«
Mon Coeur Au Ralenti » est assurément un roman plaisant, malgré quelques maladresses scénaristiques.
Maurice Dekobra y révèle son immense talent de conteur et son amour immodéré des femmes. Sur bien des plans, le roman s'inspire des premiers « polars noirs » alors en vogue aux Etats-Unis, mais l'intrigue policière n'est ici que prétexte à parler des femmes et de l'addiction, les sujets de prédilection de
Maurice Dekobra, qu'il maîtrise déjà fort bien et qu'il ne cessera jamais d'aborder. le coeur bat ici au ralenti sous l'influence de l'opium, et c'est à dessein que les aventures de Gilbert Dextrier / Séliman tiennent parfois du cauchemar embrumé et psychédélique. Piégé entre trois femmes idéales – l'épouse affectueuse, la lolita extravertie, la catin accomplie -, Gilbert ne peut choisir, perd la maîtrise de ses sens, ne sait plus quoi faire, quoi dire, comment agir, et sa lente déchéance semble ne receler pratiquement aucune issue de secours.
Nous avons bien là affaire à la mentalité quelque peu étriquée d'un homme à femmes, dont le roman cherche à démontrer avant tout qu'il faudrait n'en aimer aucune ou pouvoir les aimer toutes. D'ailleurs par le biais de son personnage,
Maurice Dekobra excuse hypocritement son goût pour le papillonnage en faisant de Gilbert un homme faussement irréprochable, dans le sens où la tentation de l'adultère lui est permanente, mais il ne parvient pas à ses fins. Néanmoins, il est puni par sa femme comme s'il l'avait fait. On doit comprendre, derrière cette apparente injustice, que Dekobra invite ceux ou celles qui rêvent d'adultère à aller jusqu'au bout, puisque dès lors que les intentions seulement sont connues, on subit le même sort que si on était passé à l'acte, sans le plaisir de l'avoir réellement fait. Ayons une pensée émue pour Mme Dekobra, fidèle épouse de l'auteur, et dont les cornes, pour reprendre une image traditionnelle, devaient dépasser la hauteur de la Tour Eiffel…
Si l'on fait abstraction de cette morale hypocrite et faussement galante, si l'on a le courage de rire en plein milieu de ce récit d'un plaidoyer fasciste aberrant et inutile dont aujourd'hui encore on comprend difficilement l'intérêt littéraire, «
Mon Coeur Au Ralenti » est un roman tout à fait fascinant, extrêmement bien documenté, sachant allier suspense à l'américaine et marivaudage à la française avec une exceptionnelle maîtrise, et qui témoigne avec beaucoup de vivacité et une notable qualité rhétorique de l'esprit des Années Folles. C'est l'une des premières pierres fondatrices de l'oeuvre à la fois colossale et légère d'un auteur aujourd'hui très mésestimé, mais qui a su occuper, au panthéon de la littérature populaire, une place unique, inclassable, presque indéfinissable.
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