acquis un grand rayonnement, et d'autres qui appellent la contestation.» le grand mérite de Misère et splendeur de la traduction est de montrer que les questions de la traduction sont très liées aux grands problèmes des sciences humaines et il leur confère même un enjeu anthropologique. Ceci explique qu'il s'agit bien d'un philosophe[1], non d'un linguiste ou d'un traducteur, qui proposait ces orientations restées au coeur de la traductologie actuelle.

Pourquoi une version française[2] si tardive alors qu'il s'agit d'une référence classique dans d'autres pays ? L'essai est présenté sous forme d'un dialogue fictif entre professeurs lors d'une séance au Collège de France et Ortega y lance sans cesse des piques contre les philosophes et linguistes français. de plus, il considère le français comme une langue claire mais extrêmement normative, à la différence de l'allemand plus souple. Dans un autre texte de la même année, Ortega écrit : «Les langues ont leurs frontières, leurs limites, et leur douane. Lorsqu'il traduit en français, l'auteur note immédiatement que la moitié des bagages sont retenus, et il remarque avec une autre surprise ingénue que, dans cette langue merveilleuse, il y a beaucoup de choses impossibles à dire.»

Voilà qui nous amène au coeur du sujet, la difficulté de traduire, la misère du travail de traduction jamais totalement satisfaisant. Prenons l'exemple du mot allemand Wald (forêt) auquel le dictionnaire fait correspondre bosque en espagnol : les forêts espagnole et allemande sont cependant deux réalités nettement distinctes. La différence est aisément visible et leurs résonances intellectuelles et affectives sont marquées. Il est donc faux de supposer que bosque se rapporte à ce qu'un Allemand appelle Wald. Un peu comme si nous superposions les photos de deux personnes différentes.

Traduire s'avère donc souvent une utopie. Ortega distingue pourtant le bon et le mauvais utopiste. Afin de favoriser la communication entre les peuples et en conséquence une bonne entente, il est souhaitable de corriger le confinement des hommes dans leur langue naturelle. le mauvais utopiste considère que puisque cela est souhaitable, c'est possible et il ne réfléchira pas plus avant de traduire. «Voilà pourquoi presque toutes les traductions réalisées jusqu'ici sont mauvaises», affirme Ortega. le bon utopiste pense qu'il est improbable que l'on puisse y parvenir et qu'on n'y arrive que de manière approximative. Mais cette approximation varie de zéro à l'infini et ouvre un champ illimité d'actions qui laisse toujours place à l'amélioration, au dépassement. Bref au progrès. «L'existence humaine a le caractère athlétique d'un effort qui trouve satisfaction en lui-même et non dans son résultat.» le bon traducteur s'efforce de réformer la réalité dans le sens de l'impossible, le seul acte qui ait un sens. Et l'effort vers inaccessible aboutissement de toute traduction contribue à sa splendeur, dans une tâche à la fois humble et exorbitante.

[...].

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Les Belles Lettres ont eu l'excellente idée de publier une édition bilingue (le texte espagnol figure en page de gauche, la traduction française, en page de droite) d'un essai de José Ortega y Gasset (1883-1955) sur la traduction et, plus largement, le langage. Bel exemple de mise en abîme (traduire un écrit sur la traduction doit être stressant, surtout quand ledit écrit pointe les insuffisances de toute traduction…), ce bref texte mêlant philosophie, anthropologie, linguistique, littérature — le titre même renvoie au roman fameux De Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes — adopte la forme pertinente d'une conversation entre personnes de bonne société, en l'occurrence, entre des membres du Collège de France et un conférencier invité (le narrateur). Quel meilleur lieu choisir, pour parler de la traduction, que cette vénérable institution créée précisément autour de la question de la traduction des textes antiques à la Renaissance ?

Bien que nous soyons dans la fiction — le narrateur n'est pas l'auteur, même s'il adopte incontestablement ses idées parfois —, les théories et opinions énoncées au cours de cette conversation polyphonique divisée en cinq temps-chapitres sont celles de penseurs et savants réels de l'époque (c'est-à-dire les années 1930), ce qui offre au lecteur un bel exercice de révision ou de découverte. Ortega y Gasset envisage les limites et possibilités de la traduction, pose les problèmes que rencontre le traducteur, les enjeux de toute version, etc. Il nous invite à réfléchir et à riposter, en un mot, à entrer dans le débat, ne serait-ce qu'en énonçant des paradoxes qui ne sauraient laisser indifférents, ou en lançant des piques contre le français (et les Français). Exemple de ces incitations piquantes :
"Yo siento que mis últimas palabras en esta reunión sean involuntariamente agresivas, pero el tema de que hablamos las impone. Son éstas: de todas las lenguas europeas, la que menos facilita la faena de traducir es la francesa…"
["Je regrette de devoir mettre un terme à notre réunion sur des paroles involontairement agressives, mais notre sujet nous y oblige. Les voici : de toutes les langues européennes, celle qui facilite le moins la tâche du traducteur est la langue française…"]
À ce texte en soi intéressant s'ajoutent d'excellentes annexes : l'introduction de François Géal, qui a dirigé la traduction du texte de l'écrivain espagnol, et la postface de Jean-Yves Masson, qui revient sur les concepts et théories mis en jeu dans l'essai.
Pour toutes ces raisons, ce petit volume saura captiver un public divers : hispanistes confirmés ou amateurs, traducteurs, linguistes, curieux de l'anthropologie, et plus simplement lecteurs désireux d'aborder quelque chose de neuf ! Cerise sur le gâteau (miel sobre hojuelas, pour le dire comme Ortega y Gasset), la mise en page, la typographie, le papier sont élégants !
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Video de José Ortega y Gasset (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de José Ortega y Gasset
José Ortega y Gasset (1883-1955), un spectateur dans l'Europe : Une vie, une œuvre (1984 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 15 novembre 1984. Photo : José Ortega y Gasset dans les années 1920. Par Jacques Munier. Réalisation de Jean-Claude Loiseau. Avec madame Soledad Ortega Spottorno, le docteur Miguel Ortega Spottorno, Julían Marías Aguilera, Alain Guy, Ana Lucas, Celia Amoros, Jacobo Muñoz et Cristina de Peretti. Les textes de José Ortega y Gasset sont lus par Philippe Moreau. Avec la voix de Muriel Petit. À la fois professeur, essayiste, journaliste et conférencier, auteur d'une œuvre considérable, Ortega y Gasset fut considéré en son temps comme l'un des chefs de file de l'intelligentsia de son pays. Ce philosophe est l'inventeur d'un système de pensée original, profondément cohérent quoique disséminé dans une multitude d'écrits trouvant leur unité, du point de vue formel, dans un style élégant et brillant, semé de métaphores, qui cherche d'abord à séduire son lecteur pour mieux le convaincre et pour mieux l'instruire. Retour, en compagnie de ceux qui l'ont côtoyé de près, sur le parcours de cet être singulier qui aura marqué l'histoire intellectuelle espagnole et européenne au XXe siècle.
Source : France Culture
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